Interviews de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale et ancien ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 18 novembre 1997 et RMC le 26, sur la tuerie de Louxor, la rénovation du RPR et sur le projet de loi de réforme du code de la nationalité.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Europe 1 - RMC

Texte intégral

Europe 1 : Mardi 18 novembre 1997

Q. – En tant qu’ancien ministre de l’intérieur et pour vous qui avez combattu le terrorisme intégriste, que voyez-vous dans la tuerie de Louxor ?

R. – Écoutez, quand j’ai appris cela, revenaient dans ma tête des images très fortes de ces morts, de ces assassinats. Et je crois qu’il faut, en ce domaine, d’abord soutenir nos amis Égyptiens, le gouvernement égyptien qui lutte contre l’islamisme. Et puis il faut qu’il y ait, en ce domaine, une très forte coopération internationale. Je me souviens, après le Sommet de Charm-El-Cheikh, il y a un an, nous avions organisé en France une conférence des ministres de l’intérieur et elle avait décidé, cette conférence, d’être opérationnelle. Il y avait ainsi des réunions très fréquentes entre les directeurs de la police, entre les services de renseignement. Continuons, parce qu’il faut être solidaire face à ce terrorisme islamiste.

Q. – Est-ce que vous voulez dire que les pays expérimentés doivent prêter des experts dans la lutte antiterroriste aux Égyptiens ?

R. – Il doit y avoir une coopération extrêmement forte entre ces Etats et, si besoin, se prêter des experts et si besoin, échanger ses informations et si besoin, échanger ses moyens techniques. Cela veut dire qu’il faut rester très vigilant en France ! Très vigilant ! Parce qu’on le voit bien, l’islamisme, le terrorisme islamiste frappe l’ensemble des pays. Il a frappé la France, il frappe aujourd’hui l’Égypte. Il peut refrapper en Europe.

Q. –Vous voulez dire qu’il y a des risques d’influence et de contagion de ces mouvements-là ?

R. – Je suis persuadé que ces risques existent.

Q. – Mais pourquoi faut-il que nous nous en mêlions ?

R. – Je ne dis pas qu’il faut s’en mêler ! Je dis qu’il faut être extrêmement vigilant et je dis que la communauté internationale doit être solidaire et doit échanger ses informations et essayer d’avoir, face à tous les terrorismes mais notamment au terrorisme islamiste, un front unique.

Q. – Cela n’a rien à voir probablement mais dans certaines villes ou banlieues et on l’a vu à Lille, à La Seyne-sur-Mer, il y a des violences, des actes d’incivilité qui se multiplient, qui inquiètent d’ailleurs les élus. Le Gouvernement emploie le langage et la méthode de la sécurité, est-ce que cela peut devenir efficace ?

R. – D’abord, il ne faut pas faire d’amalgame.

Q. – Absolument. C’est ce que j’ai essayé de faire.

R. – C’est très important. Je souhaite qu’il y ait, dans la ligne de ce que nous avions fait, la poursuite d’un effort dans les banlieues pour éradiquer ces troubles et pour faire revenir des comportements civiques et républicains.

Q. – Qu’est-ce que cela veut dire éradiquer ?

R. – Cela veut dire donner du travail. Cela veut dire que la police soit présente.

Q. – Pas forcément la répression ou la fermeté mais aussi...

R. – Mais je ne l’ai jamais dit ! Il faut qu’il y ait à la fois prévention, dissuasion mais aussi fermeté. Et il faut soutenir les forces de police.

Q. – Les polices nationales ? Les polices municipales aussi ?

R. –Les polices municipales n’ont pas la même mission que la police nationale. Elles doivent aider la police nationale dans des cas extrêmement précis et moi, je suis très réservé à l’idée d’armer les polices municipales.

Q. – Pas de port d’arme pour les policiers municipaux ?

R. – Non. C’était ce que nous avions prévu dans le projet de loi qui était déposé.

Q. – Les premiers agents de sécurité et de proximité sont en train de s’installer. J.-P. Chevènement, à votre avis, est en train de réussir dans le domaine que vous connaissez ?

R. – Je vous dirai cela plus tard. On verra cela aux résultats des statistiques sur l’évolution de la délinquance et de la criminalité.

Q. – Vous, comme MM Séguin et Sarkozy et d’autres, vous parcourez la France des militants RPR. Est-ce qu’ils sont toujours aussi paumés ou est-ce qu’ils sont séduits par les six mois de L. Jospin ?

R. – C’est très confus. Les militants RPR ont encore, me semble-t-il, la gueule de bois. Nous avons vécu une défaite. Nous avons subi une défaite et nous avons du mal à reprendre pied. Mais il se passe quelque chose au sein du mouvement RPR. Je l’ai vu hier soir avec P. Séguin à Évreux où nous avons mobilisé plus de 700 militants mais nous avons encore beaucoup, beaucoup de travail pour faire passer notre message. Nous disons des choses. Nous proposons un certain nombre de solutions. Nous critiquons et nous ne sommes pas encore entendus mais la politique, c’est l’art de la pédagogie. Et il faut continuer, continuer.

Q. – C’est-à-dire que maintenant vous parlez dans le vide ? Devant beaucoup de monde, mais dans le vide ?

R. – C’est une image. Pas encore. Nous ne sommes pas encore entendus suffisamment Les gens nous regardent, ils sont encore sceptiques mais je vois, réunion après réunion, à la mesure de la déception à l’égard du gouvernement socialiste, que les Français, que nos militants nous disent : écoutez, on commence un peu à vous entendre. Ils nous entendent sur les 35 heures, ils nous entendent sur les charges sociales, ils nous entendent sur les attaques des socialistes contre la famille, ils nous entendent sur la politique menée par le Gouvernement...

Q.– Et pourtant ? Ils vous entendent, mais… ?

R. – Ils n’ont pas encore entièrement entendu notre message.

Q. – Mais ce n’est pas mal d’avoir ce temps de confession et d’autocritique de votre part. P. Séguin à la tête du RPR cela marche, cela va marcher ?

R. – Cela marche et cela doit marcher parce qu’il n’y a pas d’autre solution. P. Séguin fait beaucoup d’efforts pour essayer de donner la parole aux militants, fait beaucoup d’efforts pour essayer de rénover notre mouvement et je ne comprends pas ceux qui, à l’intérieur de notre mouvement, essayent de dire que cela ne marchera pas. Oui, cela va marcher, oui cela marche et il faut que nous soyons tous derrière P. Séguin.

Q. – Je ne comprends pas : cela va marcher parce que cela doit marcher ?

R. – Cela va marcher et cela doit marcher. Je voudrais dire aux sceptiques, aux résignés, aux blasés qui sont dans notre mouvement – il y en a encore quelques-uns – qu’ils doivent accompagner P. Séguin dans la rénovation de notre mouvement car il est essentiel, dans la vie politique française, qu’il y ait un RPR fort, très fort pour contrebalancer le PS.

Q. – L’appellation de votre parti, RPR, n’est-elle pas vieillotte ? Est-ce qu’il ne faut pas la supprimer ? On entend dire cela.

R. – Je crois que c’est accessoire. L’important, c’est d’avoir un message politique fort. Vous savez, nous nous sommes appelés RPF, UNR, UDR et puis RPR. Au-delà des mots, au-delà des cycles, il y a le message politique. Nous sommes en train de faire un effort pour retrouver un message politique fort.

Q. – Mais vous ne l’avez pas ?

R. – Pas encore.

Q. – Il n’y a pas de projet ?

R. – Nous sommes en train de l’élaborer. Il y a dans toutes les fédérations, il y a dans tous les départements, véritablement, une volonté d’entendre les militants pour préparer un message politique fort et nous y arrivons.

Q. – Dans ce projet, il y aura plus de gaullisme – c’est un peu une tarte à la crème – ou plus de libéralisme, ce fantasme permanent ?

R. – Il doit y avoir plus de gaullisme et plus de République.

Q. – Ce sont des ternes qu’on va retrouver. En ce moment, l’opposition est dispersée. Il y a des mauvaises langues qui disent qu’aujourd’hui, elle est nulle.

R. – D’abord, je vous trouve très sélectif. Commencez par dire que la majorité au pouvoir est divisée ! Quand je vois les communistes qui s’abstiennent sur la loi Aubry, quand je vois les communistes qui s’abstiennent sur la défense nationale, quand je vois les communistes qui vont s’abstenir sur le droit de la nationalité !  Personne ne dit rien mais quand il y a quelqu’un qui tousse différemment dans l’opposition, alors on dit qu’il y a division. Non ! Nous sommes pluriels, comme on dit, nous nous enrichissons de la diversité des uns et des autres mais le RPR, dans cette affaire-là, il est uni, cohérent et offensif.

Q. – Le RPR commence à faire circuler une pétition Toubon-Pasqua contre la politique Jospin d’immigration. C’est vrai ?

R. – Oui, c’est vrai. Et je crois qu’il faut que les militants et les Français se rendent compte que le projet socialiste, dans le domaine de l’automaticité de la nationalité française, dans l’ouverture du droit d’asile et dans les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, sont des projets qui sont mauvais : mauvais pour la France et mauvais pour l’unité nationale.

Q. – Ce n’est pas une politique modérée, en ce qui concerne l’immigration et la nationalité ?

R. – Quand on regarde dans le fond, c’est en réalité l’organisation d’un système ou n’importe qui pourra rentrer n’importe comment en France. Eh bien, la nationalité française ne s’acquiert pas par automatisme et on n’entre pas en France sans prendre un certain nombre de précautions.

Q. – Et pourtant, les mêmes associations qui défilaient dans les rues contre vous, vont manifester samedi à Paris pour refuser ce que prépare J.-P. Chevènement, et en même temps, son refus de régulariser les 150 000 sans-papiers.

R. – Oui, parce qu’ils sont trompés par le double langage du Gouvernement. Quand M. Chevènement est arrivé, il a commencé par dire : on va régulariser tout le monde. Il a annoncé qu’il y en aurait 10 000 – moi, je disais qu’il y en aurait 100 000. Maintenant il y en a 150 000. En réalité, le Gouvernement joue avec le feu et il souffle sur les braises. Il aurait mieux fait, ce gouvernement, d’appliquer les lois qui ont été votées il y a moins d’un an, et puis on aurait fait le bilan de l’application de ces lois.

Q. – Que va faire l’opposition si…

R. – Je parle pour le RPR : nous serons déterminés et nous montrerons aux Français que les projets socialistes sont mauvais pour la France.

Q. – Une dernière question : M. Marchais est mort. Est-ce que vous reconnaissez que le PC de R. Hue n’est plus celui de G. Marchais ?

R. – Je sais pas parce que je ne suis pas un militant du PC. Et je laisse le soin aux camarades de M. Marchais de faire le bilan de son travail. Et je souhaite qu’ils comprennent que M. Marchais doit avoir, comme tout homme qui est mort, un moment de considération et de respect.


RMC – 26 novembre 1997

Q. – Pourquoi vous vous opposez si durement à un texte de loi qui, au fond n’est si différent du texte que vous aviez voté ?

R. – Parce que j’aime mon pays et parce que j’ai été élevé dans une certaine conception de la République et de la nation. Quand vous prenez la notion de République ou de nation Renan ou Fustel de Coulanges, vous voyez que la nation française s’est construite au fil des siècles avec des hommes et des femmes d’origine, de tradition, de culture différentes, mais qui venaient en France ou qui s’intégraient en France en montrant leur volonté d’être français. Or aujourd’hui, en faisant en sorte que l’on puisse devenir français par hasard, par indifférence, par habitude, on porte un coup à l’intégration des étrangers dans cette communauté nationale.

Q .– En 1973, lorsque G. Pompidou était Président de la République – ce n’est pas si loin que ça – il n’y avait pas d’obligation…

R. – Chaque époque a ses particularités. Nous sommes aujourd’hui à une époque où les flux migratoires sont extrêmement rapides. Nous sommes à une époque où l’immigration a changé de nature, ne l’oubliez jamais. Nous sommes passés d’une immigration de travailleurs à une immigration d’ayants droit. Nous sommes passés d’une immigration où, il y a quelques années, les homes et les femmes venaient en France avec un souci, une ambition : c’était d’y travailler et de respecter nos lois. Aujourd’hui, pour une grande part de ces nouveaux migrants, ils viennent en France, non pas pour s’intégrer à la communauté nationale, mais ils viennent en France pour bénéficier d’un régime social favorable. Et puis ce projet Guigou est mauvais. Je vais vous donner un exemple : avant ce projet, lorsque vous aviez commis un crime, un attentat, posé une bombe, vous ne pouviez pas devenir français, c’était exclu. Or le projet Guigou, en faisant tomber ces dispositions importantes de la loi précédente, va permettre à quelqu’un – exemple, un terroriste qui a posé une bombe et qui a tué – de devenir français.

Q. – Mais il sera soumis aux lois de la République, comme tout le monde !

R. – Il sera condamné pour ses crimes. Mais attendez ! Est-ce qu’on va accepter, en France, de donner la nationalité française à des gens qui ont tué, assassiné ? Est-ce qu’on va accepter dans ce pays quelqu’un qui a commis un hold-up, une attaque à main armée, devienne français? Eh bien, moi, je dis non. C’est tout ce que me sépare des socialistes. Les socialistes ont tellement conscience que leur texte est mauvais qu’ils ont demandé de l’urgence : ils ne veulent pas qu’on en discute. Vous savez que l’Assemblée nationale ne va discuter qu’une fois de ce texte, parce que les socialistes ont peur ; ils se sont rendu compte qu’ils sont enfermés dans leurs promesses électorales absurdes.

Q. – Allez-vous lancer la pétition nationale à laquelle vous aviez pensé ?

R. – Le mouvement présidé par P. Séguin, le RPR, à l’intention de lancer une pétition.

Q. – Pour quoi faire ?

R. – On ne peut pas accepter qu’un texte comme ça passe discrètement, et il faut mobiliser les Français. La France, elle n’appartient pas à Mme Guigou. Elle n’appartient pas à Mme Guigou. Elle n’appartient pas aux socialistes. La France, elle appartient à tous les Français. Sur un sujet comme celui-ci, il faut que ceux-ci puissent s’exprimer.

Q. – Je voudrais revenir sur le duel entre M. Chirac, le Président, et M. Jospin, le Premier ministre : est-ce que le Président était en droit, à l’étranger, pendant une conférence internationale, de critiquer le Gouvernement ? Est-ce que c’était bien venu ?

R. – Je considère qu’il y a l’Europe. Aujourd’hui, avec l’Union européenne, on peut s’exprimer dans ces conférences. Ce qui me frappe, à Luxembourg, c’est que M. Jospin a voulu utiliser Luxembourg et l’Europe pour faire croire que ses projets avaient reçu l’adhésion de tous les Européens. Or, à Luxembourg, le gouvernement français et la politique du gouvernement français étaient isolés.

Q. – Le Président aussi, alors !

R. – Non. Est-ce que nos amis allemands, nos amis anglais sont prêts à revenir aux 35 heures ? Non. Alors. Jospin a voulu faire croire qu’il avait fait l’adhésion de sous les pays européens sur sa politique sociale. Il était isolé, il était seul. Ce qu’il n’a pas aimé, c’est qu’on fasse remarquer aux Français que M. Jospin était tout seul et qu’il n’arrivait pas à imposer sa politique aux autres partenaires de la France.

Q. – C’est grave pour la cohabitation ?

R. – Non. Ça ne change rien. Vous vous souvenez quand M. Mitterrand était Président de la République et qu’en pleine grève il recevait les grévistes. Je crois qu’il est normal que chacun puisse s’exprimer, et je ne vois pas pourquoi – mais c’est vrai que M. Jospin n’aime pas ça, M. Jospin n’aime pas qu’il y ait une petite voix qui lui dise : « Ça ne va pas. » Vous savez, Jospin, c’est le prince de l’illusionnisme : il fait croire, il donne l’impression, il dit à tous les Français « Dormez bien, je suis là ». Et puis, quand il y a une petite voix qui dit : « Mais attendez : on déraille !  Attendez : le réveil va être difficile, douloureux parce qu’à force de charger la barque, à force de ne pas régler les problèmes, on va se retrouver dans les difficultés »...C’est les mêmes difficultés que nous avons, aujourd’hui, après 10 ans de socialisme : l’endettement de la France est dramatique ; nous sommes forcés d’emprunter pour rembourser les intérêts de la dette. C’est ça, les socialistes : on dépenses, et on laisse la facture aux autres. Eh bien, c’est ce qui se passe aujourd’hui.

Q. – Vous dressez un bilan totalement négatif de six mois du gouvernement Jospin ?

R. – Je cherche vainement ce qui est positif. Sauf pour M. Jopsin. Mais pour la France – car ce qui m’intéresse, c’est la France –, avez-vous le sentiment que ça va mieux ? Ça pète dans les banlieues ; la sécurité est de moins en moins assurée ; l’immigration et la lutte contre l’immigration illégale n’est pas faite ; quand vous savez qu’aujourd’hui, dans les cinq premier mois du gouvernement Jospin, il y a environ 15 % en moins d’arrêtés d’expulsion effectivement – j’insiste sur le mot « effectivement » – exécutés ça veut dire qu’on ne fait plus rien. Je pourrais multiplier...

Q. – Mais 60 % des Français le soutiennent.

R. – Vous savez, les sondages, ça vient, ça va. Moi, je me préoccupe de mon pays, et je suis inquiet d’un gouvernement qui ne règle aucun problème. C’est vrai qu’il réussit bien dans l’art du maquillage. Ça , il faut lui donner la médaille d’or du chef des maquilleurs.

Q. – Que pensez-vous des projets de certains parlementaires de gauche pour changer le mode d’élection des sénateurs ?

R. – Ça fait 50 ans que j’entends parler de ça. Même quand la gauche était au pouvoir, elle en parlait mais ne le faisait pas. Donc, ils vont continuer à en parler et ne le feront pas.