Texte intégral
Lutte ouvrière - 5 décembre 1997
Loi sur la nationalité : des adversaires de Le Pen qui lui ouvrent la voie
Lors de la discussion à l’Assemblée nationale du projet de loi sur les conditions d’acquisition de la nationalité française pour les enfants d’immigrés, les représentants de la majorité et ceux de la droite se sont mutuellement jeté Le Pen à la figure.
Il est bien sûr évident que les députés de droite ont utilisé des arguments voisins de ceux du Front national avec, comme seule préoccupation, de séduire les électeurs de Le Pen. Mais les représentants de la majorité gouvernementale sont tout aussi hypocrites quand ils se présentent comme les preux chevaliers décidés à combattre Le Pen et ses idées jusqu’au bout.
Le Pen ne serait pas en effet ce qu’il est aujourd’hui sans les méfaits du chômage, s’il n’y avait dans le pays plus de trois millions de travailleurs totalement privés d’emploi, sans compter les millions de ceux qui sont condamnés aux horaires (et aux salaires) partiels, aux contrats bidons ou aux petits boulots, les millions d’autres qui sont touchés indirectement par le chômage de leurs proches, ou qui craignent que le même sort leur arrive.
Alors, à gauche comme à droite, ils savent bien que la seule manière efficace de dégonfler Le Pen, ce serait de réduire massivement le chômage.
Ce serait possible, mais à un gouvernement qui le voudrait vraiment, ce qui n’est pas le cas de celui de Juppé, pas plus que ce n’est celui de Jospin, car le chômage n’est pas une catastrophe naturelle. Ce n’est pas non plus que tous les besoins seraient satisfaits, ni même que le travail manquerait vraiment, comme le prouvent les heures supplémentaires effectuées, l’augmentation des cadences ou des charges de travail dans beaucoup d’entreprises.
S’il y a du chômage, c’est parce que, pour continuer à engranger les mêmes profits que lors des années d’expansion, voire plus, le grand patronat n’a pas hésité à fermer les entreprises qui ne lui rapportaient pas assez, même si leur production était utile à la collectivité, n’a pas hésité à réduire les effectifs des autres tant que faire se pouvait, tout en intensifiant l’exploitation des travailleurs. La part des salaires dans le revenu national n’a cessé de diminuer alors que celle des profits capitalistes augmentait ; la Bourse n’a cessé de monter, pendant qu’une fraction, chaque jour plus importante, du monde du travail était poussée vers la misère.
Alors, pour lutter vraiment contre le chômage, il faudrait avoir la volonté et le courage de s’en prendre aux profits capitalistes, en cessant de distribuer à fonds perdus des cadeaux aux patrons, en taxant beaucoup plus les bénéfices des entreprises, en interdisant les licenciements et en réquisitionnant les entreprises qui oseraient passer outre, à commencer par celles qui affichent des bénéfices considérables et qui suppriment tout de même des emplois.
La droite n’a, bien sûr, jamais mené cette politique-là : elle se présente ouvertement comme le défenseur de la « libre entreprise » capitaliste. Mais, la gauche non plus. Pas plus hier, sous Mitterrand, qu’elle ne le fait aujourd’hui avec Jospin et sa gauche « plurielle ». Car s’il y avait dans ce pays, depuis six mois, un gouvernement vraiment résolu à s’en prendre aux profits capitalistes pour lutter contre le chômage, il n’aurait peut-être pas encore réussi à l’éradiquer, mais ça se verrait !
En fait, le gouvernement est bien trop respectueux du grand patronat pour oser s’en prendre à lui, lui imposer des sacrifices. Il ne prendra que les mesures acceptables par les industriels et les banquiers.
C’est pourquoi toutes ses dénonciations de Le Pen ne sont que poudre aux yeux pour faire croire aux électeurs de gauche qu’à défaut d’avoir un gouvernement qui fasse reculer le chômage, ils en ont au moins un qui s’oppose à l’extrême droite.
Alors, la seule solution pour le monde du travail, pour lutter contre le chômage comme pour s’opposer à la montée des idées réactionnaires de Le Pen, c’est de se préparer à imposer à la classe capitaliste de supporter elle-même les frais de la crise du système économique dont elle est si fière.
Lutte ouvrière - 12 décembre 1997
Les subventions et les courbettes devant le patronat ne stopperont pas le chômage
Le Conseil des ministres a présenté son projet de loi sur le passage, dans les entreprises de plus de 20 salariés, de la semaine de 39 heures à celle de 35 heures... en l’an 2000.
Ce projet, dont le gouvernement prétend qu’il est une arme contre le chômage, a déjà beaucoup fait hurler les patrons, et ils n’ont pas fini, car il y a longtemps qu’ils savent que, plus ils crient, plus l’État se montre généreux envers eux !
Mais ces cris ne gênent pas le gouvernement, bien au contraire, puisqu’ils font passer Jospin comme un homme qui s’oppose au patronat pour défendre les travailleurs.
Mais les travailleurs, ceux qui ont un emploi comme ceux qui sont au chômage, n’ont pourtant pas grand-chose à attendre de ce prétendu cadeau.
À quoi, en effet, les patrons seront-ils légalement contraints en l’an 2000, selon ce projet ? Pas à diminuer la durée hebdomadaire du travail dans leur entreprise. Mais simplement payer en heures supplémentaires, majorées de 25 %, les heures comprises entre la 35e et la 39e heure, majoration qui « pourra être réduite si la situation le requiert » précise le projet de loi. C’est-à-dire que les patrons devront, dans le meilleur des cas, verser le montant d’une heure de salaire par semaine en plus ; soit une augmentation, plus que modeste, de 2,5 %. Et comme, dès maintenant, le ministère du Travail invite les « partenaires sociaux » à une « progression maîtrisée des salaires », ces 2,5 %, d’augmentation risquent fort de tout juste compenser les augmentations que nous n’aurons pas eues d’ici l’an 2000.
Tout cela, dans le meilleur des cas. Parce que ce que les patrons vont essayer d’obtenir en plus, c’est une augmentation de la « flexibilité du travail », c’est-à-dire la possibilité de faire effectuer des heures supplémentaires quand ils en auront besoin, de mettre les salariés au chômage technique quand il y aura moins de travail, de telle manière que cela ne leur coûte rien si, sur l’année, la durée « moyenne » du travail de 35 heures par semaine est respectée.
Quant aux créations d’emplois, le gouvernement va les encourager grâce à la vieille recette des dégrèvements de charges sociales pour les employeurs qui embaucheront. On connaît d’avance le résultat. Ceux des patrons qui ont de toute manière besoin de main-d’œuvre empocheront ces subventions toujours bonnes à prendre. Les autres ne broncheront pas. Et aucun emploi supplémentaire ne sera créé.
Que ce projet de loi ne gêne en rien les patrons, c’est d’ailleurs le ministre du Travail Martine Aubry qui le leur dit, en avançant pour preuve le fait qu’il n’a pas empêché le constructeur japonais Toyota de décider d’installer une usine dans le nord de la France.
Et cette installation de Toyota est tout un symbole du fait que la politique du gouvernement envers le patronat n’a pas changé depuis juin 1997. En effet, Toyota bénéficiera pour s’installer de fonds publics, représentant d’après le gouvernement lui-même environ 10 % des investissements, et cela sans contrepartie. Sans compter les installations routières ou ferroviaires qui seront financées par les pouvoirs publics pour permettre à cette usine de fonctionner.
Lutter vraiment contre le chômage demanderait une tout autre politique, qui n’hésiterait pas à prendre sur les profits accumulés par les grandes entreprises depuis des années, afin de créer directement des emplois utiles à la collectivité.
Mais ce n’est pas plus l’objectif de Jospin et de ses alliés que ce n’était celui de l’équipe Juppé, car les uns comme les autres sont trop soucieux de servir le grand patronat.
Lutte ouvrière - 19 décembre 1997
Restos du cœur : nouveau record battu
« Enfoirée » de société capitaliste
Les Restos du cœur viennent de rouvrir et, comme chaque année, ils s’attendent à avoir encore plus de personnes et de repas à servir. Quand ils ont commencé, il y a douze ans, ils ont servi 9 millions de repas, l’hiver dernier ils en étaient à 61 millions, presque 7 fois plus. Cela parce que la misère a augmenté. Et ils sont forcés de n’accepter que ceux dont les revenus sont voisins du RMI. Et ils ne peuvent même pas faire face à toutes les demandes.
Heureusement que dans ce domaine-là la charité publique n’est pas un service public. L’État ne s’en occupe pas, c’est son principe, continuel tout au long des changements de gouvernements.
C’est que pour tous les gouvernements qui se succèdent, les services publics doivent être rentables. Et nourrir ou soigner les démunis, ce n’est pas rentable.
Alors la générosité publique remplace l’État dans bien des domaines : la recherche médicale avec le Téléthon, les Restos du cœur, l’action anti-Sida, les maisons spécialisées pour handicapés. La liste serait bien longue si l’on voulait citer toutes les associations qui doivent faire appel aux gros sous du public.
Ce n’est pas elles qui sont à blâmer si elles sont obligées de tendre leur sébile ! Et des dizaines de milliers de bénévoles, 30 000 rien que pour les Restos du cœur, donnent d’eux-mêmes, de leur temps et de leur travail.
Ceux qui sont à condamner, ce sont ceux qui sont les responsables de cette économie qui fabrique des chômeurs, des démunis, des pauvres, des bébés mal nourris et des sans-abri, encore plus vite que leurs usines fabriquent des automobiles ou des téléviseurs.
Combien de grandes entreprises, de grandes banques, de sociétés diverses, ont-elles licencié de leurs salariés dans les dix dernières années ? Licencié tout en gardant la même production par l’intensification de l’exploitation, tout en maintenant ou en augmentant leurs profits d’année en année.
Pour la dixième année consécutive au moins, les journaux financiers annoncent que cette année encore sera la meilleure qu’aient connue les entreprises françaises, car les profits et la Bourse ont battu de nouveaux records.
Mais ces gains, ces profits, cet argent, sont pris dans la poche des travailleurs, par la diminution des salaires réels, par l’appauvrissement d’une énorme partie du monde du travail, condamnée au chômage total ou partiel.
Aux chômeurs complets s’ajoutent ceux qui n’ont que des emplois précaires, 15 jours, 3 semaines en moyenne par mois, ou 8 à 9 mois dans l’année. Et puis, il y a ceux et celles, car ce sont surtout des femmes, employés à temps partiel dans les supermarchés et dans les commerces, bien moins que 39 heures. Théoriquement payés au SMIC, ils ne se retrouvent souvent qu’avec 3 000 F au bout du mois.
Aujourd’hui, sept millions de travailleurs sont dans l’un de ces cas. Cela fait une proportion énorme de la population.
C’est pour cela que les entreprises font des profits ; elles prennent toujours plus aux moins riches pour en faire des pauvres et aux pauvres pour en faire des encore plus pauvres. Voilà comment la misère s’accroît.
Mais que dire de ceux qui nous gouvernent et qui tolèrent cette situation ?
Ils la tolèrent, en ne taxant pas ces énormes profits pour empêcher ce système économique d’augmenter la richesse des uns en aggravant la misère des autres.
Mais, en plus de ne pas s’employer à réduire la misère, ils font payer plus d’impôts aux pauvres et moins aux riches. Et pour ceux qui sont de plus en plus nombreux à être dans la misère, il n’y a que le dévouement de bénévoles et la charité publique. Mais il faudra bien qu’un jour on ne se contente plus de faire ou de demander la charité et qu’on s’en prenne à cette société révoltante et à ceux qui en profitent ou qui la protègent.
Car ceux-là ne sont pas que des « enfoirés », ils sont aussi des criminels.
Lutte ouvrière - 26 décembre 1997
Chômage, violence et bavures policières : le résultat d’une société en crise
Ceux qui sont chargés de faire respecter la loi et l’ordre ont donc laissé en poste dans un quartier sensible d’une grande ville un policier connu, de ses supérieurs et de ses collègues, pour être un trafiquant de fausses cartes de police et un violent incapable de se contrôler.
Ses collègues, même en le voyant agité, l’ont laissé braquer un fusil, inconnu d’eux et de lui puisqu’il venait d’être saisi, sur le visage d’un jeune homme menotté pour le menacer et l’intimider. Le jeune homme est mort.
Bavure ? Mais tous les témoins de la scène n’avalent-ils pas conscience de ce qu’il risquait d’arriver ? S’ils voyaient dans la rue un individu violent et agité braquer un fusil sur le visage d’un passant, que feraient-ils ? Est-ce qu’ils ne feraient rien, comme dans ce commissariat, sous prétexte que le violent était un de leurs collègues ?
Parce que c’est cela le problème. Ce policier n’est peut-être pas représentatif de l’ensemble des policiers. Mais son comportement habituel n’a-t-il pas jusque-là été couvert par ses collègues et par sa hiérarchie ? Un policier violent à qui on laisse la possibilité de tuer, n’est-ce pas criminel ?
Bien sûr, le métier des policiers est à risques. Mais pas plus que d’être ouvrier dans le bâtiment ou dans l’industrie. Proportionnellement, il y a infiniment moins de morts et de blessés dans la police. C’est un métier difficile ? Sûrement ! Les voyous, les délinquants, les jeunes auxquels ils ont affaire, sont parfois agressifs. Mais est-ce que cela veut dire qu’en face les policiers doivent se comporter avec la même violence, les mêmes injures, voire des menaces de mort ?
Chevènement, l’actuel ministre de l’Intérieur socialiste, a parlé de la nécessité de former les policiers. Mais il sait bien qu’il ne s’agit pas de cela. Ce qu’on apprend à l’école, même de police, est vite remplacé par ce qu’on apprend par la suite dans les commissariats où il y a bien des policiers anti-jeunes, anti-pauvres en général, souvent racistes, avec comme seule morale : « Les jeunes violents, il faut les mater ! ».
C’est vrai qu’un jeune de 17 ans, pour parler du cas de Dammarie-les-Lys, qui vole des voitures et conduit sans permis, est un suicidaire et un violent qui fait courir des risques aux autres. S’il risque la mort et que ce soit un arbre qui la lui donne, c’est une chose. Mais si c’est un policier qui utilise, pour tuer un jeune de 17 ans, une arme qui ne lui a pas été confiée pour cela, c’est un meurtre couvert par la société ; c’est la peine de mort pour défaut de permis.
La police est un corps que tous les gouvernants successifs isolent de la population. On lui fait jouer des rôles de répression collectifs ou isolés dans ces locaux de police qu’on ne visite qu’enchaîné et où toutes les injustices sont permises. Ceux qui en sortent n’en sortent pas réconciliés avec la société. Ils sortent avec la haine de la police, des autres qui tolèrent cela, de tous et de tout.
Bien sûr, ils ont tort. La lutte contre les injustices, cela ne consiste pas à casser du flic une nuit ou deux. Cela ne consiste pas à brûler des voitures pour rétablir l’égalité entre ceux qui peuvent s’en payer et les autres. La lutte contre l’injustice, cela ne consiste pas à rendre la vie invivable à aussi misérable que soi.
De leur côté, les policiers qui cachent les excès, ou les tolèrent pour être solidaires, y compris des pires d’entre eux, ne font ainsi qu’imiter ce que font de pire les bandes de jeunes et ils sont exactement comme eux.
Mais les jeunes de ces quartiers doivent absolument trouver d’autres chemins à leur révolte ; des chemins plus collectifs, avec l’ensemble de la population laborieuse de leurs quartiers. Ils doivent trouver le chemin de la révolte organisée et consciente. Cette évolution-là changerait bien plus les choses que ne les changeront quelques stages pour les flics.