Article de M. Pierre Méhaignerie, Président du CDS, dans "Démocratie moderne" du 10 décembre 1992, sur les difficultés de cohésion politique et économique de l'Europe, intitulé "L'Europe en crise".

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Média : DEMOCRATIE MODERNE

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Le sommet d'Édimbourg est celui de l'Europe en crise : crise institutionnelle avec les incertitudes qui pèsent sur la ratification de Maastricht par le Danemark et le Royaume-Uni, crise d'identité avec l'incapacité de la Communauté de s'affirmer face aux États-Unis dans la négociation du GATT, crise monétaire avec l'abandon partiel du SME et la remise en cause de la monnaie unique.

Mais sur la Communauté pèse d'abord le sentiment diffus d'un défaut de cohésion et de l'absence d'orientation véritable avec le risque de fuite en avant que constitue l'ouverture à de nouveaux États membres.

Cette crise de croissance doit-elle nous faire vaciller dans nos convictions européennes ? Ce serait oublier que de fortes raisons d'optimisme et de courage subsistent.

D'abord la solidité de l'axe franco-allemand. Malgré les difficultés de communication sur le thème de Maastricht, rencontrées auprès de la population en RFA comme ailleurs, la classe politique allemande reste dans son immense majorité favorable à la construction européenne. À Bruxelles, devant les chefs de gouvernement et de partis démocrates-chrétiens, le Chancelier Kohl, comme à Bonn devant le Bundestag, a confirmé, sans réserve, son engagement personnel en faveur d'une Europe politique et pas seulement d'une zone de libre-échange.

Ensuite, le réalisme : les divergences d'intérêt entre les divers États-membres ne sont pas nouvelles, la Communauté devra continuer patiemment à les surmonter ou les atténuer. Sur Maastricht, un compromis semble se dessiner pour faciliter la ratification par le Danemark et la Grande-Bretagne. S'il est acté à Édimbourg, sanctionnant ainsi, qu'on le reconnaisse ou non, une Europe à géométrie variable, par réalisme encore, nous ne ferons pas la moue.

Sinon, les chefs de gouvernement et de partis démocrates-chrétiens l'ont affirmé comme moi-même lors de leur conférence du 4 décembre, la CE devra, le 1er juillet 1993, aller de l'avant, à onze ou même à dix.

Sur le GATT, loin de nous la tentation d'un retour au protectionnisme et d'un refus systématique de baisser les subventions, mais nous devons convaincre nos partenaires qu'à côté de l'industrie et des services désormais prédominants, l'agriculture reste une de nos richesses. Sa vocation à occuper, comme les États-Unis, une part significative des marchés mondiaux doit être défendue. Élément irremplaçable d'occupation et d'équilibre dans nos sociétés, elle doit être protégée.

En matière monétaire, il faut aller accélérer le mouvement avec ceux qui le peuvent (Benelux) sans pour autant abandonner l'objectif, sans doute plus lointain, d'une union monétaire de toute la CE. Une coopération informelle entre la Banque de France et la Bundesbank est déjà engagée et a sans doute permis de résister, fin novembre, à une nouvelle attaque du franc. Elle doit être poursuivie et formalisée pour nous mettre à l'abri de nouvelles tourmentes monétaires.

La Commission aura la responsabilité, non seulement, de faciliter un accord du Conseil sur l'augmentation des ressources budgétaires (« paquet Delors II ») et l'initiative de croissance, mais de restaurer la crédibilité de l'Europe sur deux chapitres essentiels : l'orientation et les institutions d'une Europe élargie aux Scandinaves et à l'Autriche d'abord, puis à l'Europe centrale ; la transparence, la subsidiarité, les aspirations populaires ; rien ne sert d'en parler constamment si au GATT, les gouvernements et les populations sont mis devant le fait accompli au terme de discussions menées dans le secret pendant des mois et au mépris des préoccupations vitales des intéressés.

Il incombera au nouveau gouvernement français, d'une part d'agir plus énergiquement en ce sens, d'autre part de faire en sorte que notre pays comme la RFA retrouve la force économique pour être mieux écouté. Cela exige d'améliorer la cohésion sociale et le consensus. À cet égard, je me félicite que ces objectifs, défendus par nous depuis dix ans, soient repris désormais par l'ensemble de l'opposition dans le cadre du pacte social que j'ai moi-même défendu lors de ses journées à Vitré.