Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les objectifs et les moyens de la réforme de la PAC, notamment pour la viande bovine et les cultures céréalières, Bruxelles le 19 novembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil des ministres de l'agriculture à Bruxelles du 17 au 19 novembre 1997

Texte intégral

Monsieur le président,

Nous avons, sous votre conduite, procédé à un examen approfondi des propositions de la commission et de leurs conséquences tant en ce qui concerne leur volet organisations communes de marché que leur volet structurel.

Je voudrais à ce propos souligner la qualité, la rigueur et l’impartialité avec laquelle vous avez assuré dans cet exercice difficile votre fonction de président.

Votre action nous a ainsi permis de mener une réflexion très riche sur l’opportunité d’une réforme, ses objectifs, ses moyens et son contenu.

• L’opportunité d’une réforme :

À ce stade actuel de notre réflexion, il apparaît, me semble-t-il, clairement qu’une réforme de la PAC est nécessaire pour permettre à l’agriculture européenne de relever les défis auxquels elle sera confrontée dès le début du siècle prochain.

Les marchés mondiaux vont évoluer.

La société en général et les consommateurs en particulier formulent de nouvelles demandes à l’égard de leur agriculture.

Le contexte international dans lequel elle se situe aujourd’hui va connaître des modifications fondamentales avec l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale et le nouveau round de négociations multilatérales.

Les dysfonctionnements actuels de la PAC ne peuvent perdurer.

Pour toutes ces raisons, la PAC doit connaître une nouvelle réforme.

Les objectifs de la réforme :

Cela suppose que cette réforme obéisse à un véritable dessein agricole et européen et que, pour cela, comme je l’ai indiqué lors de notre réunion précédente, elle réponde à un premier préalable, celui d’avoir comme objectif d’affirmer l’identité de l’agriculture européenne.

Comment pouvons-nous définir cette identité de l’agriculture européenne ?

Qu’y a-t-il de commun entre l’agriculture grecque, italienne, française, finlandaise ou suédoise, qui toutes ensemble donnent son visage à l’agriculture européenne ?

Ce qu’il y a de commun, au-delà de la diversité des sols, des climats, des types d’exploitation, et des modes de mise en valeur de celles-ci, c’est la politique agricole commune européenne, c’est cela qui les rassemble.

Ce qu’il y a de commun, c’est la volonté politique de l’Europe, depuis sa constitution, d’organiser les marchés agricoles, de ne pas laisser le sort des exploitations agricoles dépendre des seules évolutions des cours des matières premières agricoles, sur lesquels les agriculteurs n’ont aucun pouvoir d’influence.

C’est grâce à cette volonté d’organisation et de protection de son agriculture que la Communauté économique européenne hier, l’Union européenne aujourd’hui, ont su préserver la diversité des exploitations et des productions agricoles européennes, et en assurer le développement.

C’est cette volonté politique qui doit être réaffirmée dans la prochaine réforme de la PAC.

Pour cela, il faut cependant que nous disposions des moyens de notre ambition et c’est un second préalable.

Les moyens de la réforme :

La PAC doit disposer des moyens lui permettant de soutenir son agriculture et de lui garantir une réelle préférence.

Il est crucial pour sa réforme que son financement soit assuré à long terme et à un niveau suffisant dans le respect bien sûr de l’objectif général de maîtrise des dépenses, de toutes les dépenses, du budget communautaire.

La ligne directrice agricole doit ainsi être maintenue dans son principe et ses modalités de calcul.

Son champ d’application doit être réservé aux dépenses ayant un intérêt pour l’agriculture, c’est-à-dire, celles qu’elle couvre déjà aujourd’hui, les dépenses agricoles dues à l’élargissement, mais pas celles de pré-adhésion, et en fonction de leur intérêt direct pour l’agriculture européenne certaines des dépenses que la Commission propose de transférer des fonds structurels vers le FEOGA-Garantie.

 Valoriser la politique agricole commune dans les enceintes internationales.

L’Europe ne doit pas avoir honte de sa politique agricole. La plupart des pays développés ont une politique agricole visant à conforter leur production nationale et la place de celle-ci dans les échanges mondiaux. N’oublions pas que la politique agricole européenne n’est pas faite que d’aides au revenu des agriculteurs. Elle permet aussi d’orienter la production, de favoriser des modes de production plus respectueux de l’environnement, d’imposer des contraintes sanitaires souvent supérieures à ce qui est exigé hors de nos frontières.

Tous ces aspects de la PAC seront renforcés à l’avenir.

Non seulement nous n’avons pas à rougir, mais nous devons exiger de nos partenaires qu’ils prennent en compte comme nous le faisons, les aspirations des consommateurs et la protection de l’environnement, ainsi que l’acquis communautaire en matière de sécurité sanitaire.

C’est un des enjeux importants des prochaines négociations multilatérales.

Le contenu de la réforme :

Les propositions de la Commission ne me paraissent pas à la mesure de l’enjeu de la réforme.

Elles sont trop uniformes en ce qui concerne les organisations communes de marché. La baisse de prix est préconisée comme réponse aux difficultés dans tous les secteurs. Au contraire, j’estime que chaque secteur de production doit faire l’objet d’une approche spécifique.

Si je pense que pour les céréales la baisse de prix permettra à la production communautaire de trouver de nouveaux débouchés et d’échapper au gel de terres, à condition que son niveau n’entraîne pas de perturbations et en particulier une réduction de la préférence communautaire, je ne partage pas ce point de vue pour ce qui est des autres secteurs.

Pour la viande bovine, les répercussions sur les prix à la consommation des prix à la production sont très lentes et très imparfaites.

Et il m’apparaît contradictoire de baisser les prix du lait alors que l’on maintient les quotas.

D’une manière plus précise, comme je l’ai indiqué lors des précédentes réunions du conseil des ministres de l’agriculture, je demande que des amendements importants soient apportés au projet de la commission.

Je rappelle quels sont ces amendements :

a) S’agissant de la production de viande bovine, je considère que la proposition de la commission ne permettra pas d’éviter les perturbations de marché qu’elle envisage à brève échéance.

La suppression du système des achats publics d’intervention entraînera la chute des prix à la production, et la ruine de l’élevage allaitant qui ne retrouvera pas sous forme de prime ce qu’il aura perdu sur marché.

Pour autant, l’équilibre entre la production et la consommation ne sera pas restauré, car aucune mesure de maîtrise de la production de viande bovine n’est prévue.

Je vous propose d’aborder la réforme de la PAC dans ce secteur de façon très différente.

– L’Union européenne doit conserver l’outil de gestion du marché de la viande bovine que constitue le système des achats à l’intervention, faute de quoi nous assisterions impuissants à des crises destructrices de nos systèmes de production les plus fragiles, ceux que tout le monde prétend vouloir favoriser, car ils sont les plus extensifs.

– La baisse des prix doit être limitée à ce qui est nécessaire au maintien de la compétitivité entre viande rouge et viande blanche, compte tenu de la baisse prévue des prix garantis des céréales. Ce problème ne doit d’ailleurs pas être exagéré. Je vous rappelle que le prix de la viande blanche n’a finalement guère baissé de 1992 à aujourd’hui, malgré la réforme de PAC.

– La baisse de prix doit être intégralement et équitablement compensée. Je rappelle que dans le projet actuel la prime au bovin mâle augmente de 173 % quand la prime à la vache allaitante ne progresse que de 48 %.

De plus, si nous voulons que la politique agricole favorise l’occupation du territoire, les primes à l’élevage bovin doivent être liées, au moins en partie, aux hectares de pâturages qui servent à l’alimentation des animaux.

– L’équilibre du marché ne sera restauré que par des mesures de maîtrise de la production, portant également sur le troupeau laitier et le troupeau allaitant. Des outils existent dans notre régime actuel. Ils ne doivent pas être démantelés. D’autres doivent être imaginés. À ce titre, je vous suggère de modifier les conditions d’éligibilité à la prime à la vache allaitante, en étendant le bénéfice de celle-ci aux génisses destinées à l’abattage, bien sûr sans modifier le quota de primes existant, de façon à ce que les éleveurs ne soient pas incités à avoir en permanence un nombre de vaches mères supérieur à leur quota de primes. C’est une proposition, mais d’autres mesures peuvent également être envisagées.

b) Je ne récuse pas l’approche de la commission en ce qui concerne les grandes cultures. Le prix communautaire du blé n’est pas éloigné du prix mondial, en moyenne, depuis quelque temps. Donnons-nous les moyens d’y être durablement pour éviter de devoir gérer le marché par un recours important au gel de terres.

Mais pour aller dans cette direction, il faut prendre au moins deux précautions :
– ne pas mettre en cause la préférence communautaires ;
– ne pas bouleverser l’équilibre entre les céréales à paille et les autres grandes cultures végétales.

Sur le premier point, je rappelle que la protection tarifaire du marché européen a été fixé à 135 %, du prix d’intervention par les accords du GATT. Il est donc simple de comprendre que plus nous baissons le prix d’intervention des céréales, et plus nous affaiblissons la protection de notre marché. Les évaluations faites par mes services montrent que celle-ci pourrait être mal assurée pour les blés de qualité, à l’issue de la réforme, si les prix mondiaux se maintenaient. Il faut réfléchir à la façon dont nous pouvons éviter cet écueil.

J’ai déjà exprimé ma seconde préoccupation dans les précédents conseils. Le colza, le tournesol, mais aussi le blé dur, et sont autant de productions différentes, ayant leurs exigences propres, et qui ne pourront pas vivre avec une aide identique à celle qui est accordée au blé. La commission l’a d’ailleurs implicitement reconnu en évoquant des mesures spécifiques, à caractère agri-environnemental pour les oléagineux, en prévoyant une aide particulière pour les protéagineux, ou en prévoyant le maintien d’une aide spécifique pour le blé dur.

Pourquoi ne pas envisager un système plus simple et plus découplé, en prévoyant une prime égale pour toutes les productions que je viens de mentionner, calculée à un niveau suffisant pour en assurer la pérennité, et une prime différente pour le blé, afin de préserver l’équilibre actuel entre les différentes productions ?

J’invite la commission à réfléchir dans ce sens.

– Sur les produits laitiers, je trouve que la proposition qui nous est faite incohérente et inutilement coûteuse. Plutôt que de baisser les prix, et de compenser cette baisse par une aide à la vache laitière, aussi onéreuse pour le budget communautaire, je pense qu’il vaut mieux maintenir les prix actuels et ne pas accorder d’aide du tout. En revanche, il m’apparaît qu’aujourd’hui le maintien des quotas laitiers n’a pas d’alternative. Je souhaiterais cependant bien entendu, que l’on réfléchisse à leur assouplissement en vue de permettre à notre production de rester présente sur le marché mondial.

Je suis favorable à l’approche préconisée par la commission en matière de plafonnement des aides au revenu des agriculteurs.

Le plafonnement des aides me paraît indispensable à leur acceptation à long terme par les citoyens. Il doit bien sûr être fixé au niveau communautaire pour éviter que des situations trop divergentes apparaissent.

Je suis également conscient de la nécessité de chercher des compromis dans ce domaine. C’est pourquoi il me semble que l’idée de compléter le plafonnement communautaire des aides par des possibilités de modulation de celles-ci dans un cadre national est une bonne idée. Elle permettra à ceux qui veulent aller plus loin que ce qui sera prévu au plan communautaire de le faire.

– Sur le volet structurel et agri-environnemental, j’estime qu’il est très important de renforcer les dispositifs au profit de l’installation des jeunes et des aides aux zones défavorisées.

En outre, les dispositions agri-environnementales proposées par la Commission me semblent aller dans la bonne voie, mais je souhaiterais avant de me prononcer définitivement sur ce volet que la Commission nous indique plus précisément ce qu’elle compte mettre en œuvre réellement.


Il m’apparaît ainsi Monsieur le président que nous devons transmettre au Conseil européen un message clair en faveur d’une réforme de la PAC ambitieuse qui ait pour objectif d’affirmer l’identité de l’agriculture européenne face au défi de l’an 2000 et qui puisse disposer des moyens suffisants permettant son financement et la défense de ses fondements sur la scène internationale.

Nous devons ainsi indiquer au Conseil européen que la clef de la réforme se situe dans le maintien de la ligne directrice agricole et de son mode de calcul.