Texte intégral
Le Monde
« Que pensez-vous du coup de force de l'Union cycliste internationale (UCI), qui a exigé que soient réintégrés Richard Virenque et le directeur sportif de l'équipe Once, Manolo Saiz, au Tour de France ?
Marie-George Buffet
- C'est une mauvaise décision. Elle va à l'encontre d'une démarche qui visait à créer un nouvel état d'esprit sur le Tour de France et dans le cyclisme. Je le dis avec d'autant plus de liberté que je me suis toujours montrée respectueuse de l'indépendance du mouvement sportif. Mais je considère qu'il est particulièrement déplorable que l'UCI réintègre dans le Tour de France un directeur d'équipe qui a tenu des propos injurieux à l'encontre de notre pays, de sa législation, de sa justice et de sa police. Ce n'est certainement pas de cette manière que se créera un climat de sérénité nécessaire au bon déroulement de l'épreuve. Il est par ailleurs regrettable que l'UCI ouvre le parapluie d'un vice de procédure pour tenter de justifier une décision aussi lourde de conséquences. Sur des enjeux essentiels pour l'avenir du sport, la clarté des débats nécessite un minimum de courage.
Le Monde
- Le gouvernement a-t-il l'intention d'intervenir dans cette affaire ?
Marie-George Buffet
- Le rôle du gouvernement est avant tout d'affirmer sa détermination à lutter contre le dopage et de la traduire par des actes. C'est ce que nous faisons depuis deux ans. Et ce qui vient de se passer ne peut que renforcer notre détermination. J'ajoute qu'aucun règlement n'est au-dessus des lois de la République. La France s'est dotée d'une nouvelle loi contre le dopage, qui s'appliquera chaque fois que cela se révélera nécessaire.
Le Monde
- Ne faut-il pas interpréter la décision de l'UCI comme un refus des instances sportives d'accepter une autre logique que la leur en matière de lutte contre le dopage ?
Marie-George Buffet
- Evitons les amalgames, Les instances sportives ne se réduisent pas à l'UCI. En France, la volonté de sortir du dopage est portée par le mouvement sportif, par la Fédération française de cyclisme. Le même constat peut être dressé en Italie et dans d'autres pays. En revanche, il est vrai qu'au niveau international, certaines instances sportives font comme s'il ne s'était rien passé depuis deux ans. L'UCI est restée dans une logique de moindre mal : le fléau étant jugé inévitable, il s'agit simplement d'en limiter les dégâts. L'acceptation dans le sport d'une sorte de dopage encadré est une capitulation. La seule logique acceptable éthiquement est celle d'une rupture radicale.
Le Monde
- Le ministère de la jeunesse et des sports avait l'intention de procéder à un nombre important de contrôles inopinés lors du Tour de France. Cette nouvelle affaire va-t-elle changer quelque chose ?
Marie-George Buffet
- Non. L'ensemble du dispositif annoncé par la direction du Tour est maintenu. Mais j'ai la conviction qu'un Tour de France sans dopage relève d'abord de la responsabilité des coureurs, des directeurs sportifs et des médecins des équipes.
Le Monde
- La conclusion de cette affaire n'est-elle pas que seules la police et la justice peuvent remettre de l'ordre dans le mouvement sportif ?
Marie-George Buffet
- L'action de la justice a été indispensable. Ce sera encore plus vrai avec la nouvelle loi qui renforce la lutte contre les trafics et les pourvoyeurs de produits dopants. Mais soyons conscients que ce combat ne se gagnera pas s'il n'est pas partagé et porté par le mouvement sportif. D'ailleurs, toutes les enquêtes d'opinion montrent que la très grande majorité des licenciés sportifs veulent que ce combat se poursuive, même si cela doit se traduire par moins de médailles pour les Français. Je peux vous dire que ce n'est pas le cas partout. Ceux qui cèdent à certaines pressions en pensant flatter l'opinion se trompent complètement.
Le Monde
- Que vous inspire le contrôle positif de Christophe Dugarry à la nandrolone ?
Marie-George Buffet
- Une procédure est engagée, et je n'ai pas à la commenter. Je rappelle que dans la nouvelle loi, le suivi des procédures disciplinaires relève de la seule compétence des fédérations et du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage. Le pouvoir politique n'interviendra plus, à quelque stade que ce soit. Désormais, c'est une autorité totalement indépendante qui est garante de la gestion transparente de tous les cas.
Le Monde
- Le football, qui est le sport où les enjeux économiques sont les plus importants, n'est pas encore entré dans le suivi médical longitudinal. Trouvez-vous cela normal ?
Marie-George Buffet
- Tous les footballeurs professionnels, y compris ceux qui évoluent à l'étranger, devront se soumettre au suivi médical dés 2000. Si cela n'a pas été le cas jusqu'à présent, c'est uniquement parce que l'entrée de tous les sportifs de haut niveau dans ce suivi ne pouvait se faire qu'en plusieurs étapes; J'ajoute que les dirigeants du football français ont clairement montré leur volonté de s'opposer au dopage.
Le Monde
- L'unité mobile chargée du suivi médical longitudinal est à l'arrêt depuis le mois d'avril. Pourquoi ?
Marie-George Buffet
- Cette unité mobile était chargée, à l'origine, d'assurer la phase expérimentale du suivi médical. Cela concernait 400 athlètes engagés dans la préparation olympique. L'efficacité de ce traitement préventif du dopage a conduit à un triplement des demandes ! Et l'année prochaine, le suivi concernera 3 500 sportifs. Ce passage d'un stade artisanal à un stade quasiment industriel ne pouvait pas se faire en dehors de certaines règles économiques et sanitaires. Cette adaptation a demandé du temps. Plus qu'il n'aurait été souhaitable compte tenu de l'urgence. Mais nous y sommes. Dix-sept laboratoires ont été agréés, ce qui va permettre de reprendre le suivi biologique. En même temps, nous engageons une modernisation du Laboratoire national de Châtenay-Malabry, cet équipement étant appelé à jouer un rôle central dans l'ensemble du dispositif de prévention, de suivi et de contrôle.
Le Monde
- Aujourd'hui, les équipes cyclistes professionnelles sont obligées de financer le suivi médical longitudinal pour leur coureurs. Pour les amateurs, en revanche, le suivi n'existe plus. L'athlétisme et le rugby n'ont effectué que le premier des trois volets du suivi, et encore pour un nombre limité d'athlètes. Le suivi médical longitudinal va-t-il se poursuivre ?
Marie-George Buffet
- Que le sport professionnel participe financièrement à la lutte contre le dopage me semble tout à fait logique. Les fonds investis dans ce domaine par les sponsors et les clubs sont encore très insuffisants. Après tout, la médecine du travail et la prévention des risques sont une responsabilité qui incombe à l'employeur. Aujourd'hui, l'Etat est le premier financeur de la lutte contre le dopage. A mon arrivée en 1997, les crédits étaient de 37 millions de francs. Ils s'élèveront à 115 millions de francs dans mon prochain budget.
Le Monde
- Plusieurs pays, comme l'Espagne et les Pays-Bas, ne semblent pas vous suivre dans l'élaboration d'une politique commune en matière de dopage. Que comptez-vous faire ?
Marie-George Buffet
- Que tous les pays ne soient pas au même niveau d'engagement est un fait Mais ce que je retiens surtout de la récente conférence des quinze ministres des sports de I’Union européenne, c'est la décision d’agir ensemble contre les trafics de produits dopants et d'instaurer une véritable coopération scientifique.
Le Monde
- Serez-vous présente au Tour de France ?
Marie-George Buffet
- Oui, dès le lundi 5 juillet, à Saint-Nazaire.