Texte intégral
Europe 1 : mercredi 25 août 1999
Q - D. Voynet, vous êtes en ligne de Lorient où se tiennent en ce moment les Journées d'été des Verts. Ma première question concerne les impôts. Pensez-vous comme L. Fabius, qu'il faut les baisser ? Allez-vous demander à L. Jospin de baisser les impôts ?
– « Écoutez, je crois qu'il y a trois façons d'utiliser la cagnotte de D. Strauss-Kahn. La première c'est de désendetter la France, comme le demande, avec une certaine insistance, financiers et banquiers. La seconde, c'est de donner satisfaction aux couches moyennes et supérieures en baissant l'impôt sur le revenu. Et puis la troisième, c'est d'utiliser cet argent disponible pour donner un sérieux coup de pouce aux catégories les plus précaires, les plus fragiles, ce qui aurait d'ailleurs l'avantage de réinjecter la quasi-totalité de cette somme dans le fonctionnement de l'économie, dans la consommation, dans la relance de l'appareil de production. »
Q - À votre avis ce n'est pas le moment de baisser les impôts alors ?
– « J'imagine que ces trois pistes vont être explorées sérieusement. La préférence des Verts est clairement dans le dégagement de moyens pour permettre le financement des dispositifs de retour à l'emploi et notamment d'emploi des jeunes et dans la relance des moyens des plus modestes. »
Q - Depuis quelques jours, plusieurs de vos collègues brandissent la menace d'un possible retrait des Verts du Gouvernement. Les Verts au Gouvernement, c'est vous, vous êtes la première concernée. Est-ce que vous menacez, vous aussi, L. Jospin, de claquer la porte ?
– « Moi, je suis très attachée à la majorité plurielle et à l'acte qui a permis de construire cette majorité ; je pense aux accords qui ont été signés par L. Jospin et par moi, et qui valident donc une longue période de discussions entre nos partis. Je considère… »
Q - Un accord oui mais…
– « … je considère que ces accords ne sont pas des chiffons de papier, que ces accords doivent être respectés, et je note que l'exaspération croissante d'une partie des militants Verts est liée au fait qu'ils ne le sont pas toujours ou que les dispositions qui sont mises en oeuvre ne reflètent pas ce qu'attendaient les militants Verts. Je voudrais dire aussi que je ne trouve pas très différent les militants Verts des français en général. Je crois qu'ils gardent un capital de sympathie très fort en faveur de la majorité plurielle mais qu'ils attendent que cette majorité utilise le temps dont elle dispose pour réformer en profondeur la société française et les institutions. »
Q - Vous dites que L. Jospin n'a pas encore respecté l'accord Verts-PS. Vous lui donnez un délai ?
– « Moi je crois beaucoup à la parole de L. Jospin. Je n'ai pas de raison de la mettre en cause. Simplement, je constate que, jour après jour, réémerge une certaine tentation chez les membres du Parti socialiste ; une tentation hégémonique, une tentation d'imposer leur marque et de donner le “la” dans une majorité qui est pluraliste et où chacun des partenaires est invité à donner le meilleur de lui-même pour satisfaire, je dirais, aux attentes de rénovation et d'évolution de la société. »
Q - Vous pensez qu'on ne considère pas les Verts au Gouvernement à leur juste valeur ?
– « Mais évidemment. Le score des élections européennes ne s'explique pas uniquement par des considérations tactiques. Il s'explique d'abord parce qu'une partie importante de l'électorat s'est retrouvée dans des thèmes portés par les Verts, qui ne le sont pas par les partis traditionnels. Et là, je pense bien sûr à la qualité de l'air et à la remise en cause de la place excessive de la voiture, mais je pense aussi à la remise en cause d'une certaine agriculture productiviste qui ne permet ni aux paysans de vivre décemment de leur travail, ni aux consommateurs d'être rassurés sur la qualité et le goût des produits qu'ils ingèrent. Et puis je pense à des sujets moins traditionnels peut être, comme le nucléaire. Si la quasi-totalité des partis politiques partagent aujourd'hui une foi en partie rationnelle dans l'énergie nucléaire, ça n'est pas le cas des français. Ils ont été assommés pendant des décennies par des campagnes de publicité coûteuses et pourtant ils restent extrêmement réservés, extrêmement réticents. Ils demandent la diversification des choix énergétiques. »
Q - Mais vous savez que le nucléaire, c'est un sujet de discorde, très sérieux entre vous et le gouvernement Jospin ?
– « Je ne dirais pas ça. Les choix qui ont été posés par ce Gouvernement associent la diversification des sources d'énergie, la maîtrise de l'énergie, la transparence, la priorité donnée à la sûreté. Moi, je n'ai jamais entendu L. Jospin ou des membres importants du Gouvernement annoncer la poursuite du nucléaire par la commande d'une nouvelle génération de centrales. Je ne pense pas que ce soit la volonté de L. Jospin. Et je considère que la montée au créneau d'un certain nombre d'acteurs de ce secteur témoigne, comme d'habitude, d'une stratégie du lobby pour forcer la main au Premier ministre. »
Q - L'annonce d'un accord signé entre des entreprises françaises et allemandes pour préparer cette nouvelle génération de centrales ça n'est pas un signe ?
– « C'est un signe, c'est un signe néfaste à mon sens. Mais une stratégie d'entreprise n'entraîne pas forcément les gouvernements à valider et à ne pas se poser des questions qui méritent d'être posées : le coût des choix énergétiques faits par la France depuis des années ; et puis les problèmes de sûreté et d'absence de transparence dans ce secteur sont très sérieux. Il faut répondre à ces questions, ainsi qu'au devenir des déchets nucléaires. La réversibilité du stockage des déchets est un premier pas mais nous ne sommes pas complètement rassurés sur les hypothèses techniques qui sont à notre disposition et je crains qu'il n'y ait pas vraiment de bonnes solutions en la matière. »
Q - D. Voynet, les Verts ont aussi des exigences sur le mode de scrutin, sur les 35 heures notamment, des exigences qui ne sont pas entendues pour l'instant ?
– « Je ne suis pas très à l'aise avec votre façon de formuler les questions, parce qu'il ne s'agit pas d'exigences ; on n'est pas dans le chantage, on n'est pas dans les ultimatums. On est, dans l'examen, tranquille, des différentes dispositions d'un accord, auquel le Parti socialiste avait donné son aval. Donc je considère, pour ma part, que cet accord engage autant le Parti socialiste que les Verts, et qu'il est normal d'en discuter de la façon la plus sereine possible. Il nous engage pour la durée d'une législature. Donc j'espère qu'avant la fin de la législature on aura eu, je dirais, l'occasion, de discuter tranquillement, sereinement, de façon approfondie, du mode de scrutin qui permettra la dynamique majoritaire et la juste représentation des minorités. »
Q - Quand D. Cohn-Bendit déclare que L. Jospin n'est pas un homme de parole vous dites : « Il va un peu loin » ?
– « Je crois qu'il y a des différences de forme. On ne s'exprime pas de la même façon. Mais je considère que le respect, que l'attention dans la formulation des demandes est un des ingrédients qui permettront à la discussion de se mener de la façon la plus sereine possible. Moi je ne vois pas de motifs de se laisser aller à des petites phrases acerbes qui ne permettraient pas cette discussion de fond. Moi je souhaite que les Verts se renforcent ; je souhaite que les préoccupations qu'ils portent et qui sont aussi des préoccupations d'une majorité de français soient reconnues, soient assumées par la majorité plurielle. Mais je ne souhaite pas régler des comptes avec qui que ce soit au sein de cette majorité. J'ai envie de convaincre, j'ai envie de travailler, de dialoguer. Et je suis convaincue que les français partagent cette façon de voir. »
Q - Des interventions à répétition de D. Cohn-Bendit dans la vie politique française, ça vous étonne ? Vous pensez qu'il resterait plutôt au niveau européen ?
– « Non, ça ne m'étonne pas, ça ne m'étonne pas. Ça ne m'étonne pas, ça ne me dérange pas non plus dans la mesure où l'opinion est parfaitement capable de faire la part des choses. Il y a d'un côté, l'expression libre, d'hommes et de femmes libres, qui émettent un avis personnel. Et puis, d'un autre côté, la position des leaders, des cadres des Verts. Je n'en fais pas partie d'ailleurs, hein ! Et je me contente pour l'essentiel de travailler, de dialoguer, et avec les militants et avec les cadres, et avec les élus de mon parti. Ce qui me paraît le minimum démocratique d'ailleurs. »
Q - Est-ce que les surenchères de ces derniers jours, ce n'est pas avant tout le signe d'un combat des différents courants des Verts ?
– « Ça peut être interprété comme ça, j'espère que chacun saura assumer sa part de responsabilité. Vous savez, il n'y a pas d'un côté la ministre, les députés et quelques cadres qui seraient chargés d'assurer la cohésion interne du parti, de la faire croître, et de l'autre, ceux qui pourraient commenter à loisir et commettre petite phrase après petite phrase. Je crois qu'on est tous comptables de la construction d'un mouvement politique et du renforcement du poids de ce mouvement au sein de la société. Et j'attends de chacun de nos militants qu'il prenne sa part du fardeau. »
Q - R. Hue, le leader du Parti communiste, a demandé aux Verts il y a quelques jours, d'être plus modestes. Vous avez envie de lui répondre quoi, ce matin ?
– « Moi, je me sens très modeste, je n'ai pas de problèmes, ni avec R. Hue ni avec aucun des animateurs de la majorité plurielle. Je crois que R. Hue s'est attaqué à une tâche lourde, sans doute beaucoup plus lourde qu'on ne l'imaginait au départ, et je lui pardonne bien volontiers quelques moments de découragement. »
Q - Parlons des thèmes d'actualité : il y a les agriculteurs. Il y a quelques jours, le ministre de l'Agriculture, J. Glavany, a dit qu'il comprenait la colère des agriculteurs contre les sanctions douanières des Américains, mais qu'il ne comprenait pas les violences. Vous, les Verts, ces violences, vous leur avez apporté un soutien ?
– « Non, les Verts n'ont apporté aucun soutien à des violences. J'en ai été victime plus souvent qu'à mon tour et je préfère vraiment quand on les évite. En revanche, nous… »
Q - Le saccage du McDo de Millau, les Verts ne l'ont pas condamné.
– « Disons, pour être clair, que je préfère l'activité de la Confédération paysanne du Doubs en soutien d'ailleurs à J. Bové, qui reste emprisonné qui fait une fondue géante pour attirer l'attention des clients de McDonald's, que des actes violents. En même temps, je considère que les questions qui sont posées par la Confédération paysanne sont de vraies questions, qu'il faut y répondre et que le moment est venu de répondre aux attentes des consommateurs qui sont aussi les attentes des paysans ; ils veulent vivre correctement de leur travail, savoir ce qu'ils cultivent pour pouvoir dire aux consommateurs ce qu'ils auront dans leur assiette ; et puis, finalement, allier qualité des produits et dignité dans leur rémunération. »
Q - Depuis le début de l'été, cette année encore, des milliers d'hectares sont partis en fumée en Corse. En tant que ministre de l'Environnement, comment avez-vous envie de réagir ou d'agir en tout cas ?
– « Je condamne bien évidemment les comportements irresponsables qui conduisent à la disparition de milliers d'hectares de forêts chaque année, que ce soit en Corse ou d'ailleurs ; et je considère comme indispensable la mise en place d'une stratégie qui permet d'associer la population à la protection de cette forêt. »
Q - Ce sont souvent des incendies criminels, il faut être clair.
– « Bien sûr, ce sont souvent des incendies criminels mais là où l'incendie est accidentel, il comporte aussi une part d'irresponsabilité qui le rend d'une certaine façon criminel du point de vue de la gestion forestière, de la sécurité des personnes et des biens. Ça fait partie, peut-être, du sujet sur lesquels une coopération plus intense est aujourd'hui nécessaire entre le ministère de l'Intérieur qui assure la sécurité civile et la lutte contre les incendies mais aussi le ministère de l'Agriculture et le ministère de l'Environnement, qui assument la cotutelle en matière forestière. Je crois que nous sommes tous, là encore responsables de la gestion durable de ce patrimoine. Les Corses le comprendront tout à fait. »
RTL – 25 août 1999
– « Qu'allons-nous faire de la cagnotte accumulée à Bercy ? Est-ce que nous allons, comme nous en pressent les financiers et la Bourse, diminuer l'endettement de la France ? Est-ce que nous allons diminuer l'impôt au profit des classes moyennes supérieures ou est-ce que nous allons donner un sérieux coup de pouce aux revenus les plus précaires, les plus fragiles ? C'est évidemment le choix des Verts : soutenir la consommation, favoriser le pouvoir d'achat et des entreprises. Tout cela est balisé depuis longtemps. Evidemment, c'est mieux que Reagan, Thatcher ou Madelin. Les Français ne s'y sont pas trompés ; ils ont mis la Droite dans la situation où elle se trouve, et c'est justifié. Mais l'équation actuelle ne correspond plus tout à fait ni à la nouvelle donne mondiale, ni aux aspirations que j'évoquais à l'instant. Cela forme une réponse insuffisante à la crise écologique, à la crise sociale, à la dégradation des relations internationales. Et c'est là peut être que nous avons à mieux préciser, à mieux défendre le projet Verts. »
France Inter – 25 août 1999
– « Qu'allons-nous faire de la cagnotte accumulée à Bercy ? Est-ce que nous allons, comme nous empressent les financiers et la Bourse, diminuer l'endettement de la France ? Est-ce que nous allons diminuer l'impôt au profit des classes moyennes supérieures ? Ou est-ce que nous allons donner un sérieux coup de pouce aux revenus les plus précaires des plus fragiles ? C'est évidemment le choix des Verts, et je suis étonnée que cette suggestion formulée par D. Baupin à La Seyne-sur-Mer, il y a quelques jours, n'ait pas déclenché les applaudissements d'une autre salle. »