Texte intégral
Interview de Mme Paulette Hofman, « Fo Hebdo » du 4 mars 1992
FO Hebdo : La France a finalement dénoncé, contre l'avis de plusieurs syndicats, la convention 89 sur l'interdiction du travail de nuit des femmes. La CFDT pour sa part considère que cette dénonciation était inévitable ; qu'en penses-tu ?
Paulette Hofman : Elle n'était pas inévitable et encore moins justifiée. Cette décision du gouvernement français pose tout le problème de la hiérarchie des textes internationaux. Je ne veux pas revenir sur l'argumentation que j'ai déjà développée dans un numéro récent de FO Hebdo et qui conserve toute son actualité. Je crois que les salariés sont moins sensibles à cette querelle juridique internationale qu'aux effets concrets qu'entraînera cette décision. Quant à la CFDT, nul ne peut lui refuser le droit de faire ses propres analyses. Ce qui me semble infiniment plus contestable, c'est que ses responsables au plus haut niveau, considèrent et disent ou écrivent que nos points de vue ne sont finalement pas très différents.
Sauf que nos postions sont radicalement divergentes sur le principe de fond. Nous étions et nous demeurons hostiles à la dénonciation de la convention 89. La CFDT l'accepte comme le passage incontournable, d'une part vers une réelle égalité de traitement entre les hommes et les femmes, d'autre part vers la prise en charge globale du dossier « travail de nuit ».
L'ennui, c'est que nous savons d'expérience, et nos camarades encore mieux, que les approches « novatrices » de la CFDT en matière de dossiers sociaux comportent souvent à terme de sérieux inconvénients pour les salariés. Je n'en prendrai une fois de plus comme exemple que les dispositions des lois Auroux, directement inspirées, à l'époque tout le monde le sait, par la CFDT, notamment en matière de négociations collectives. La fameuse « flexibilité » tous azimuts, dont le travail de nuit n'est qu'un maillon supplémentaire, en découle en droite ligne.
FO Hebdo : Le ministre du Travail refuse, dit-elle, la banalisation du travail de nuit et considère que les contreparties imposées aux entreprises devraient en limiter les risques ; peut-on la croire ?
Paulette Hofman : Le moment n'est plus de mettre en doute la pureté des intentions de Mme Aubry, les faits sont là. Je m'interroge cependant, dans la situation actuelle, sur les moyens dont elle disposera pour les faire prévaloir. Parce que si sa volonté et celle, problématique, de ses éventuels successeurs, est effectivement d'éviter le risque de banalisation, il faut préalablement qu'elle intègre le concept selon lequel le travail de nuit, travail contre nature, ne trouve sa justification, qu'au demeurant personne n'a jamais contestée, que dans des impératifs sociaux et techniques et seulement dans ceux-là.
Déjà la loi de 1987, dite loi Séguin avait fait sauter les verrous en y associant des impératifs économiques. Le dernier rempart législatif prenant en compte la nocivité du travail de nuit, c'étaient la convention 89 et l'article L. 213.I du code du travail. On le fait tomber.
Le ministre du Travail dit encore que la levée de cet interdit ne concernera que quelques milliers de femmes, principalement dans le textile et l'habillement. Je connais là-dessus l'avis de nos camarades de la Fédération. Admettons ! Mais alors allons jusqu'au bout de la réflexion. Le textile français, et plus généralement européen, connaît des difficultés en termes de compétitivité avec les produits du tiers-monde. Qu'on fasse travailler les femme la nuit ne changera rien à cet état de fait, sauf à tenir pour inévitables aussi (et on finit par se demander si ce n'est pas là qu'on veut de proche en proche nous amener), à admettre pour les salariés européens en général et français en particulier, les mêmes conditions de travail, d'emploi et de rémunération que dans le tiers monde. Comme le dit Marc Blondel, si c'est ainsi qu'on imagine l'Europe sociale !…
J'ajoute, que nous sommes loin à Force Ouvrière de partager le relatif optimisme de Mme Aubry, s'agissant d'une improbable banalisation du travail de nuit. Je rappelle que cet avis ne m'est pas propre, que nos Fédérations du secteur privé consultées expriment les mêmes inquiétudes… qui ne concernent pas que les femmes, et je m'en félicite, parce que voilà longtemps que je m'exténue à convaincre que ce problème n'est vraiment pas purement féminin. Ma conviction était déjà faite quand je menais le même combat, il y a de cela quelques années, pour mes camarades hospitaliers.
FO Hebdo : Une loi est en cours d'élaboration et les interlocuteurs sociaux vont être consultés ; quelle sera la position de la Confédération ?
Paulette Hofman : Une première consultation a déjà eu lieu sur un avant-projet de loi. Nous avons dit au représentant du ministre qu'il était pour nous inacceptable, non seulement dans la plupart de ses dispositions, mais sur son économie générale, puisque l'article 1 de ce projet concerne l'abrogation pure et simple de l'article L. 213-1 du code du travail portant interdiction du travail de nuit des femmes. Nous avions même demandé qu'il soit maintenu et élargi aux hommes, moyennant certains ajustements (toujours uniquement pour des impératifs techniques et sociaux). C'est une manière qui en vaut bien une autre de concevoir l'égalité. Si l'on en croit ses déclarations, le ministre a revu sa copie. Nous le saurons bientôt. Pour Force Ouvrière, tout doit être mis en oeuvre pour réduire le recours au travail de nuit, et les mesures arrêtées en ce sens doivent obligatoirement figurer dans le dispositif législatif, notamment, et c'est pour Force Ouvrière un point de fond : prévoir pour tous les travailleurs de nuit une diminution significative du temps de travail, des compensations financières et en temps de repos, ainsi cela va de soi, que des mesures renforcées pour la surveillance de la santé et des conditions de travail des salariés concernés.
Dans le cas particulier, on ne peut pas tout renvoyer aux accords de branche, même étendus, et encore moins aux accords d'entreprise qui peuvent être dérogatoires à l'accord de branche.
Alors dans ce contexte que va faire Force Ouvrière ? Ce qu'elle fait sur ce dossier depuis des années : se battre, non seulement parce que notre conviction, étayée sur des études scientifiques sérieuses et multiples est que le travail de nuit est nocif pour les hommes et les femmes, mais parce que sachant cela, c'est aussi que nous entendons défendre les régimes de protection sociale, notamment la Sécurité sociale, qui sont in fine les « payeurs » des nuisances de ces formes atypiques de travail.
La lettre confédérale CFTC – 13 avril 1992 - LE TRAVAIL DU DIMANCHE
Les enjeux du dimanche et la notion de dérogation acceptable
La CFTC voit dans le dimanche un enjeu important de la société de demain.
Pour certain, il s'agit de faire gagner plus d'argent à certaines entreprises commerciales au détriment d'autres. Le prix à payer est également très clair : esclavagiser la moitié des Français pour satisfaire les envies de consommation de l'autre moitié.
Pour la CFTC, le repos pris en commun et la trêve de l'économie le dimanche sont des conquêtes importantes parce qu'ils constituent une reconnaissance de la dignité de la personne humaine dans toutes ses dimensions sur l'économisme.
Comme les jours fériés, la spécificité du dimanche, jour chômé en commun, répond en effet à des exigences profondes de la vie familiale, culturelle, associative et spirituelle.
Trois raisons poussent la CFTC à faire respecter le repos du dimanche, notamment dans les magasins :
1. Le pouvoir d'achat étant ce qu'il est, l'ouverture des magasins ne peut qu'aboutir à des transferts et non à des développements d'activités ou à des créations d'emplois.
2. Pour les usagers, la réduction du temps de travail et la généralisation de la semaine de cinq jours ouvrent maintenant des possibilités pour leurs achats, soit le samedi, soit le lundi, alors que c'était beaucoup plus difficile au temps de la semaine de six jours ouvrés.
3. Au moment où croît le nombre de femmes salariées, la CFTC revendique fortement le respect d'un jour de repos généralisé pour permettre au moins la sauvegarde d'une journée de rencontre commune pour les familles dispersées toute la semaine, qu'il s'agisse d'ailleurs des commerçants ou des salariés.
L'arrêt de la compétition économique le dimanche et les progrès techniques nouveaux doivent faire reculer les astreintes dominicales. Les seules dérogations admises doivent être justifiées par des services nécessaires aux personnes ou aux nécessités véritables de fonctionnement de la vie sociale, à savoir les besoins réels aux personnes ou une exigence publique véritable.
* Nécessité de légiférer
Dans le contexte actuel, la CFTC se déclare en accord avec le gouvernement sur la nécessité d'une loi qui limite clairement et d'une manière suffisamment contraignante les ouvertures dominicales et le travail du dimanche, aux situations pour lesquelles ils sont véritablement nécessaires (cas des stations touristiques).
L'exigence de clarifier et de simplifier les règles en vigueur, pour qu'elles soient plus facilement applicables et plus équitables, n'est pas à démontrer. La CFTC soutiendra le projet de loi proposé par le gouvernement, à condition que les dérogations qui figurent dans le projet soumis et qui ne se justifient pas par des nécessités véritables en soient retirées.
* REPOS HEBDOMADAIRE ET REPOS DOMINICAL
La réglementation en vigueur est loin d'être rigide ou étrangère aux besoins effectifs de la société moderne, comme on voudrait nous le faire croire.
Une remarque préalable : il ne faut pas confondre droit au repos dominical des salariés et interdictions d'ouvrir le dimanche. En effet, un employeur peut appartenir à une profession autorisée à ouvrir le dimanche et être malgré tout soumis à l'obligation de donner le repos hebdomadaire à son personnel le dimanche. Il pourra, dans ce cas, ouvrir le dimanche en recourant, par exemple, à des extras.
En principe, les salariés qui relèvent du code du travail ont droit au repos dominical en application de trois articles (L. 221-2, L. 221-4 et L. 221-5) qui stipulent respectivement :
il est interdit d'occuper plus de six jours par semaine un même salarié.
- le repos hebdomadaire doit avoir une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives ;
- le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche.
Mais, en dépit de l'aspect catégorique de leur formulation, ces règles sont loin d'être d'application générale. Le législateur a prévu de nombreuses exceptions, soit au repos dominical, soit même au repos hebdomadaire.
On note, en premier lieu, que ces trois articles ne sont pas applicables aux personnels des chemins de fer, aux établissements où ne sont employés que les membres de la famille et aux établissements artisanaux ou coopératifs qui n'ont pas un caractère industriel ou commercial (L. 221-1, L. 200-1).
* Dérogations au repos dominical
Des dérogations ont pour effet de maintenir le repos hebdomadaire, mais de le donner au personnel un autre jour que le dimanche.
On trouve ces exceptions dans quatre cas suivants :
- Equipes de suppléance de fin de semaine. Dans les entreprises industrielles (pas dans les entreprises commerciales), par convention ou accord collectif étendu.
- Repos hebdomadaire par roulement de plein droit. Le repos hebdomadaire peut être, de plein droit, donné un autre jour que le dimanche chaque semaine pour une partie du personnel, pour certains travaux, dans les établissements appartenant à une longue liste de catégories énoncées par la loi (notamment cas prévus par L. 221-9 et L. 221-10).
- Repos hebdomadaire par roulement autorisé par convention ou accord collectif étendu. Il est possible dans l'industrie pour motif économique (L. 221-10, 3°).
- Repos hebdomadaire par roulement sur autorisation du préfet. Lorsqu'il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tout le personnel d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement, le repos peut être donné, soit toute l'année, soit à certaines époques de l'année seulement, à un autre moment que le dimanche de minuit à minuit (L. 221-6).
* Dérogations au repos hebdomadaire
Repos hebdomadaire différé
Le repos hebdomadaire peut être différé par l'octroi d'un repos compensateur pour cinq catégories de salariés :
- Spécialistes des usines à feu continu.
- Conducteurs de machines et personnel d'entretien.
- Dans tout établissement industriel ou commercial qui a le repos hebdomadaire le même jour pour tout le personnel.
- Gardiens et concierges ou établissements saisonniers.
- Salariés des établissements de vente de denrées alimentaires au détail.
* Repos hebdomadaire suspendu
Dans d'autre cas, le repos hebdomadaire pourra être non seulement différé, mais suspendu, ce qui veut dire que le repos compensateur, auquel cette suspension donne droit, pourra faire l'objet d'un cumul et être donné à une époque plus lointaine. C'est le cas pour les catégories suivantes :
- Salariés nécessaires à l'exécution de travaux urgents.
- Salariés nécessaires à des travaux de chargement ou de déchargement. Dans les ports, débarcadères et stations.
- Industries traitant de matières périssables ou ayant à répondre à un surcroît extraordinaire de travail.
- Etablissements où sont exécutés des travaux pour le compte de l'Etat et dans l'intérêt de la défense nationale.
Ainsi, la conclusion s'impose. Il n'est pas possible de soutenir que la réglementation actuelle sur le repos dominical serait inadaptée, parce que toute d'une pièce et ne tenant pas compte des exigences de la vie moderne. Lorsque le travail du dimanche est nécessaire, il est déjà largement autorisé.
* ACTION EN JUSTICE DU SYNDICAT
Les organisations CFTC sont amenées à réagir face aux ouvertures illégales de magasins le dimanche et aux infractions au repos dominical. Elles sont fondées à exercer devant les tribunaux une double action, civile et pénale. Au préalable, il convient de vérifier le bien- fondé de l'illégalité (cf. les exceptions pages précédentes).
* Intérêt à agir du syndicat
Les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent (art. L. 411-11 CT). Ils peuvent également demander le respect des réglementations en vigueur protégeant le droit au repos dominical (TGI d'Evry, référé, 15 mars 1988). La Cour de cassation a d'ailleurs souvent eu l'occasion de rappeler que les syndicats sont recevables à intervenir pour faire respecter les lois sociales sur la durée du travail (par exemple, Cass. Soc. 25 mars 1985 et Cass. Soc. 18 mars 1986). Et il importe peu que les salariés effectivement employés lors de l'infraction constatée aient été volontaires, et qu'ils n'aient pas été adhérents des syndicats dont il s'agit. En effet, les dispositions relatives au repos hebdomadaire ayant été édictées dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, leur violation est de nature à causer un préjudice matériel et moral aux intérêts collectifs de la profession (tribunal de police d'Orléans, 14 janvier 1988). Par extension, les unions de syndicats jouissent également de tous les droits reconnus aux syndicats de la profession par l'article L. 411-19 du code travail dès lors qu'elles peuvent invoquer une atteinte effective aux intérêts collectifs de l'un des syndicats professionnels qu'elles représentent. L'action de l'union départementale est donc recevable à ce titre (TGI de Lyon, référé, 18 décembre 1989).
L'action du syndicat CFTC de la profession ou de l'union départementale CFTC sera exercée soit par la personne mandatée par les statuts pour représenter cette organisation en justice, le président ou le secrétaire le plus souvent, soit par l'un des membres de l'organisation, mandaté par le représentant légal ou au terme d'une délibération expresse de l'organe dirigeant de cette organisation.
* L'action pénale
Elle se fonde sur l'article R. 262-1 du code du travail qui réprime les infractions au repos dominical. Ainsi, le représentant du syndicat ou de l'union départementale peut soit porter plainte, soit se constituer partie civile si une plainte a déjà été déposée, par exemple si les poursuites s'exercent contre les contrevenants sur la base d'un procès-verbal de l'inspection du travail.
S'agissant du dépôt de plainte proprement dit, on rappellera qu'il peut être effectué au moyen d'une lettre adressée au procureur de la République du tribunal de grande instance du lieu de l'infraction. Il conviendra alors de se constituer également partie civile au procès. L'organisation syndicale peut aussi choisir de déposer directement une plainte avec constitution de partie civile. Celle-ci s'effectue auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal du lieu de l'infraction ou du domicile de son auteur. Le représentant du syndicat doit pour cela se déplacer au bureau de ce magistrat ou y envoyer un avocat.
Lorsque le syndicat se constitue partie civile sur une action déjà engagée, par exemple par l'inspection du travail, il peut le faire par une lettre recommandée avec accusé de réception. Cette lettre sera adressée au tribunal de police un temps suffisant avant la date fixée pour l'audience. Cette procédure dispense le syndicat de se présenter à l'audience, mais en contrepartie le tribunal ne pourra lui accorder davantage de dommages et intérêts qu'une certaine somme fixée par décret (art. 420-1 du code de procédure civile). Il est également possible de se constituer partie civile à l'audience. Le représentant du syndicat comparaîtra alors en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat pour réclamer les dommages et intérêts qui justifient sa constitution de partie civile.
* L'action civile
Le fait, pour un commerce, d'ouvrir le dimanche en contravention avec la réglementation en vigueur constitue un trouble manifestement illicite, que le juge des référés est fondé à interdire sous astreinte (amende par jour de retard à exécuter le jugement). Aussi pour les mêmes motifs qui justifient une action pénale de leur part, les syndicats aux conditions évoquées plus haut, sont recevables à introduire devant le juge des référés du tribunal de grande instance des demandes d'interdiction des ouvertures illégales assorties d'astreintes qu'ils pourront faire liquider à leur profit si les contrevenants n'obtempèrent pas.
La lettre confédérale CFTC
Encart n° 459 du 27 avril au 3 mai 1992
DOSSIER TECHNIQUE - La CFTC et le travail de nuit des femmes dans l'industrie
La société performante est celle qui respecte, et mieux encore, qui tire son dynamisme des exigences de nature de la personne humaine, au premier rang desquels figurent l'importance de la famille, l'apport spécifique et irremplaçable du père et de la mère au sein de la cellule familiale et l'égalité de complémentarité entre l'homme et la femme. Or, le travail des hommes, et plus encore celui des femmes, la nuit, est une nuisance pour la vie de famille. A quoi on peut ajouter cette vérité, quasiment écologique, que si la journée est particulièrement adaptée au travail, la nuit est faite pour dormir. Les progrès technologiques doivent donc avoir pour effet non pas de faire travailler davantage les femmes la nuit mais de diminuer le travail de nuit des hommes.
Tout retour en arrière dans ce domaine serait inadmissible. La CFTC estime qu'on ne construit pas l'Europe sociale sur un recul social. L'égalité professionnelle, c'est aussi le droit à la différence.
C'est la raison pour laquelle avant toute observation sur le contenu ou la forme du dernier projet de loi, la CFTC tient à rappeler qu'elle récuse la démarche même qui conduit le gouvernement à envisager un tel projet d toi.
Le projet qui nous a été présenté aura, à notre avis, pour effet, dans le cadre de la dénonciation de la convention n° 89 de l'OIT, de banaliser le travail de nuit des femmes dans l'industrie.
A défaut de retrait du projet, nous souhaitons que le travail de nuit reste une exception répondant à des nécessités techniques ou humaines véritables qui font d'ailleurs déjà l'objet de nombreuses dérogations.
Le projet de loi que nous a présenté le gouvernement nous laisse perplexe sur les points suivants :
* Contreparties et garanties
L'article 4 du projet prévoit les contreparties et garanties pour le salarié travaillant la nuit : celui-ci bénéficie soit d'une réduction de la durée du travail, soit d'une augmentation de rémunération - les déclarations ministérielles précisaient pourtant que cette dure contrepartie serait prévue. Cela signifie que les accords déjà passés dans des entreprises avant cette loi pourront être revus à la baisse.
Pour nous, la double contrepartie, réduction de la durée du travail et majoration de rémunération, doit être prévue.
* Introduction du travail de nuit en l'absence de convention ou d'accord de branche
Il n'est pas admissible que le travail de nuit comme le prévoit le projet de loi puisse être mis en oeuvre par un seul accord de branche étendu, par un seul accord d'entreprise ou d'établissement et même par simple autorisation de l'inspecteur du travail. Dans ce cas de figure, même si les organisations syndicales sont contre, le chef d'entreprise pourra passer outre s'il prévoit une contrepartie si infime soit-elle.
L'introduction du travail de nuit doit être soumis à la double conclusion d'une convention ou d'un accord de branche étendu et d'un accord d'entreprise ou d'établissement susceptible d'opposition syndicale, même en présence d'une dérogation de branche, à l'exclusion de toute possibilité d'autorisation alternative par l'inspecteur du travail.
* Femmes enceintes
Concernant la situation des femmes enceintes, celles-ci pourront travailler la nuit jusqu'à huit semaines avant l'accouchement et à partir de huit semaines après l'accouchement. Ce n'est en aucun cas une amélioration puisque l'article L. 122-26 prévoit que la salariée a le droit de suspendre son contrat de travail 6 semaines avant l'accouchement et 10 semaines après. L'article L. 122-25-1-1 met en place la possibilité pour les femmes enceintes travaillant la nuit de travailler le jour après avis du médecin du travail. Il serait souhaitable d'avoir en ce domaine une législation plus protectrice interdisant le travail de nuit pour les femmes enceintes.
L'article 11 du projet prévoit que dans les branches où le travail de nuit est déjà pratiqué, des négociations doivent s'engager dans un délai de 12 mois à compter de la promulgation de la loi en vue de la conclusion d'une convention ou d'un accord de branche pour prévoir les garanties et les contreparties de l'article L. 213-4. Dans le cas où les négociations n'aboutiraient pas ou si la convention n'était pas étendue, quelle solution doit-on adopter ?
En outre, il convient d'ajouter que dans le cadre de la convention 171 et de la recommandation 178 de l'OIT, un certain nombre de points doivent être examinés lors de la négociation portant sur le travail de nuit. Ce point fera l'objet d'une autre étude.
* LE POINT JURIDIQUE
L'arrêt du 25 juillet 1991 rendu par la Cour de justice des Communautés européennes a déclaré inopérantes les législations des pays membres de la CEE, comme celle de la France qui interdisent le travail de nuit des femmes.
Ceci a conduit le gouvernement français à dénoncer la convention n° 89 de l'OIT. La dénonciation de cette convention ne prenant effet que dans un an, il convient d'appliquer jusqu'à cette date la loi française, laquelle pose le principe de l'interdiction du travail de nuit pour les femmes.
Après l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 25 juillet 1991, certains en ont conclu que désormais l'interdiction ne vaut plus dans pays. Or il n'en est rien.
Ceci car les magistrats de la Cour de justice des Communautés ont interprété la directive européenne de 1976 sur l'égalité comme s'opposant à l'interdiction du travail de nuit des femmes et réaffirmé la prééminence du droit communautaire sur la loi française en la matière, en considérant la seule relation entre ces deux sources de droit, abstraction faite des autres obligations internationales de la France, et notamment de la convention n° 89 de l'OIT. La question de la prééminence pour la France sur le droit communautaire ne leur avait pas été posée. Les pouvoirs publics et les juges des différents ordres judiciaires français ont eux, pour ce qui les concerne, l'obligation de conclure à l'application de l'article L. 213-1, du fait du droit international et de l'article 234 du traité de la CEE, qui consacrent, pour la France, la supériorité de la convention n° 89 de l'OIT sur le droit communautaire.
D'autre part, il convient de rappeler que le travail de nuit des femmes est en France, en principe, interdit, mais que le législateur a prévu des dérogations.
1. Champ d'application du principe d'interdiction du travail de nuit des femmes
Aux termes de l'article L. 213-1, al. 1er, les femmes ne peuvent être employées à aucun travail de nuit dans les usines, manufactures, mines et carrières, chantiers, ateliers et de leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, laïques ou religieux, même lorsque ces établissements ont un caractère d'enseignement professionnel ou de bienfaisance, ainsi que dans les offices publics et ministériels, les établissements de professions libérales, des sociétés civiles, des syndicats professionnels et des associations de quelque nature que ce soit.
Ne sont donc pas visés les établissements commerciaux et les prestataires de services (exemple : entreprise de nettoyage).
Il y a lieu de noter que, selon une jurisprudence constante, l'interdiction de l'emploi des femmes pendant la nuit dans l'industrie vise les travaux de nature industrielle et non le caractère industriel de l'entreprise. Par conséquent, il n'est pas défendu, dans un établissement industriel, d'occuper des femmes la nuit, à des tâches n'ayant pas un caractère industriel. Il en est ainsi, par exemple, des opératrices en informatique ou des femmes employées à des postes de garde ou de surveillance.
2. Assouplissements au principe d'interdiction
Deux modifications législatives ont assoupli le principe de l'interdiction
a) La loi n° 70-3 du 2 janvier 1979 (art. 213-1, 2e al. CT) a autorisé le travail de nuit des femmes :
- pour les postes de direction ou de caractère technique et impliquant une responsabilité ;
- pour les travaux non manuels dans les services d'hygiène et de bien-être. L'administration a retenu une interprétation très large des emplois ainsi visés. C'est ainsi que les médecins, les infirmières, les laborantines, les docteurs vétérinaires et leurs auxiliaires, les éducatrices, les assistantes sociales, voire les gardiennes de nuit occupées notamment dans des maisons de retraite, de repos ou d'enseignement ont été considérées comme concernées par l'exception dont il est question.
b) L'ordonnance n° 82-41 du 16 janvier 1982 (art. L. 213-2, al. 2 et 3) a permis par ailleurs le déplacement de la plage horaire d'interdiction du travail de nuit. Il est en effet stipulé au code du travail que, « toutefois, une convention ou un accord collectif étendu peut prévoir une autre période de 7 heures consécutives, comprise entre 22 heures et 7 heures pouvant être substituée à la période normale d'interdiction du travail de nuit des femmes entre 22 heures et 5 heures (exemple : 23 heures - 6 heures). L'utilisation de cette dérogation est cependant subordonnée à la conclusion d'un accord d'entreprise ou d'établissement ou à l'autorisation de l'inspecteur du travail donnée après consultation des délégués syndicaux et avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'ils existent.
3. Dérogation au principe d'interdiction
La loi du 19 juin 1987 (art. L. 213-1 dispose que lorsque, en raison de circonstances particulièrement graves, l'intérêt national l'exige, l'interdiction du travail de nuit des femmes peut être suspendue pour les salariées travaillant en équipes successives par arrêté portant extension d'une convention ou d'un accord collectif de branche prévoyant une telle possibilité par le ministre chargé du Travail. La convention ou l'accord collectif étendu peut comporter des mesures visant à assurer l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Toutefois, l'usage de la faculté de dérogation dans une entreprise ou un établissement est subordonné à la conclusion d'une convention ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement. Il est autorisé par l'inspecteur du travail, après avis du comité d'entreprise ou d'établissement. Il est autorisé par l'inspecteur du travail, après avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel s'ils existent, dans les entreprises qui n'ont pas de délégués syndicaux.
Rappelons que sont toujours valables les dispositions de l'article L. 213-3 selon lesquelles, à titre exceptionnel, les inspecteurs du travail peuvent autoriser des régimes de travail comportant des dérogations à l'interdiction du travail de nuit des femmes pour les établissements où sont exécutés des travaux intéressant la défense nationale et dans lesquels le travail est organisé par équipes successives.
L'article L. 213-5 accorde à certaines industries, déterminées par règlement d'administration publique et dans lesquelles le travail s'applique, soit à des matières premières, soit à des matières en élaboration qui seraient susceptibles d'altération très rapide, lorsque cela est nécessaire pour sauver ces matières d'une perte inévitable, l'autorisation de déroger temporairement, sur simple préavis, et dans des conditions précisées par ledit règlement, aux dispositions des articles L. 213-1 et L. 213-2. Les articles R. 213-1 et R. 213-2 viennent préciser ces dérogations.
Enfin, l'article L. 213-6 dispose qu'en cas de chômage résultant d'une interruption accidentelle ou de force majeure ne présentant pas un caractère périodique le chef d'établissement peut, pour n'importe quelle industrie, et dans la limite du nombre des journées perdues, déroger à l'interdiction du travail de nuit en ce qui concerne les femmes majeures, en avisant préalablement l'inspecteur du travail dans les conditions précisées par un règlement d'administration publique. Toutefois, le chef d'établissement ne peut faire usage de cette dérogation plus de 15 nuits par an sans autorisation de l'inspecteur du travail. C'est l'article R. 213-3 qui porte application de l'article L. 213-6 suscité.
* ACTION EN JUSTICE
La dénonciation de la convention des l'OIT le 27 février dernier ne prendra effet que le 28 février 1993. D'ici là, la loi actuelle interdisant le travail de nuit des femmes dans l'industrie doit s'appliquer. La CFTC a demandé à cet égard au gouvernement que des instructions claires soient données au ministère public, auprès des tribunaux et aux inspecteurs du travail afin que ceux qui font travailler des femmes la nuit dans l'illégalité soient sanctionnés.
D'autre part, les organisations CFTC sont appelées à réagir face au travail de nuit pratiqué illégalement. Elles sont fondées à exercer devant les tribunaux une double action, civile et pénale
* Intérêt à agir du syndicat
Les syndicats professionnels peuvent devant toutes les juridictions exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent (art. L. 411-1 CT). Ils peuvent également demander le respect des réglementations en vigueur interdisant le travail de nuit. La Cour de cassation a d'ailleurs souvent eu l'occasion de rappeler que les syndicats sont recevables à intervenir pour faire respecter les lois sociales sur la durée du travail (par exemple, Cass. Soc. 25 mars 1985 et Cass. Soc. 18 mars 1986). Et il importe peu que les salariés effectivement employés lors de l'infraction constatée aient été volontaires et qu'ils n'aient pas été adhérents des syndicats dont il s'agit.
En effet, les dispositions relatives au travail de nuit ayant été édictées dans l'intérêt des travailleurs, leur violation est de nature à causer un préjudice matériel et moral aux intérêts collectifs de la profession. Par extension, les unions de syndicats jouissent également de tous les droits reconnus aux syndicats de la profession par l'article L. 411-19 du code du travail dès lors qu'elles peuvent invoquer une atteinte effective aux intérêts collectifs de l'un des syndicats professionnels qu'elles représentent. L'action de l'union départementale est donc recevable à ce titre. L'action du syndicat CFTC de la profession ou de l'union départementale CFTC sera exercée soit par la personne mandatée par les statuts pour représenter cette organisation en justice, le président ou le secrétaire le plus souvent, soit par l'un des membres de l'organisation, mandatée par le représentant légal ou au terme d'une délibération expresse de l'organe dirigeant de cette organisation.
* L'action pénale
Elle se fonde sur l'article R. 261-7 du code du travail qui réprime les infractions du travail de nuit. Ainsi, le représentant du syndicat ou de l'union départementale peut soit porter plainte, soit se constituer partie civile si une plainte a déjà été déposée, par exemple si les poursuites s'exercent contre les contrevenants sur la base d'un procès-verbal de l'inspection du travail.
S'agissant du dépôt de plainte proprement dit, on rappellera qu'il peut être effectué au moyen d'une lettre adressée au procureur de la République du tribunal de grande instance du lieu de l'infraction. Il conviendra alors de se constituer également partie civile au procès. L'organisation syndicale peut aussi choisir de déposer directement une plainte avec constitution de partie civile. Celle-ci s'effectue auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal du lieu de l'infraction ou du domicile de son auteur. Le représentant du syndicat doit pour cela se déplacer au bureau de ce magistrat ou y envoyer un avocat.
Lorsque le syndicat se constitue partie civile sur une action déjà engagée, par exemple par l'inspection du travail, il peut le faire par une lettre recommandée avec accusé de réception. Cette lettre sera adressée au tribunal de police un temps suffisant avant la date fixée pour l'audience. Cette procédure dispense le syndicat de se présenter à l'audience, mais en contrepartie le tribunal ne pourra lui accorder davantage de dommages et intérêts qu'une certaine somme fixée par décret (art. 420-1 du code de procédure pénale). Il est également possible de se constituer partie civile à l'audience. Le représentant du syndicat comparaîtra alors en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat pour réclamer les dommages et intérêts qui justifient sa constitution de partie civile.
* L'action civile
Le fait de travailler en contravention avec la réglementation en vigueur constitue un trouble manifestement illicite, que le juge des référés est fondé à interdire sans astreinte (amende par jour de retard à exécuter le jugement). Aussi pour les mêmes motifs qui justifient une action pénale de leur part, les syndicats, aux conditions évoquées plus haut, sont recevables à introduire devant le juge des référés du tribunal de grande instance des demandes d'interdiction de travail la nuit assorties d'astreintes qu'ils pourront faire liquider à leurs profits si les contrevenants n'obtempèrent pas.