Texte intégral
Date : 20 novembre 1997
Source : Europe 1
Une issue a été trouvée à la crise. C’est le premier point, le point important et c’est le préalable. Les membres du Conseil de sécurité n’ont cessé de dire ces derniers temps à l’Iraq qu’il n’y avait pas d’autre issue à cette crise que le fait que l’Iraq annule cette décision de non- coopération. C’est très important parce que c’est un préalable à tout le reste, vous le comprenez bien. Dans cette crise, il y avait un risque d’escalade que, la plupart des protagonistes voulaient éviter, y compris je crois les dirigeants américains. Encore fallait-il que les Iraquiens aient annulé cette décision contestée et inacceptable. Nous sommes sortis de la crise, il faut s’en réjouir. C’est exactement conforme à ce que la France dit depuis le début de la crise sur la façon de la dénouer. Notre vision à nous, c’est qu’il faut pouvoir dire de façon claire dans quelles conditions et quand les Iraquiens pourront finalement sortir du tunnel et il ne faut pas faire à notre avis, comme les États-Unis l’ont fait ces dernières années, c’est-à-dire donner l’impression que même si les Iraquiens remplissaient toutes leurs obligations, même s’ils avaient démonté tous les programmes de destructions massives, pour autant, il n’y aurait jamais de sortie du tunnel ni de levée de l’embargo.
Conférence de presse à Genève - 19 novembre 1997
Question : Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous décoder votre appréciation ?
Réponse : Mon appréciation, c’est que c’était une très bonne réunion, qu’il était important qu’il y ait une réunion au niveau des ministres de ce que l’on appelle le P5, en tout cas les quatre ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de la Russie, de la Grande-Bretagne et de la France, plus le représentant du ministre chinois. Je crois que cette réunion intervient à un moment extrêmement utile par rapport à cette crise qui dure maintenant depuis longtemps. Je disais que cette réunion était utile car elle montrait l’unité des membres permanents du Conseil de sécurité, l’unité sur une ligne ferme et claire qui est que l’Iraq doit revenir sur la décision qu’il a prise de ne plus coopérer avec la Commission spéciale en contradiction avec toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Cette réunion a permis d’entendre M. Primakov, en particulier, qui a pensé pouvoir indiquer qu’une décision de l’Iraq dans cette direction était imminente ou attendue à une date très rapprochée. Cela nous a permis de prendre note de l’effort russe qui était mené en contact étroit avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité, et donc d’envisager une issue à cette crise immédiate, et au-delà, peut-être, une perspective d’avenir sur des bases qui sont très conformes à ce que la France a toujours dit sur la question iraquienne et sur la gestion de cette crise. D’où l’appréciation très positive que je porte sur cette réunion de Genève.
Question : Est-ce que les informations que vous a données M. Primakov sont de caractère à nous faire penser que des nouvelles idées peuvent constituer pour l’Iraq une manière d’espoir de voir une procédure ordonnée lui permettre à la fois de savoir ce que l’on attend de lui et ce que lui peut espérer de ces discussions ?
Réponse : Il y avait un préalable posé par tous les membres du Conseil de sécurité, sans distinction qui était avant tout que l’Iraq revienne sur sa décision de ne plus coopérer avec la Commission spéciale. M. Primakov pense que cette décision iraquienne est imminente ce qui a permis aux ministres présents d’exprimer l’espoir qu’elle se concrétise le plus vite possible. Voilà le fait positif.
Question : Qu’en est-il du rééquilibrage de la Commission ?
Réponse : Ce point n’est pas traité par la déclaration puisqu’il y a une chronologie à respecter. Le point principal est que l’Iraq accepte de revenir sur la décision qui a été prise, comprenne que c’est son intérêt de le faire. Nous exprimons l’espoir que ceci se concrétise au plus vite. Pour le reste, il y a une réunion plénière particulière, une session spéciale de la Commission spéciale convoquée pour le 21 novembre, au sein de laquelle toutes les autres questions d’avenir pourront être abordées.
Question : Est-ce que l’on peut considérer qu’il n’y a pas de contrepartie de la part des membres des grandes puissances qui serait donné à l’Iraq dans ce cas-là ? Puisque la façon dont le communiqué a été présenté – à ce que vous venez de nous dire – laisse à croire qu’il n’y a pas de contrepartie dans ce qui vient d’être décidé.
Réponse : Il y a une chronologie dans l’approche des problèmes et il semblerait – encore une fois sous réserve de confirmation que nous espérons, car c’est la seule façon de sortir de cette crise – que les dirigeants iraquiens soient arrivés à cette conclusion qu’ils devaient revenir sur leur décision. Ce préalable commande tout le reste.
Question : Le parlement iraquien a été convoqué. Est-ce que vous attendez une décision du Parlement iraquien ? Est-ce que cette décision – si elle est positive – va permettre la suite de la chronologie dont vous parlez ?
Réponse : Si la réunion dont vous nous parlez aboutit à confirmer la décision dont les Russes pensent qu’elle devrait être prise à courte échéance – ce sur quoi nous avons exprimé notre espoir, et bien cela permettra de sortir de la crise immédiate dans laquelle nous étions. Et c’est un premier point. Cela peut ouvrir la voie à d’autres considérations qui seront développées, pour commencer, dans cette réunion dont j’ai parlé.
Question : Est-ce que cette réunion a permis une lecture commune avec vos partenaires de la 687, c’est-à-dire une levée des sanctions frappant l’Iraq ?
Réponse : Cette réunion intervient dans un contexte de crise particulier. Elle ne traite pas l’ensemble des sujets à court, moyen ou long terme. La première question était de savoir comment sortir de cette crise créée par la décision de l’Iraq de ne plus coopérer avec la Commission spéciale chargée de vérifier la mise en œuvre des résolutions sur la suppression des programmes d’élaboration d’armes de destruction massive. Je rappelle tout cela pour que le fil ne soit pas perdu. C’était cela la question urgente, et c’était cela qui justifiait une réunion des ministres de ces pays en pleine nuit à Genève. C’est ce point qui a été traité et c’est sur ce point que nous pensons qu’une issue apparaît et que nous espérons qu’elle va être concrétisée à très court terme. Après quoi, il peut y avoir une réflexion, notamment sur la façon d’améliorer l’efficacité du fonctionnement de la Commission spéciale. Ceci donnera lieu, le moment venu, dans cette réunion à d’éventuelles propositions des uns et des autres mais qui n’ont pas été débattues en détail ce soir, car ce n’était pas là l’urgence. Il faut prendre les problèmes les uns après les autres.
Question : Est-ce qu’il y a quelque chose dans les résolutions de ce soir que vous pouvez appeler une lumière au bout du tunnel pour l’Iraq ?
Réponse : L’élément majeur est que nous prenons acte – peut-être par anticipation – d’une décision raisonnable et intelligente qui est attendue de la part de l’Iraq. C’est le préalable de tout le reste, donc les questions que vous posez ne pouvaient pas se poser avant que ce préalable ait été levé. Pour le reste, il est bien question d’une réunion le 21 novembre, dans une formation particulière de la Commission spéciale au sein de laquelle pourrait débuter une réflexion sur l’amélioration du fonctionnement de la Commission. Ce qui permet beaucoup de suggestions diverses. Naturellement, cette Commission travaille et agit sous l’autorité du Conseil de sécurité, mais les choses ne s’arrêtent pas là. L’activité diplomatique des uns et des autres continuent, je vous rends compte simplement de ce qui s’est décidé cette nuit et qui permet en tout cas, si ce n’est d’apercevoir le bout du tunnel à long terme – je crois que c’était le sens de votre question –, en tout cas qui permet d’apercevoir une sortie de la crise immédiate. Si tout ceci est confirmé, c’est déjà extrêmement important. Pour le reste, le travail diplomatique va continuer et les pays membres du Conseil de sécurité seront amenés à faire leurs propositions sur ce que pourrait être par exemple l’amélioration du fonctionnement et de l’efficacité de la Commission spéciale.
Date : 21 novembre 1997
Source : Libération
Libération : Qu’est-ce qui a fait que Saddam Hussein accepte aujourd’hui ce qui lui semblait inacceptable il y a huit jours ?
Hubert Védrine : L’Irak avait créé une crise grave et dangereuse en décidant de cesser de coopérer avec la commission spéciale de l’ONU. L’Irak a eu la « sagesse » de constater que les membres permanents du Conseil de sécurité ont été unanimes à dire qu’on ne pouvait pas transiger sur ce principe, que l’Irak ne pouvait pas décider de manière unilatérale de ne plus coopérer ou de refuser des inspecteurs de telle ou telle nationalité. Ce n’était pas un problème irako-américain, cela mettait en jeu l’autorité et la crédibilité du Conseil de sécurité. Bagdad a finalement pris en compte cette réalité géopolitique. L’Irak a communiqué son intention aux Russes, qui en ont informé leurs partenaires du Conseil de sécurité, et à Genève nous en avons pris acte.
Libération : On a parlé de « carottes » suggérées à Bagdad pour l’inciter à prendre sa décision…
Hubert Védrine : Il y a eu une décision unilatérale de l’Irak de suspendre la coopération, il y a eu une décision unilatérale de l’Irak de la reprendre. Certes, c’est après une discussion entre l’Irak et la Russie, et après que des messages très clairs eurent été envoyés par tous les pays, séparément ou ensemble (telle la déclaration franco-russe d’il y a trois semaines). Mais il n’y a pas eu de négociation, et d’ailleurs l’Irak a accepté que la commission revienne dans sa composition initiale. La Russie n’était pas habilitée à négocier pour le compte des autres membres du Conseil de sécurité.
Ce qui est vrai, c’est que la Russie, dans sa discussion bilatérale avec l’Irak, s’est engagée à plaider devant le Conseil de sécurité en faveur d’aménagements sur le mode de fonctionnement de la commission spéciale et sur les sanctions en général. La Russie ne peut pas engager le Conseil de sécurité, et l’Irak ne peut faire comme si c’était le cas. Mais la Russie peut présenter des propositions, qu’on ne connaît pas encore en détail. Nous allons alors entrer dans un débat que la décision irakienne permet.
Le paragraphe 4 du communiqué de Genève soutient la décision de la commission spéciale de se réunir, aujourd’hui même, pour discuter de la manière de rendre « plus efficace » son fonctionnement.
Libération : La France soutiendra-t-elle à cette réunion la révision de la composition de la commission, actuellement majoritairement américaine ?
Hubert Védrine : La France présentera ses propres propositions – on peut le faire maintenant que le préalable a été levé – sur la composition de la commission. Il ne faut pas remettre en cause la présence des Américains, cela ne serait pas acceptable. On peut imaginer d’augmenter le nombre de certains autres. Il peut également y avoir des propositions sur la façon dont on évalue les travaux de la commission : qui en juge, où est-ce débattu, à quel rythme en débat-on ?... Il pourrait y avoir des rendez-vous plus fréquents, un examen plus contradictoire sur les travaux, ce n’est pas inconcevable. Le paragraphe 4 du communiqué est une concession américaine significative, car jusque-là, les États-Unis n’avaient jamais admis d’entrer dans une discussion quelconque sur la commission, sous quelque forme que ce soit.
C’est important. La Russie présentera donc ses propositions, qui, dans son cas, correspondent à un engagement par rapport aux Irakiens. Dans notre cas, nous sommes libres, mais nous avons notre vision de la manière dont on sortira, à terme, de cette affaire. Nous allons la développer.
Libération : Et la perspective de levée des sanctions contre l’Irak, la fameuse « lumière au bout du tunnel », dont on parle depuis plusieurs jours ?
Hubert Védrine : Il ne faut pas mentir. On n’arrivera à la levée des sanctions que quand l’Irak aura rempli ses obligations. Mais on peut progresser par rapport à la situation des dernières années, si on sort de l’ambiguïté qui était entretenue par les États-Unis notamment, qui donnaient l’impression, dans certaines déclarations, que même si l’Irak remplissait toutes ses obligations, il n’y aurait de toutes les façons jamais de levée des sanctions.
C’était mauvais, car cela donnait des arguments à Saddam Hussein pour biaiser. Nous pensons qu’il faut clarifier les choses. De même que nous avons su être clairs et fermes face aux actes inacceptables de l’Irak, nous disons qu’il faut être aussi clair dans l’autre sens. Il faut dire aux Irakiens que quand ils auront rempli toutes les conditions et que la commission en aura jugé ainsi, on lèvera vraiment les sanctions. Une des propositions françaises est de considérer qu’on peut traiter les dossiers un par un (nucléaire, balistique…) pour tirer des conclusions intermédiaires. Il faut, par ailleurs, élargir la formule « pétrole contre nourriture », ce que les Américains eux-mêmes acceptent, et c’est leur deuxième concession significative. Il y a une vraie évolution de la position américaine que nous devons encourager.
Libération : Quelles leçons politiques peut-on tirer de cette crise ?
Hubert Védrine : C’est d’abord une leçon d’efficacité du Conseil de sécurité quand il est uni. Cela montre qu’on peut avoir une politique de fermeté qui aboutit sans passer nécessairement par le recours à la force. Pour la France, on peut tirer une autre leçon positive aussi : les analyses françaises contrastées sur la crise irakienne – « les résolutions, rien que les résolutions » … – sont validées par cet épisode. Jamais les positions des autres puissances n’ont été aussi proches des nôtres.
Libération : Les Américains n’ont-ils pas constaté la difficulté d’agir unilatéralement ?
Hubert Védrine : Les États-Unis s’aperçoivent que ce système de contrôle est en place depuis des années et n’est pas efficace, que les politiques de sanctions trop nombreuses sont mal reçues dans le monde.
Enfin, les États-Unis sont dans une posture difficile dans le monde arabe à cause du blocage du processus de paix. Ceux qui ont en charge la diplomatie américaine ont réalisé qu’en cas de frappe la situation serait pire qu’avant, avec encore moins de contrôle sur l’Irak et une réaction extrêmement vive dans la région contre les États-Unis. Ils ont intelligemment cherché à éviter cette issue.
Libération : C’est aussi un beau succès russe ?
Hubert Védrine : C’est exact, mais ce succès n’a pu être obtenu que parce qu’il s’est inscrit dans une cohérence et dans une unité du Conseil de sécurité. Primakov le souligne lui-même. C’est très bien : ça fait agir une diplomatie russe qui se reveut plus active dans cette région, dans le bon sens.