Interviews de M. François Bayrou, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale et président de Force démocrate, à RTL le 14 septembre (extraits) et à Europe 1 le 25 septembre 1997, sur le projet de loi de finances 1998, la politique de l'enseignement présentée par Claude Allègre, le cumul des mandats, les relations dans la majorité et l'avenir du centre.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - Europe 1 - RTL

Texte intégral

(Manque RTL)

Europe 1 - jeudi 25 septembre 1997

J.-P. Elkabbach : Dans le budget Jospin, qu’est-ce que vous appréciez le plus ?

F. Bayrou : Il n’y a pas beaucoup de choses que j’apprécie parce que je mets ce budget en relation avec les promesses du printemps…

J.-P. Elkabbach : Donc, il est fidèle à ce qu’il avait dit au printemps ?

F. Bayrou : C’était tout beau, tout nouveau. Et maintenant, on vérifie que, hélas, il y a beaucoup de vieilles recettes – mauvaises à mes yeux – et il n’y a aussi malheureusement pas beaucoup de très bonnes nouvelles. Alors, je vais reprendre les vieilles recettes : d’abord les vieux trucs dont on nous avait promis que, vraiment, on n’en entendrait plus jamais parler. La hausse de l’essence : on ne peut pas dire que ça soit une nouveauté exceptionnelle et malheureusement, ce n’est pas une très bonne nouvelle. Et deuxièmement, il y a des cibles et, on le voit bien, ce sont les classes moyennes, les épargnants et les familles comme on le verra la semaine prochaine avec la discussion sur les prélèvements sociaux. Donc, ces trois cibles…

J.-P. Elkabbach : François Hollande dit que vous, la droite, continuez à défendre des privilèges et les privilèges des plus riches ?

F. Bayrou : Franchement, si on considère que deux enseignants, par exemple, un couple de profs ou d’instituteurs, ça fait partie des privilégiés de la société française, on se trompe. En réalité, on charge les classes moyennes et ces classes moyennes ont une responsabilité dans l’économie en particulier, qui est importante. Je vais avancer un argument : le budget est construit avec une hypothèse de croissance très optimiste à 3 %. Or cette croissance, ça ne s’obtient pas par hasard, ce n’est pas seulement l’air du temps qui fait la croissance. Ce qui fait la croissance, c’est l’énergie de ceux qui entreprennent dans la société française. Si on les charge, si on les surcharge d’impôts et de contributions, on les décourage. Et d’une certaine manière, je ne suis pas sûr qu’à force de les charger, on obtienne la croissance annoncée. Je considère qu’il y a, de ce point de vue-là, un très grand risque. Je crois qu’on se trompe de direction.

J.-P. Elkabbach : Cela veut-il dire que cela freine ou casse ou risque de casser la croissance ?

F. Bayrou : C’est exactement la crainte que je ressens. On fait comme si ces classes moyennes étaient des vaches à lait que l’on peut imperturbablement ponctionner au travers du temps, et je crois que c’est une grave erreur.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous trouvez un parfum de gauche à ce budget ?

F. Bayrou : Oui, c’est un budget de gauche, mais pas la gauche généreuse, pas la générosité, pas l’idéalisme. C’est en réalité, à mon avis, des choix qui sont à courte vue. Je ne dis pas que les choses sont faciles. Mais alors pourquoi nous a-t-on fait ces promesses-là ? Dans le domaine que je connais le mieux et j’aime le plus, celui de l’éducation nationale, on avait promis – c’était l’expression même du ministre – des dizaines de milliers de postes. Alors, combien y en a-t-il ? Dans l’enseignement scolaire, primaire et secondaire : zéro. Et dans l’enseignement supérieur, moins que je n’en avais créés. Le budget de l’enseignement supérieur – et dieu sait que nous étions dans une période de rigueur – de mon temps, l’an dernier, il augmentait de 6 % et il augmente cette année de 3 %. Alors, je ne jette pas la pierre, mais je dis : où sont les promesses ? On avait dit : on verra ce qu’on verra. Eh bien, on voit. Et à mon avis, ce n’est pas l’avalanche de bonnes nouvelles, la hotte du père Noël qu’on nous avait promise.

J.-P. Elkabbach : Mais vous, l’Européen, quand vous voyez que les 3 % de déficit public seront respectés, vous ne dites pas que Lionel Jospin met lui aussi la France à l’heure exacte de l’euro ? Et maintenant tout le monde est ou converti ou convaincu : il faut l’Europe ?

F. Bayrou : Quelquefois je souris un peu parce que je me souviens de ce « 7 sur 7 » au printemps, la veille de la dissolution, où Lionel Jospin expliquait que, vraiment, si ça ne changeait pas, il ne ferait, il n’accepterait pas de faire l’euro dans ses formes. Je lui avais reproché à l’époque, alors je ne vais pas lui reprocher aujourd’hui son changement d’attitude. Mais heureusement que l’on va faire l’euro, c’est la chance de la France. Mais faire l’euro, ça ne suffit pas, ça n’est qu’un versant des choses. Il y a l’autre versant qui est la santé économique de la France et le bien-être en France. Et je dis que surcharger d’impôts, ça ne va pas dans le sens de la santé économique de la France.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que l’on peut vous dire, puisque vous aimez les choses directes, que vous jouez votre rôle, vous vous opposez…

F. Bayrou : Mais, oui.

J.-P. Elkabbach : Mais pourquoi faut-il que vous, l’opposition, continuiez d’utiliser des armes qui vous ont déjà desservis : la menace, le catastrophisme et la peur ? C’est « chéri, fais-moi peur » tout le temps.

F. Bayrou : Quelle menace ?

J.-P. Elkabbach : Sur le budget, sur… On va à la catastrophe, c’est trop lourd…

F. Bayrou : Attendez, ce ne sont pas des menaces. Ce sont des réalités. Moi, j’ai une règle : je ne critique pas avant d’avoir des preuves. Prenons un cas simple : une famille où chacun des deux gagne 8 000 francs par mois, c’est-à-dire vraiment la famille moyenne française. Ils ont des revenus de 16 000 ou 16 500 francs par mois. L’engagement que nous avions pris, nous, majorité, était la baisse sur trois ans de l’impôt sur le revenu…

J.-P. Elkabbach : Vous y étiez arrivés non sans mal, un peu bousculés par Balladur et Sarkozy à l’époque…

F. Bayrou : Quelle que soit sa composition, cette famille-là aurait vu ses impôts baisser de 7 000 francs sur trois ans. Eh bien, on vient d’annuler cette hausse (sic) d’impôts. Et deuxièmement, on a fait quelque chose qui est, à mon avis, encore plus critiquable : on a restitué les privilèges d’un certain nombre de catégories de Français que nous avions, avec beaucoup de mal, supprimés. Les journalistes par exemple. Pardonnez-moi de vous le dire, je ne veux pas faire…

J.-P. Elkabbach : Passons, passons ! Pas de privilégiés, pas de corporatisme ! Pas de corporatisme, François Bayrou ! On ne nous flatte pas comme cela !

F. Bayrou : On vient de restaurer les privilèges fiscaux. Pourquoi certaines catégories de Français ont-elles des privilèges fiscaux et d’autre pas ?! Alors, je sais bien que ce n’est pas populaire à dire, mais il ne me paraît pas normal que certains profitent de privilèges et d’autres pas ! Et qu’alors qu’on avait tellement de mal à faire disparaître ces privilèges, on les rétablisse de cette manière.

J.-P. Elkabbach : Sur ce point, vous savez que vous parlez comme M. Charasse.

F. Bayrou : Mais c’est très bien. Tous les gens de gauche ou de droite, qui sont de bons sens et qui ont envie que le pays avance, sont les bienvenus pour défendre des idées.

J.-P. Elkabbach : Sur le plan politique, le président Chirac a adressé une recommandation et une mise en garde au gouvernement Jospin. Trouvez-vous qu’il se bat bien ou alors ne pensez-vous pas qu’il prend des risques et qu’il s’expose trop déjà à être attaqué par la majorité actuelle ?

F. Bayrou : Le président de la République, sa mission est claire dans les institutions et dans la tradition qui est la nôtre : en période de cohabitation, il est en charge d’exprimer l’essentiel. Donc, il exprime l’essentiel des craintes et j’espère aussi l’essentiel des espoirs qui sont ceux de la France. Lorsqu’il se trouve devant des menaces, il signale les menaces. Ce n’est pas lui qui gouverne, il est le point de rassemblement de la nation. Mais il exprime les menaces et je trouve très bien qu’il le fasse. Il l’a fait, je vous le rappelle, sur les familles et sur la défense.

J.-P. Elkabbach : C’était prévisible sur la défense. En seize ans, la Ve République a connu les trois, six, neuf. Trois cohabitations, six alternances, neuf Premiers ministres. À l’ère européenne, est-ce que les institutions voulues par de Gaulle sont les meilleures et les plus adaptées ?

F. Bayrou : Vous savez que je pense que non. Je pense que non parce que la Ve République était faite – les institutions comme elles ont été écrites – étaient faites pour obtenir la stabilité du pouvoir. On ne peut rien faire si on n’a pas le temps. On l’a vérifié, majorité après majorité. Regardez nos voisins.

J.-P. Elkabbach : Qu’est-ce qu’il faut changer ?

F. Bayrou : Kohl est au pouvoir depuis seize ans. Il a pu mener une transformation profonde de l’Allemagne.

J.-P. Elkabbach : Comme Mitterrand en quatorze ans.

F. Bayrou : Blair vient d’avoir une alternance, mais il était là depuis presque vingt ans.

J.-P. Elkabbach : Qu’est-ce qu’on change ?

F. Bayrou : Je pense qu’il faut réfléchir à la durée du mandat présidentiel.

J.-P. Elkabbach : Cinq ans ?

F. Bayrou : Et il faut réfléchir à la concomitance, la simultanéité entre les élections présidentielles et les élections législatives parce que je continue à penser que la cohabitation est un très mauvais système.

J.-P. Elkabbach : Cela veut dire que le problème des institutions est un chantier à venir ?

F. Bayrou : C’est un chantier très important.

J.-P. Elkabbach : Chaque fois que les dirigeants RPR ou UDF se réunissent pour « rénover, reconstruire », vous êtes absent. Il y a une raison ?

F. Bayrou : Non, pas chaque fois ! Je n’étais pas à la réunion de samedi dernier !

J.-P. Elkabbach : Il y a une raison ?

F. Bayrou : Je participe à toutes les autres. Je vais vous dire ce que je crois profondément. Je pense qu’il faut que l’opposition se sente la mission de faire du neuf et pas la mission de refaire, aujourd’hui, ce qu’on a manqué hier. La mission de faire du neuf dans les idées, les propositions et les organisations. Et moi, pour ma part, dans ma responsabilité à la tête du centre, j’essayerai de faire que l’opposition fasse du neuf.

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire reconstruire, c’est rafistoler.

F. Bayrou : Ce n’est pas reconstruire, c’est construire ! Partir d’un plan nouveau.