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« La Tribune » – L'ensemble de la filière s'enfonce dans la crise, quelle est votre analyse ?
Christian Pierret. – Ces dernières années, la concurrence internationale est allée croissant, pendant que les accords commerciaux internationaux abaissaient les barrières douanières. Ce mouvement est irréversible. Il nous faut nous battre pour nous adapter, sinon nous périrons. L'évolution structurelle du secteur, c'est aussi celle de sa distribution, qui se concentre, recherche les coûts d'achat les plus bas et met une pression insupportable sur les fabricants européens. À ces facteurs structurels s'ajoutent les crises asiatique et russe, qui ont entraîné un resserrement du marché mondial et pénalisé nos exportations. La parité actuelle euro/dollar rééquilibre un peu le jeu au profit de l'Europe.
« La Tribune » – Le Gouvernement a-t-il cessé de croire en l'avenir de la filière textile tricolore ?
– Je suis confiant car, dans ce secteur, nombre d'entreprises arrivent à se maintenir. L'État a des moyens pour impulser une stratégie industrielle offensive, sur l'investissement, l'innovation, la formation. Les entreprises textiles ont fait d'énormes efforts, ont investi, se sont modernisés. La part de main-d'oeuvre est bien moindre que dans la confection, secteur encore davantage soumis aux conditions imposées par le consommateur et de la grande distribution. La compétitivité-prix de ces industries est fondamentale, et j'agis pour qu'elle soit préservée. Leur compétitivité hors prix l'est aussi, et j'agis pour la renforcer, par exemple par l'éligibilité au crédit d'impôt recherche des frais de stylisme.
Le Gouvernement de Lionel Jospin se bat pour les entreprises et leur personnel. Avec Marylise Lebranchu, nous avons organisé une table ronde entre industriels et distributeurs de l'habillement, qui doit déboucher sur du concret à la rentrée, notamment en matière d'information du consommateur. Le Gouvernement travaille aussi à la levée des barrières douanières, car l'industrie textile a encore un fort potentiel de croissance à l'exportation.
« La Tribune » – Les modalités de remboursement des aides « Borotra » ont été adoucies. Envisagez-vous des mesures de soutien, notamment au plan régional ?
– Ce plan a été préparé par M. Borotra en 1996, alors qu'il avait déjà été averti par Bruxelles de son caractère inconciliable avec le droit européen. Je ne méconnais pas la déception des entreprises : elles espéraient une solution miracle à cette détestable affaire. Mais le commissaire Karel Van Miert a demandé au Gouvernement la mise en oeuvre effective d'un dispositif de remboursement. Les modalités que j'ai durement négociées permettent de diminuer sérieusement l'impact de ce remboursement. Les entreprises de moins de 80 personnes à l'époque ne rembourseront rien, et j'estime à 550 celles qui paieront quelque chose sur un total de 5.500 bénéficiaires. En revanche, j'ai tout fait pour que des mesures spécifiques soient prises en faveur des bas salaires. Il y aura des allégements de charges patronales, qui atteindront 21.500 francs par an au niveau du Smic.
Dans certaines entreprises à haute intensité de main-d'oeuvre, le cumul des exonérations ramène les cotisations patronales à 0. Avec Dominique Strauss-Kahn, nous avons aussi enclenché la disparition sur cinq ans de la part salariale de la taxe professionnelle. Économie attendue par salarié au Smic : de l'ordre de 3.000 à 4.000 francs par an à terme. Derrière ces réformes, un double objectif : enrichir la croissance en emplois dans les secteurs qui se développent ; améliorer la compétitivité des entreprises de main-d'oeuvre pour préserver leur avenir. Enfin, les futurs contrats de plan État-régions constituent une occasion pour l'État de fournir un soutien aux territoires les plus fragilisés par les restructurations industrielles.
« La Tribune » – Les 35 heures seront-elles bénéfiques à la filière ?
– Bien entendu. Le textile-habillement est un secteur en pointe : 216 accords signés, dont une majorité offensifs, ont permis de créer 1.000 emplois. Ce n'est certes pas suffisant pour contrebalancer les pertes d'emplois, mais cela témoigne d'un véritable intérêt des entreprises pour la démarche.