Texte intégral
Q - La banlieue est-elle un laboratoire pour la ville de demain, avec ses codes, son langage, ses rites ? N'est-elle pas plus riche de lien social que la ville ? La politique dont la première fonction - magnifique fonction - consiste à organiser la vie dans la cité, saura-t-elle organiser la reconnaissance entre la ville et la banlieue ?
C'est la première fois qu'une radio se déplace au coeur d'une autre ville, je ne dis pas banlieue - Créteil c'est une ville. Pourquoi fait-on toujours un distinguo entre ville et banlieue d'ailleurs ?
- « Parce qu'en région Île de France, en particulier, il y a le périphérique, à l'intérieur et à l'extérieur. Mais Créteil, sous la responsabilité de son équipe présidée par L. Catala, a réussi à démontrer que l'on pouvait construire de belles villes solidaires à l'extérieur du périphérique. C'est aussi l'enjeu : celui de se servir de ce qui a pu être fait dans les villes comme celle-ci pour démontrer que quel que soit le quartier dans lequel on habite, quel que soit le nom que l'on peut avoir, le prénom, on peut mener une vie normale. »
Q - Je vous voyais écouter France Inter depuis tout à l'heure. Nous ne faisons pas d'angélisme ce matin. On essayé de voir ce qui va et ce qui ne va pas. Que retenez-vous de ce que vous avez jusqu'ici entendu sur l'antenne d'Inter s'agissant de la question de la ville et de la banlieue ?
- « J'ai entendu les difficultés que vous mettez en avant, à Mantes-la-Jolie, en ce qui concerne les problèmes de sécurité ; j'ai entendu les différents reportages sur la nécessité de développer l'emploi et, d'une certaine manière, en prenant deux exemples comme cela, vous mettez le doigt et l'accent et l'antenne sur des difficultés qui touchent aujourd'hui 6 millions de personnes. S'il n'y a pas l'accès à l'emploi pour toute une partie de la population, s'il n'y a pas accès à la sécurité ou à des services publics de qualité, comme dans le dernier reportage sur l'éducation et sur les zones d'éducation prioritaire, eh bien il n'y a pas une vie normale. Toute une partie de la population - 6 millions d'habitants qui vivent dans ces quartiers - n'auraient pas l'impression de mener une vie normale. »
Q - Pardon de revenir sur ce qui est désormais un poncif politique, mais on a tellement évoqué la fracture sociale. C'est dans la ville que s'opère la fracture.
- « Tout à fait. »
Q - Alors comment rétablir le lien ?
- « Je crois que cela, et d'une certaine manière France Inter y participe avec ce genre d'émission, je pense que la première des choses qui est à faire, c'est de parler du problème. Trop souvent les habitants de nos banlieues, de nos quartiers qui connaissent des difficultés ont l'impression que l'on ne parle jamais d'eux ou qu'ils n'ont le droit à la parole que les voitures brûlent et donnent des images un petit peu sensationnelles. »
Q - C'est une première, ce festival de la ville.
- « Oui, tout-à fait »
Q - Vous mettez les forums partout, vous avez donné la parole aux habitants ?
- « Bien sûr. »
Q - Vous prenez des risques.
- « Bien entendu. Mais c'est un risque couru, parce que la ville de demain, la ville solidaire de demain ne pourra pas se faire sans les habitants. On le voit bien au travers des différents procédés qui ont été mis en place depuis une vingtaine d'années. Chacun, quel que soit le Gouvernement, a eu sa petite idée, sa bonne intention. Mais ce qui ressort quand même de toutes ces initiatives, c'est que la ville du XXIe siècle ne pourra pas être construite sans la parole des habitants. Alors quelquefois, on sera engueulé, c'est sûr. »
Q - Se faire engueuler, après tout, ça fait du bien quelquefois ! Mais quand fera-t-on de la ville une question politique prioritaire ?
- « Je pense que le moment est venu, parce que, pendant les années qui viennent de s'écouler, c'est vrai qu'il y avait la crise, et la politique de la ville a plus été un amortisseur social qu'un outil de développement social. Mais avec le retour de la croissance, rien ne serait pire que de donner l'impression à nos concitoyens qui vivent dans ces quartiers, qui vivent dans ces villes, où quelquefois il existe des tensions, qu'avec le retour de la croissance, ils sont aussi les oubliés de cette croissance. Rien ne serait pire que de donner l'impression que la croissance arrête à la limite de ces quartiers en difficulté. »
Q - Vous savez mieux que nous que la tension a des effets mécaniques. C'est-à-dire qu'il y a des ruptures du lien, mais des ruptures objectives : pas de transports, les pompiers qui ne viennent plus, et les policiers qui n'osent même plus rentrer dans ces zones de non droit. Comment résoudre cela ?
- « La volonté du Gouvernement est de dire, compte tenu du panorama que vous dressez, qui n'est pas toujours sympathique, qu'il nous faut d'abord marquer des points en ce qui concerne la sécurité, l'emploi et l'éducation. Et puis, au-delà de ce travail à faire en direction des services publics pour qu'ils soient réorganisés pour être au plus près des citoyens qui en ont le plus besoin, il nous faudra repenser la ville. J'ai proposé au Gouvernement et nous verrons les annonces qui seront faites dans les semaines qui viennent, d'avoir un ambitieux programme de renouvellement urbain et notamment de reconstruction-démolition, parce qu'il y a toute une partie de la ville physique qui a été pensée au début de notre ère industrielle sous cette forme-là - en termes de concentration des salariés - qui ne marche plus, dont les habitants eux-mêmes ne veulent plus. Lorsqu'on a 30 - 40 % de vacance dans une cité, eh bien il n'est pas la peine de dire "parole des habitants" sans les entendre. S'ils ne veulent plus habiter dans ce genre d'endroit, c'est qu'il faut repenser la ville et la reconstruire. »
Q - Est-ce qu'il ne faut pas faire en sorte que justement la banlieue, ce soit désormais et toujours la ville et pas des zones au fond à deux vitesses ?
- « C'est la nouvelle orientation de la politique de la ville. Moi je parle des quartiers pour les avoir en tête lorsqu'on repense la ville. Mais avant tout, je parle de reconstruire la ville. Reconstruire la ville, c'est de donner vraiment l'impression à tous les habitants de nos quartiers, quels que soient ces quartiers, qu'ils peuvent mener une vie normale, qu'il n'y a pas la vie des centres-villes et la vie à l'extérieur. »
Q - Mais d'abord, ils la mènent à l'extérieur. Est-ce qu'on n'a pas encore une fois des clichés, des images toutes faites ?
- « On ne peut pas dire qu'ils la mènent. Regardez, promenez-vous dans un certain nombre de nos villes où l'on se rend compte y compris physiquement qu'en centre-ville, on a de belles fleurs, on a des espaces verts, on a des espaces publics bien traités, et dans des villes gérées d'une manière non convenable - ce n'est pas le cas à Créteil - eh bien, dès que vous, sortez de ces centres-villes, vous avez droit à des quartiers où les papiers gras sont sur les pelouses, où les services publics sont moins présents, où physiquement la ville n'est pas la même. Vous savez, on n'aime pas son quartier, on ne respecte pas son quartier lorsqu'on n'a pas l'impression soi-même d'être respecté. C'est pour cela que je dis qu'il faut vraiment démontrer que quel que soit le quartier, on peut agir pour que nos concitoyens mènent une vie normale. »
Q - Mais quel paradoxe ! Nous quittons la société industrielle pour rentrer dans ce qu'on appelle désormais la Société cognitive, la société de l'information et de la communication. Est-ce qu'après tout les technologies tel qu'Internet, les réseaux, etc. ne vont pas permettre une meilleure connexion, un vrai lien à l'intérieur d'une grande ville et créer un nouvel espace de la cité ?
- « Ça peut être comme la langue d'Ésope : la meilleure et la pire des choses, les nouvelles technologies. Si, là aussi, on donne l'impression qu'après les inégalités par rapport à la lecture ou à l'écriture, il y a une nouvelle inégalité qui s'installe entre ceux qui peuvent avoir un ordinateur - axé aux nouvelles technologies - et ceux qui sont abandonnés de ce système de développement, eh bien cela créera des frustrations supplémentaires. Et l'image même, la société de l'image ou de l'information donne quelquefois encore plus conscience à ces habitants d'être abandonnés. Regardez ! Les images de la pub, par exemple, donnent l'impression que dans notre société, aujourd'hui, le bonheur c'est la consommation. Lorsque vous êtes enfant d'une famille qui ne peut pas consommer, qui ne peut pas avoir accès à ce bonheur qui est le téléphone, le portable - puisque, hélas ! trop souvent on nous présente ces biens de consommation courants comme des éléments de bonheur, la dernière voiture, le fait de partir en vacances au soleil - eh bien on ne se sent pas citoyen à part entière. Donc, là aussi, il faut que l'on soit très attentif à rendre compréhensible et accessible à tous les nouvelles donnes en ce qui concerne les gadgets du bonheur ou les nouvelles technologies, pour revenir à ce sujet bien plus sérieux. »
Q - Un mot de l'urbanisme. Beaucoup de confrères de la presse écrite consacrent des pages à la question de la banlieue aujourd'hui. C'est le cas du Parisien, le cas également d'un sondage exclusif réalisé pour le journal Le Moniteur-Paris qui dit que s'agissant de la ville, aujourd'hui, les citoyens rêvent de deux choses : non plus des barres mais de la maison individuelle et des centres commerciaux. L'espace du lien ?
- « Je pense que là aussi il y a cette aspiration, parce que chacun a un petit peu un bout de jardin dans sa tête. Mais moi je ne suis pas non plus un partisan de la société où ne régnerait que la maison individuelle. Ça consomme beaucoup d'espace, c'est écologiquement pas très responsable et, vous savez, la ville qui s'étale, c'est des frais en termes de transports, et c'est aussi une dissolution, d'une certaine manière, d'un lien social. Mais je pense que cette revendication qui émane dans la société, c'est par rejet de ces ZUP, de ces tours, de ces barres qui ont été trop construites dans les années 60. Mais il y a une place entre la ville pavillonnaire et la ville des tours et barres. Vous êtes à Créteil, vous pouvez vous en rendre compte, il y a possibilité de démontrer qu'avec une densité maîtrisée, on peut installer du lien social et on peut tout à fait construire une ville et une vie vivable. »