Texte intégral
La Vie : – À votre avis, les nouvelles technologies favorisent-elles l’émergence de l’homme mondial ?
Catherine Trautmann : – Les nouvelles technologies favorisent les échanges et, par conséquent, les mélanges, et c’est pour cela que certains craignent qu’elles ne contribuent à l’uniformisation de nos sociétés. Tout dépend de ce que nous voulons en faire. Elles sont aussi une nouvelle chance pour les expressions particulières de se faire entendre. Elles permettent à tous ceux qui se trouvent géographiquement ou culturellement isolés de recréer des liens. Elles présentent donc aussi des atouts certains pour renforcer une société plurielle.
La Vie : – Comment éviter l’homogénéisation totale ?
Catherine Trautmann : – C’est effectivement le grand enjeu d’une politique culturelle en cette fin de siècle. On ne peut que se réjouir des perspectives d’échanges et de nouveaux modes de vie, de penser et de créer qu’ils entraînent nécessairement.
Mais on ne peut accepter, dans ce monde plus global, que la capacité de créer et le contrôle des moyens de diffusion deviennent le monopole de quelques-uns, le reste de la population mondiale se trouvant ramené au rang de simples consommateurs d’une culture élaborée en dehors d’eux. Dans cette perspective, la construction européenne tient une place centrale parce que l’Europe devient un ensemble de plus en plus cohérent sans pour autant être uniforme.
Il ne suffit pas de se défendre. Il faut se montrer offensif sans craindre les bouleversements entraînés par les nouvelles technologies de l’information.
C’est pourquoi nous encourageons le développement de contenus francophones sur Internet.
La Vie : – En tant que théologienne, comment réagissez-vous aux mutations des rapports, induites par le développement de l’Internet ?
Catherine Trautmann : – Dans l’Ancien Testament, l’histoire de la tour de Babel raconte comment les hommes ont dû renoncer à construire une tour capable d’atteindre le ciel parce que Dieu, pour les punir, les a fait parler en des langues différentes.
Les hommes ont depuis longtemps renoncé à construire une tour aussi haute que le ciel, mais ils ont réussi à marcher sur la lune, à créer un réseau à l’échelle du monde, capable de les mettre en relation instantanément les uns avec les autres et d’échanger, à distance, documents ou informations de toutes sortes. Tout cela, grâce à l’informatique.
Ce réseau mondial, cette toile qu’on appelle Internet, est bien l’une des grandes œuvres de l’humanité. Elle est profondément décentralisée dans sa conception et son fonctionnement et vise à multiplier les échanges et les connaissances. C’est cette dimension « humanisée » qui me séduit dans cette entreprise à la fois multinationale et internationale.
La Vie : – Internet rapproche-t-il les personnes ?
Catherine Trautmann : – Je considère qu’Internet est un moyen de communication beaucoup moins passif que la télévision, qui isole chacun devant l’écran, même si certaines émissions vous ouvrent au monde entier. En fait, il me semble qu’il existe deux catégories d’internautes : ceux qui recherchent à domicile de la documentation, comme dans une bibliothèque ou un centre de ressources, et ceux qui cherchent à s’exprimer et à confronter leurs points de vue. Ils se rapprochent ainsi de ceux qui, parfois, sont très loin d’eux, ce qui les conduit souvent à oublier leur entourage immédiat.
Cela dit, Internet ne rapproche pas davantage les personnes que n’a pu le faire le téléphone. Il permet seulement un échange plus complet et plus rapide d’informations écrites ou visuelles.
La Vie : – Le spirituel, a-t-il encore une place dans ce cybermonde ?
Catherine Trautmann : – La science-fiction est une chose, la réalité, une autre. Ceux qui imaginaient l’an 2000, il y a 50 ans, le voyaient beaucoup plus robotisé qu’il ne le sera. Ceux qui imaginent aujourd’hui les prochaines années les décrivent plus informatisées qu’elles ne le seront sans doute.
Les machines de toutes sortes ne nous commandent pas. Elles nous ont même permis de vivre beaucoup mieux. À condition, bien entendu, de les maîtriser. Elles ne nous ont pas empêchés de rêver, d’écrire, d’imaginer et de nous interroger sur nos origines comme sur notre devenir, d’affirmer nos valeurs. Elles n’ont donc pas détruit les éléments constitutifs de notre spiritualité. Le cybermonde est d’abord un lieu d’échanges, pour les marchandises, certes, mais aussi pour les œuvres de l’esprit.