Texte intégral
RTL : Il y a eu rupture des négociations cette nuit entre les patrons et les chauffeurs routiers. Des insultes semblent avoir été proférées. Est-ce que ce conflit ne peut être empêché que par une médiation du Gouvernement ?
Nicole Notat : D’abord, vous avez dit « rupture » : je veux encore croire qu’il y a suspension, puisque je crois savoir que les négociations vont reprendre. Cela veut dire qu’on fait semblant de rompre, on reprend. Donc, la négociation pour moi n’est pas terminée : c’est le plus important. Il faut continuer à négocier. Il faut continuer jusqu’au bout à rechercher les possibilités d’un accord. Je crois qu’elles sont à la portée des négociateurs. En tout cas, je sais que la délégation des négociateurs CFDT veut y parvenir le plus possible. Mais évidemment, il faut que du côté patronal cette même volonté se manifeste. Je crois que c’est à portée de main.
RTL : Avec une intervention gouvernementale ?
Nicole Notat : Si véritablement maintenant, entre les délégations on n’arrive plus à se parler, si les tensions sont si fortes… Le Gouvernement est déjà un peu impliqué puisqu’ils sont en commission mixte paritaire. Dès lors que le dialogue serait véritablement en difficulté, qu’il faille un médiateur, c’est vraisemblablement quelque chose de probable.
RTL : Vous dites que l’accord est à portée de main, et pourtant, on a la sensation que les chauffeurs routiers ont développé leurs préparatifs pour la grève.
Nicole Notat : Bien sûr. Je crois qu’ils ont fait un peu quelque chose à l’allemande, c’est-à-dire qu’ils étaient en négociation avec la volonté d’aboutir, mais en disant « Attention, la menace est là : si la négociation n’aboutit pas dans les conditions que l’on souhaite – je vous rappelle que c’est une profession où ils savent ce que cela veut dire que d’avoir des résultats dans une négociation et pas d’application sur le terrain. Si on se retrouve dans cette situation aujourd’hui, c’est parce que c’est un engagement mal formulé en fin de conflit la dernière fois qui à nouveau se retrouve non-appliqué et donc recrée cette tension. Donc, je crois qu’il faut maintenant effacer…
RTL : Vous ne croyez pas qu’avec tous ces préparatifs, les chauffeurs routiers ont déjà psychologiquement basculé dans la grève ?
Nicole Notat : Une partie, certainement. Je crois qu’ils suivent attentivement ce qui se passe au niveau des négociations. À chaque fois qu’ils entendent que le côté patronal s’éloigne d’une perspective de négociation, il faut bien voir que le terrain s’énerve un peu plus et que le terrain se prépare un peu plus. C’est la raison pour laquelle, je crois, il faut que maintenant les négociateurs manifestent clairement leur volonté d’aboutir.
RTL : Ce droit de grève est garanti, mais néanmoins, il ne devrait pas, légalement, s’accompagner d’un droit d’empêcher de circuler. Acceptez-vous ce style de grève ?
Nicole Notat : L’idéal, bien évidemment, est qu’on n’ait pas besoin de ce conflit. Quand on a recours à de tels conflits, c’est véritablement parce que le dialogue n’a pas pu aller au bout, c’est parce qu’on est dans une profession où les relations sociales ne sont pas au top niveau de ce qui permettrait d’éviter cette culture permanente de l’affrontement, cette culture du conflit, cette culture du blocage. Pour que les salariés n’arrivent pas à cette culture du blocage, il faut que la culture de la négociation prédomine. Or, qu’est-ce que vous voulez ? Si la négociation a tant de mal à déboucher, que reste-t-il aux salariés ? Ils ont leur honneur, eux aussi.
RTL : Beaucoup de patrons et d’entreprises qui ne sont parfois pas très grandes, pas très grosses, disent : « Avec la concurrence européenne, on ne peut pas faire face. Les lois sociales ne sont pas les mêmes dans les autres pays : nous sommes dans une situation de désavantage terrible. »
Nicole Notat : Il est vrai que c’est une profession qui mériterait, à l’instar d’autres professions, de rapidement réfléchir à des conditions d’harmonisation progressive, des conditions de temps de travail, des conditions salariales dans l’Europe de demain.
RTL : Les 35 heures sont en cause, parce que les organisations patronales disent : « On ne sait pas à quelle sauce on va être mangés avec les 35 heures, donc on ne peut pas arriver à un accord. »
Nicole Notat : Aujourd’hui, on a les 40 heures, et les chauffeurs routiers savent ce que c’est qu’être au-delà de 40 heures. Pour eux, la durée légale, si ce n’est vraiment pas le point de référence, on le sait bien. Vous parliez des petits entrepreneurs : je remarque que dans la négociation en ce moment, c’est l’organisation patronale qui représente les plus petits entrepreneurs qui paradoxalement se montre la moins fermée à la recherche d’un accord.
RTL : L’actualité économique ne met-elle pas en lumière qu’il est difficile pour la France d’avoir une politique sociale différente de celle de ses voisins ? Il y a également les problèmes de bourse, ce yoyo qui montre que les entreprises les moins performantes auront peut-être du mal à capter des investissements. La France peut-elle essayer d’avoir une politique sociale différente de celle de ses voisins en faisant les 35 heures ?
Nicole Notat : Pourquoi une politique sociale ? Quand donc les gens accepteront-ils de regarder – en tout cas, ceux qui font de cette question des 35 heures et de la durée légale, car c’est le point de dramatisation, le point de fixation, le point qui donne lieu à des commentaires et à des intoxications en tout genre dont je ne pense pas que tous soient de bonne foi. Il n’est pas pour nous question que les 35 heures soient une avancée sociale au sens de 1936, ou même au sens de ce qui s’est passé en 1982. La réduction de la durée du travail est pour nous un levier, un moteur au service d’une meilleure compétitivité de l’entreprise, au service d’une réorganisation de l’entreprise acceptée par les salariés, au service de la reprise de la croissance, parce que des gens qui sont aujourd’hui en sous-pouvoir de consommation vont pouvoir rentrer dans l’entreprise, avoir un salaire et consommer. Qu’on accepte de regarder au moins une fois la réduction de la durée du travail au service d’une politique dynamique de l’emploi, au service d’une politique nouvelle du point de vue économique.
RTL : Les députés ont accepté le projet de loi qui soumettait le versement des allocations familiales à un niveau de ressources. Vous avez combattu cette idée. Martine Aubry a promis que l’année prochaine, on réviserait le système. Êtes-vous rassurée par sa promesse ?
Nicole Notat : C’est ce que nous avions proposé au moment où les choses ont été lancées. Donc, ça arrive un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais. Je crois qu’il faut reconnaître que le Gouvernement s’est pris le pied dans le tapis avec cette affaire, non pas – j’insiste – que nous ne soyons pas favorables à remettre plus d’équité, plus de solidarité dans la manière dont les familles sont aidées aujourd’hui, mais le faire comme le Gouvernement l’a fait avec cette histoire de plafond de ressources d’une part, et d’autre part, en cumulant d’autres mesures qui ont laissé penser – à tort parfois, car le nombre de familles concernées ne permettait pas de penser cela – qu’il y avait finalement un matraquage sur les familles. Les choses ont été mal enclenchées. Il faut reprendre les choses à l’endroit. C’est bien. Je dirais que sur la politique familiale, ce qui m’intéresse, c’est bien sûr que les gens aient les moyens matériels d’élever leurs enfants. Le plus gros point, – c’est cela qui est derrière ce quiproquo aujourd’hui – c’est que de plus en plus, les familles, quand c’est deux personnes, c’est deux personnes qui travaillent ; les femmes sont très attentives aujourd’hui à avoir une politique familiale qui leur permette de sortir de chez elles le matin en ayant l’esprit tranquille par rapport à la garde de leurs enfants. Là, il ne faut pas donner le sentiment qu’on chipote, il ne faut pas donner le sentiment que peut-être tout cela est remis en question. Voilà ce qui a créé de l’inquiétude et du désarroi. Remettons les choses à plat. C’est très bien. Prenons les bonnes mesures. J’espère que l’année 1998 verra une réforme en profondeur de la politique familiale française.