Déclaration de M. Edmond Hervé, secrétaire d'Etat chargé de la santé, sur la prévention et les soins en-matière d'alcoolisme, Paris le 21 mars 1985.

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Circonstance : Journées nationales d'alcoologie les 21 et 22 mars 1985 à Paris

Texte intégral

C'est avec beaucoup de plaisir que j'ouvre ces premières journées nationales d'alcoologie du secrétariat d'Etat chargé de la Santé et que j'accueille les nombreux participants qui sont réunis aujourd'hui.

En effet, le problème de la consommation excessive de boissons contenant de l'alcool et de ses lourdes conséquences sur la santé physique et psychique des individus est une de mes premières préoccupations.

Le nombre de décès annuel enregistré sous les rubriques alcoolisme, psychose alcoolique et cirrhose du foie tourne autour de 18 000 ; sans compter les accidents mortels de la route pour lesquels une alcoolémie supérieure 0,8 g/l est constatée pour 38 % des cas. 25 % à 35 % des hommes hospitalisés dans les centres hospitaliers généraux ou psychiatriques présentent des signes d'imprégnation alcoolique. L'alcool joue un rôle déterminant comme facteur principal ou associé dans certains cancers et de nombreuses infections.

Même si ces dernières années la situation semble légèrement évoluer vers une diminution de la consommation moyenne d'alcool par habitant (18 l d'abord par an et par habitant en 1952 pour 14 l en 1981), l'alcool reste responsable aujourd'hui, directement ou indirectement, de 40 000 décès annuels et est un facteur très important dans les problèmes d'inadaptation sociale, de délinquance, de criminalité.

L'ampleur de ce phénomène dans notre pays qui, en outre, se développe au sein de groupes auparavant peu touchés (les femmes, les jeunes) nécessite une action énergique et constante.

A cet égard, l'action gouvernementale a été principalement marquée, en 1984, par la campagne nationale de modération de la consommation de boissons contenant de l'alcool menée à ma demande par le Comité français d'éducation pour la santé : « Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts », résume bien la volonté des pouvoirs publics de mener une action préventive en profondeur, axée non pas sur une attitude moralisante et prohibitive, mais sur une prise de conscience des effets nocifs des excès pour la santé de chacun.

En 1985, cette campagne sera reprise au niveau national et au niveau régional. L'accent sera mis sur trois régions pilotes : le Nord-Pas-de-Calais, la Bretagne et l'Auvergne. Ces régions n'ont pas été choisies au hasard, car elles présentent le triste privilège de figurer respectivement en 1re, 2e et 6e positions en matière de taux de mortalité par alcoolisme, cirrhose du foie et psychose alcoolique. L'élaboration et la mise en oeuvre de la campagne 1985 seront essentiellement le fait de tous les acteurs locaux concernés.

Mais l'impact particulièrement important de cette campagne préventive ne nous fait pas pour autant oublier l'impérieuse nécessité de répondre aussi à la demande de soins des personnes touchées par les effets d'une consommation excessive. Environ un million et demi de personnes sont dans notre pays alcoolo-dépendantes et 3 millions de personnes sont déjà des buveurs à haut risque, avec toutes les conséquences qu'entraîne cette imprégnation alcoolique permanente. Cette campagne a provoqué beaucoup de discussions, beaucoup de débats à travers la France, et le thème des soins est revenu très souvent au centre des préoccupations de tous ceux et celles qui sont confrontés quotidiennement au problème de l'alcoolisation individuelle.

Et c'est pourquoi cette rencontre au niveau national est apparue nécessaire et le grand nombre de personnes présentes aujourd'hui témoigne du besoin d'échange qui anime les milieux professionnels que vous représentez et qui est le signe de votre dynamisme.

Un colloque réunissant aujourd'hui un nombre aussi important de soignants dans le domaine de l'alcoolisme et des maladies liées à la consommation excessive d'alcool reflète bien le souci d'accompagner l'action préventive, qui a marqué l'année 1984 et sera reprise en 1985, et l'action répressive caractérisée par la loi de décembre 1983 qui a abaissé le seuil délictueux de conduite en état alcoolique, par un soutien efficace au dispositif de soins qui reste le maillon essentiel dans la prise en charge des alcooliques.

Ce dispositif s'appuie aujourd'hui sur deux circulaires essentielles :

- celle du 28 mars 1978 relative à l'organisation des soins aux malades alcooliques dans les hôpitaux généraux ;
- celle du 15 mars 1983 relative aux centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie.

Ce ne sont que des circulaires certes, mais la modification du code de la santé publique, qui donnerait enfin à ce système la base légale qui lui fait encore défaut, fait partie de notre programme de travail.

En ce qui concerne la prise en charge des alcooliques dans les hôpitaux généraux, un bilan vient d'être fait par la Société française d'alcoologie, qui, sans nous inciter à relâcher efforts, a mis en évidence le nombre et la variété des formules mises en place dans un grand nombre d'hôpitaux. Je sais que beaucoup d'interventions aborderont ce thème et je m'en félicite car s'il n'est pas le seul lieu curatif, l'hôpital général est celui auquel s'adresse le plus naturellement le malade alcoolique qui ne présente pas encore de troubles graves mais déjà des conséquences somatiques suffisantes pour nécessiter des soins appropriés. L'hôpital est le lieu privilégié pour dépister l'imprégnation alcoolique et prendre en charge le malade dans la totalité de sa pathologie lorsqu'il en est encore temps.

Les centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie ont connu une extension considérable ces dernières années.

Ils étaient une centaine en 1980, ils sont plus de deux cent vingt aujourd'hui, et la participation des pouvoirs publics à leur fonctionnement passera de 32 millions de francs en 1982 à près de 80 millions de francs en 1985. C'est dire la part importante prise par ce type de structure dans notre dispositif et je rends, à cette occasion, hommage aux efforts du Comité national de défense contre l'alcoolisme et de l'Association pour le développement de la recherche des intervenants en alcoologie qui, malgré la conjoncture difficile que nous connaissons tous, ont su assurer un haut niveau d'efficacité à ce dispositif en plein développement.

Cet effort ne doit pas se relâcher et le dispositif de prévention et de soins est encore insuffisant. Trop de départements, une dizaine environ, sont encore démunis de toute structure ou équipés de façon dérisoire. Les deux années qui viennent, 1985 et 1986, devront voir la fin de cette disparité choquante à de multiples égards, et je m'engage à ce que cet objectif soit atteint.

Il n'est pas possible non plus d'évoquer les soins en alcoologie sans parler de la place particulière des mouvements d'anciens buveurs. Charnière entre le système de soins et la vie quotidienne dans la cité, ils sont particulièrement peu avares de leurs efforts dans leur contribution à la prise en charge des malades alcooliques et leur action mérite toute notre reconnaissance.

Vous allez débattre de tout cela pendant deux jours et j'attends, pour ma part, vos conclusions, avec beaucoup d'intérêt pour donner un nouvel élan au secteur qui vous intéresse. Confrontation et échange autour de vos pratiques de soins, cela veut dire : promotion de pratiques efficaces ou méconnues, abandon de pratiques dépassées ou inutiles, voire contestables au plan éthique, évaluation rationnelle des résultats. Beaucoup de choses doivent sortir de ces journées qu'il vous appartient de faire émerger.

Je sais que beaucoup d'entre vous sont actuellement préoccupés par les problèmes de formation des personnels soignants dans le domaine de l'alcoologie, et notamment au niveau du corps  médical. J'entends souvent évoquer l'idée d'une spécialité « alcoologie » dans les études médicales et de la création d'une discipline spécifique. Je n'y suis pas pour ma part favorable et je pense que ce serait une démarche inutilement régressive.

En effet, l'alcoologie pour être vivante doit s'enrichir de l'apport constant de nombreuses autres disciplines médicales : hépatologie, gastro-entérologie, psychiatrie, neurologie, santé publique notamment, et également d'autres disciplines non médicales des sciences humaines. Elle ne peut progresser que si elle est pleinement intégrée dans chacune de ses disciplines. L'en sortir, l'isoler, l'enfermerait dans un carcan stérile, sans aucun bénéfice pour la qualité des soins dispensés aux malades alcooliques. L'alcoologie ne peut en réalité exister que si elle résulte d'une confrontation permanente de différentes approches théoriques et cliniques de la maladie alcoolique dans le cadre des différentes disciplines qu'elle concerne.

Par contre, la maquette de l'enseignement de la filière de médecine générale prévoit désormais un enseignement approfondi autour des dépendances physiques et psychiques, à l'alcool, et aux autres produits licites ou illicites, tandis que de nombreux D.E.S. aborderont de fait l'alcoologie.

Enfin, la nécessité pour les praticiens généralistes ou spécialistes d'approfondir leurs connaissances me semble pouvoir être étudiée dans le cadre d'une capacité. J'ai, en ce qui me concerne, saisi mon collègue de l'éducation nationale pour la mise en place d'une étude sur cette question.

De même, la formation permanente des personnels non médecins, sanitaires ou sociaux, est un élément important qui conditionne le dynamisme et l'efficacité des équipes. Si ce qui existe actuellement est intéressant, et je pense notamment au centre national de formation et à l'institut de recherche et d'enseignement sur la maladie alcoolique, il est certain qu'il y a encore des efforts à faire dans ce domaine et mes services ont reçu toutes instructions pour les intensifier.

Pour en revenir à ce colloque, sachez que nous avons reçu plus de quatre-vingt-dix communications ; pour des raisons évidentes de temps, nous avons dû nous limiter et cinquante-deux seulement seront présentées aux ateliers. J'espère que vous ne nous en tiendrez pas rigueur. Que ceux qui n'ont pas été retenus nous remettent aujourd'hui ou demain leur texte et il sera publié dans les actes de ce colloque.


La richesse de ces communications a permis d'articuler le travail des deux prochaines demi-journées autour de quatre grands thèmes qui recouvrent les problèmes essentiels auxquels vous pouvez être confrontés : analyse des causes de la maladie alcoolique, réponse aux situations d'urgence et d'écoute lors du premier contact, comparaison des pratiques thérapeutiques, post-cure et bilans.

Peut-être les conditions matérielles vous décevront-elles ? Vous êtes très nombreux, plus que nous ne l'avions espéré et l'intendance a quelquefois du mal à suivre. Je vous demande un peu d'indulgence. Merci d'être venus et je vous souhaite deux jours de fructueux échanges.