Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Paris-Match" du 16 septembre 1999, sur le manque de concertation entre le gouvernement et les partenaires sociaux notamment en ce qui concerne le plan de réforme de la sécurité sociale, l'avenir des régimes de retraite, la loi sur les 35 heures et la politique de l'emploi.

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Média : Paris Match

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Q – Ras-le-bol des décisions prises en haut et annoncées sans concertation : c'est un coup de gueule ou un avertissement que vous venez de lancer à Martine Aubry ?

– Ce n'est ni un geste de mauvaise humeur ni l'expression d'une irritation, mais une interpellation solennelle au gouvernement, dans son ensemble, et non pas à un ministre en particulier. La qualité de la concertation est décisive pour la réussite des réformes. Si l'État pense qu'il peut ne compter que sur lui-même et sur son administration pour mener à bien les changements sociaux en profondeur dans notre pays, il se trompe. Sans s'assurer de la pleine implication des acteurs sociaux dans les réformes, il risque de faire naître bien des désillusions : le grand écart entre les espoirs suscités et la réalité est un exercice dangereux…

Q – C'est une attaque en bonne et due forme de la fameuse méthode Jospin…

– La méthode Jospin ne s'applique malheureusement qu'au politique. Elle me paraît être très au point dans la gestion des rapports au sein de la majorité plurielle, mais elle n'est ni aussi bien pensée ni aussi bien pratiquée avec les acteurs de la vie civile, et en particulier avec les partenaires sociaux. Mais il est encore temps de la mettre en application sur le terrain social… si le gouvernement veut vraiment voir aboutir ses chantiers.

Q – Est-ce à cause du rejet du plan stratégique de la sécu présenté à Martine Aubry par la CNAM, dont vous êtes gestionnaire, que vous montez au créneau ?

– Le gouvernement, à ce jour, n'a ni rejeté ni approuvé ce plan, mais je n'imagine pas que cela reste durablement en l'état. Ce plan n'est pas à prendre ou à laisser, bien au contraire, il peut faire l'objet de désaccords et être amendé. Nous entrons dans une phase où la confrontation, l'échange avec le gouvernement doivent avoir lieu car l'assurance-maladie a besoin d'une réforme qui privilégie la qualité des soins pour tous au meilleur coût.

Q –Le constat que vous faites de vos relations avec l'équipe au pouvoir n'augure rien de bon dans la perspective du chantier des retraites. Ce dossier est-il explosif pour le gouvernement ?

– Ce qui est explosif, c'est le statu quo. En 2005, si rien n'est décidé, les régimes de retraite et l'état n'auront plus les moyens financiers de garantir le niveau actuel de pension à leurs retraités. Il ne s'agit pas pour nous de faire dans le catastrophisme, mais de regarder la situation telle qu'elle est. Anticiper le plus possible, c'est faire reculer la menace du choc démographique.

Q – Vous croyez vraiment que les fonctionnaires sont prêts à entendre cet appel à la raison ?

–Le rapport Charpin a le mérite de mettre en évidence que les salariés sont concernés, ceux du privé comme ceux des fonctions publiques et des régimes spéciaux. Les moyens financiers à mobiliser pour sauvegarder le niveau de leurs pensions sont énormes. La réforme, à l'évidence, doit les concerner. Il en va de leurs propres intérêts. Je suis certaine qu'ils en sont conscients.

Q – La croissance est de retour, le chômage est à la baisse. Les bénéfices des entreprises sont à la hausse et les Français ont confiance en l'avenir… Autant de bonnes nouvelles ne risquent-elles pas de sortir les salariés de leur torpeur et de les pousser à remonter au front des revendications salariales ?

– Parce que nous entrons dans une nouvelle période qui marque une inversion réelle de tendance sur le front du chômage, les revendications salariales ne doivent pas être un objectif qui en exclurait d'autres. C'est justement au moment où l'on voit revenir les fruits de la croissance qu'il faut garder le cap sur l'objectif du plein-emploi. Les excédents budgétaires doivent être placés sur un investissement d'avenir. Le fonds de réserve, créé pour les retraites, voilà une affectation qui me paraît particulièrement évidente !

Q – Parlons des 35 heures. Le patronat trouve le deuxième projet de loi contraignant ; les inspecteurs du travail trop complexe ; les PME pénalisant ; la CGC défavorable aux cadres ; et la CGT trop peu soucieux des aspirations des salariés. Et la CFDT alors ?

Le projet tel qu'il se présente est perfectible, mais gardons-nous de définir un cadre légal qui serait de nature à trop rigidifier les négociations. C'est une illusion de penser que la loi peut être transformée en modèle standard applicable à toutes les branches, à toutes les entreprises. La réduction du temps de travail ne se pratique pas de la même façon dans un supermarché et dans une usine chimique ! Laissons les salariés et leurs représentants syndicaux négocier la réforme adaptée à la situation de leur entreprise ! C'est ainsi que la réduction du temps de travail remplira ses promesses tant à l'égard des salariés que celui de l'emploi.

Q – Trouvez-vous justifié l'autosatisfecit que vient de se décerner, en cette rentrée, le gouvernement Jospin ?

– Franchement, un gouvernement qui ne tirerait pas parti de bons résultats économiques serait un peu masochiste. Qu'il mette en avant la pertinence de sa politique économique est justifié, mais de là à considérer que le bout du tunnel est visible, c'est un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Avec encore 11,2 % de chômeurs, il serait incongru d'oublier que nous restons l'avant-dernier pays européen en nombre de sans-emploi ! Ce n'est pas le moment de lever le pied ni d'abandonner les politiques au service de l'emploi.