Déclaration de M. Lucien Rebuffel, président de la CGPME, sur la deuxième loi sur les 35 heures, notamment sur les heures supplémentaires, les accords de branche et les cotisations patronales, Paris le 8 septembre 1999.

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Circonstance : Conférence de presse commune CGPME/MEDEF sur la deuxième loi sur les 35 heures, Paris le 8 septembre 1999

Texte intégral

La première loi votée relative aux 35 heures devait permettre, selon les dires gouvernementaux, de donner un nouveau souffle au dialogue social, notamment la négociation de branche et d'entreprise prenant pour base la durée du temps de travail.

On parlait d'assouplissements concomitants à l'abaissement de la durée légale hebdomadaire, notamment à travers l'annualisation. On parlait aussi d'aides financières nouvelles, rapides ou futures, destinées à compenser les surcoûts dus à la loi. On semblait vouloir tenir compte, au moins selon certains, après la décision « brutale » d'abaissement de la durée légale hebdomadaire du travail, des contraintes posées aux entreprises et de la diversité de leurs caractéristiques.

Encore que nous, nous avions conscience que tout ce projet de réduction de la durée légale hebdomadaire du travail constituait une dangereuse exception française. Il faut se rappeler de la fameuse phrase de Monsieur Schröder...

En tout cas, les branches professionnelles, malgré toutes les réticences que leur inspirait la première loi votée, et compte tenu des assurances données quant au respect de ces accords, s'étaient engagées, dans leur très grande majorité, dans des négociations. Elles pensaient ainsi éviter de faire entrer toutes les entreprises dans le même moule et prendre en compte la variété des situations qu'elles connaissent. Dans le cadre de ces accords, estimaient-elles, on distinguerait bien la notion de durée légale hebdomadaire – 35 heures – et la notion de durée effective qui pourrait aller au-delà, notamment par le biais des heures supplémentaires payées à un taux raisonnable (10 à 15 % étaient souvent cités). On pourrait prévoir aussi une extension des dispositions relatives à l'aménagement du temps de travail, comme l'annualisation.

C'est pourquoi au final, près de 150 professions s'étaient engagées dans des négociations permettant de traduire l'abaissement de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures dans des conditions acceptables pour les entreprises. Cent dix, représentant plus de dix millions de salariés, avaient conclu ces négociations par un accord.

C'était déjà en soi une aventure car aucun pays développé n'emprunte cette voie qui entraîne évidemment un handicap de coût très important pour les entreprises françaises.

Or, le projet de deuxième loi balaie tout cela, balaie le dialogue social entamé qui attendait le sceau de la reconnaissance par le biais d'un texte dont la complexité le dispute à la rigidité.

En effet, toutes les mesures contenues dans le projet de deuxième loi, en négligeant. nombre de dispositions des accords de branches sur le sujet, visent, notamment à travers leur caractère complexe et rigide, à faire en sorte qu'in fine durée légale et durée effective se superposent exactement, que toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, leurs spécificités et les attentes de leurs salariés, tombent dans « l'entonnoir » des 35 heures de travail effectif.

Je donnerai trois exemples pour illustrer nos craintes.

1. – Celui des heures supplémentaires.

La complexité du régime des heures supplémentaires est effarante. Il comprend :

Deux périodes de transition :

– l'une concernant la « rémunération » des heures supplémentaires ;
– l'autre concernant le seuil d'application du contingent d'heures supplémentaires libre dé durée différente : un an pour la première, deux ans pour la seconde ;
– trois modes possibles de « rémunération » des heures supplémentaires - majoration de salaire, bonification" sous forme d'attribution d'un repos compensateur, paiement à un fonds (1) –, dont deux, dans certains cas, doivent se combiner ;
– quatre taux de rémunération (10 %, 15 %, 25 %, 50 %) selon que l'on vise les quatre premières heures supplémentaires au-delà de la durée légale hebdomadaire de 35 heures, les huit heures supplémentaires effectuées au-delà de la quatrième ou celles qui viennent après.

Si l'article 2 du projet de loi (qui modifie les articles L. 212-5 et L. 212-6) était voté en l'état, la pagination de ces articles dans l'édition Dalloz du code du travail serait quadruplée.

Sa rigidité n'est pas moindre :

D'abord, le contingent d'heures supplémentaires libre, d'après l'exposé des motifs du projet de loi, est fixé à 130 heures, ce qui est contraire aux besoins de beaucoup d'entreprises, notamment PME (les organisations patronales avaient proposé un contingent proche de 200 heures), et aux durées prévues par nombre d'accords de branche, par exemple le bâtiment-travaux publics (180 heures), le commerce et la réparation automobile (182 heures), la métallurgie (180 heures)…

Surtout, dans le régime définitif, après l'année de transition, le moyen normal de « rémunération » du salarié pratiquant les heures supplémentaires sera le repos compensateur, sauf accord spécifique de branche, d'entreprise ou d'établissement (souvent difficile à obtenir, notamment pour des raisons pratiques : absence de représentation syndicale), ce qui aboutira souvent de facto à empêcher le recours aux heures supplémentaires, le chef d'entreprise ne pouvant pas payer réellement le salarié.

2. – Deuxième exemple, la possibilité de traduire sous forme de durée annuelle (annualisation) la durée légale hebdomadaire du travail de 35 heures, assurant la compensation par les régimes de sécurité sociale du « nouvel » allégement de cotisations sociales prévu pour diminuer le surcoût lié à l'abaissement de la durée légale hebdomadaire du travail. La loi subordonne le recours à l'annualisation : non seulement à la signature d'une convention ou d'un accord collectif étendu ou d'une convention ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement, mais aussi au fait que cette durée annuelle n'excède pas 1 600 heures (soit 34 heures), ce qui aboutit, dans ce cas, à réduire encore la durée du temps de travail effectif.

Une véritable souplesse aurait dû consister, comme le demandaient les organisations patronales, à ouvrir la mécanique de l'annualisation, sur la base du volontariat, à toutes les entreprises et donc à permettre à l'ensemble des entreprises qui le voudraient de calculer les 35 heures en moyenne annuelle avec une durée annuelle de référence d'au moins 1 645 heures (35 heures X 47 semaines).

3. – Les aides financières pour compenser le surcoût (lié à la réduction de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures) et pour résoudre le problème général du niveau trop élevé des charges sociales patronales. Il s'agissait, selon les pouvoirs publics, d'un enjeu correspondant à 110 milliards de francs en année pleine. Cela aboutit d'ailleurs à reconnaître l'importance des surcoûts engendrés par l'abaissement de la durée légale hebdomadaire du travail et même, au-delà, le poids exagéré des charges sociales patronales.

Or, le « nouvel » allègement de cotisations patronales de sécurité sociale mentionné dans le projet de loi (allégement dégressif portant sur les salaires inférieurs à 1,8 fois le SMIC) n'est ouvert qu'aux entreprises qui :

– d'une part, ont « une durée collective du travail fixée au plus soit à 35 heures hebdomadaires, soit à 1 600 heures sur l'année » ;
– d'autre part, ont fixé la durée collective du travail ainsi requise au terme d'une mécanique extrêmement lourde.

Cette durée collective du travail doit être fixée :

– dans les entreprises dont l'effectif est au moins égal à 50 salariés, par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ;

– dans les entreprises dont l'effectif est inférieur à 50 salariés :
* soit par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ;
* soit en application d'une convention ou d'un accord de branche étendu ou d'un accord conclu avec des commissions paritaires professionnelles , ou interprofessionnelles territoriales.

Au surplus, « l'accord d'entreprise doit être signé par une ou des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections au comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ».

Si cette condition n'est pas satisfaite, une consultation du personnel peut être organisée à la demande d'une ou plusieurs organisations syndicales signataires.

L'accord ouvre droit à l'allégement s'il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.

Les mécanismes dérogatoires prévus pour les entreprises n'ayant pas de délégués syndicaux sont, quant à eux, d'une grande complexité, surtout pour les entreprises de moins de 50 salariés : approbation de l'accord par la majorité des salariés et validation par une commission paritaire.

Ainsi sont bannies du « nouvel » allègement de cotisations patronales de sécurité sociale toutes les entreprises travaillant, même légèrement, au-delà de 35 heures (36 heures ou 37 heures) et bien sûr toutes celles qui, notamment pour des raisons pratiques (pas de représentation syndicale), en particulier beaucoup de PME, ne sont pas sous l'empire d'un accord relatif aux 35 heures.

La logique eût voulu qu'au contraire le « nouvel » allégement soit applicable à toutes les entreprises et non pas seulement à celles qui sont sous l'empire d'un accord (de branche, d'entreprise ou d'établissement) fixant la durée collective du travail à 35 heures hebdomadaires ou 1 600 heures annuelles ; le problème de l'allégement des charges sociales patronales étant un problème global et ne pouvant être résolu par des mesures sélectives.

À travers toutes ces dispositions, on voit que la durée légale hebdomadaire du travail de 35 heures tend, par mille contraintes, à devenir obligatoire pour toutes les entreprises. Cela aboutit à nier, répétons-le, l'extrême diversité des entreprises et la très grande variété de leurs modes de fonctionnement.

Complexe, rigide, coûteuse et par ailleurs peu efficace pour l'emploi, telle nous apparaît cette loi qui, de plus, semble ne redouter aucun retournement de tendance dans la croissance. Or, nous savons que la vie économique est faite de retournements et que l'on ne peut tabler sur aucune certitude.

En ce sens, cette deuxième loi est un pêché contre les réalités. Elle doit donc, fondamentalement, être amendée dans le sens de la souplesse.

C'est le signal d'alarme qu'au nom des entreprises, notamment PME, les plus vulnérables et en même temps les plus créatrices d'emplois (près de 1 500 000 emplois nets créés depuis le 1er janvier 1981 par les établissements de moins de 200 salariés), nous lançons aux auteurs de la loi et aux parlementaires qui vont être invités à l'examiner.


(Source http://www.cgpme.fr le 21 septembre 1999)