Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, et interviews à "Lietuvos Rytas" et "Veidas", sur le développement des relations économiques entre la France et la Lituanie, le projet de conférence européenne pour l'élargissement de l'Union, la nécessité de réformer les institutions européennes et la crise monétaire en Asie, Vilnius le 4 décembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. Moscovici en Estonie, Lituanie et Lettonie du 3 au 6 décembre 1997 - en Lituanie le 4

Média : Lietuvos Rytas - Veidas

Texte intégral

conférence de presse conjointe du ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Pierre Moscovici et du ministre lituanien des affaires étrangères, M. Saudargas – propos du ministre délégué, à Vilnius 4 décembre 1997

Je dois dire qu'au cours de ces 24 heures en Lituanie j'ai reçu un accueil exceptionnel. Et je crois que cela est dû à la qualité des relations entre nos deux pays. J'ai été reçu par le Président de la République M. Brazauskas, que j'ai déjà rencontré à Paris, par le Premier ministre M. Vagnorius, par M. Landsbergis, que j'avais déjà vu à Paris à son domicile, nous avons eu un dîner très sympathique avec M. Saudargas, ce matin un entretien de travail, puis Mme Andrikiene que j'avais également déjà vue à Paris. Tout cela prouve encore une fois le souhait des autorités lituaniennes et françaises d'avoir des relations très proches.

Sur le fond, nous avons parlé de deux sujets : d'abord de l'Union européenne, beaucoup de l'Union européenne. Je ne sais pas non plus quelles seront les conclusions du Luxembourg. Mais la position de la France est claire, nous voulons que le processus d'élargissement soit un processus global. Que tous les pays soient sur la même ligne du départ. Que soit mise en place une Conférence européenne qui réunira tous les chefs d'État et de gouvernement des 15 pays membres et de tons les candidats. Nous souhaitons que cette conférence qui pourrait se tenir au début mars soit le point de départ de toutes les négociations d'adhésion. Nous voulons que tous les candidats sans exception se voient offrir des partenariats d'adhésion, des aides qui soient équivalentes. Nous souhaitons, quelle que soit la liste des pays retenus à Luxembourg, qu'il y ait une évaluation permanente et annuelle de telle sorte que ce que l'on appelle le « screening », avec des critères, M. Saudargas y a insisté, de telle sorte que ce processus soit non seulement global mais évolutif.

Enfin, il y a une chose que je veux dire sur la Lituanie particulièrement. C'est probablement le pays parmi les trois États baltes avec lequel nous avons les relations affectives, culturelles, historiques les plus profondes. J'ai été défendre à l'Assemblée nationale et au Sénat les accords d'associations avec la Lituanie. La question de tous les partenaires, de tous les partenaires, était : quand la Lituanie sera-t-elle dans l'Union européenne ? Je ne peux pas répondre à cette question parce que les négociations vont durer un certain nombre d'années. Ce que je peux dire, c'est que ma position est aussi celle du Président de la République. Si chacun fait ce qu'il fait, si les réformes se poursuivent, il n'y a pas de raison que les trois États baltes n'adhèrent pas le même jour à l'Union européenne. Donc, si tout le monde est sur la même ligne du départ, et si tout le monde est sur la même ligne d'arrivée, ce qui se passe au milieu est peut-être un peu moins important.

Le deuxième point dont nous avons parlé concerne nos relations économiques. Elles sont bonnes, et elles progressent à une très grande vitesse. Nos échanges ont augmenté de 70 % sur les premiers mois de l'année. Je suis venu ici avec les chefs de grandes entreprises françaises pour essayer de consolider les grands projets, les grands contrats et d'aider à la réalisation d'investissements français en Lituanie. Et les entretiens que j'ai eus là-dessus me rendent très optimiste. Ce n'est pas à moi de faire des annonces économiques, je veux simplement citer Mme Andrikiene. En parlant d'un certain nombre d'entreprises françaises, elle a dit : si les affaires ne se font pas avec ces entreprises, ce sera un échec pour la Lituanie. Et comme je veux le succès de la Lituanie, je veux le succès de ces contrats. Cet aspect économique rejoint le premier. La marche vers une économie de marché très intégrée à l'économie européenne, le renforcement des liens entre nos deux pays, tout cela va dans le même sens : la vocation et la place de la Lituanie sont en Europe. Et je suis très heureux d'avoir été là, à la fois pour le constater, et pour le dire.

Un dernier mot. Nous sommes à une semaine de Luxembourg. Le gouvernement lituanien fera tous ces efforts dans la semaine pour convaincre. L'avis de la France est un avis parmi d'autres. Je ne connais pas le résultat de Luxembourg. Mais quel que soit ce résultat, il faudra que la Lituanie continue à se battre pour sa place en Europe après le Sommet. J'ai ressenti de la part de tous les responsables que j'ai rencontrés une volonté extrêmement forte de se battre. Les Français seront avec eux.

Question : Vous avez parlé de certaines variantes après le Sommet de Luxembourg et de la stratégie. Quelle variante voyez-vous, si la Lituanie ne commence pas les négociations ?

Réponse : Je peux peut-être vous donner la position de la France là-dessus. De toute façon, la Lituanie sera considérée comme un pays qui a vocation à adhérer à l'Union. Alors finalement il y a deux solutions. Soit, les négociations sont ouvertes immédiatement, vous n'aurez qu'à vous en réjouir. Soit elles ne sont pas ouvertes immédiatement, alors nous devrons faire ensemble ce qu'il faut pour qu'elles s'ouvrent très rapidement. Et là-dessus vous pouvez compter sur la France, encore une fois c'est le sens de mon message. Il ne faut pas que le résultat de Luxembourg, quel qu'il soit, soit un coup d'arrêt de la marche de la Lituanie vers l'Europe.

Question : La question très importante pour la Lituanie, c'est la question de sa sécurité. Comment évaluez-vous les chances de la Lituanie de s'intégrer à l'OTAN ?

Réponse : Je me bornerai pour ma part à répondre sur l'OTAN. Mon rôle n'est pas d'évaluer des chances ou faire des pronostics. Je me contenterai de rappeler ce qui a été décidé à Madrid. La porte est ouverte.

Question : Quelle est votre avis après la visite, est-ce que la Lituanie est déjà prête pour adhérer à l'Union européenne ? Comme vous le savez peut-être, nous sommes actuellement en campagne électorale. Est-ce que la politique de la Lituanie changera après avoir élu l'un ou l'autre candidat ?

Réponse : Vous vous doutez bien que je ne peux pas parler des élections présidentielles à l'heure actuelle. Mon impression c'est quand même qu'il y a un très large consensus sur la vocation européenne de la Lituanie. Pour le reste, bien sûr, mon impression est modifiée après mon séjour en Lituanie. C'est une chose très différente que de lire un papier, des avis, des rapports, et de pouvoir rencontrer des dirigeants motivés, de voir une société qui vit, et de conclure des échanges économiques. Je repars d'ici avec la conviction que la Lituanie peut, veut rejoindre l'Union européenne. Je crois que vos dirigeants sont très conscients du chemin qu'il reste à parcourir, mais la direction est la bonne.

 

Lietuvos Rytas - 4 décembre 1997

Lietuvos Rytas : En 1990, au moment où la Lituanie a restauré son indépendance, le Président François Mitterrand a été assez hostile à notre égard. Il disait « Qu'est-ce que c'est que ces Lituaniens ? Ils n'ont presque jamais été indépendants. Et encore moins souvent démocrates ». Ou encore « Ce Landsbergis est un fou. La Lituanie n'a aucune réalité. » (Jacques Attali, Verbatim III, Paris 1995,). Y a-t-il une explication à cette position quasiment méprisante et que pensez-vous de notre pays ?

Pierre Moscovici : Je n'ai pas de goût naturel pour la révérence marquée, mais quitte à citer François Mitterrand j'aurais préféré une citation directe. Il est venu à Vilnius et s'est exprimé devant le Parlement lituanien pour saluer « le courage et la résolution des patriotes lituaniens », pour rendre hommage à « un vieux peuple d'Europe qui a toujours eu la fierté de rester lui-même ».
J'ai eu pour ma part de nombreux contacts avec les autorités lituaniennes. J'ai rencontré, à deux reprises, le président Brazauskas, ainsi que M. Vytautas Landsbergis, le président du Parlement. Enfin ma visite aujourd'hui témoigne de l'intérêt, de l'amitié et de la confiance de la France.

Lietuvos Rytas : Quelle sera la position de la France sur l'élargissement au Sommet de Luxembourg ?

Pierre Moscovici : Nous voulons l'élargissement. Il n'y pas la moindre réserve sur ce projet, qui constitue un défi historique majeur. Et nous voulons un élargissement réussi. D'abord l'élargissement est une démarche globale qui s'adresse à l'ensemble des pays candidats. C'est pourquoi nous avons proposé l'idée d'une Conférence européenne qui serait l'expression multilatérale de l'élargissement, un cadre de dialogue et de coopération dans lequel nous nous retrouverions tous - les Quinze et l'ensemble des pays candidats - tout de suite.

En même temps, des différences existent entre les pays. C'est un constat de réalisme. Avec ceux pays qui seront prêts, il faut ouvrir les négociations d'adhésion. Mais il ne s'agit pas d'une distribution des prix, il faut au contraire garder une attitude ouverte, souple et pragmatique, pour que tous soient encouragés à poursuivre leurs efforts.

Enfin, nous voulons avant le prochain traité d'adhésion, une réforme des institutions. Au fil des élargissements, les institutions prévues pour Six n'ont pas suffisamment évolué. Aujourd'hui le processus de décision est enlisé. Elargir sans réformer c'est risquer la paralysie. Personne n'y a intérêt ni les Etats membres, ni les futurs États membres. Je milite pour une Europe qui marche, c'est à dire qui décide. Il me paraît possible de régler cette question dans des délais rapprochés. Mais cette position n'est pas une condition au lancement du processus d'élargissement.

Lietuvos Rytas : La France propose une Conférence européenne. De quoi s'agit-il concrètement ?

Pierre Moscovici : Cette conférence est tout à fait importante, pour nous, elle est le lieu où tous les pays, qui partagent désormais une communauté de destin, prennent ensemble leurs affaires en mains. C'est une façon d'assumer collectivement nos responsabilités vis-à-vis de l'Europe. Nous avons proposé que soient invités à cette conférence tous les pays candidats et plus généralement tous les pays dont la vocation européenne a été reconnue par l'Union, y compris la Turquie. Pour nous, tous ces pays devraient s'efforcer de mettre en œuvre des coopérations nouvelles sur tous les terrains de commun intérêt ; ce peut être des questions de sécurité, de lutte contre tous les trafics, des questions commerciales, de développement d'infrastructure, des questions environnementales, bref tous les dossiers qui intéressent directement l'Europe. C'est pourquoi cette conférence n'est pas une rencontre ponctuelle, mais doit être un cadre permanent, avec des réunions centrées sur des sujets concrets, de coopération et de dialogue politique.

Lietuvos Rytas : Il y a eu beaucoup de critiques, y compris de la part de députés français, sur la décision de la Commission de commencer les négociations avec la seule Estonie, qualifiée de décision politique. Qu'en pensez-vous ?

Pierre Moscovici : Je reconnais que nous nous sommes interrogés sur le choix d'un État balte, plutôt que de trois. D'autres ont pu se demander pourquoi un État balte plutôt qu'aucun ! Il me semble que la proposition de la Commission doit être comprise comme un signe positif pour l'ensemble des Pays baltes.

Lietuvos Rytas : L'avis de la commission dit que pour le moment aucun pays ne remplit les conditions. Alors pourquoi ne pas commencer les négociations avec tout le monde et voir après qui arrive le premier ? D'autant qu'il ne s'agit pas de véritable négociation, mais d'un long processus de mise en place de l'acquis communautaire qui ne se négocie pas ?

Pierre Moscovici : Certains partenaires ont, un temps, pensé que les négociations devaient s'ouvrir avec tous les pays candidats à la fois. Cette position n'a pas été jugée réaliste : discuter avec tout le monde c'est ne négocier avec personne. Mais les choses doivent être bien claires. Les « Onze » sont sur la même ligne de départ et il y aura avec tous des pourparlers préparatoires. Pour ceux qui seront mieux préparés, il y aura les négociations d'adhésion, sur un rythme plus soutenu.

Vous avez raison de dire que les acquis communautaires ne se négocient pas. Cela ne signifie pas que les négociations d'adhésion sont une formalité, c'est au contraire un exercice difficile, qui vise, précisément, à permettre la reprise intégrale de l'acquis communautaire, après des périodes de transition plus ou moins longues. Personne ne veut d'une Union diluée ou de membre de seconde catégorie.

Lietuvos Rytas : L'Angleterre et quelques autres pays européens ont supprimé l'obligation du visa pour la Lituanie. Pourquoi pas la France ?

Pierre Moscovici : Il est vrai que la France maintient l'obligation du visa pour les trois États baltes. Elle coordonne sa politique des visas avec les autres pays appartenant au groupe « Schengen ». Je pense que cette politique est appelée à évoluer favorablement s'agissant des Pays baltes, encore faudra-t-il que toutes les précautions soient prises pour faciliter la circulation toute en garantissant la sécurité, cela passe par le renforcement de notre coopération dans ce domaine.

Lietuvos Rytas : La présence économique de la France est relativement faible dans les Pays baltes. À qui la faute ? Que peut-on faire pour l'améliorer ?

Pierre Moscovici : Nos relations économiques et commerciales sont aujourd'hui à un niveau trop modeste. Notre présence économique, notamment en Lituanie, devrait être plus significative, en particulier dans le domaine des investissements. Il y a un fort décalage entre nos relations politiques, empreintes de sympathie et de confiance, et nos relations commerciales, pour lesquelles il faudrait surmonter une certaine « frilosité ». Cela dit, nous pouvons inscrire quelques succès à l'actif d'entreprises françaises, je pense à Thomson, à Thomscast, je pense à Chargeurs textiles. J'espère que ces réussites seront bientôt suivies par d'autres. Il y a du travail à faire, c'est la raison pour laquelle des hommes d'affaires représentant

Matra-Communication, la Lyonnaise des eaux, GEC-Alsthom, et France-Télécom, m'accompagnent dans votre pays.

 

Hebdomadaire Lituanien « Veidas » - 4 décembre 1997

Veidas : Le sommet de l'Union aura lieu le 12 décembre prochain. Quelle est la position de la France sur l'élargissement ?

Pierre Moscovici : L'élargissement est une des questions majeures du prochain Conseil européen, c'est lors de ce sommet que seront prises les décisions qui permettront l'ouverture du processus. Il s'agit pour nous d'un rendez-vous crucial.

Nous voulons l'élargissement. Il n'y pas la moindre réserve sur ce projet, qui constitue un défi historique majeur. Et nous voulons un élargissement réussi. Il y a plusieurs éléments pour garantir le succès de ce processus. Nous avons fait des propositions.

D'abord, l'élargissement est une démarche globale qui s'adresse à l'ensemble des pays candidats, à l'ensemble des pays dont la vocation européenne a été reconnue. C'est pourquoi nous avons proposé l'idée d'une Conférence européenne qui serait l'expression multilatérale de l'élargissement, un cadre de dialogue et de coopération dans lequel nous nous retrouverions tous - les Quinze et l'ensemble des pays candidats - tout de suite. Cette conférence est tout à fait importante, pour nous, elle est le lieu où tous les pays, qui partagent désormais une communauté de destin, prennent ensemble leurs affaires en mains. C'est-à-dire s'efforcent de mettre en œuvre des coopérations nouvelles sur tous les terrains de commun intérêt ; ce peut être des questions de sécurité, de lutte contre tous les trafics, des questions commerciales, de développement d'infrastructure, des questions environnementales, bref de tous les dossiers, même économiques qui intéressent directement tous les pays d'Europe. En même temps des différences existent et existeront entre l'état de préparation des uns et de autres. C'est un constat de réalisme. Avec les pays qui seront prêts des négociations d'adhésion pourront être ouvertes aussitôt. Mais il ne s'agit pas d'une distribution des prix, ce n'est pas une sélection close, il faut au contraire garder une attitude ouverte, souple et pragmatique, de telle sorte que les évolutions à venir puissent être prises en compte, que tous les pays soient encouragés à poursuivre leurs efforts.

Enfin il y a ce que nous appelons le préalable institutionnel. Je voudrais faire toute la clarté sur cette question décisive, mais qui a pu susciter, ici ou là, quelques malentendus. Nous voulons une réforme des institutions. C'était, pour nous, un objectif central de la dernière Conférence intergouvernementale. Pourquoi ? parce que, au fil des élargissements successifs, les institutions prévues pour Six n'ont pas suffisamment évolué. Aujourd'hui, à Quinze c'est extrêmement difficile, le processus de décision est enlisé. Élargir, à dix-huit, vingt ou plus, sans réformer c'est choisir le risque de la paralysie. Personne n'y a intérêt ni les États membres, ni les futurs États membres. Je milite pour une Europe capable d'affirmer son identité, de mettre en œuvre ses politiques communes, de peser sur les grandes questions internationales. Bref, pour une Europe qui marche, c'est-à-dire qui décide.

Nous souhaitons une réforme qui s'articule autour de trois points. Une Commission réduite retrouverait son rôle d'organe collégial de proposition. Le vote à la majorité qualifiée doit être étendu pour alléger le processus de décision. Cela serait d'autant plus facilité que les États membres retrouveraient au sein du Conseil un poids plus conforme aux réalités économiques et démographiques. Cette réforme, qui répond à une double exigence d'efficacité et de démocratie, est simple. Des discussions ont déjà eu lieu sur ce dossier. Il me paraît possible de régler cette question dans des délais raisonnables, c'est à dire rapprochés.

Quand je parle de « préalable institutionnel », cela signifie que nous voulons aboutir à un accord avant la signature du prochain traité d'adhésion. Ce n'est pas une condition au lancement du processus d'élargissement. Je le répète, cela va se faire dans les prochains mois, nous y sommes et engagés et attachés.

Veidas : Que pensez-vous des recommandations de la Commission européenne d'inviter aux négociations avec l'Union européenne seulement l'Estonie, parmi les trois Pays baltes ?

Pierre Moscovici : Vous parlez de « négociations avec l'Union » : je le précise, c'est très important, le dialogue, la coopération avec l'Union européenne ne se réduisent pas aux négociations d'adhésion. Les accords d'association seront renforcés, il y aura mise en place de véritables stratégies de pré-adhésion avec chacun. La Conférence européenne sera lancée. Donc dans tous les cas, quelle que soit la décision du prochain Conseil européen de Luxembourg, sur la fameuse liste, les relations entre l'Union et les pays candidats seront plus intenses, au niveau bilatéral, comme au niveau multilatéral.

Quant aux recommandations de la Commission, nous avons dit, dès le mois de juillet, que c'était un travail sérieux et éclairé. Je suis convaincu que la question centrale n'est pas la liste mais la démarche adoptée pour le processus d'élargissement. Les choses doivent être bien claires. Les Onze sont sur la même ligne de départ et il y aura avec tous des pré-négociations, des négociations préliminaires si vous préférez. Quant à ceux qui seront mieux préparés, il y aura les négociations d'adhésion, sur un rythme plus soutenu. II est vrai que certains partenaires ont, un temps, pensé que les négociations d'adhésion devaient s'ouvrir avec tous les pays candidats à la fois. Cette position n'a pas été jugée réaliste : discuter avec tout le monde c'est ne négocier avec personne. Dans notre approche la question de la liste est seconde, et cette liste, comme je le disais, doit rester ouverte.

Je reconnais que nous nous sommes également interrogés sur le choix d'un État balte, plutôt que de trois. D'autres ont pu se demander pourquoi un État balte plutôt qu'aucun ! II me semble que la proposition de la Commission doit être comprise comme un signe positif pour l'ensemble des Pays baltes. C'est un engagement clair.

Veidas : Comment évaluez-vous les perspectives d'adhésion des pays d'Europe de l'Est ? comment évaluez-vous la préparation des pays issus de l'ex-Union soviétique aux négociations ?

Pierre Moscovici : Nous abordons l'élargissement de manière globale et la question de l'adhésion selon les mérites propres de chacun, nous n'avons pas choisi un traitement en terme de « zones ». Des différences géographiques, historiques, culturelles existent entre les pays d'Europe de l'Est, ceux issus de l'ex-Union soviétique ou ceux de l'Europe du Sud-Est, il en existe d'autres, quelquefois plus fortes, entre chacun de ces pays, mais le fait saillant, celui qui compte désormais, c'est notre communauté de destin à nous tous, États membres ou futurs États membres. Futurs États membres cela veut dire que tous les pays candidats sont appelés à rejoindre l'Union au terme du processus d'élargissement.

Certes ce processus s'inscrit dans la durée. Il connaîtra des différenciations. Certains pays rejoindront l'Union avant d'autres. Nous avons fixé des critères, économiques et politiques, les critères de Copenhague, du nom du Conseil européen de juin 1993, pour l'ouverture des négociations d'adhésion. De même une fois ouvertes, avec tel ou tel pays, ces négociations doivent être conduites à leur terme, selon leur logique propre, à leur rythme. Mais nous sommes disposés à accueillir tous les pays candidats. Encore une fois au lancement du processus, les « Onze » sont sur une même ligne de départ, des pré-négociations auront lieu avec tous les pays candidats.

Veidas : Pourquoi la France soutient beaucoup la Roumanie et les autres pays de l'Europe du Sud-Est ?

Pierre Moscovici : Nous soutenons la Roumanie, nous soutenons aussi la Lituanie. Nous soutenons les pays de l'Europe du Sud-Est. Nous demandons par ailleurs que la Turquie fasse partie de la Conférence européenne. En réalité nous sommes attachés à une certaine idée de l'Europe, d'une Europe présente du Nord au Sud, à l'Est comme en Méditerranée, d'une Europe capable d'affirmer son identité, tout en respectant la diversité des peuples et des nations qui la composent, d'une Europe qui soit à la fois un espace de solidarité et une puissance, d'une Europe de la paix et de la sécurité qui n'exclut personne.

Veidas : L'idée de « centre de l'Europe » est apparue il y a deux ans. Ce centre devait être formé par la France, l'Allemagne et le Bénélux. Pourquoi ce plan a-t-il été refusé ?

Pierre Moscovici : Il n'y a jamais eu de tel plan. Il y a eu, dans la presse, un certain nombre d'idées, portées par des responsables et des animateurs politiques, qui ont nourri le débat permanent sur l'Europe, mais ce ne fut jamais un projet. Ainsi a-t-il été question d'une « Europe à géométrie variable », d'une « Europe à deux vitesses », des « cercles concentriques », du « noyau dur »... Pour moi les choses sont simples : il y a l'Europe et il y a l'Union, et les pays candidats doivent rejoindre l'Union. Je ne connais pas de peuple, je ne connais pas d'État qui souhaiterait appartenir à une Union de seconde classe, à la périphérie ou à la banlieue de l'Union. Le temps des pays satellites, des pays annexés est révolu. L'Union élargie n'est pas une Union au rabais. Cela a une conséquence importante : les pays candidats doivent être préparés à reprendre intégralement les acquis communautaires. C'est un effort considérable, nous sommes déterminés à les soutenir dans cet effort.

Veidas : Le ministère des affaires européennes s'occupe de notre image en Occident, des questions de privatisation recherche des partenaires, même en Asie. Quel est votre rôle ?

Pierre Moscovici : J'ai moi aussi ces mêmes préoccupations. Si je devais présenter ma mission, comme ministre des Affaires européennes, je dirais qu'elle est triple.

Il y a un rôle classique, un rôle diplomatique qui concerne les négociations conduites ou coordonnées avec nos partenaires européens, aux côtés du ministre des affaires étrangères et sous l'autorité du Premier ministre et du Président de la République. Ensuite il y a un rôle de coordination entre les différents ministères et les différentes administrations pour éclairer le gouvernement sur les enjeux politiques extérieurs et intérieurs des dossiers européens. Enfin, et c'est un élément important, il y a un rôle d'information, de communication et de mobilisation de l'opinion publique française suries grandes échéances européennes. Dans cette activité je m'adresse à l'ensemble de la société française, le monde des affaires et celui des salariés, les élites sociales comme les couches populaires, les étudiants comme les retraités. L'originalité de ma mission tient à ce que le ministre des Affaires européennes est l'interface entre l'Europe et la vie intérieure française.

Veidas : Avez-vous eu des contacts avec le ministère des affaires européennes de Lituanie avant cette visite ?

Pierre Moscovici : Vous savez, les contacts entre les deux ministères sont beaucoup plus fréquents qu'on ne l'imagine ordinairement. Cela se fait quasi quotidiennement par le biais de nos ambassades à Paris et à Vilnius, cela se passe aussi à Bruxelles ou à Luxembourg. Personnellement depuis ma prise de fonctions, en juin dernier, j'ai eu l'occasion de plusieurs contacts avec les autorités de Lituanie. J'ai ainsi rencontré, à deux reprises, le 7 juillet à Paris et le 10 octobre à Strasbourg, le président Brazauskas en compagnie du ministre des affaires étrangères, M. Saudargas. J'ai également eu un entretien avec M. Vytautas Landsbergis, le président du Parlement, le 9 octobre à Paris. Enfin, nous avons eu un long entretien de travail avec M. Laima Andriekiene, le 31 juillet, à Paris, quelques jours après la publication de l'avis de la Commission.

Veidas : Le gouvernement lituanien a commencé à mettre en place des représentations commerciales auprès des États membres de l'Union européenne. Comment évaluez-vous cette idée ? La Lituanie est-elle connue en France ? Que sait-on en France des réformes économiques et des possibilités d'investissement dans notre pays ?

Pierre Moscovici : J'aurais tendance à dire que c'est une excellente idée, d'autant que nous faisons la même chose. Comme vous le signalez, ce qui importe c'est que les uns et les autres se connaissent, une représentation commerciale peut contribuer à cette meilleure connaissance, mais je suis convaincu que le moyen le plus sûr pour attirer les investisseurs potentiels c'est une « success story » - comme disent les Anglais - avec quelques-uns d'entre eux. Cela aurait un fort effet d'entraînement dans l'ensemble du milieu d'affaires en France.

Veidas : Quelle est votre appréciation de l'état des relations économiques et commerciales entre la Lituanie et la France ? Que faudrait-il faire pour qu'elles deviennent plus intenses ?

Pierre Moscovici : Nos relations économiques et commerciales sont aujourd'hui à un niveau modeste, trop modeste. Notre présence économique en Lituanie devrait être plus significative, en particulier dans le domaine des investissements, pour lequel nous n'occupons que le douzième rang, c'est franchement insuffisant. Il y a un fort décalage entre nos relations politiques, empreintes de sympathie et de confiance, et nos relations commerciales pour lesquelles il faudrait surmonter une certaine « frilosité ». Cela dit, nous pouvons inscrire quelques succès à l'actif d'entreprises françaises, je pense à Thomson, à Thomscast, je pense à Chargeurs textiles. J'espère que ces réussites seront bientôt suivies par d'autres. Je crois cependant qu'il y a du travail à faire des deux côtés, c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité, pour ma part, que des hommes d'affaires m'accompagne dans mon déplacement dans votre pays.

Veidas : Les États d'Asie ont connu une crise économique importante. Cette crise ne peut-elle avoir des conséquences graves dans les pays de l'Union ?

Pierre Moscovici : Je ne le crois pas. Le krach a touché d'abord l'Asie, ensuite les États-Unis, et enfin, et seulement par répercussion, l'Europe qui a d'ailleurs été moins affectée, parce que nous avons moins d'échanges avec l'Asie que, par exemple, les États-Unis, on peut le regretter mais dans ce cas cela nous a mis à l'abri de la tourmente. Mais il y a une autre raison qui explique que l'Europe ait été relativement épargnée et qui me paraît beaucoup plus importante. Il n'y a pas eu, en Europe, au cours des derniers mois de mouvements spéculatifs aussi forts qu'aux États-Unis. Je pense qu'il faut y voir une certaine consécration des efforts que nous avons mis en œuvre, depuis quelques années, pour parvenir à la monnaie unique et qui ont constitué une véritable entreprise de stabilisation des finances publiques, ainsi qu'un assainissement financier.
J'ajoute que si la stabilité existant déjà entre les monnaies européennes, crée un environnement plutôt favorable, demain, quand il y aura l'euro, c'est à dire la monnaie unique, nous nous sentirons beaucoup plus en sécurité. Le jour où il n'y a plus de lire, plus de mark, plus de franc, mais un euro, par définition, on ne peut pas les acheter les uns contre les autres, et c'est quand même un facteur très important de spéculation qui sera supprimé, ce jour-là, je pense que nous serons encore plus à l'abri. Tout cela me fait dire que l'euro sera un facteur de stabilisation, un facteur de lutte contre la spéculation. Cette question de la monnaie unique est cruciale pour l'Europe, et je suis convaincu que les pays candidats devront se la poser à un moment ou un autre.

Veidas : Est-ce que votre visite en Lituanie n'est pas une visite de « consolation » avant les décisions du Sommet de Luxembourg ?

Pierre Moscovici : J'aurais aimé vous convaincre, au terme de cet entretien, que la Lituanie n'a pas besoin d'être « consolée ». L'Union va s'élargir et la Lituanie fera partie de l'Union élargie. Les négociations d'adhésion vont s'ouvrir avec quelques pays, puis avec d'autres plus tard, la conclusion de ces négociations dépendra des mérites propres, de l'état de préparation de chacun des pays candidats. Rien n'est décidé à l'avance. Je n'aime pas beaucoup les comparaisons sportives, mais j'ai envie de dire que, dans une course automobile, ce qu'il faut c'est être dans la course, et la Lituanie est dans la course, comme tous les pays candidats.

Je voudrais ajouter que si ma visite est placée sous le signe des questions européennes, elle n'en a pas moins une dimension bilatérale essentielle. J'avais depuis longtemps l'intention de me rendre dans votre pays. Je l'ai d'ailleurs annoncé à tous les interlocuteurs lituaniens que j'ai rencontrés à Paris depuis ma prise de fonctions. Lors de cette visite, je souhaitais d'abord pousser la présence économique française en Lituanie. Je vous l'ai déjà dit, c'est la raison pour laquelle j'ai demandé à des hommes d'affaires de m'accompagner. Je souhaitais également souligner la présence culturelle française. Votre pays, je le sais, a une longue tradition francophile. Je m'en réjouis, et je rends ici hommage à ceux qui, parmi les Lituaniens (y compris parmi les membres du gouvernement), ont choisi d'apprendre notre langue.