Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans "Le Figaro" du 10 septembre 1999, sur le deuxième projet de loi sur les 35 heures, la représentativité syndicale et la nécessité de l'union syndicale.

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Le Figaro Economie. - Le processus de rénovation de la CGT « médiatisée » lors de votre accession au secrétariat général semble aujourd'hui en panne…

Bernard Thibault. - Au contraire, le soufflé est loin d'être retombé. Il a même plutôt tendance à prendre du volume. L'implantation de nouvelles sections syndicales est, cette année, sans commune mesure avec celle des années précédentes malgré les efforts alors déployés. La procédure de mandatement a provoqué, pour nous comme pour les autres confédérations, un effet certain. Ce regain d'intérêt pour le syndicalisme nous touche à tel point que nous avons créé 2 000 syndicats en huit mois.

Le Figaro Economie. - Combien en avez-vous perdu pendant la même période ?

– « Nous ne nous renforçons peut-être pas assez sur nos bases traditionnelles mais la tendance est largement à l'augmentation des effectifs. Il devient réaliste d'envisager la perspective des 700 000 adhérents. Ces recrutements nouveaux se font le plus souvent après l'audition par les salariés d'une entreprise des représentants des organisations syndicales ; ce qui débouche souvent sur des adhésions collectives en nombre et la création dans l'entreprise du syndicat de leur choix. C'est encore insuffisant mais nous incitons chaque syndicat existant à se tourner vers les salariés inorganisés d'une entreprise voisine pour créer un nouveau syndicat CGT. »

Le Figaro Economie. - Comment envisagez-vous les relations intersyndicales dans ce contexte au niveau des directions ? Est-ce que vous pensez que l'appel rituel à l'unité a, cette année, plus de chances d'être entendu ?

– « Le contexte est cette fois-ci différent. Nous avons un rendez-vous immédiat, celui de la réduction du temps de travail et d'autres qui nécessitent de notre point de vue une réflexion commune des syndicats. Sur des dossiers aussi cruciaux que la retraite, la convention de l'assurance chômage (Unedic), la protection sociale, nous restons persuadés qu'aucune organisation syndicale, n'est pas capable d'influencer, seule, le cours des choses avec suffisamment de force face à un patronat de plus en plus revendicatif sur sa propre logique et qui sait jouer et profiter des divisions syndicales.

Sans que cela soit du domaine public, nous avons eu des réunions avec nos homologues des autres confédérations, y compris dans nos locaux à Montreuil sur des sujets pointus pour préparer des discussions avec le gouvernement sur la formation professionnelle, par exemple. Il existe de plus en plus fréquemment des rencontres intersyndicales par le biais de nos représentants dans tel ou tel organisme paritaire. Auparavant de tels contacts étaient exceptionnels ou se déroulaient dans une clandestinité absolue et en tout cas ne permettaient jamais de réunir les cinq confédérations.

Contrairement à ce que l'on a voulu nous faire dire, nous n'avons pas d'interlocuteur privilégié avec lequel nous rechercherions une alliance “coupable” qui déboucherait sur l'élimination de tel ou tel. Il ne s'agit pas de cela. Mais, il est possible qu'au cas par cas ou dossier par dossier des points de vue communs s'affichent. Par exemple, sur le problème de la situation des cadres, nous avons trouvé très tôt des convergences avec la CFE-CGC. »

Le Figaro Economie. - La recherche de bonnes relations est-elle compatible avec votre volonté de réexaminer les critères de représentativité des organisations syndicales ?

– « C'est un problème qui est posé pour toutes les organisations syndicales, y compris pour nous-mêmes. Il y a un énorme déficit dans le processus de désignation démocratique des représentants syndicaux qui siègent au nom des salariés dans un certain nombre d'organismes. Le processus d'élections codifié par des textes accorde des prérogatives aux syndicats, mais son application est en fait réservé à moins de la moitié des salariés en raison de la "PMEisation" du tissu industriel. D'un côté, le fait syndical est à peu près ancré parce que les règles de droits sont appliquées. De l'autre, il existe un immense champ de salariés qui sont dépourvus du moyen d'exprimer leur sensibilité et de faire en sorte que la représentation syndicale débouche sur des mandats (délégués du personnel, membres du comité d'entreprise…). »

Le Figaro Economie. - Est-ce que vous avez avancé sur des pistes pratiques que vous pourriez soumettre ?

– « Peu à peu tous y compris qui le contestaient, admettent qu'il y a un problème. Le paysage syndical évolue et pas forcément dans le bon sens : l'émiettement ne se traduit pas par un renforcement du syndicalisme. La création d'organisations plus ou moins représentatives d'une catégorie ou d'une profession ne fait pas progresser au total le nombre de syndiqués. Dans la dernière période la négociation sur le temps de travail qui touche tous les aspects essentiels de la vie du salarié à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise a mis en évidence que le respect des procédures légales pouvait déboucher sur des accords légitimes en droit qui ne correspondaient en aucun cas aux désirs des personnes concernées.

Si on est d'accord pour s'interroger sur la réforme des procédures électorales (Nicole Notat propose par exemple une refonte des élections professionnelles par branche), on peut mettre sur pied un système dans lequel les organisations qui mènent des négociations avec les employeurs ont aussi un rendez-vous avec les salariés pour rendre compte de leur mandat. »

Le Figaro Economie. - Pour vous, la disposition contenue dans le projet de seconde loi sur les 35 heures doit donc être maintenue…

– « Elle alimente en tout cas le débat relancé par l'accord Uimm et celui de l'EDF signé par des organisations qui ne représentaient pas et de loin la majorité de salariés. Même les patrons reconnaissent que certaines négociations ne sont pas crédibles si elles ne reposent pas sur un accord signé par des partenaires représentatifs.

Le projet ne conditionne à l'accord majoritaire que l'allégement des cotisations patronales. Ce n'est pas notre philosophie. Nous voulons que l'on reconnaisse le fait majoritaire, voire la consultation des salariés sur le contenu de l'accord de réduction du temps de travail. Et puis, cette disposition a un effet pervers. Elle rend les organisations syndicales responsables de la manne financière qui va être distribuée à leur entreprise. Les salariés veulent être consultés d'abord sur les créations d'emploi et la modification de leurs horaires de travail, voire la flexibilité qui est parfois introduite. C'est là dessus qu'ont porté des tensions importantes dans certaines entreprises où des représentants syndicaux ont approuvé des négociations qui leur ont valu des volées de bois vert des salariés concernés. »

Le Figaro Economie. - Qu'est-ce que vous pensez raisonnablement pouvoir obtenir alors que les autres confédérations ne vous suivent pas ?

– « Les réponses crispées de nos interlocuteurs syndicaux viennent principalement de notre appréciation du débat sur la représentativité syndicale. Dans un certain nombre de départements ou d'entreprises il n'y a pas que des échos négatifs chez les militants d'autres syndicats. Je ne sais pas si c'est suffisamment fort pour faire réfléchir les confédérations mais le décalage qui existe entre les pratiques unitaires dans les entreprises, voire dans les branches dans les moments importants et la réalité des relations des confédérations est aussi quelque chose sur laquelle il faut réfléchir.

Pourquoi sur un enjeu aussi important que celui de la réduction du temps de travail, ne pourrions-nous pas privilégier la volonté commune de permettre aux salariés de peser dans le débat en tenant compte du fait qu'il reste entre nous des différences d'appréciation sur les modifications à apporter au projet de loi ? Notre objectif, c'est de savoir manier intelligemment nos convergences.

Il faut peser sur ce débat pour améliorer la loi et pour cela il est vital de ne pas céder un pouce de terrain face à l'offensive lancée par le Medef avec son rassemblement du 4 octobre.

Le contenu de la loi, l'ambiance générale des processus de négociation qui vont continuer dans les entreprises et dans le secteur public vont dépendre de la rapidité et de la qualité de la réaction des salariés et du mouvement syndical. C'est pourquoi notre commission exécutive réunie hier pose publiquement et concrètement la question : le 4 octobre, ne faut-il pas que les salariés soient présents dans l'unité et dans toute la France pour affirmer leurs exigences, leurs revendications.