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"Attention aux évidences trompeuses !"
Pour la secrétaire générale de la CFDT, la formule "réduction du temps de travail-réduction des salaires" ne saurait être érigée en principe
Le Nouvel Observateur : Dans ce genre d'accords, la CFDT est presque toujours leader. Pourquoi ?
Nicole Notat : Parce que nous voulons donner un coup de frein sérieux à la tendance qu'ont les chefs d'entreprise français à utiliser systématiquement les licenciements pour passer un cap difficile. Améliorer la qualité des plans sociaux, c'est aussi cela.
N.O. : Réduire le temps de travail, c'est souvent, aussi, réduire les salaires…
N. Notat : Notre position est claire : ces accords ont une durée déterminée. Il n'est pas question pour nous faire du couple réduction du temps de travail-réduction des salaires la panacée pour résoudre les problèmes du chômage. Acceptable aujourd'hui pour éviter des licenciements, cette formule ne saurait être érigée en principe.
N.O. : Pourquoi toujours négocier ces compromis à chaud, quand il n'y a plus rien d'autre à faire ?
N.Notat : Les chefs d 'entreprise français n'ont jamais considéré l'emploi comme un élément de la négociation collective. Hewlett-Packard ou l'lfremer sont des exceptions. Dans ces deux cas, il y a eu arbitrage entre distribution de pouvoir d'achat et emploi. C'est vrai que le but d'une entreprise, c'est de produire. Mais la manière dont elle s'y prend – en préservant ou en sacrifiant l'emploi – n'est pas neutre quant aux problèmes de société qu'elle pose. Aujourd'hui, les entreprises paient, elles aussi, le coût du chômage. Au lieu de payer pour réparer, il vaudrait peut-être mieux payer pour sauver.
N.O. : Si les entreprises qui ont conclu de tels accords licencient à nouveau dans un an, la réduction du temps de travail aura du plomb dans l'aile.
N. Notat : Ce n'est pas entreprise par entreprise qu'on trouvera la solution. Il faut, comme cela a été fait pour les bas salaires dans le privé, négocier au niveau de la branche professionnelle, avec une obligation morale de résultats. Et élargir le champ de la négociation. Généraliser par exemple la réduction progressive de l'activité des salariés de plus de 55 ans pour embaucher des jeunes. Trouver un nouvel équilibre durant toute la vie active entre le travail, la formation et le temps libre. La CFDT propose de consacrer 10 % du temps de la vie active d'un salarié – c'est l'équivalent des congés payés – à la formation. Et qu'on ne nous dise pas qu'on y perdra en compétitivité ! Le "plus » de l'entreprise de demain, c'est la qualification.
N.O. : Le patronat est hostile à ces négociations de branche.
N. Notat : Alors le pouvoir politique doit lui forcer la main en fixant par la loi le cadre de la négociation et une obligation de résultats.
N.O. : Pour vous, le partage idéal du travail, c'est quoi ?
N. Notat : Le concept du partage du travail est ambigu. Méfions-nous des évidences trompeuses ! Il laisse supposer que le volume de travail est constant, ce qui est faux. Il renvoie la plupart du temps au partage des salaires et au développement du temps partiel, plus souvent contraint que choisi. Le bon partage est celui qui résulte d'un nouvel équilibre à négocier entre travail, formation et temps libre.
N.O. : Dans les entreprises où il n'y a pas de syndicats, ce qui se passe aujourd'hui peut conduire à un chantage : vous baissez vos salaires, ou nous vous licencions.
N. Notat : Un chef d'entreprise n'a pas le droit moral de prendre des décisions unilatérales. Il doit y avoir une règle du jeu. La présence de l'interlocuteur syndical est une vraie question. Elle est posée aux branches professionnelles qui peuvent organiser les conditions du dialogue social. Pour que les salariés ne soient pas les dindons de la farce, il n'y a qu'une garantie : la confrontation sociale.
N.O. : À condition que le syndicalisme ne soit pas aussi faible qu'il l'est aujourd'hui.
N. Notat : C'est l'histoire du serpent qui se mord la queue. Si le syndicalisme est faible, c'est aussi parce qu'on a voulu se passer de lui.