Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, dans "Le Parisien" du 28 juillet 1999, sur la deuxième loi sur les 35 heures, la situation économique, les accords de branche, la flexibilité et la participation au financement des 35 heures par les organismes sociaux.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q – Votre deuxième loi sur les 35 heures passe aujourd'hui en conseil des ministres. Le dernier bilan montre une nette accélération, au cours des trois derniers mois. Vous êtes soulagée ?

– L'objectif numéro un des 35 heures, c'est l'emploi. Aujourd'hui, la preuve est faite que la réduction du temps de travail crée des emplois : moins d'un an après le vote de la loi, 100 000 emplois ont été créés ou préservés. Et même 135 000 depuis le 10 octobre, date de l'annonce des 35 heures. Ce qui équivaut à la baisse du chômage enregistrée en 1998, qui est une des meilleures années jamais réalisées ! Par rapport aux inquiétudes qui se sont exprimées au début, je reste sereine : j'ai toujours dit qu'il fallait du temps pour passer aux 35 heures. C'est l'assurance d'une négociation de qualité, qui ne porte pas atteinte à la compétitivité des entreprises, qui permette aux entreprises de mieux fonctionner et aux salariés de vivre et travailler mieux.

Q – L'accélération des accords est quand même liée au fait que les aides de l'État devenaient moins intéressantes à partir du 30 juin ?

– C'est vrai, mais les entreprises savent aussi que la réduction de la durée du travail va avoir lieu au 1er janvier 2000, et beaucoup d'entre elles ont envie d'être en ordre de marche. De nombreuses grandes entreprises n'avaient pas droit aux aides, étant déjà à moins de 39 heures, et n'avaient donc pas de raison de se précipiter. On va donc continuer à avoir des accords d'ici à la fin de l'année. Nous sommes en fait au-delà de nos prévisions.

Q – On reproche à votre loi de susciter un « effet d'aubaine » pour les entreprises…

– Franchement, je ne connais pas d'entreprise qui sache faire d'un coup 11,4 % de productivité ! Quand on regarde à la loupe les entreprises qui passent à 35 heures, on se rend compte que dès que l'accord est signé la courbe d'augmentation des emplois part en flèche. L'effet d'aubaine, s'il existe, reste très faible. La baisse du chômage s'est même accélérée en dépit du « trou d'air » que l'économie a traversé et alors que les emplois-jeunes sont en vitesse de croisière. Même si les embauches déjà réalisées ne représentent qu'une partie de ce qui a été négocié, il y a une fenêtre sur l'emploi qui va s'accentuer dans les prochains mois.

Q – Vous êtes donc optimiste sur l'évolution future du chômage ?

– Avec la bonne tenue de la croissance, les emplois-jeunes et la réduction du temps de travail qui monte en charge, nous aurons encore en 1999 une baisse importante du chômage.

Q – Et le coût de cette politique de l'emploi pour le contribuable ?

– Un emploi créé grâce à la réduction du temps de travail coûte entre 55 000 et 75 000 francs par an à la collectivité, contre 94 000 francs pour un emploi-jeune et 1 million de francs pour les réductions de charges, la première année ! Les 35 heures, c'est la mesure emploi la moins coûteuse.

Q – De nombreuses critiques concernent l'augmentation de la flexibilité…

– Moi, je vois que 85 % des salariés qui sont passés à 35 heures se déclarent satisfait, que 91 % des accords signés le sont par tous les syndicats, et que les salariés sont consultés, ils sont 80 à 100 % à approuver l'accord. Entre la flexibilité subie, par le passé – avec modulations horaires allant de 30 à 48 heures, pas de délai de prévenance, etc. – et ce qui est négocié dans les accords – dans un cas sur deux, la modulation est de 30 à 39 heures seulement –, il y a une réelle prise en compte des aspirations personnelles des salariés. Eux aussi ont obtenu des libertés et des souplesses. Faisons confiance aux gens pour savoir ce qui leur convient, au lieu de penser à leur place !

Q – Les entreprises trouvent le nouveau dispositif bien compliqué.

– La réglementation est toujours compliquée car elle s'applique à des entreprises très différentes. Dans la deuxième loi, nous avons simplifié des dispositions les plus complexes et clarifié ce qui relève de la loi et ce qui est du ressort de la négociation. Il y aura désormais moins de pages dans le code du travail !

Q – Les organismes sociaux sont censés participer au financement des 35 heures, mais ils ne sont pas d'accord. En cas de refus, que ferez-vous ?

Tout le monde gagne à la réduction du temps de travail : l'Unedic, l'Urssaf, le fisc. Chacun paiera au prorata de ce qu'il gagne. J'espère y arriver par la négociation et pas seulement par la loi.

Q – Vous-même, vous n'êtes pas un modèle pour les 35 heures, surtout depuis qu'il n'y a plus de secrétaire d'État à la santé…

– Je suis l'exemple à ne pas suivre ! Rassurez-vous, je pars quand même en vacances du 7 au 25 août, en Toscane, puis dans le Midi.

Q – Comment voyez-vous le remplaçant de Bernard Kouchner ?

– Si cela pouvait être une remplaçante, je serais ravie !