Interviews de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts aux élections européennes de 1999, dans "Le Monde" et à Europe 1 le 5 et dans "L'Evénement" et "La Provence" le 26 août 1999, sur les relations au sein de la gauche plurielle, notamment dans la perspective des élections municipales, son souhait d'obtenir la nationalité française en conservant la nationalité allemande et sur le principe de précaution appliqué aux aliments.

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Média : Emission Journal de 8h - Emission la politique de la France dans le monde - Europe 1 - La Provence - Le Monde

Texte intégral

LE MONDE interactif - édition électronique le 5 août 1999

Le Monde : Depuis les élections européennes, le premier ministre, Lionel Jospin, n'a rien concédé aux Verts, comme on l'a vu sur le remaniement technique du gouvernement et comme on vient de le voir sur les dossiers de la chasse et du nucléaire. Est-ce un camouflet ?

Daniel Cohn-Bendit : Pour moi, les Verts ne s'imposeront au gouvernement que s'ils s'imposent dans la société. Le dossier du nucléaire est là pour en témoigner. Il faut ouvrir un grand débat sur cette question et mettre son prix sur la table. Les Verts doivent montrer à quel point le nucléaire est aujourd'hui financièrement surréaliste. Il faut qu'ils expliquent que le MOX et l'industrie du plutonium, qui ne survivent plus qu'en France et au Japon, sont dépassés. Notre vrai problème est aujourd'hui de mobiliser une partie de la population qui pousse à une modernisation hors du nucléaire.
Quant à la chasse, j'attends de voir. La directive européenne existe. Le médiateur, François Patriat, va réaliser que son champ de possibilités n'est pas aussi grand qu'il le suppose. Ce n'est pas un prestidigitateur.

Le Monde : Comment les Verts peuvent donc faire prévaloir leurs vues ?

Daniel Cohn-Bendit : L'erreur de Jospin, qui est pro nucléaire, c'est de penser qu'être de gauche c'est être pro nucléaire. La seule force antinucléaire au sein de la majorité plurielle, ce sont les Verts. Or, d'une part, le rapport de forces politique leur reste défavorable ; d'autre part, en France, le mouvement antinucléaire est en sommeil. Dès lors, on ne peut tout projeter sur les Verts en leur reprochant de ne pas parvenir à imposer leurs vues. Aujourd'hui, au gouvernement, il n'y a que Dominique Voynet à faire entendre, sur ce dossier, un autre son de cloche. Mais ce ne sont pas les déclarations tous azimuts d'un ministre vert qui peuvent changer les choses. La sortie du nucléaire – qui est délicate – ne se fera que par un travail de sape auprès de la société.
L'essai des élections européennes doit être encore transformé. Le seul langage que Lionel Jospin comprend, c'est celui, classique, du rapport de forces. Il n'y a que si les Verts s'imposent à une autre échéance électorale – je pense surtout aux municipales – qu'ils pourront obtenir un rééquilibrage du contenu de la politique gouvernementale et, notamment, qu'ils permettront aux forces antinucléaires de s'exprimer. Jospin veut être président de la République. Pour cela, il faut obtenir 51 % des voix. Les Verts représentent un potentiel électoral de 12 % dont il ne peut pas se passer.

Le Monde : Le remaniement technique a tout de même déçu les attentes des Verts ?

Daniel Cohn-Bendit : Pour moi, il n'y a pas eu de remaniement ministériel. Ni Jospin, ni le PS, ni le PC n'avaient intérêt à prendre en compte le résultat des élections européennes. Aujourd'hui, ils s'arc-boutent sur une situation dépassée. Les Verts doivent s'inscrire à l'intérieur de la gauche dans une stratégie de changement de rapport de forces. Pour le moment, nous ne sommes pas encore parvenus à imposer cette nouvelle donne.

Le Monde : Les élections municipales de mars 2001 peuvent-elles en être l’occasion ?

Daniel Cohn-Bendit : Les municipales sont le terrain de prédilection des écologistes, qui sont avant tout des militants de proximité. Les problèmes de l’air, de l’eau, du bruit, on le voit en ce moment, sont au centre de la vie des villes. Les Verts ont intérêt à s’allier au second tour avec le Parti socialiste, mais, au premier, ils doivent s’exprimer comme force politique. Si les Verts font en effet alliance avec le PS dès le premier tour, leur avenir risque d’être celui des radicaux de gauche. C’est à dire qu’ils risquent, à terme, de disparaitre de la carte politique. Le PS incarnerait, alors, à lui seul, tous les composantes de la gauche plurielle.

Le Monde : Quels sont les dossiers sur lesquels les Verts entendent peser à la rentrée ?

Daniel Cohn-Bendit : Outre le nucléaire, les Verts doivent se mobiliser sur l’écologie des villes, à laquelle la population est aujourd’hui devenue très sensible. Et puis, il y a le dossier des trente-cinq heures, pour lequel nous comptons aller plus loin et obtenir des avancées significatives en matière de réduction du temps de travail. Enfin, nous devons nous investir dans la politique étrangère. L’Europe doit s’interroger sur les rapports qu’elle entretient avec la Turquie. Après la juste mobilisation pour le Kosovo, que fait-on pour les Kurdes ?

Le Monde : La décision d’implanter le second synchrotron en Angleterre et non pas en France provoque une polémique et met en cause les choix européens. Qu’en pensez-vous ?

Daniel Cohn-Bendit : En Europe, un pays se sentira toujours défavorisé quand il n’est pas choisi pour une implantation et qu’on en sélectionne un autre. Il faut considérer l’Europe comme l’Hexagone. Certes, si Renault implante une usine en Bretagne au détriment de l’Alsace, les Alsaciens sont mécontents. Mais on ne remet pas tout en cause pour autant il en va de même pour les pays européens.

EUROPE 1 -  le 5 août 1999

Christophe Charles : Le Gouvernement vient de partir en vacances mais, vous, vous ne faites pas de pause. On sent qu’il y a une grogne chez les Verts. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Daniel Cohn-Bendit : Non, je suis très content, je suis en vacances. J’analyse la situation très simplement et, à l’intérieur de la gauche plurielle, il y a des évolutions de rapports de forces qui n’ont pas encore été sanctionnées par un changement politique. Donc, les Verts peuvent s’efforcer d’accélérer les cadences pour qu’à la rentrée, ils renforcent leur dynamisme pour arriver à une évolution de la politique de la gauche plurielle.

Christophe Charles : Vous en voulez à L. Jospin de ne pas avoir tiré les conséquences de votre bon score aux européennes ?

Daniel Cohn-Bendit : Je n’en veux à personne. L. Jospin est L. Jospin, il est Premier ministre, socialiste, d’une tradition union de la gauche, et il faut que les Verts s’imposent dans ce qu’on appelle aujourd’hui la majorité plurielle de la gauche plurielle. Et ce n’est pas évident. Je constate simplement que des fois, en politique, il faut savoir forcer la main aux plus forts.

Christophe Charles : Vous auriez apprécié tout de même un ministère de plus lors du dernier remaniement ?

Daniel Cohn-Bendit : Je ne sais pas si mon problème est vraiment un ministère de plus. Un ministre de plus, c’est l’expression d’une évolution. J’aurai apprécié une évolution de la politique en ce qui concerne l’environnement, le nucléaire, l’écologie des villes, la réduction du temps de travail, les sans-papiers, le droit au logement… Il y a beaucoup de choses où la gauche plurielle peut et devrait évoluer.

Christophe Charles : Avez-vous l’impression que L. Jospin ne vous entend pas ?

Daniel Cohn-Bendit : Il m’entend sûrement : il lit les journaux, il écoute Europe 1, ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est qu’il ne se sent pas encore obligé d’évoluer, mais plus on arrivera vers des échéances électorales intéressantes comme les municipales, plus L. Jospin aura l’impression que pour pouvoir être Président de la République, il aura quand même besoin d’un fort coup de pouce du potentiel électoral vert. Alors je crois qu’il changera.

Christophe Charles : Sur quel dossier précis L. Jospin doit-il évoluer selon vous : sur le nucléaire, sur la chasse ?

Daniel Cohn-Bendit : Sur la chasse, il faut sanctionner positivement ce qui existe, c’est-à-dire la directive européenne. Il faut arrêter de raconter des histoires aux chasseurs. J’ai discuté avec Josse au Parlement européen et il commence à comprendre les structures européennes. Le médiateur de la République sur la chasse n’est pas un prestidigitateur. Il devra tenir compte de ce que je pense, de ce qu’a dit et de ce qu’a décidé l’Europe.

Christophe Charles : Sur le nucléaire, qu’attendez-vous du Gouvernement ?

Daniel Cohn-Bendit : Je crois que le nucléaire est une énergie sans perspective. J’attends une évolution, j’attends un changement de cap pour que, petit à petit, il y ait d’abord diversification du potentiel d’énergies en France pour arriver lentement à une sortie du nucléaire. Je sais que ça va durer 20 ans, 25 ans, 30 ans, mais il faut commencer à moderniser la France en fonction d’un avenir sans nucléaire.

Christophe Charles : Vous nous disiez à l’instant que L. Jospin pense à la présidentielle. Y pense-t-il trop ? Est-ce que ça explique sa politique ?

Daniel Cohn-Bendit : Non ! Toute la France, tous les journalistes n’arrêtent pas de penser aux présidentielles. Ce serait quand même ridicule qu’un des deux candidats potentiels qui peut remporter cette élection n’y pense pas. C’est prendre un peu les gens pour des idiots de faire croire qu’on n’y pense pas. Il y pense, c’est normal et maintenant, il faut lui forcer la main pour qu’il comprenne qu’il a besoin de nous pour gagner les présidentielles, ce qui est tout à fait normal.

Christophe Charles : Avez-vous l’impression que sur les 35 heures il peut faire mieux ?

Daniel Cohn-Bendit : C’est la France qui peut faire mieux, ce n’est pas simplement lui. Le patronat doit comprendre qu’on doit faire mieux : réduire le temps de travail, réduire les heures supplémentaires, partager le travail, réorganiser la manière de travailler. Je crois que c’est un objectif important pour l’an 2000.

Christophe Charles : Aux européennes, vous avez fait un meilleur score que le Parti communiste, pensez-vous que le PC a encore un rôle aussi important à jouer aujourd’hui qu’avant ?

Daniel Cohn-Bendit : Le PC jour un rôle important à travers la CGT. Et L. Jospin, qui comprend les rapports de forces, sait que la force du PC, c’est la CGT, c’est le syndicalisme, c’est sa réalité dans le mouvement ouvrier organisé. Donc, il a un rôle important à jouer. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que la majorité plurielle n’est pas l’union de la gauche, ce n’est pas simplement le PS et le PC et ce n’est pas le PS, le PC plus un cache-sexe qui s’appelle les Verts.

Christophe Charles : Votre ministre, D. Voynet, avale-t-elle trop de couleuvres à votre avis ?

Daniel Cohn-Bendit : Ce n’est pas comme ça que je pose les problèmes. Le rapport de forces qui existe en ce moment au Gouvernent avec une ministre verte est un rapport de forces défavorable. Aujourd’hui, ce n’est pas juste qu’il y ait trois ministres communistes et une ministre verte. Ça ne correspond pas à la réalité de la société française électorale. Ça correspond un peu à la réalité si on prend en compte le syndicalisme, mais c’est une des réalités de la société française. Donc il faut évoluer, il faut que le Gouvernement évolue, il faut que la stratégie gouvernementale évolue et donc, la stratégie de composition du Gouvernement va évoluer aussi.

Christophe Charles : Comment allez-vous faire pour vous faire entendre finalement ? Comptez-vous sur les municipales ?

Daniel Cohn-Bendit : Pour l’instant, je crois que l’élection de prédilection pour les Verts, ce sont les municipales. Un fort score des Verts au premier tour des municipales tout en disant qu’évidemment au deuxième tour des municipales, il y aurait une alliance avec le Parti socialiste, donc un fort score aux municipales dans un grand nombre de villes donnerait justement la dimension réelle de la réalité des Verts en France.

Christophe Charles : Les Verts iraient seuls au premier tour ?

Daniel Cohn-Bendit : C’est ce que je propose, je ne sais pas ce que décideront les Verts. Moi je ne suis qu’un membre associé des Verts ; ma seule force, c’est mon pouvoir de conviction.

Christophe Charles : Vous avez de l’endurance ? Parce que les municipales, c’est encore loin. Vous espérez peut-être vous faire entendre avant ?

Daniel Cohn-Bendit : Ecoutez, on m’avait dit que j’étais parti trop tôt aux européennes ; j’ai dit que j’étais parti trop tard. Voyez, je pars encore plus tôt pour les municipales, pour aider les Verts à ce qu’ils partent dans de bonnes conditions aux municipales. Parce que ce n’est pas seulement faire une liste, c’est ouvrir le débat politique dans chaque ville et que les Verts soient le moteur d’un débat politique pour qu’il y ait des listes vertes de solidarité ouvertes dans chaque ville où ils ont fait de très bons résultats aux européennes. Et pour cela, il faut partir très tôt, pour ne pas être simplement un parti électoraliste mais un parti qui essaie d’utiliser les élections, les municipales, pour changer les choses de ville en ville.

Christophe Charles : En ce qui vous concerne, pour les municipales, on a entendu beaucoup de choses : que vous vouliez demander la nationalité française, on a entendu parler de possible candidature, pourquoi pas à Paris. Vous en êtes où de votre réflexion ?

Daniel Cohn-Bendit : Je l’ai déjà dit trente-six fois, même sur votre antenne : je ne suis pas candidat aux municipales. Pour ce qui est de mon changement de nationalité, je veux prendre la nationalité française, à condition que je puisse garder ma nationalité allemande. Donc il y a un débat politique à avoir aussi avec le gouvernement allemand. Je crois avoir démontré que j’ai deux identités, puisque j’ai été élu une fois en Allemagne au Parlement européen et une fois en France. Donc la double nationalité exprimerait la réalité de ma double identité.

Christophe Charles : Dans l’actualité, ces jours-ci, il y a le retour du bœuf britannique dans les magasins européens. Les Allemands refusent cette viande. Est-ce qu’on aurait dû faire la même chose en France ?

Daniel Cohn-Bendit : Je crois qu’il faut être très prudent avec la nourriture. Le principe de précaution qu’adoptent les Allemands, en fonction de données que je n’ai pas… Si les Allemands croient avoir de bonnes raisons d’adopter le principe de précaution, je suis en tout cas pour ce principe. Donc mieux vaut prendre deux précautions plutôt qu’une. Je ne suis pas contre le fait de refuser d’abord le bœuf britannique ou la viande aux hormones des Américains.

Christophe Charles : On aurait dû attendre un peu, chez nous, en France ?

Daniel Cohn-Bendit : Je croix qu’il faut attendre. On doit aller lentement parce que nous avons vu qu’on n’a pas le droit de jouer avec le feu quand il s’agit de la nourriture des citoyens.

Christophe Charles : Mercredi prochain, c’est l’éclipse totale de soleil : où serez-vous ?

Daniel Cohn-Bendit : Mercredi prochain, je serai à Francfort.

Christophe Charles : Vous allez lever les yeux vers le ciel ?

Daniel Cohn-Bendit : Je lèverai les yeux vers le ciel et je scruterai l’évolution de la politique européenne en me disant : “Tiens le gouvernement français va sûrement, en fonction de la puissance de l’éclipse solaire, changer son rapport à l’écologie.”

Christophe Charles : Si l’on en croit les prévisions météo, il est possible qu’il fasse plutôt mauvais, mercredi, ce serait dommage !

Daniel Cohn-Bendit : Ah, ce serait triste. Mais vous voyez, la nature est inhumaine !

L'événement du 26 août au 1er septembre 1999

L’événement : Remontons un peu le temps… Au début de la campagne électorale pour les européennes, vous aviez rappelé une réponse de Jospin à qui on demandait s’il accepterait d’héberger chez lui un sans-papiers : « Lionel, oui... Mais Jospin est réticent. » Et vous aviez dit : « Moi je veux renforcer Lionel ! » Vous pourriez répéter la même chose aujourd’hui ?

Daniel Cohn-Bendit : Oui. Car fondamentalement la situation n’a pas changé. Les socialistes, comme les Verts, comme Lionel Jospin ne sont pas unidimensionnels. Je crois que nous tous, y compris le Premier ministre, sommes traversés par des tendances et des émotions différentes. Lionel Jospin n’est pas psychorigide, il fait des choix en fonction de ses analyses propres, mais la fonction des Verts est de rééquilibrer la gauche plurielle, rééquilibrage qui passe par le rééquilibrage de la personnalité de Lionel Jospin.

L’événement : Donc si Jospin devient un peu plus Lionel, vous le soutiendrez volontiers ?

Daniel Cohn-Bendit : En politique, la naïveté n’est pas de mise. Dans le face-à-face Jospin-Chirac pour la présidentielle, je soutiens Jospin. Mais la question est de savoir avec quel enthousiasme. Ceux qui ont voté Vert ou Cohn-Bendit aux européennes ne se sentent pas tenus – même si je leur demandais de voter Jospin à la présidentielle. C’est pourquoi Jospin doit faire appel à Lionel pour mobiliser cet électorat.

L’événement : Justement vous l’avez récemment qualifié de « roi Jospin », épithète qui n’est pas de nature à susciter cet enthousiasme. Plus grave, vous avez dit qu’il n’était pas un « homme de parole ». C’était une appréciation générale sur l’homme ou cela ne portait-il que sur des points précis ?

Daniel Cohn-Bendit : Il s’agit d’un point précis : l’accord signé entre les Verts et le PS sur l’introduction d’une dose de proportionnelle dans le système électoral français. Qu’il ait changé d’avis ou qu’il juge impossible actuellement une telle réforme n’est pas ce qui me choque le plus même si je suis en désaccord avec lui. J’aurais trouvé naturel qu’il vienne voir les Verts pour en discuter avec eux. Au lieu de cela, on assiste à une prise de décision autoritaire du style « moi je ». C’est pour cela que j’ai parlé du « roi Jospin ». J’y vois une manifestation de cet autoritarisme permanent qui imprègne tous les hommes politiques français et qui est sécrété par les structures de la Ve République. C’est détestable.

L’événement : Cet autoritarisme est à géométrie variable selon le poids réel ou supposé des partenaires de M. Jospin. On l’a bien vu lors du dernier mini-remaniement ministériel où les Verts n’ont rien obtenu, ce dont Dominique Voynet, et vous aussi, je croix, n’avez pas manqué de vous plaindre…

Daniel Cohn-Bendit : Ah non, pas moi…

L’événement : Parce que vous n’étiez pas directement concerné ?

Daniel Cohn-Bendit : Non. Parce que mon analyse est différente. Il n’est pas faux de dire – même si Lionel Jospin joue sur les mots – que les européennes n’ont pas encore changé le cadre des rapports de forces à l’intérieur de la gauche plurielle. Avec le succès de notre liste, elles ont montré un potentiel mais c’est aux Verts de trouver une stratégie, pour que ce potentiel devienne réalité. Donc, pour moi, le vrai remaniement ministériel ne peut se faire qu’après les municipales.

L'événement : Pas question donc de monter sur les barricades pour une histoire de portefeuille…

Daniel Cohn-Bendit : Les Verts doivent faire attention à ne pas se transformer en une sorte de MDC à la recherche de postes ministériels.

L’événement : Que convient-il de faire alors si les municipales constituent, selon vous, le moment de vérité ?

Daniel Cohn-Bendit : Il y a la stratégie proposée par Jean-Luc Benhamias, celle d’une liste commune dès le premier tour. Elle a sa logique puisqu’elle garantirait aux Verts un certain nombre de villes. Mais c’est une logique bureaucratique d’accords de parti : être maire dans ces conditions, c’est, pour un Vert, se retrouver entièrement dans la dépendance du PS ou du PC ou des deux réunis. Or les Verts, compte tenu, des résultats dans les grandes villes aux européennes, ont la possibilité de jouer un rôle plus ambitieux et aussi plus difficile : constituer un pôle d’attraction pour de nouvelles forces de gauche, imprégner la gestion des villes de leur culture propre. Ils doivent s’élargir et se compter. Et cela passe bien entendu par la constitution de listes séparées pour les municipales.

L’événement : Un pôle d’attraction pour une nouvelle gauche… On comprend pourquoi, en vous écoutant, Robert Hue défend son bout de gras en dénonçant « l’expansionnisme des Verts ».

Daniel Cohn-Bendit : Il ne s’agit pas de prendre des voix au PC mais d’élargir l’électorat Vert à des couches qui, jusqu’à maintenant, ne se sont pas mobilisées dans le champ politique. Il faut voir cela comme une addition plutôt que comme une soustraction dont aurait à souffrir le parti de Robert Hue.

L’événement : Il a donc tort d’avoir peur ?

Daniel Cohn-Bendit : Non, il a raison car le communisme est une idéologie en déclin qui n’a plus de raison d’être.

L’événement : Vous savez bien que Robert Hue est peu, très peu, communiste…

Daniel Cohn-Bendit : C’est vrai. Et c’est un réel problème qui pose à terme celui de l’existence du PC. Le cas de Robert Hue est intéressant : le chef du PC ferait un très bon dirigeant du Parti socialiste qui se situerait quelque part entre les jospinistes et les chevènementistes avec une dose, d’Emmanuelli ! Hue avait d’excellentes intentions avec sa liste d’ouverture Bouge l’Europe ! Mais il n’a pas réussi à faire évoluer son parti. C’est pourquoi je ne vois qu’un seul avenir pour le PC : devenir une des ailes, la plus combative peut-être, de la social-démocratie française.

L’événement : Parlons un peu des Verts. Quelle cacophonie ! Denis Baupin qui parle à la place de Dominique Voynet (un ministre, ça ferme sa gueule) et qui dit qu’on va voir ce qu’on va voir si le gouvernement met en chantier son nouveau programme nucléaire… Noël Mamère, qui dit que Baupin, c’est du pipeau, et qu’il faudra rompre avec Jospin s’il ne tient pas ses promesses sur la proportionnelle. Benhamias qui ne veut pas de drames avant les municipales… Pour vous, où se situerait le point de rupture avec le gouvernement ?

Daniel Cohn-Bendit : Pendant des années, j’ai toujours refusé en Allemagne de parler de point de rupture. Ce n’est pas en France que je vais commencer. Il y a au sein de la gauche plurielle des stratégies différentes et elles sont légitimes. Mais, si un jour, la démocratie cessait de fonctionner au sein de cette gauche plurielle, si cette notion n’apparaissait plus que comme un « truc » politicien, alors là, oui, il y aurait drame et rupture. On n’en est pas là.

L’événement : Et chez les Verts ?

Daniel Cohn-Bendit : Ecoutez, il n’y a pas de démocratie sans cacophonie. Les Verts aussi cherchent leur deuxième souffle. Et si cela s’accompagne de différentes prises de parole, il n’y a pas de quoi en faire une tragédie. Il est normal que Dominique Voynet cherche à continuer à faire son travail de ministre tout en maintenant son influence chez les Verts. Il est normal que Noël Mamère tente d’agrandir son influence sur le mouvement. Tout comme il est normal qu’il y ait un électron libre qui, lui, veut que s’élargisse l’influence des Verts dans la société française. C’est, vous l’avez compris, de moi qu’il s’agit. Je ne suis candidat à rien et, après les européennes, je n’ai plus rien à prouver.

L’événement : Vous seriez donc au-dessus de la mêlée ?

Daniel Cohn-Bendit : Non. Mais je suis à côté… Je n’ai, pour le moment, pas d’autre ambition que d’influencer en Europe le cours de l’écologie politique.

L’événement : Alors tous ceux qui parlent d’une candidature pour une mairie importante lors des municipales sont dans le faux ?

Daniel Cohn-Bendit : Je ne brigue aucun poste. Il y a actuellement deux villes où les Verts vont se retrouver avec la nécessité d’avoir une bonne tête de liste : Paris et… Francfort. A Paris, quand je me suis présenté aux européennes, les Verts ont fait 17 %. A Francfort, quand je me suis présenté aux précédentes européennes, les Verts ont fait également 17 % !

L’événement : C’est bien pratique d’être Allemand…

Daniel Cohn-Bendit : Dans trois mois, je ne serai pas seulement allemand. La question est réglée : l’obtention de ma nationalité française est en cours. Reste que, d’après les services du ministère de Martine Aubry, je perdrai dès lors ma nationalité allemande. Deux solutions se présentent à moi. Ou je parviens à convaincre l’administration de la République fédérale de me maintenir dans ma nationalité : je serai alors français et allemand. Ou je n’y parviens pas et ça m’énerve tellement que je prends la nationalité allemande et je change de nationalité tous les deux ans : une fois français, une fois allemand.

L’événement : La loi permet ce genre de va-et-vient ?

Daniel Cohn-Bendit : En général, non. Mais, dans mon cas particulier, c’est possible. Car comme mes parents ont été expulsés d’Allemagne en 1933, je bénéficie d’une sorte de loi permanente du retour. Il me suffit de demander ou de redemander ma nationalité allemande pour l’avoir. Quitte à perdre ma nationalité française pour la réobtenir ensuite quand j’en aurais envie. S’il le faut je m’amuserais – pour démontrer l’absurdité d’un refus, d’une double nationalité – à jouer ainsi à saute frontière ou plutôt à saute-passeport…

L’événement : Vous pourriez dans cette hypothèse être candidat une fois à Paris, une autre fois à Francfort…

Daniel Cohn-Bendit : Eh, oui. Mais je peux aussi n’être candidat nulle part.

La Provence le jeudi 26 août 1999

La Provence : Quel était le climat de ces retrouvailles entre vous et la ministre de l’environnement à l’occasion de ces universités de Lorient ?

Daniel Cohn-Bendit : C’était bien. Correct en tout cas. Nous sommes loin du climat irrespirable que dénoncent les journalistes.

La Provence : Il semble toutefois qu’il y ait des tensions entre vous deux et que vous n’avez pas la même façon d’aborder l’avenir des Verts…

Daniel Cohn-Bendit : Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Il y a, bien sûr, des trucs sur lesquels on n’est pas d’accord. D’autres choses qui vont très bien. C’est comme dans n’importe quelle famille. C’est comme presque toujours entre les êtres humains. Mais nous nous expliquons et nous nous expliquerons toujours. Et croyez-moi, on s’entend beaucoup mieux que ce que certains voudraient faire croire parce que ça les arrange.

La Provence : Dites-vous toujours que Lionel Jospin n’est pas un homme de parole ?

Daniel Cohn-Bendit : Oui. Et alors ? Est-ce si grave ? J’espère que si le Premier ministre pense que l’accord PS-Verts est aujourd’hui caduc, eh bien, il n’y a qu’à le renégocier.

La Provence : Avec vous comme interlocuteur privilégié ?

Daniel Cohn-Bendit : Oh, moi je suis un militant de base et j’entends le rester. Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes.

La Provence : Demandez-vous toujours la nationalité française ?

Daniel Cohn-Bendit : J’ai actuellement la nationalité allemande. J’espère avoir la nationalité française et donc la double nationalité. Mon dossier est en cours d’examen. Mais je suis confiant. Je l’aurai.

La Provence : Avez-vous déjà eu des assurances en ce sens ?

Daniel Cohn-Bendit : Pas spécialement mais j’imagine que tout devrait être réglé d’ici la fin de l’année.

La Provence : Serez-vous candidat aux municipales de 2001 et plus précisément à Paris où certains vous annoncent déjà ?

Daniel Cohn-Bendit : Je ne serai candidat ni à Paris ni… à Marseille. Je l’ai déjà dit. Je le redis. Combien de fois faudra-t-il que je le répète ? Je suis fatigué de répéter que je m’entends bien avec Dominique Voynet. Fatigué de dire et de redire que je ne serai pas candidat en 2001. En revanche, je suis heureux d’être élu au Parlement européen. Et ça, c’est une chose qui ne changera pas.