Texte intégral
Q - Quel jugement portez-vous sur l'état de la France ?
- « Celui d'une vitalité bridée, avec d'un côté une très forte vitalité de la société française, et de l'autre, la formidable pesanteur de l'ensemble de nos systèmes publics qui n'arrivent pas à se réformer, le carcan de lois et de règlements hérités d'une autre époque et la persistance d'une exception culturelle française qui tourne le dos a la modernité. Si nous avons retrouvé la croissance, c'est essentiellement le résultat de la politique qui a permis la baisse des taux d'intérêt, politique que, pour ma part, je n'avais cessé de préconiser et que j'ai même contribué à engager. Rien ne serait plus dangereux de penser que ce retour de la croissance peut nous faire faire l'économie des réformes de fond dont la France a besoin. »
Q - Quelles leçons tirez-vous de l'évolution du capitalisme français ? Faut-il laisser faire ou inventer de nouveaux modes de régulation ?
- « Le capitalisme français évolue et se met à l'heure du monde moderne. Avec la mondialisation, l'époque n'est plus aux champions nationaux mais aux champions mondiaux. Ce nouveau capitalisme mondial a bien évidemment besoin de trouver ses nouvelles règles : des règles de responsabilité et de prudence pour les acteurs des marchés financiers. C'est la leçon de l'affaire LTCM ; des règles de concurrence pour répondre à la concentration des entreprises, éviter les abus de position dominante et veiller à l'ouverture des marchés. Mais en France, on a du mal a comprendre la mondialisation et, par myopie intellectuelle on confond, trop souvent, les dégâts qu'entraîne parfois cette mondialisation avec le libéralisme lui même. Je pense au contraire que le libéralisme est une réponse moderne et positive à la mondialisation. C'est ainsi, par exemple, que le choc de la mondialisation sur un marché du travail trop rigide entraîne à la fois des licenciements et un excès de précarité dans les emplois créés, là où des règles du jeu plus libérales favoriseraient la création d'emplois, où plus de liberté contractuelle sur le marché du travail permettrait de découvrir de nouvelles formes de travail entre les contrats à durée indéterminée de moins en moins offerts et l'extrême précarité des CDD ou des emplois au rabais subventionnés. »
Q - Au sein même de la droite, le libéralisme ne semble plus avoir la cote. A l'UDF comme au RPR, l'heure est plutôt au recentrage du discours, comme s'il y avait besoin de prendre, en compte l'inquiétude des Français face à la mondialisation.
- « La société française bouge plus vite que le monde politique et il est vrai que les idées libérales ont plus de mal à se frayer leur chemin en France qu'ailleurs. Elles progressent néanmoins, et elles constituent pour moi, plus que jamais, la réponse moderne aux évolutions de notre société. La droite commettrait une erreur en revenant en arrière et en refusant la modernité. Quel paradoxe tout de même si l'opposition française devait se montrer beaucoup moins libérale que les travaillistes britanniques ou les sociaux-démocrates allemands ! »
Q - Quelle réforme vous semble-t-elle la plus urgente ? Celle de l'État, de la fiscalité ou de l'éducation ?
- « La France n'a toujours pas engagé la nécessaire réforme de l'État. Elle continue, à contre-courant du monde, à augmenter ses dépenses publiques. Elle n'a mis en chantier aucune réforme d'ensemble de la fiscalité alors que dans un monde ouvert, la matière fiscale est de plus en plus mobile. Enfin, alors que s'ouvre l'ère de la révolution éducative, notre « Mammouth » Éducation nationale est toujours solide sur ses pattes. A cela on pourrait ajouter bien d'autres réformes, comme celles de la santé dont on ne maîtrise toujours pas les dépenses, des retraites que l'on ne sait toujours est pas prévoir, de l'État providence qui enferme un nombre toujours plus grand de nos compatriotes dans l'exclusion, l'assistance et la dépendance. Elles sont également indispensables et urgentes pour entrer dans le XXIe siècle, Et comme les socialistes, même s'ils ont évolué, sont incapables de conduire ces réformes, il faut souhaiter et préparer une alternance. »
Q - Vous préconisez une réforme du système éducatif comportant notamment la suppression de la carte scolaire. N'est-ce pas la porte ouverte au renforcement dé la sélection ?
- « Au contraire, c'est le système actuel qui fabrique l'injustice et l'échec et qui, par des moyens détournés, pratique une sélection sociale hypocrite. Nul plus que moi n'est attaché à l'égalité des chances, condition de la mobilité de la promotion sociale, S'agissant de la carte scolaire, il est facile d'observer que celle-ci aujourd'hui fabrique de véritables ghettos scolaires qui ne sont d'ailleurs que le reflet d'un urbanisme ségrégatif. Pour faire bouger l'Éducation nationale, pour innover, donner aux établissements la plus large autonomie dans l'organisation, l'aménagement des rythmes scolaires, le recrutement des enseignants, l'ouverture vers l'extérieur, développer l'évaluation et renforcer la liberté de choix des parents de l'école de leurs enfants, Démocratie libérale a pris l'initiative de lancer le premier débat de l'alternance sur ce thème. »
Q - Lionel Jospin s'est fixé comme objectif une société de plein emploi à l'horizon de la décennie. Est-ce à votre avis présomptueux ou bien pourriez-vous, reprendre ce slogan à votre compte ?
- « Cela fait déjà longtemps que je m'efforce d'expliquer que nous pouvons retrouver le plein emploi, comme d'autres pays autour de nous l'ont déjà fait. Mais pour cela, il faut faire le plein des solutions libérales et le vide des idées socialistes. On ne peut en effet prétendre au plein emploi avec la vision malthusienne qui inspire le Premier ministre et qui repose à la fois sur l'idée du partage du travail avec les 35 heures et sur une baisse démographique programmée de la population active qui créera sans doute plus de problèmes qu'elle n'apportera de solutions. L'emploi, faut-il le répéter, n'est pas à partager mais à créer, en favorisant la création d'entreprises, l'invention de nouvelles formes de travail, en cherchant à réduire la part de l'emploi public et à augmenter la population active marchande. »
Q - A la veille de la présentation du projet 2000, le débat sur la répartition des fruits de la croissance est relancé. Que faut-il faire du surplus de recettes fiscales ?
- « Il faut raison garder car il ne s'agit pas d'affecter un excédent budgétaire. La vérité c'est que, contrairement aux engagement, les prélèvements obligatoires ont encore augmentée en France en 1999 et qu'il eût été possible et sage, comme nous l'avions proposé dans notre contre-budget 1999, d'amorcer à la fois dès l'an dernier la baisse du taux normal de la TVA, comme s'y étaient engagés, conjointement, la majorité et l'opposition, et une réforme fiscale d'ensemble. Et puisque ce surplus d'impôts est essentiellement le produit de l'activité des entreprises, il serait sage de renoncer aux deux nouveaux impôts, la contribution sociale sur les bénéfices et l'écotaxe, que le Gouvernement concocte sur l'entreprise. »
Q - Quelle est selon vous la bonne stratégie fiscale ?
- « Il faut d'abord baisser le taux normal de TVA. Son augmentation était provisoire et destinée à respecter le calendrier de l'euro et permettre de renouer avec la croissance. L'objectif est atteint. II y va de la confiance dans les engagements fiscaux des responsables politiques. Pour le reste, je suis convaincu qu'il n'y a pas de solutions aux problèmes de la France si l'on ne cherche pas à obtenir la croissance la plus forte possible. C'est dire qu'il faut mettre la fiscalité au service de la croissance, de la création de richesses et d'emplois, et pour cela miser sur l'épargnant, l'entrepreneur et l'entreprise.
Nous avons besoin de mesures fiscales pour développer les fonds de pension et le capitalisme populaire dont la France a besoin, Nous avons besoin d'un programme choc de création d'entreprises, et pour cela d'une déduction forte de ses impôts - y compris de l'ISF - de l'argent investi dans la création et le développement de l'entreprise. Il nous faut mieux récompenser l'initiative, l'effort et la prise de responsabilité. Il faut, pour cela réformer la fiscalité des stock-options, réduire fortement la progressivité de l'impôt sur le revenu, mettre en place, comme viennent de le faire les Britanniques, l'impôt cher aux libéraux qui permet à la fois d'encourager le retour à l'emploi des personnes aujourd'hui enfermées dans l'assistance et de favoriser le développement d'activités nouvelles. »
Q - La droite a beaucoup augmenté les impôts dans le passé. Comment peut-elle être aujourd'hui crédible ?
- « Il n'y a pas de baisse d'impôt crédible et durable sans engagement ferme de baisse des dépenses publiques. Depuis dix ans, pratiquement tous les pays de l'OCDE, à l'exception de la France, ont réduit la part de leurs dépenses publiques.
Pour réaliser l'euro, nous avons su réduire chaque année nos déficits publics de 1 %, nous devons nous donner pour objectif de réduire nos prélèvements publics au même rythme. Cela n'a rien d'impossible, il s'agit de faire simplement au moins aussi bien que nos voisins, même si nous le faisons avec retard. J'ajoute qu'en réformant L'État, ces économies peuvent être obtenues sans réduire la qualité réelle d'aucun service public, et que les fonctionnaires ont eux-mêmes tout à gagner dans l'amélioration de la productivité de la dépense publique et dans la revalorisation de leurs tâches. »
Q - Martine Aubry s'est récemment réjouie d'avoir ramené de 55 milliards à 5 milliards de francs le déficit du régime général de la Sécurité sociale « sans avoir augmenté les cotisations ni opéré de déremboursements ». Comment appréciez-vous la situation des comptes sociaux ?
- « Derrière l'autocongratulation, il y a la réalité, Les dépenses de santé continuent à déraper et l'on parle encore d'une vingtaine de milliards de déficit sur l'année. L'équilibre c'est toujours pour l'an prochain. Si l'on veut vraiment sauver notre Sécurité sociale, il n'est que temps de mettre en place le cadre législatif moderne qui permette une vraie politique contractuelle et ouvrir des marges de manoeuvre pour réformer vraiment le système. Je pense notamment à l'autonomie et à la mise en concurrence des caisses et à des délégations de gestion aux mutuelles et aux assurances. J'ai toujours pensé que cela se ferait. Mais que de temps et d'argent perdus ! »
Q - Comment vous y prendriez-vous pour mener une réforme des retraites en évitant les mésaventures, qu'a connues Alain Juppé ?
- « Plus le temps passe, plus la réforme des retraites est difficile, bien entendu. Et l'on n'en serait pas là si l'on avait écouté les libéraux. Cela fait belle lurette que l'on aurait dû mettre en place les fonds de pension en France. Je me souviens avoir proposé, au milieu des années 80, de redistribuer massivement la propriété des entreprises nationalisées à tous les Français pour amorcer la mise en place de fonds de pension. Je me réjouis aussi d'avoir ouvert en 1994 la possibilité de fonds de pension pour les travailleurs indépendants qui bénéficient aujourd'hui à plus d'un million de personnes. Aujourd'hui, mettre en place des fonds de pension, c'est trop tard pour pallier les déséquilibres de 2005, mais c'est nécessaire pour remédier à ceux de 2040.
En attendant, il faudra combiner l'allongement des durées de cotisation, la modification des règles de calcul des pensions, la création d'un marché du travail pour les plus âgés, Il faudra avoir le courage d'opérer une remise à plat des régimes des fonctionnaires et des régimes spéciaux, même s'il faut procéder avec discernement et prudence. Car les avantages acquis de ces régimes résultent des conventions et d'engagements contractuels passés, à partir desquels les salariés ont fait des projets de vie, Cette démarche doit être faite dans l'équité.
Il faut aussi et surtout se donner les moyens d'augmenter la population active, notamment au travers d'une croissance plus forte, Si l'on ne veut pas se serrer la ceinture, on doit se retrousser les manches, Et ce difficile dossier des retraites peut être utilisé comme pédagogie au service d'une décision plus optimiste d'une société qui offre du travail à tous, qui libère l'initiative et récompense l'effort. »