Texte intégral
Date : mercredi 15 octobre 1997
Source : La Voix du Nord
La Voix du Nord : Madame le ministre, comment avez-vous vécu cette rencontre France – Afrique du Sud ?
Marie-George Buffet : Comme un match très vivant. Je ne me suis pas ennuyée une seconde. L’Afrique du Sud a confirmé, en première période, les grandes qualités du football africain. La France a eu le mérite de ne jamais renoncer. J’ai surtout été frappé par le public lensois à qui je veux tirer un grand coup de chapeau. Si dans les tribunes, la Coupe du monde 1998 est à l’image de cette ambiance, ce sera une grande réussite.
La Voix du Nord : Justement, quelle est votre position sur les grillages autour des stades ?
Marie-George Buffet : Je n’ai pas de position de principe. Avec le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, nous avons choisi d’étudier la meilleure solution, site par site. Les situations ne sont pas partout les mêmes. Il faut penser, également, à la suite. Ce que j’aimerais, c’est que les réussites de la Coupe du monde nous servent pour le championnat.
La Voix du Nord : Quels sont, pour la France, les enjeux de cette Coupe du monde ?
Marie-Georges Buffet : C’est une chance immense que nous n’avons pas le droit de laisser passer. La France va à la rencontre du monde entier. Cette Coupe du monde doit être une immense fête dans les stades, mais aussi en dehors. Il n’y aura, après tout, que deux millions et demi de places, et il est important que chaque citoyen se sente concerné. C’est pour cela que nous avons lancé l’opération « Cité Foot » qui concerne 145 villes et 20 000 jeunes de moins de treize ans. La Coupe du monde sera présente dans tous les quartiers, sur les places des villes. Ce sera aussi une occasion de rencontres avec des quartiers brésiliens. Pelé a été séduit par cette opération que me tient à cœur. Quand on voit l’équipe de France, quand on perçoit la montée en puissance des pays africains, il paraît évident que le football est un excellent moyen d’intégration et de lutte contre le racisme.
La Voix du Nord : Comment avez-vous abordé votre mission de ministre des sports ?
Marie-George Buffet : D’abord, je suis ministre de la jeunesse et des sports. J’y tiens beaucoup. Le chantier du sport est immense. Une nouvelle loi verra le jour en 1998. Depuis 1984, il s’agit de prendre en compte les évolutions du professionnalisme. Mais je tiens à ce que l’argent qui est présent dans le sport serve à tout le monde et irrigue la pyramide du sommet à la base. La grande chance du sport français est d’avoir des structures fédérales. L’organisation du judo me semble un très bon exemple.
Date : 21 octobre 1997
Source : L’Est Républicain
L’Est Républicain : Comment devient-on la première femme communiste ministre en France ?
Marie-George Buffet : J’avoue franchement qu’après une campagne législative rapide mais très forte, ma première élection à la députation (Seine-Saint-Denis), puis deux jours de débat au PC sur la participation ou non au gouvernement, je suis rentrée chez moi pour souffler. Quand, le mercredi, on m’a proposé d’entrer au gouvernement, j’ai longuement hésité en raison de la tâche qui m’attendait, sans connaître d’ailleurs le ministère. Lionel Jospin m’a précisé après qu’il s’agissait de jeunesse et sports.
L’Est Républicain : Premier bilan quatre mois et demi après ?
Marie-George Buffet : Le gouvernement pluriel garde sa pluralité. Il débat sur chaque sujet et cette réflexion se répercute dans l’opinion. Les 35 heures et l’immigration en sont des exemples. Finie la vérité acquise et ces penseurs qui dictent de façon péremptoire ce qu’il faut faire. Si la méthode multiplie « le débat citoyen », un sens nouveau sera redonné à la politique.
L’Est Républicain : La militante est-elle aujourd’hui au sommet de l’ascension ?
Marie-George Buffet : Je ne vis pas cela comme une escalade. J’ai à cœur de faire les choses sérieusement, de connaître les dossiers. Une nouvelle responsabilité entraîne toujours plus de travail. Comme beaucoup de femmes, j’ai à la fois toujours un doute sur mes capacités et je dois assurer ma vie de famille avec moins de temps disponible.
* En dire avec les jeunes
L’Est Républicain : Quel souvenir le ministre de la jeunesse garde-t-elle de la sienne ?
Marie-George Buffet : Née dans une famille de sept enfants, pas du tout communiste, j’ai adhéré au PC après mai 68 et mon bac. À l’époque l’engagement politique était commun chez les jeunes. Malgré les difficultés familiales, j’ai réussi à être étudiante, universitaire en histoire-géo. J’avais une chambre en cité U, une bourse et un emploi de pionne à mi-temps. Avec une sélection à l’université moins sévère, on arrivait à mener de front études et petits boulots.
De plus, nous étions dans une société qui offrait des repères. La société paraissait simple. Aujourd’hui à la lumière de ce qui s’est passé dans le monde, je n’appellerai plus cette simplicité de vue « un atout ».
L’Est Républicain : Quelles actions concrètes peut mener votre ministère ?
Marie-George Buffet : Parallèlement à tous les projets ouverts sur le sport, ce ministère doit devenir l’interlocuteur direct et permanent de la jeunesse. Après un millier de rencontres locales, « la rencontre nationale » de la jeunesse fin novembre à Marly-le-Roi, clôturée par le Premier ministre, va déboucher sur une structure permanente de concertation avec tous les mouvements de jeunes : syndicats, associations, mouvements étudiant. À partir de ce lieu d’échanges et de propositions très concrètes, le ministre de la jeunesse devra impulser le travail interministériel pour résoudre les problèmes exposés. Ainsi les jeunes n’auront plus une multitude d’interlocuteurs.
L’Est Républicain : Quelle part prend le ministère dans les emplois-jeunes ?
Marie-George Buffet : Le fait que ces emplois-jeunes aient une durée de cinq ans, et soient payés au moins au SMIC, constitue une rupture avec tous les dispositifs précédents. Pour les jeunes qui n’ont connu que la précarité, ces emplois leur donnent l’espoir de pouvoir louer un appartement, de s’installer. Le temps aussi pour l’employeur et le salarié de faire que l’emploi se pérennise.
Jeunesse et sports a réuni en même temps toutes les fédérations sportives, le comité olympique et les associations d’éducation populaire dans le souci d’identifier les besoins réels.
La fédération d’escrime qui connaît un afflux de licenciés à besoin de gestionnaires qualifiés.
La fédération d’athlétisme propose 300 emplois de médiateurs polyvalents pour s’ouvrir sur un public de pratiquants plus axés sur le loisir. La fédération de canoé-kayak ouvre 200 emplois « environnement » avec l’entretien des rivières. Nous voulons aussi que des jeunes en échecs scolaires puissent acquérir des formations. Incluses dans les contrats d’embauche, elles doivent déboucher sur des diplômes.
Le 23 octobre nous signons la première convention cadre avec le Comité national olympique. D’autres suivront avec les associations de jeunes et d’éducation populaire.
L’Est Républicain : Les Fonds publics et des collectivités resteront-ils suffisants ?
Marie-George Buffet : Nous conseillons aux fédérations et aux clubs de travailler avec plusieurs partenaires. Au niveau sportif par exemple, l’athlétisme est soutenu par la fondation Gaz de France, et si l’argent du sponsoring sert à l’emploi des jeunes, ce sera très bien.
L’Est Républicain : Pourquoi vos positions contre la drogue sont-elles aussi tranchées ?
Marie-George Buffet : Ce débat est très présent dans les « rencontres jeunes », « L’herbe » des années 70 laisse souvent la place aujourd’hui à un cannabis violent lorsqu’il est mélangé à l’alcool. Les produits évoluent. La séparation drogue dure et douce devenant plus incertaine, je suis contre la dépénalisation. Face à ce problème, il faut s’appuyer sur les études et expériences pour trouver la meilleure réponse. Si la loi doit évoluer, c’est pour dire que la prison n’est pas une réponse à l’usage du cannabis, que l’interdit doit être maintenu par la société que la lutte contre le trafic doit être beaucoup plus déterminée, et qu’il faut davantage de moyens pour la prévention et les soins.
* Les problèmes d’argent
L’Est Républicain : Le problème du dopage se pose-t-il différemment ?
Marie-George Buffet : Le dopage s’étend à des sports jusqu’alors épargnés et à des catégories nouvelles. Plusieurs instructions judiciaires sont en cours. On vient de découvrir des pratiques de mélanges médicamenteux dans une équipe de cadets. Les crédits pour le contrôle anti-dopage et le laboratoire de recherche sur les produits de recherche sur les produits vont être doublés mais il faut aussi anticiper avec une campagne de prévention et d’éducation.
L’Est Républicain : Comment ordonner l’apport de l’argent dans le sport ?
Marie-George Buffet : L’originalité et la richesse du sport français reposent en grande partie sur le fait que dans la même structure associative – la fédération – se côtoient le haut niveau, et le sport pour tous, amateurs et professionnels. Les uns et les autres se nourrissent mutuellement. C’est cette cohérence qui est actuellement menacée. Le plus grave serait une sortie de la sphère professionnelle vers un circuit « sport-spectacle » qui n’obéirait qu’à des logiques de rentabilité commerciale, au détriment de l’éthique sportive. Il faut empêcher une telle dérive. Ce sera l’un des points forts du projet de loi sur le sport que je présenterai au printemps 98.
L’Est Républicain : Pour ce qui est du droit d’exclusivité-télé la Coupe du monde pose-t-elle problème ?
Marie-George Buffet : Les lois de 84 et 92 donnent à l’organisateur le droit de concéder l’exclusivité des images à une télévision mais avec un maintien de l’accès à l’information. Ce garde-fou est impératif. Imaginez la Coupe sur une seule chaine, qui ne serait accessible qu’à une partie des téléspectateurs français alors que l’argent public l’a largement financée. Jusqu’à maintenant, ça se passait plutôt bien, mais nous voilà confronté aux problèmes du grand prix automobile de France. Je reçois Max Mosley, le président de la FISA à ce sujet le 4 novembre, et j’ai volonté de parvenir à un accord.
L’Est Républicain : Que ferez-vous du grand Stade de Saint-Denis à 80 000 places après la Coupe ?
Marie-George Buffet : Dans la concession qui lie l’État au consortium du Stade de France (ce n’est pas moi qui l’a signée mais elle existe), il est prévu qu’en cas de déficit d’utilisation du stade, l’État débourse de 50 à 70 millions de francs dans les années à venir. Mon principal objectif est donc de faire vivre ce stade par le sport, et en particulier par le football.
En clair, ce stade a besoin d’un grand club résident. Or, même si l’on peut penser que la région parisienne dispose du potentiel pour se doter d’un deuxième club de football professionnel de haut niveau, dans l’immédiat, la solution la plus réaliste serait que le PSG vienne jouer au stade de France. C’est le souhait que je formule, en sachant toutefois que la décision appartient au club et lui seul.
L’Est Républicain : Comment endiguer la fuite des footballeurs français.
Marie-George Buffet : Sur le départ des footballeurs français à l’étranger et la valse des transferts avec des sommes de plus en plus importantes je pense qu’une régulation efficace ne peut être envisagée qu’au niveau européen.
L’Est Républicain : Cette Coupe du monde sera-t-elle réellement une fête pour tous ?
Marie-George Buffet : Nous devons tout faire pour qu’il en soit ainsi. Le problème de départ simple : il y a 2,5 millions de billets disponibles et plusieurs millions de demandes. La rançon du succès ne doit pas créer des frustrations. Personne ne doit se sentir exclu de la fête. Pour cela, nous avons obtenu des télévisions françaises la gratuité de la retransmission de tous les matches, sur des écrans géants, dans des manifestations publiques et gratuites.
Cela concerne 10 villes du mondial et toutes les communes de France qui ont des quartiers classés en zones urbaines sensibles. Par ailleurs, j’ai affecté un crédit de 15 millions pour soutenir les animations liées à la coupe.
Je peux donc vous dire que cet événement planétaire qui est une chance pour la France donnera lieu, pendant un mois, à une très grande fête populaire, une fête de la jeunesse et de l’ouverture.
Date : 24 octobre 1997
Source : L’Humanité
L’Humanité : Les évènements récents prouvent-ils, selon vous, que l’on sorte enfin d’une longue, trop longue période d’hypocrisie ?
Marie-George Buffet : Ce n’est pas la première fois que le sport est Sali par le dopage. On aurait tort de se focaliser sur quelques cas, d’autant plus que, durant la procédure en cours, ces sportifs sont présumés innocents. Je trouve d’ailleurs déplorable que leurs noms aient été divulgués. Le problème est trop grave pour céder à la tentation de désigner tel ou tel sportif, telle ou telle discipline. Allons au fond des choses. S’il y a eu du laisser-faire, de l’hypocrisie, de la banalisation – ce qui est regrettable –, je constate qu’aujourd’hui le mouvement sportif affirme une détermination à réagir et à se mobiliser.
L’Humanité : Estimez-vous que les responsables publics, à tous les niveaux d’intervention, ont sous-estimé la portée du fléau, soit par intérêt, soit par laxisme ?
Marie-George Buffet : Je crois surtout que, durant une trop longue période, le dopage a été considéré, à tort, comme un fléau limité à quelques sports et aux grandes compétitions internationales. C’était une illusion. La réalité est bien plus inquiétante. De très nombreux sports sont touchés, et à des niveaux qui ne se limitent pas aux professionnels. D’où la nécessité d’une information et d’une prévention dès le plus jeune âge.
L’Humanité : Quand avez-vous personnellement pris conscience de l’étendu du phénomène ?
Marie-George Buffet : Toutes les informations dont j’ai eu connaissance à mon arrivée au ministère ne laissaient aucun doute sur l’ampleur du problème. Une commission spéciale existait et avait d’ailleurs avancé plusieurs propositions précises, qui n’ont jamais été retenue faite de moyens. Le plus important était donc de montrer que, cette fois, la volonté politique de combattre le dopage n’en resterait pas aux déclarations de bonnes intentions. Et c’est ce qui m’a conduit à inscrire au projet de budget 1998 un doublement des crédits dans ce domaine. Ce n’est pas négligeable, mais il faut être conscient que c’est encore insuffisant pour mener de front une action de prévention, de suivi médical des sportifs et d’approfondissement des recherches.
L’Humanité : Le président de la Ligue nationale de football a tiré le signal d’alarme en début de semaine. Mais lui-même a participé à la création d’une nouvelle épreuve comme la Coule de la ligue. Comment lutter aujourd’hui contre les cadences infernales ?
Marie-George Buffet : Le fait que tous les responsables du football français adoptent une attitude très ferme est extrêmement positif. Car, au-delà d’une augmentation des moyens affectés à la lutte contre le dopage, les réponses de fond à un tel phénomène se construiront avec le mouvement sportif. La hantise de se retrouver hors circuit à la suite d’une blessure les conduit à prendre tous les risques et les pousse à la faute. Nous ne ferons donc pas l’économie d’une mise à plat de ce problème.
L’Humanité : Vous souhaitez « engager des poursuites pour établir toutes les responsabilités dans les provenances et la vente des substances interdites ». Est-ce une façon de s’attaquer, enfin, aux filières ?
Marie-George Buffet : J’ai effectivement demandé au garde des sceaux, Élisabeth Guigou, de saisir le parquet sur la base d’une infraction à la loi de 1989. Cette initiative vise à déclencher une enquête, avec l’objectif de s’attaquer aux filières et aux pourvoyeurs des produits dopants. La sanction sportive reste nécessaire. Mais elle ne permet pas de résoudre le problème tant que les trafiquants ne sont pas inquiétés. Cette impunité est insupportable.
L’Humanité : Si beaucoup reste à faire pour lutter efficacement contre le dopage, n’est-ce pas aussi dû au fait que le sportif cesse d’être un homme dès qu’il devient un produit commercial ?
Marie-George Buffet : Ce n’est pas un hasard si l’explosion du dopage coïncide avec la marchandisation du sport. Quand des logiques exclusivement commerciales imposent leur loi, l’éthique n’a plus de place. Ce constat n’est pas exagéré, mais il ne doit absolument pas nous conduire à renoncer. Au contraire. J’ai même le sentiment, et je n’en rajoute pas, que dans le sport aussi le dogme de l’argent au-dessus de tout est sérieusement en recul. Dans toutes mes rencontres avec des sportifs, qu’ils soient professionnels ou amateurs, pratiquants ou bénévoles, s’exprime l’idée que les choses sont allées trop loin. Cette prise en conscience est une promesse. Le sport est peut-être entré dans une période de reconquête et de sens.