Texte intégral
Date : 20 novembre 1997
Source : L’Est Républicain
Q. : La France de Lionel Jospin a voulu et obtenu ce Sommet spécial pour l'emploi afin d'infléchir vers un peu plus de social une construction européenne trop exclusivement monétaire. Mais que peut-elle raisonnablement espérer obtenir vendredi soir à Luxembourg ? Et avec quels alliés puisque le couple franco-allemand, moteur européen traditionnel est divisé sur la question ?
R. : Actuellement, la discussion entre les Quinze se concentre autour d'une proposition de compromis mise sur la table par la présidence luxembourgeoise lundi dernier.
Ce texte s'inspire très largement de l'architecture que nous avions nous-mêmes proposée pour les futures « lignes directrices pour l'emploi » que l'Union adoptera à Luxembourg.
Ce que nous souhaitons, c'est poser en Europe une perspective commune clairement orientée vers l'emploi. Pour ce faire, les Quinze devraient se mettre d'accord à Luxembourg sur un certain nombre d'objectifs quantifiés concentrés sur le chômage des jeunes, le chômage de longue durée et l'amélioration de la formation : offrir une possibilité d'embauche, de formation ou de reconversion à tout jeune avant son sixième mois de chômage et à tout adulte avant son douzième mois de chômage, porter l'effort de formation pour les chômeurs à 25 % de la population concernée.
D'autres orientations plus souples, sans chiffrage particulier, seront clairement affirmées comme des orientations communes dans l'Union : rendre le système scolaire plus « en prise » avec le monde du travail, développer l'apprentissage, développer les activités liées aux besoins non encore satisfaits par le marché, favoriser la parité hommes/femmes dans le domaine professionnel.
Ces orientations devront se traduire plus concrètement encore dans des « plans d'action nationaux », que tous les États membres présenteront dès le Conseil européen de Cardiff en juin 1998. Les États restent donc pleinement maîtres d'œuvre dans le domaine des politiques de l'emploi. C'était la condition pour recueillir l'accord de nos amis allemands et des Espagnols sur la démarche proposée : nous leur avons offert toutes garanties à ce sujet.
Chacun reste maître chez soi, mais en devenant responsable devant l'Union. Et c'est le second apport essentiel que nous attendons du Sommet, avec l'instauration d'une procédure de surveillance réciproque. Chaque année, les Quinze examineront les résultats concrets obtenus par les uns et les autres sur le front du chômage et vérifieront que les plans mis en œuvre permettent effectivement de se rapprocher des objectifs communs fixés par les lignes directrices.
Pour me résumer, la philosophie générale qui devrait présider aux travaux du sommet sur l'emploi est la suivante : obligation de résultats, mais liberté des moyens ; perspective commune à l'échelle européenne, mais respect de la spécificité des actions nationales. Je crois que c'est une bonne philosophie.
Q. : Sans langue de bois de circonstance, pouvez-vous lancer un message d'espoir aux jeunes en leur disant que l'Europe est une chance pour l'emploi quand l'euro va renforcer la compétition intérieure entre entreprises ?
R. : Il s'agit bien de cela. Ce Sommet sur l'emploi a été demandé par la France à Amsterdam en juin dernier pour permettre à l'Europe de marcher sur deux pieds, celui de la monnaie et de la stabilité des finances publiques, mais aussi celui de la croissance et de l'emploi. Je sais que le rééquilibrage de l'Europe dans un sens plus favorable à l'emploi et à la croissance ne se fera pas en un jour. Il n'en demeure pas moins que le Sommet de Luxembourg marquera une première étape en amorçant un processus de convergence sur l'emploi qui, notons-le au passage, s'inspire assez largement de la méthode utilisée dans le domaine de la monnaie : il doit y avoir après Luxembourg des critères de convergence sociale comme il y a eu des critères de convergence macro-économique et financiers après Maastricht.
Nous allons passer à l'euro dans quelques mois : c'est pour moi une certitude. Mettons aussi les énergies européennes au service de l'emploi. C'était la position des socialistes pendant la campagne de législatives. C'est aujourd'hui la position du gouvernement, que nous exprimerons avec force demain à Luxembourg.
Q. : Lors des préparatifs de ce Sommet, avez-vous eu le sentiment que la France des 35 heures en l'an 2000 était un modèle ou une crainte pour l'Europe de l'emploi que vous allez chercher à esquisser à Luxembourg ?
R. : Faisons attention. Si l'on s'achemine demain vers un Sommet sur l'emploi réussi, c'est parce que nous l'avons abordé de manière résolument constructive, sans esprit de prosélytisme, sans dissimulation non plus.
L’Europe, c'est quinze pays qui n'ont ni les mêmes traditions, ni la même histoire sociale, ni les mêmes instruments de politique de l'emploi. Il faut donc accepter que chaque pays mette en œuvre les instruments qu'il juge les plus aptes à favoriser l'emploi chez lui, dans le contexte particulier de son marché du travail. Le gouvernement met en œuvre une politique ambitieuse et novatrice : création d'emplois-jeunes, passage aux 35 heures, relance du pouvoir d'achat. Nous sommes suivis par d'autres, par exemple par l'Italie pour les 35 heures. Mais certains pays ont une conception différente du partage du travail, par exemple la Grande-Bretagne qui préfère plutôt la voie de l'annualisation du temps de travail – qui n'est pas notre tasse de thé. Les méthodes utilisées ne sont donc pas les mêmes partout, et c'est normal car il y a en Europe des sensibilités et des traditions différentes. Ne cherchons pas à exporter de force les 35 heures : c'est par leur réussite, dont je suis persuadé, qu'elles s'imposeront en Europe.
En même temps, je me réjouis que l'Union s'inspire dans ses futures lignes directrices de ce que nous faisons en France. L'Union devrait à Luxembourg appeler à une relance du dialogue social européen, en particulier clans le domaine de l'organisation et de la réduction du temps de travail. L'Union devrait aussi appeler les États à développer les emplois nouveaux correspondant à des besoins non satisfaits par le marché. J'applaudis des deux mains !
L'essentiel encore une fois est de se mettre d'accord sur des perspectives et sur des objectifs communs, puis que chacun rende compte de sa politique devant l'Europe tout entière. Ainsi se créera rapidement une émulation en Europe sur la question de l'emploi, car personne n'aura envie d'apparaître comme le dernier de la classe européenne. Les gouvernements seront enfin jugés sur les résultats obtenus sur le front de l'emploi, et certainement pas sur la base de jugements de valeur ou des a priori idéologiques portés sur tel ou tel instrument de politique de l'emploi.
Date : 20 novembre 1997
Source : Le Figaro
Le Figaro : Sur le plan des initiatives concrètes, qu'attendez-vous du sommet extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi ?
Pierre Moscovici : D’abord la reconnaissance d'une politique européenne de croissance et d'emploi, à travers la fixation d'objectifs si possible quantifiés.
Il faut définir des critères de Luxembourg contre le chômage – le chômage des jeunes et le chômage de longue durée en particulier – comme ont été fixés, hier, les critères de Maastricht pour la monnaie unique. Ceci implique un contrôle et donc un effort de surveillance multilatérale.
Ensuite une mobilisation financière d'environ 1 milliard d'écus (1) pour les PME innovantes par le biais du capital-risque, auquel il faut ajouter 150 millions proposés par le Parlement européen. Ce n'est pas négligeable, même si la France aurait voulu davantage pour relancer les grands travaux...
J'attends, enfin, du sommet de Luxembourg un renforcement du dialogue social européen. L'aménagement et la réduction du temps de travail me paraissent être un bon thème. Mais je vous rassure : la France ne cherche pas à exporter les 35 heures !
Le Figaro : Comment pourra-t-on mesurer le succès ou l’échec de ce sommet ?
Pierre Moscovici : Si l'on attend de grandes décisions spectaculaires, on sera déçu. Faire trop rêver, ce serait mentir. Mais il y a une prise de conscience de tous, une nouvelle démarche, et nous progresserons par rapport à notre point de départ. Souvenons-nous qu'avant le sommet d'Amsterdam, en juin dernier, il n'était pas question du sommet sur l'emploi.
Le Figaro : Croyez-vous pouvoir fixer des objectifs quantifiés ?
Pierre Moscovici : Il est possible de faire reculer le chômage européen en cinq ans. Il est de 10,6 % aujourd’hui. Mais il n’est pas simple de définir des objectifs très globaux et ambitieux car, là-dessus, il y a eu des réticences de l’Allemagne qui redoute d’engager de nouvelles dépenses et celles de l’Espagne libérale qui récuse des objectifs chiffrés pour des raisons essentiellement idéologiques.
Le Figaro : La récente réunion conjointe des ministres de l’Économie et des Finances et des ministres des Affaires sociales a-t-elle permis de gommer les divergences ?
Pierre Moscovici : Je crois que les efforts considérables déployés par M. Juncker, président en exercice de l’Union, avec l’aide et l’appui du gouvernement français, ont porté leurs fruits : il y a eu un rapprochement des points de vue des uns et des autres. La proposition de M. Juncker nous satisfait puisqu’elle affirme très nettement l’idée d’une implication plus grande de l’Union dans le domaine de l’emploi, avec la fixation pour les États membres d’objectifs communs et une surveillance mutuelle du respect de ces objectifs. Cette avancée de méthode est essentielle. Personne n’aura envie de rater son examen.
Le Figaro : Helmut Kohl répète que l’emploi est du ressort national et pas européen. Qu’en pensez-vous ?
Pierre Moscovici : C’est un faux problème. Nous disons aux Allemands que l’emploi reste bien sûr une question nationale et que la subsidiarité sera préservée. L’idéal serait, en réalité, que chacun mène sa politique autour de préoccupations européennes communes, en créant un échange des « bonnes pratiques » de chacun. Il existe, en effet, dans chaque pays des recettes qui ont fait leurs preuves. Autant les utiliser.
Le Figaro : Les Pays-Bas et la Grande-Bretagne sont souvent cités en exemple pour leurs succès contre le chômage…
Pierre Moscovici : C’est vrai. On nous dit : « L’Angleterre, c’est bien » ou « la Hollande, c’est formidable » ! Mais il faudrait pouvoir comparer les modèles de façon objective. Les emplois anglais sont plus précaires que les emplois français et les Pays-Bas ont davantage que nous recours au temps partiel.
Le Figaro : Sur le plan social, vous sentez-vous plus proche de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne ?
Pierre Moscovici : Ce qui s’est passé au Royaume-Uni est très important. La Grande-Bretagne reste une île au système plus libéral que le nôtre. Mais l’avènement du gouvernement Blair marque un changement absolu, car il est progressiste et européen.
Européen, parce que l’entrée dans l’euro sera l’axe structurant de son action dans les prochaines années. Progressiste, parce qu’il a signé la charte sociale européenne et que, même si nous divergeons sur la notion de flexibilité, nous nous rejoignons sur celle d’employabilité. C’est-à-dire la faculté de disposer des capacités et compétences nécessaires pour devenir employable.
À propos du sommet sur l’emploi, j’ai parlé tout à l’heure de réticences chez les Allemands et les Espagnols. Elles s’estompent. Il y en a encore moins chez les Britanniques. À Luxembourg, ils joueront un rôle positif.
Le Figaro : Le couple franco-allemand ne va-t-il pas être remplacé, petit à petit, par un triangle Paris-Londres-Bonn ?
Pierre Moscovici : Le couple franco-allemand reste un élément central, moteur et indispensable. Mais il n’exclut rien. Dans les dix ans, Londres va devenir aussi décisif que Paris et Bonn dans la construction européenne. Il ne s’agit pas pour nous de rechercher je ne sais qu’elle alliance de revers ou de rechange. Mais de tenir compte de l’arrivée d’un partenaire majeur.
Le Figaro : Tony Blair pourra-t-il réussir à convertir l'opinion britannique à l'Europe ?
Pierre Moscovici : Il lui faudra du temps. Mais il y parviendra. Le gouvernement est pro-européen, le patronat est pro-européen, les syndicats sont pro-européens : ce sont autant de forces entraînantes... La seule chose qui pourrait dissuader l'opinion britannique, ce serait un échec de l'euro, qui ne se produira pas !
Le Figaro : Votre pronostic sur l’euro ?
Pierre Moscovici : D’abord une constatation : aucun parti, dans un grand pays européen, ne peut gagner une élection, aujourd'hui, en faisant campagne contre la monnaie unique. Même si je ne soutiens pas la coalition CDU-CSU, je suis d'accord avec Helmut Kohl quand il dit : « Ceux qui seront contre l'euro perdront les élections en Allemagne ! » Le récent scrutin de Hambourg – ponctué par la démission du candidat sortant social-démocrate hostile à la monnaie unique – est révélateur... Le SPD et Oskar Lafontaine, qui étaient présents à Paris la semaine dernière, l'ont bien compris.
Je dirais, ensuite, que les conditions d'un succès me semblent réunies. Elles répondent assez bien, en tout cas, aux quatre exigences formulées par le Parti socialiste durant la campagne des législatives.
Primo, l'euro ne sera pas surévalué ; secundo, il comprendra les pays du Sud : Espagne, Portugal et très vrai semblablement l'Italie ; tertio, pour compléter le pacte de stabilité, nous voulions un volet « croissance et emploi » : le sommet de Luxembourg en esquissera les premiers contours. Enfin, il y aura un « Eurogroupe » – qu'on appellera E-10 ou E-11 – formé des ministres des Finances. Ce sera l'interlocuteur politique de la future Banque centrale européenne.
Le Figaro : Les ministres des Affaires étrangères ne vont-ils pas être, petit à petit, dessaisis de leurs prérogatives au profit de leurs collègues des finances ?
Pierre Moscovici : Leur rôle de coordination restera essentiel. Sur les grands dossiers à venir : élargissement, financement de l'Union, réforme des politiques structurelles – ils seront chefs de file. Mais il y a un risque de déséquilibre réel à l'avenir entre ce qui marche : l'Union économique et monétaire – et ce qui marche moins : la politique étrangère et de sécurité commune, par exemple... D'où le besoin d'une relance de la construction politique de l'Europe.
Le Figaro : L'UEM favorisera-t-elle l'intégration fiscale et sociale sans laquelle le marché unique ne sera jamais vraiment achevé. Bref, comme le dit Hubert Védrine, provoquera-t-elle un « choc fédérateur » ?
Pierre Moscovici : L'euro va créer des mécaniques institutionnelles originales qui fonctionneront sur un mode fédéral, même s'il ne faut pas utiliser le mot. La Banque centrale européenne demain, l'Eurogroupe un jour en apporteront la preuve. Une dynamique sui generis va suivre. Une certaine harmonisation fiscale, mais aussi sociale, est indispensable. Le conflit des routiers vient d’en apporter la preuve…
Le Figaro : La candidature de M. Trichet à la BCE n’est-elle pas un mauvais signal envoyé aux « petits » pays de l’UE ?
Pierre Moscovici : La critique est à la fois compréhensible et injuste. Compréhensible parce que les Pays-Bas se sentent visés. Injuste parce que le candidat de nos amis néerlandais, Wim Duisenberg, est soutenu par beaucoup de « grands » pays… Sur le fond, il est normal qu’il y ait plusieurs candidatures et que le choix final revienne aux politiques.
Le Figaro : Mais n’envoyez-vous pas M. Trichet au casse-pipe ?
Pierre Moscovici : Non. Même si je n’ai pas toujours été d’accord avec lui, je sais que Jean-Claude Trichet a toutes les qualités requises pour la fonction de gouverneur de la BCE. Il est un candidat crédible. La France ne cumule pas les postes : des déséquilibres se sont même creusés à notre désavantage ces derniers temps en Europe.
Le Figaro : Un budget européen qui atteindra 650 milliards de francs vers l’an 2000 est-il suffisant pour créer un climat propice à l’épanouissement de l’euro ?
Pierre Moscovici : La perspective d’une Union européenne plus solidaire, avec un budget fort, alimenté par un véritable impôt européen, demeure une perspective historique. Mais il existe des préalables politiques, économiques et institutionnels qui sont loin d’être remplis. Pour le moment, c’est la rigueur budgétaire qui s’impose.
Le Figaro : Entrevoyez-vous un possible blocage sur les perspectives financières de l’Union au-delà de l’an 2000 ?
Pierre Moscovici : Nous militons pour une réforme globale. Pour nous, le cadre financier européen, l’élargissement et la révision des institutions forment un tout.
Le Figaro : Vous faites de la réforme institutionnelle manquée à Amsterdam un « préalable » à l’entrée de nouveaux États membres dans l’Union. Comment expliquez-vous que deux pays seulement (la Belgique et l’Italie) vous soutiennent ?
Pierre Moscovici : Il y en a plus, en vérité. Le Parlement européen, qui représente toutes les sensibilités, doit d’ailleurs voter cette semaine une résolution sur le bien-fondé de la déclaration franco-italo-belge. Mais beaucoup de nos partenaires, notamment les Anglais qui sont d’accord avec nous sur ce point, veulent d’abord ratifier le traité d’Amsterdam. L’Allemagne, en tout cas, évolue : autant Kohl que le SPD. Si les grands pays militent pour une réforme des institutions, le dossier aura bien avancé.
Le Figaro : Quand sera ratifié le traité d’Amsterdam en France ?
Pierre Moscovici : Pas avant le long week-end du 1er mai, où les ministres des Finances feront le choix des premiers participants à l’euro… Pour le reste tout dépendra de la nécessité ou non d’une réforme constitutionnelle préalable.
Le Figaro : Quels seront, selon vous, les premiers candidats qui adhéreront à l’Union européenne ?
Pierre Moscovici : La Pologne, la Hongrie, la République tchèque, l’Estonie, la Slovénie et Chypre seront les premiers à négocier leur adhésion, dès l’an prochain. Il y aura à côté de cela un cadre multilatéral, la « Conférence européenne », rassemblant les Quinze, les onze pays candidats et la Turquie. De toute façon les négociations seront longues…
Le Figaro : Cette « Conférence européenne » suffira-t-elle à apaiser l’impatience de la Lettonie ou de la Lituanie par exemple ?
Pierre Moscovici : Nous avons conçu pour ces pays baltes une stratégie de pré-adhésion renforcée avec des clauses de rendez-vous annuelles. S’ils réussissent des rattrapages spectaculaires, il faudra en tenir compte. Ce qui est important, ce n’est pas la liste des candidats mais les critères.
Le Figaro : Les Russes auront-ils leur mot à dire, comme pour l’élargissement de l’OTAN ?
Pierre Moscovici : L’Union européenne est pleinement responsable de son propre élargissement.
Le Figaro : En France, après la mort de Georges Marchais, comment voyez-vous la poursuite de la mutation du PCF ?
Pierre Moscovici : Incontestablement, la mutation du Parti communiste est une réalité, y compris en matière européenne. D’« eurosceptiques » il y a quelques années, nos amis communistes sont devenus « euro-constructifs ». Il s’agit là d’une évolution essentielle qui consolide le débat politique français.
(1) Un écu = 6,60 francs.
Date : jeudi 20 novembre 1997
Source : RTL / Édition du soir
RTL : Une réaction aux propos de Jacques Chirac devant les maires de France qui s'est déclaré favorable au non cumul des fonctions exécutives. Ça vous surprend ?
P. Moscovici : Les choses progressent M. Chirac s'est exprimé en souhaitant qu'on ne puisse pas cumuler des fonctions exécutives du type être maire et président de conseil régional ou maire et président de conseil général. Je crois que c'est le bon sens absolument. D'ailleurs, au Gouvernement, nous l'avons mis en application puisqu'il n'y a aucun ministre qui ait conservé des fonctions exécutives. La question est de savoir si on ne doit pas aller plus loin, et notamment s'il ne faut pas envisager de remettre en cause le fameux député-maire ou sénateur-maire. Le gouvernement fera connaître ses positions. M. Jospin a consulté toutes les formations politiques et il fera connaître ses propositions assez vite.
RTL : Jacques Chirac a toutefois insisté sur la nécessité de ne pas priver le législateur de l'expérience acquise dans l'exercice d'un mandat local. C'est notre culture, a-t-il ajouté.
P. Moscovici : La question est de savoir si ce mandat local est lui-même un mandat exécutif. On peut par exemple être député et conseiller général, député et conseiller régional, député et conseiller municipal. Doit-on être député et maire ? Mais, la réponse au prochain numéro.
RTL : Le sommet sur l'emploi, demandé et obtenu par Lionel Jospin, doit élaborer une politique commune de l'emploi. Est-ce que les ambitions affichées au départ par la France aboutiront à des résultats dans la mesure où les Quinze ne sont quand même pas tout à fait d'accord sur les programmes à mettre en œuvre ?
P. Moscovici : Le sommet va commencer dans quelques heures et je pense qu'il a été bien préparé. Contrairement à ce qu'on a pu dire, la France n'a pas chargé la barque. Nous avons obtenu ce sommet à Amsterdam alors que rien n'était prévu auparavant. Au départ, il y avait un très grand scepticisme, voire une certaine hostilité. Et ce qui s'est produit, c'est que, petit à petit, on a pu voir, grâce au patient travail de la présidence luxembourgeoise, une prise de conscience se faire. Il y aura, je pense, une mobilisation politique extrêmement forte pour l'emploi. C'est l'essentiel. C'est une nouvelle démarche qui s'ouvre. C'est une première étape. Ne considérons pas que ce sommet est en soi un résultat qui tranche pour l'avenir. Par contre, il va marquer le début d'une prise de conscience, de premières actions et ce qui est très important, c'est qu'une nouvelle méthode va se mettre en place.
RTL : Peut-être nouvelle méthode mais M. Kohl dit que l'emploi c'est avant tout une affaire nationale et pas européenne.
P. Moscovici : M. Kohl va s'exprimer dans le sommet. Je crois que nous en sommes là aujourd'hui. Ce que j'ai constaté, c'est qu'il y avait une évolution très claire de tous les partenaires et des partenaires allemands au sein du conseil affaires sociales qui relie les ministres des affaires sociales, ou du conseil écofin qui relie les ministres des finances et que, je pense, nos amis allemands sont aujourd'hui sur une position positive. C'est vrai que c'est une affaire nationale, l'emploi. Chacun doit faire à sa façon. Nous par exemple, sur la réduction du temps de travail, nous sommes pour les 35 heures, d'autres sont pour d'autres dispositifs mais en même temps...
RTL : La flexibilité également.
P. Moscovici : On n'en a pas du tout parlé. J'y insiste, c'est très important, ce sera le premier sommet qui ne met pas la flexibilité au cœur. Ce qui prouve la prise de conscience que j'évoquais. Mais pour en revenir au rapport national et non national, bien sûr, il faut des politiques nationales mais en même temps, ce qui compte, ce sont des perspectives communes européennes. Alors, perspectives communes européennes et politiques nationales s'articulant, objectif européen et plans d'action nationaux, obligation de résultat, liberté de moyens, c'est la philosophie du sommet.
RTL : Vous avez déclaré au Figaro : si l'on attend de grandes décisions spectaculaires, on sera déçu.
P. Moscovici : Non, je crois que ce qui compte avant tout, c'est la méthode, c'est la démarche, c'est le lancement d'un dialogue social. Et moi je me réjouis qu'il y ait un dialogue de syndicalistes à Luxembourg. Ça prouve également que les syndicalistes s'impliquent dans l'Europe, que le dialogue social va avoir des partenaires. C'est vrai qu'on aurait pu espérer je ne sais quel grand plan pour l'Europe. Mais en même temps, il était réaliste que, compte tenu du fait que depuis 25 ans, on n'avait jamais parlé de ce sujet, jamais au sein d'un conseil européen, on commence à se mettre d'accord sur la philosophie et c'est ce que j'attends de Luxembourg.
RTL : C'est pour ça qu'on parle des critères de Maastricht et pour l'instant seulement des objectifs de Luxembourg.
P. Moscovici : Il y a une différence de nature surtout. Les critères de Maastricht, c'était des critères qu'il appartenait aux États de faire respecter. Un déficit public, c'est une décision étatique ; des taux d'intérêt, c'est une décision étatique ; les taux d'inflation, l'État pèse largement là-dessus, alors que les objectifs pour l'emploi, c'est la société toute entière qui doit y parvenir. Ce sont les entreprises qui créent les emplois. Ce sont les partenaires sociaux qui négocient et c'est aussi au sein de cette négociation qu'on doit pouvoir envisager que ne se reproduisent pas de nouveaux Vilvorde.
RTL : Dans l'opposition, Nicolas Sarkozy dit qu'un sommet sur l'emploi ne peut déboucher et réussir que si la France, au lieu de s'isoler, s'inspire de ce que font les autres.
P. Moscovici : Mais c'est ce qui se passe. Ce n'est pas un succès des Français sur les autres que nous attendons. Ce n'est pas non plus un succès des autres sur les Français, c'est ce qu'on appelle un échange de bonnes pratiques. Moi, si on me dit : en Hollande, il y a des choses formidables à retenir, je prends ; si on me dit, en Angleterre, il y a des choses biens, je prends.
RTL : Au fond de vous-même, vous pensez qu'il y a vraiment des choses formidables en Hollande et en Angleterre ? Parce qu'on a l'impression qu'en dépit de leurs résultats, vous êtes assez réservé.
P. Moscovici : Nous n'avons pas la même philosophie mais je pense qu'il y a effectivement des choses qui sont bien partout. Par exemple, les Anglais mettent beaucoup l'accent sur l'effort d'éducation. Ils ont plus un problème par rapport à ça que nous, mais c'est une bonne idée. Encore une fois, ce qui me frappe là-dedans, c'est que chacun doit être capable de confronter avec les autres ses bonnes pratiques.
RTL : Pourquoi la France n'arrive pas, comme certains pays qui s'en tirent mieux, à réaliser des objectifs à la baisse du chômage ?
P. Moscovici : Je prends un exemple. Nous avons ce plan sur l'emploi des jeunes. Moi, je considère que nos partenaires considèrent qu'il est tout à fait sérieux. D'ailleurs, ils disent : voilà, on va créer des emplois pour les jeunes.
RTL : On a un taux de chômage élevé en France !
P. Moscovici : Bien sûr, on a un taux de chômage très élevé qui tient à la fois à une spécificité française qui, hélas, est à la fois heureuse et malheureuse, à savoir que nous avons une démographie extrêmement forte. Donc, chaque année en France, il y a 200 000 actifs qui entrent sur le marché du travail. Ce n'est pas le cas en Allemagne, par exemple, qui n'a pas d'ailleurs de résultats meilleurs. Et puis, il y a aussi des politiques macro-économiques qui n'ont pas été réussis. Ce que nous essayons de faire au Gouvernement, c'est une nouvelle politique économique : relancer le pouvoir d'achat, un plan pour l'emploi des jeunes, la réduction du temps de travail. Et donc, nous espérons bien obtenir une baisse.
RTL : Il est injuste de dire que ce sommet de Luxembourg sur l'emploi sera l'Europe a minima ?
P. Moscovici : Je crois que c'est tout à fait injuste. Je crois que ce sera au contraire pour l'Europe un tournant, une nouvelle page, quelque chose d'extrêmement important. En tout cas, je l'espère puisque le sommet commence. Donc, il n'est pas joué. Pour la première fois, l'Europe se sera préoccupée de l'emploi. Au fond, elle va désormais fonctionner sur deux pieds, marcher sur deux pieds : il y aura le pied de la stabilité monétaire, de la stabilité budgétaire, de la stabilité financière mais aussi le pied de la croissance de l'emploi. Ce rééquilibrage de la construction européenne, c'est cela la volonté du gouvernement français. Nous nous réjouissons que cela soit entendu à travers déjà le fait que ce sommet existe et c'est très important, le fait qu'il donne des premiers résultats et le fait que chaque année, maintenant, en décembre, le Conseil européen, nous l'espérons, sera consacré à l'emploi.