Texte intégral
France 3 - lundi 1er décembre 1997
É. Lucet : Sur l’acquisition de la nationalité française, un sondage IFOP commandé par le groupe UDF de l’Assemblée nationale montre que 75 % des Français souhaiteraient un référendum sur les modifications du code de la nationalité. Est-ce d’après vous une procédure qui serait effectivement souhaitable sur un sujet aussi sensible, j’ai même envie de dire aussi passionnel ?
É. Balladur : Passionnel. C’est un sujet très important. C’est pourquoi j’ai fait voter – c’est mon gouvernement qui l’a fait voter en 1993 – une loi qui prévoit que lorsque l’on veut devenir Français, il faut le demander, et que ça n’est pas automatique. Voilà que le Gouvernement et la majorité actuels reviennent sur cette loi. Et je trouve que c’est déplorable, car ça favorise des tensions dans notre société alors que nous n’avons pas besoin d’ajouter d’autres motifs. Alors, si un référendum est possible, il faut le faire – et d’ailleurs c’est le sentiment des Français, de l’immense majorité des Français qui sont pour le référendum et qui sont pour la demande de nationalité. S’il ne l’est pas, il y a une autre formule qui est que le président de la République demande une deuxième lecture du texte au Parlement. Il faudra pour cela que le Premier ministre contresigne cette proposition. Nous verrons bien si M. Jospin irait jusqu’à refuser de laisser le Parlement réexaminer cette affaire alors qu’il lui a imposé une procédure d’urgence que rien ne justifiait.
É. Lucet : Que vous inspirent justement les propos de Lionel Jospin qui parlait samedi, je crois, « d’alliances perverses » notamment à propos du FN ?
É. Balladur : D’abord, je trouve déplorable que M. Jospin profite de sa présence au dîner du CRIF, qui est un dîner qui réunit toutes les institutions juives de France, pour faire de la politique intérieure polémique. Et si je me laissais aller à lui répondre sur le ton qu’il a utilisé, je dirais qu’il parle d’alliances perverses et qu’il ferait mieux de renoncer à une politique perverse qui accroît les tensions entre les Français et qui est le plus sûr moyen de favoriser les votes extrêmes. Donc, qu’il se dispense, de grâce, de nous donner des conseils en la matière.
É. Lucet : Vous serez le chef de file de la majorité en Île-de-France pour les élections régionales. Allez-vous, comme on le dit dans la presse, faire entrer le juge Jean-Pierre sur votre liste, notamment pour répondre à toutes les questions concernant les affaires ?
É. Balladur : L’élaboration de la liste à Paris est en cours. Elle prendra encore plusieurs semaines, et je n’ai pas l’intention, jusqu’à ce que ma décision définitive soit prise, de dire quoi que ce soit sur qui que ce soit. Simplement un mot, c’est que ces élections régionales seront très importantes. D’abord pour la France, parce que l’Île-de-France est pour la France un élément de force. C’est une région qui a un poids considérable en Europe. Et en second lieu parce que c’est important pour les habitants d’Île-de-France qui souffrent parfois de conditions de vie, de transports, de sécurité – comme on l’a vu à la télévision tous ces jours-ci – qui ne sont pas satisfaisantes. Alors ce sont les deux points sur lesquels à mon avis il faudra faire porter notre effort.
RTL - jeudi 4 décembre 1997
O. Mazerolle : Vous vous êtes lancé dans la campagne régionale comme s’il s’agissait d’un enjeu national. C’est en quelque sorte l’existence de la droite parlementaire qui est en cause dans ces élections ?
É. Balladur : Ce qui est en cause dans ces élections, c’est que, dans quatre mois, un peu moins de quatre mois maintenant, l’ensemble des régions françaises vont renouveler leurs responsables. Et il me paraît très important qu’à cette occasion-là, la droite parlementaire, qui a connu l’échec aux élections législatives il y a six mois, commence à redresser la tête, maintienne le plus possible ses positions et soit en mesure de bien représenter aux yeux des Français une alternative à la politique actuelle.
O. Mazerolle : Mais elle doit se battre sur deux fronts : elle a le PS d’un côté et puis le FN qui veut la remplacer comme force d’alternance potentielle.
É. Balladur : Oui, elle doit se battre sur deux fronts et elle se battra sur deux fronts. Et le problème est extrêmement simple finalement : j’entends dire beaucoup que l’opposition n’est pas en bonne forme, qu’elle a beaucoup de mal à s’unir, qu’elle a beaucoup de mal à présenter un projet. D’abord n’exagérons rien. Je le répète, il y a quelques mois elle a connu la défaite, il est normal qu’elle prenne quelque temps pour reprendre ses marques. L’occasion lui en est offerte par les élections régionales, et je souhaite qu’à cette occasion-là, elle fasse la preuve d’abord de son union dans l’ensemble des régions.
O. Mazerolle : Donc des listes uniques ?
É. Balladur : Le plus possible. En tout cas, dans la région d’Île-de-France dont j’aurai la responsabilité, je le souhaite vraiment très vivement.
O. Mazerolle : Vous le souhaitez ou vous allez l’obtenir ?
É. Balladur : Je verrai. Pour l’instant, je l’ai obtenu dans un certain nombre de départements…
O. Mazerolle : Sauf dans les Hauts-de-Seine où cela est un peu compliqué.
É. Balladur : Nous ne sommes pas encore au bout. Il nous reste encore plusieurs mois de discussion. Donc l’union. Deuxièmement, un profond renouvellement et notamment la présence de jeunes et de femmes sur les listes pour qu’une étape nouvelle soit franchie. Et troisièmement, et je souhaite que tous les mouvements et partis de l’opposition s’en rendent compte : la politique nationale nous sera de toute façon imposée à l’occasion des élections régionales. Il faut que nous soyons capables sur quelques points importants – le progrès de l’économie, la justice de la société, le chômage, la sécurité, etc. – d’avoir un langage commun à l’adresse de tous les Français pour que ces élections régionales soient véritablement l’occasion d’un nouveau départ et d’une nouvelle marche en avant de l’ensemble de l’opposition. Voilà ce que je souhaite.
O. Mazerolle : Vous tenterez de montrer que vos idées ne sont pas minoritaires dans le pays ?
É. Balladur : Oui, par exemple. D’ailleurs, c’est ce que je crois. Vous consulteriez les Français sur la liberté, je pense que la majorité d’entre eux serait partisan de la liberté.
O. Mazerolle : Vous avez dit fermement : pas d’alliance avec le FN pour diriger la région ; si j’étais en situation de pouvoir exercer cette présidence, ce ne serait jamais avec le FN.
É. Balladur : Écoutez, j’ai dit les choses suivantes, soyons parfaitement clairs : la démocratie, c’est un régime, je dirais, de sincérité et de loyauté. Ou bien les listes qui seront les nôtres – de l’opposition, RPR, UDF, élargies – auront la majorité absolue, alors il y aura un candidat à la présidence de la région, ou bien ils auront la majorité relative, alors il y aura un candidat à la présidence de la région. Mais si nous n’avons pas la majorité relative, j’ai dit qu’en ce qui me concernait, je ne serai pas candidat à la présidence de la région. C’est tout ce que j’ai dit et je m’en tiens là, je n’irai pas plus loin.
O. Mazerolle : Donc cela vous engage vous, mais pas votre parti ?
É. Balladur : Oh, je pense que cela engage beaucoup de monde. Je n’irai pas au-delà et c’est dit une fois pour toutes. Comme cela, l’argument auquel vous m’invitiez à répondre, j’en fais justice dès le départ et on n’en parle plus.
O. Mazerolle : Vous avez suggéré que le président de la République demande, sur le débat de réforme du code de la nationalité, une deuxième lecture au Parlement, mais pour cela il lui faut obtenir le contreseing du Premier ministre ?
É. Balladur : Soyons clairs : nous sommes dans cette situation étrange où il y a un projet de loi sur la nationalité auquel sont hostiles les trois quarts des Français et que la majorité actuelle veut imposer tout de même aux Français. Alors, comment faire ? Certains disent : on pourrait organiser un référendum pour leur demander leur avis. Si on le pouvait, pourquoi pas, ce serait sans doute une très bonne idée, mais il n’est pas sûr que ce soit constitutionnellement possible. Alors qu’est-ce qu’il reste ? Il reste la possibilité, en effet, pour le président de la République de demander au Parlement une deuxième lecture du texte, d’autant que, par-dessus le marché, le gouvernement socialiste a imposé la procédure d’urgence.
O. Mazerolle : Mais il lui faut le contreseing du Premier ministre !
É. Balladur : Il lui faut le contreseing du Premier ministre. Eh bien on verrait si le Premier ministre, qui impose l’urgence, voudrait également, sur un sujet aussi fondamental que la nationalité et devant l’opposition des trois quarts des Français, refuser que le Parlement redélibère. C’est le Premier ministre qui serait mis, finalement, au pied du mur et devant ses responsabilités. Voilà !
O. Mazerolle : Qu’est-ce que vous cherchez : rappeler au président de la République qu’il a plus de pouvoir qu’il ne semble le croire aujourd’hui ?
É. Balladur : Mais non, je ne cherche rien du tout, mais simplement, comme certains ont évoqué l’idée d’un référendum, j’ai dit : si le référendum n’est pas possible, il y a peut-être une autre voie. Mais c’est évidemment au chef de l’État à décider ce qu’il veut faire.
O. Mazerolle : Vous étiez à la réunion des députés RPR, hier, avec le président de la République. Comment interprétez-vous cette phrase quand il a dit : « je souhaite le succès du Gouvernement parce que, s’il échouait, ce serait l’échec de la France » ?
É. Balladur : Je ne sais pas. Il n’y a pas eu de communiqué à ma connaissance, à l’issue de cette réunion.
O. Mazerolle : Non, mais il y a eu des journalistes qui ont été informés.
É. Balladur : De façon générale, il est bien évident que lorsqu’on est français et qu’on aime son pays, on souhaite que les choses aillent bien. Tenez, par exemple, que le Gouvernement renonce donc à son projet sur la nationalité, à son projet sur l’immigration, qu’il renonce aux 35 heures et vous verrez que la France ira mieux.
O. Mazerolle : C’est ce que vous avez compris : le Président veut le succès d’un gouvernement qui appliquerait une autre politique ? C’est cela que vous avez compris ?
É. Balladur : Je vous laisse à vos interprétations.
O. Mazerolle : Ces jours-ci, on parle beaucoup du Gan, des pertes de cette entreprise publique et on entend le PDG, l’ancien PDG du Gan, dire : ce n’est pas moi, c’est l’État qui n’exerçait pas son contrôle. Cela encore nourrit les votes du FN. Toujours cette histoire de dire : il n’y a pas de responsable.
É. Balladur : Écoutez, les choses sont parfaitement claires : depuis dix ans – et je me permets de le rappeler – à mon initiative, on a privatisé des dizaines d’entreprises publiques. Aucune de ces entreprises qui sont redevenues privées n’est dans la situation du Gan, ni du Crédit Lyonnais. Pourquoi ? Parce qu’il y a des responsables, il y a des actionnaires qui sont d’ailleurs souvent des millions de Français actionnaires et qui contrôlent les choses. C’est le système de la nationalisation et de l’étatisation qui est responsable des graves défauts de la gestion d’un certain nombre d’entreprises publiques.
O. Mazerolle : Il n’y a pas de contrôle ?
É. Balladur : Il n’y a pas un contrôle suffisant et il n’y a surtout pas un esprit de responsabilité suffisant. Ce que nous avons donc à faire, et je le dis à l’actuel Gouvernement qui a arrêté largement le mouvement de privatisations…
O. Mazerolle : Sur le Gan, cela va continuer ?
É. Balladur : … C’est de le poursuivre justement pour arriver au terme car il n’est pas normal que ce soit le contribuable et les millions et les millions de Français qui supportent les conséquences financières d’erreurs de gestion qui sont imputables à un système mauvais qui est le système de la nationalisation.
O. Mazerolle : Vous vous présentez à Paris pour l’Île-de-France : qu’est-ce que vous allez dire aux Franciliens ? Vous avez un slogan à leur destination ?
É. Balladur : Eh bien je pense que notre thème sera que nous voulons une Île-de-France exemplaire.
O. Mazerolle : Oh là là, vaste programme !
É. Balladur : Eh oui, mais il faut avoir des ambitions vastes quand on demande la confiance des Français. Il y a quand même plus de 10 millions de Français qui habitent en Île-de-France. Il y a eu un certain nombre de choses qui se sont passées en Île-de-France, qui se sont bien passées et de bons résultats depuis une vingtaine d’années – transports, etc.
O. Mazerolle : Et des choses moins bonnes, les affaires.
É. Balladur : Il y a beaucoup de choses, mais n’exagérons rien. Les affaires, on en parle, mais moi j’attends pour l’instant qu’il y ait des jugements clairs. Il n’y en a pas. On parle sans arrêt des affaires, je vous signale quand même, qu’une affaire a connu son épilogue ces temps-ci, qui ne nous concerne en rien, c’est l’affaire Urba et qui concernait des abus que la justice a sanctionnés.
O. Mazerolle : Vous avez commencé votre campagne dans le XVIIIe : vous avez rencontré des rappeurs ! On se dit : qu’est-ce qu’Édouard Balladur peut avoir à dire à des rappeurs ?
É. Balladur : Nous nous sommes parlé, cela s’est bien passé, vous savez. Et puis je suis allé dans le XIXe, je vais aller dans le XXe et j’irai partout, et à Paris et en Île-de-France. Mon souci, c’est vraiment de rassembler le plus possible d’habitants d’Île-de-France pour que notre action soit le plus exemplaire possible.