Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale, à TF1 le 23 novembre 1997, notamment sur le projet de loi de réforme du code de la nationalité, la dépénalisation des drogues douces, la campagne d'information sur les mines antipersonnel, et sur sa fidélité à Jacques Chirac.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Une émission présentée par Michel FIELD réalisée par Philippe LALLEMANT
Invité : Jean-Louis Debré

M. FIELD : C’est Jean-Louis Debré, le president du groupe RPR à l’Assemblée nationale, qui est, dans un instant, l’invité de « Public ». Nous évoquerons le congrès de Brest du Parti socialiste, les lois sur l’immigration.

Bertrand Tavernier, le cinéaste, sera aussi sur le plateau pour donner la réplique à l’ancien ministre de l’intérieur.

À tout de suite.

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M. FIELD : Bonsoir à toutes et à tous. Merci de rejoindre « Public ».
Je reçois, ce soir, Jean-Louis Debré, le président du Groupe RPR à l’Assemblée nationale, le député de l’Eure, l’ancien ministre de l’intérieur.
Nous allons parler évidemment de l’actualité marquée par le congrès socialiste qui s’achève à Brest, cette passe d’armes entre le Président de la République et le Premier ministre. J’attends avec gourmandise et intérêt vos commentaires là-dessus. Nous parlerons de l’actualité de la semaine.
Et dans la deuxième partie, Bertrand Tavernier viendra nous rejoindre, à la fois, pour parler de la campagne sur les mines antipersonnel, lancée par « Handicap International » : 10 films contre 100 millions de mines antipersonnel.
Plus, nous évoquerons le sujet auquel désormais votre nom est attaché, celui de l’immigration. Et Bertrand Tavernier qui s’est manifesté avec beaucoup de vigueur centre vos lois sera là pour vous donner éventuellement la réplique.

M. DEBRÉ : Mon nom n’est pas attaché à l’immigration. Mon nom est attaché à une loi qui a cherché à mieux lutter contre l’immigration illégale, le travail clandestin.

M. FIELD : Nous en reparlerons dans la deuxième partie de l’émission, si vous le voulez bien.
Juste un mot, vous avez dit, un jour, que vous étiez le ministre de France le plus attaqué après Alain Juppé. Ce qui vous met déjà en seconde position.

M. DEBRÉ : Il est normal que le ministre de l’intérieur que j’étais, qui est le ministre de l’ordre, soit attaqué. Je crois qu’il faut, dans ce pays, qu’il y ait des hommes et des femmes qui défendent l’État et le respect de l’État. Et j’ai essayé de le faire.

M. FIELD : Vous avez eu l’impression que vous l’étiez spécialement ou davantage que d’autres, ou de façon plus systématique ?

M. DEBRÉ : Je ne sais pas ce qui s’est passé pour les autres ! J’ai vu ce que j’ai reçu en pleine figure d’attaques, de critiques, mais peu importe ! l’important est de faire son travail. Et quand on aime son pays, quand on aime la France et qu’on a choisi le métier politique, il faut écarter les critiques, mais il faut aussi les écouter, les entendre naturellement, parce qu’il y a toujours des choses intéressantes à retenir, mais il faut continuer son chemin.

M. FIELD : C’est vrai qu’à un moment vous avez eu l’image de quelqu’un qui faisait un peu des bourdes. On vous prête des choses comme : « alors, ça boom ! à un ouvrier corse, au moment où il y avait des attentats, etc. Est-ce des choses vraies ou est-ce des choses qu’on vous a prêtées ?

M. DEBRÉ : Ce sont des choses fausses, mais c’est tellement drôle qu’il fallait le faire. Oui, c’est vrai que mes adversaires ne m’ont pas ménagé. Mais la pire des choses en politique, c’est d’être oublié par ses adversaires.

M. FIELD : On va voir aussi ce qui vous caractérise, votre fidélité absolue à Jacques Chirac. Nous verrons cela après le portrait. Pour l’instant, une page de publicité. Et puis nous revenons sur le plus chaud de l’actualité, à savoir le congrès de Brest du Parti socialiste.
À tout de suite.

M. FIELD : Retour sur le plateau de « Public » avec Jean-Louis Debré, le député de l’Eure et le président du Groupe RPR à l’Assemblée nationale.
Je disais à l’instant : « le congrès du Parti socialiste vient de se terminer à Brest. La passation des pouvoirs entre Lionel Jospin et Monsieur Hollande est désormais officielle. Et puis il y a eu, dans le discours de Lionel Jospin, dans ce congrès, une réplique assez sèche Jacques Chirac, après le Sommet du Luxembourg ». On va écouter un extrait de ce discours et, évidemment, j’attends votre réaction.
On le regarde :

M. JOSP1N : Vous savez que ma règle est de ne jamais m’exprimer sur la vie politique de mon pays à l’étranger, mais nous sommes en France. Vous savez que, depuis six mois, je n’ai émis aucune critique sur l’autre tête de l’exécutif. À vrai dire, je travaille plus que je ne commente ! Et puis j’ajouterai que les expérimentations hasardeuses n’existent pas qu’en économie. Il arrive parfois qu’elles se produisent en politique.
Il me souvient d’une expérimentation hasardeuse qui a débuté le 21 avril 1997, en matière électorale, à propos d’une dissolution. Quand le mirage s’est dissipé, le 1er juin suivant, nous avons trouvé une majorité de Gauche à l’Assemblée nationale.

M. FIELD : Une réaction, Jean-Louis Debré, expérimentation hasardeuse ?

M. DEBRÉ : D’abord, je constaté que Monsieur Jospin n’a pas répondu à la petite phrase du Président de la République ou que l’on prête au Président de la République. Alors, pourquoi Jospin est-il devenu tout d’un coup agressif ? Pourquoi a-t-il essayé de camoufler son embarras ? Je crois pour plusieurs raisons :
La première est qu’il s’est rendu compte, à Luxembourg, qu’il était isolé critiqué, seul, que la politique suivie par les socialistes depuis six mois ne recevait pas l’adhésion de nos partenaires. Alors, il essaie de maquiller son échec par ces phrases pleines d’humour et bien ciselées.

M. FIELD : Vous reconnaissez l’humour quand même ?

M. DEBRÉ : Oui, mais Jospin, pour moi, c’est nounours en politique. Vous vous souvenez de cette émission où, il a quelques années, vous aviez nounours qui jetait une pluie d’étoiles...

M. FIELD : ... le marchand de sable. Et, vous, vous seriez à la fois Nicolas et Pimprenelle de ce feuilleton ?

M. DEBRÉ : Nicolas et Pimprenelle, c’est Casimir.

M. FIELD : Ah ! Non, je m’excuse…

M. DEBRÉ : Bon ! Ce n’est pas Casimir.
Jospin jette des étoiles sur les berceaux pour que les Français s’endorment. Et puis quand, tout d’un coup, il y a une petite phrase, il y a le sentiment qu’ils se réveillent ou qu’ils ne sont pas dupes, alors il réagit durement. Eh bien, je crois qu’il faut que Jospin se rende compte que les Français ne sont pas des marionnettes. Je crois qu’il faut que Jospin se rends compte qu’on n’endort pas les Français indéfiniment et que le réveil est difficile. Alors, il n’accepte pas cela !
Il est de ces hommes politiques qui, installé au pouvoir depuis six mois, ne supporte pas la critique ou la contestation. On l’a bien vu au congrès socialiste, c’est une grand’messe –    si je peux dire cela pour les socialistes – où on ne critique pas, où on ne conteste, où on est là, c’est le culte de Jospin. Philippe Séguin a dit « qu’il fallait qu’il regarde ses chevilles ». Je dis qu’il fasse attention à ses plombs !

M. FIELD : Jean-Louis Debré, vous avez reçu un message de remerciements parce que, rarement, congrès...

M. DEBRÉ : ... De qui ?

M. FIELD : Je ne sais pas !... Que le congrès socialiste vous aurait adressé parce que c’est un peu grâce à vous et à la dissolution si ce congrès s’est passé merveilleusement. Les socialistes ont d’habitude des congrès beaucoup plus houleux. Et, là, grâce à la dissolution, grâce au Parti socialiste et donc, finalement, grâce à vous, ils sont aujourd’hui dans un état de grâce peu commun vis-à-vis de l’opinion.

M. DEBRÉ : Grâce à la démocratie, car ce sont les Français. En fait, vous m’interrogez sur les causes de notre échec. Je crois qu’il y a plusieurs raisons, si vous me laissez qua quelques secondes.
La première raison est que nous n’avons pas su faire comprendre aux Français la nécessité d’une politique de redressement. Peut-on continuer, Michel Field, à avoir un pays qui emprunte pour rembourser ses dettes ? Savez-vous qu’on demande, pour payer les dettes socialistes, à chaque Français 10 000 francs, un million de centimes.

M. FIELD : Les dettes socialistes et un peu celles d’Edouard Balladur, aussi.

M DEBRÉ : Non, non, les dettes socialistes. Ils ont gouverné la France pendant 12 ans...

M. FIELD : ... avec des petites interruptions de vos équipes.

M. DEBRÉ : C’est pour cela que j’ai dit 12 ans.

M. FIELD : En bref, on paie!

M. DEBRÉ : Ils ont endetté la France et, aujourd’hui, il faut emprunter pour rembourser les dettes. Cela est la première chose.
Deuxièmement, c’est vrai que, peut-être, nous n’avons pas donné le sentiment que nous respections toutes les promesses de la campagne électorale. Mais pour respecter les promesses, il fallait remettre la France à flot. Et je crois qu’on sera reconnaissants à Alain Juppé, dans quelques années, d’avoir fait une politique d’efforts.
Et puis il doit y avoir partout en France une cinquantaine de députés socialistes qui doivent remercier le Front national. Car en maintenant ses candidats au second tour dans plus de 50 circonscriptions, le Front national, volontairement, sciemment, délibérément, a fait gagner la Gauche.
Alors, ne regardons pas indéfiniment le passé, il faut naturellement reconstruire l’avenir. Mais, voilà, en réalité, les causes. Ce sont les Français qui ont choisi de changer de majorité, ne remettrons pas en cause ce choix.

M. FIELD : On vous prête une grande intimité avec Jacques Chirac et une fidélité à toute épreuve. On va y venir dans votre portrait. Avez-vous été de ceux qui l’ont dissuadé de dissoudre ? Comme vous aviez été l’un des premiers à le mettre en garde, par exemple, sur les velléités présidentielles d’Édouard Balladur alors que personne, dans son entourage, ne voulait croire à cette hypothèse.

M. DEBRÉ : M’avez-vous entendu, une fois, dire publiquement la teneur de la conversation avec Jacques Chirac ?

M. FIELD : Non, mais c’est pour cela que j’espérais que cela arriverait chez moi.

M. DEBRÉ : Eh bien, cela n’arrivera pas.

M. FIELD : Je vous remercie.
Votre portrait qu’a troussé Sébastien Le Flers. Et puis, nous en parlerons. Vous aurez tout le loisir de réagir dessus. On le regarde.

PORTRAIT

M. FIELD : Jean-Louis Debré, une fidélité à toute épreuve et une sorte de propension à être là où les coups les plus durs sent portés. On se demande même s’il n’y a un petit côté « Saint Sébastien » de la politique chez vous ?

M. DEBRÉ : J’ai regardé ce portrait, je craignais pire.

M. FIELD : Vous commencez tous à dire cela. Donc, je vais demander à mes camarades de durcir un peu le ton.

M. DEBRÉ : Pour les suivants.
Non, je ne suis pas sur la même longueur d’ondes que vous. Vous, vous considérez que la fidélité en politique, c’est critiquable et cela doit être dénoncé. Moi, je suis comme ça. Je considère que je dois être fidèle à un certain nombre de valeurs et fidèle à un engagement politique. Vous, vous considérez que la fidélité, c’est négatif...

M. FIELD : ... non, je ne considère pas que, d’entrée, ce soit négatif. Au contraire, cela vous est attribué positivement.

M. DEBRÉ : Tant mieux !

M. FIELD : C’est chez vos camarades, quelquefois de parti, que cela n’a pas été très bien vécu.

M DEBRÉ : Mes compagnons. D’accord ? Il ne faut pas se tromper de parti.

M. FIELD : C’est un vieux truc, çà !

M. DEBRÉ : Eh non ! ça marche toujours.
J’ai été élevé dans une certaine tradition et ces traditions, c’est le respect d’un certain nombre de valeurs qui sont des valeurs de la République. Quelles sont ces valeurs ? C’est un engagement, c’est one certaine conception de l’État et il faut travailler au respect de l’État. Et c’est la construction d’une société qui soit plus fraternelle et plus solidaire.
Dans votre film, on a parlé de ma période au ministère de l’intérieur et on m’a critiqué sur les attentats islamistes. Je me souviens même d’avoir vu à la télévision quelqu’un dire : « ce n’est pas comme cela qu’il faut lutter contre le terrorisme islamiste ». Mais au bout de trois mois, nous les avions arrêtés. La police les avait arrêtés.
Après, on m’a critiqué, vous vous souvenez, sur les Corses. Mais aujourd’hui on ne parle plus du problème corse parce que, grâce à l’action du gouvernement d’Alain Juppé et à l’action que j’ai eue en tant que ministre de l’intérieur, nous avons réglé le problème corse.
On a parlé du problème basque. Mais aujourd’hui on n’en parle plus.

M. FIELD : Vous tirez donc un bilan globalement positif de votre passage au ministère de l’intérieur ?

M. DEBRÉ : Pas de mon passage, du passage du gouvernement d’Alain Juppé parce que nous nous sommes attaqués aux vrais problèmes et que, finalement, ceux qui vous critiquent, qui vous contestent, laissez-les à côté du chemin et continuez...

M. FIELD : ... même quand ces critiques surgissent de vos propres rangs ? Parce que c’est souvent à l’intérieur même du RPR que vous avez été le plus méchamment démoli.

M. DEBRÉ : Laissons les gens vous critiquer. Je crois faut, dans ce pays qui est une démocratie, accepter la critique des autres.
Tout à l’heure, je vous ai parlé de Jospin, ce qui me frappe, c’est qu’aujourd’hui il n’accepte plus les critiques. Oui, il n’y a pas une vérité, mais il y a un travail à faire. Donc, je fais mon travail...
Ce portrait est un bon portrait parce qu’il parte de la fidélité, de la fidélité à Jacques Chirac. Oui, je suis fidèle à Jacques Chirac. Oui, je suis fidèle à un certain nombre de valeurs. Oui, je suis fidèle à la République parce que je crois que c’est le meilleur régime pour la France.

M. FIELD : Votre élection à la présidence du Groupe parlementaire du RPR a été immédiatement interprétée comme un petit camouflet pour Philippe Séguin dans la mesure où il y avait quelqu’un de plus proche de Philippe Séguin que vous, dans la personne de Franck Borotra...

M. DEBRÉ : …mais vous êtes...

M. FIELD : ... nous sommes quoi ?...

M. DEBRÉ : Extraordinaires.

M. FIELD : Merci.

M. DEBRÉ : Parce que vous cherchez toujours à opposer les uns et les autres.

M. FIELD : Ce n’est pas nous. Le RPR a montré un peu l’exemple pour les oppositions à l’intérieur. Nous ne faisons que refléter ce qui s’y passe.

M. DEBRÉ : Mais pourquoi voulez-vous qu’il n’y ait qu’un candidat ? Il y a une élection à la présidence du mouvement, chaque compagnon a le droit de se présenter. C’est cela la démocratie. Et chacun joue son rôle. Contrairement à ce qu’on a pu dire, j’ai une grande affection pour Jacques Chirac et une très grande affection également pour Philippe Séguin. Et je travaille tous les jours avec Philippe Séguin. Je souhaite et je veux, et il va réussir...

M. FIELD : ... ce n’est pas une manière de le marquer un peu à la culotte, dans une tentative, finalement, d’autonomiser le RPR de Jacques Chirac et une façon de le reprendre un petit peu en main, de le surveiller ? C’est comme cela qu’on peut l’interpréter assez légitimement.

M. DEBRÉ : Je laisse à chacun le soin d’interpréter comme il veut mon élection. Moi, je sais comment j’ai été élu. J’ai été élu parce que j’ai voulu cette élection, j’ai voulu réussir et je suis un président de proximité, à l’écoute de tous les parlementaires. Et que, dans le passé, j’ai été vice-président de ce Groupe, je connais les parlementaires RPR, je les aime, je les écoute et je travaille avec eux. C’est tout.
Ne donnez pas de sens politique à une élection qui n’a aucun sens politique.

M. FIELD : Si on ne donne pas un sens politique à l’élection d’un président de Groupe à l’Assemblée nationale, c’est à désespérer de la politique !

M. DEBRÉ : Ne désespérez pas de la politique.

M. FIELD : Vous pensez que Jacques Chirac a un avenir politique à court terme ?

M. DEBRÉ : Est-ce que la France a un avenir ? Je crois que la France a un avenir dans l’effort. Je crois que la France a un avenir si elle écarte toutes celles et tous ceux qui font de la démagogie et sèment l’illusion. Je crois que Jacques Chirac a tracé le sillon. C’est un sillon qui a été tracé au moment de la campagne présidentielle.

M. FIELD : Mais le gaulliste que vous êtes ne peut pas ne pas lui reprocher d’avoir affaibli la fonction présidentielle en jouant cette carte de la dissolution ratée ?

M. DEBRÉ : Je considère que, lorsqu’on saisit le peuple, on n’affaiblit jamais la démocratie. On l’affaiblit lorsqu’on confisque le suffrage des électeurs. Il y avait un problème, il y avait des difficultés, il fallait saisir le peuple. C’est ce que de Gaulle a toujours fait et c’est ce que Chirac a fait.
Alors, naturellement, vous, vous préférez qu’on saisisse le peuple en gagnant toujours...

M. FIELD : Franchement, vous aussi ?

M. DEBRÉ : Moi, je suis ravi que le peuple...

M. FIELD : ... vous auriez préféré gagner ?

M. DEBRÉ : Naturellement que j’aurais préféré gagner.

M. FIELD : Vous m’avez inquiété à un moment !

M. DEBRÉ : Mais suis ravi que Jacques Chirac ait repris cette tradition gaullienne. Lorsqu’il y a une difficulté un problème, on saisit le peuple. Parce que la clé de voûte de la légitimité, la clé de la voûte de la souveraineté, c’est le peuple et lui directement.

M. FIELD : Votre fidélité à Jacques Chirac vous a conduit à être sans doute l’un des plus durs au moment de l’affrontement Jacques Chirac-Édouard Balladur. Est-ce que cela vous met vraiment à la meilleure place pour réconcilier la famille gaulliste, vous qui avez porté l’estocade assez loin auprès de Balladur et de ses proches ?

M. DEBRÉ : Pensez-vous que l’on pout construire l’avenir en regardant éternellement vers le passé ?

M. FIELD : Non, mais en y réfléchissant beaucoup, en le méditant.

M. DEBRÉ : Eh bien, on y réfléchit ! Le gaullisme, c’est un rassemblement d’hommes et de femmes qui ont des origines, des traditions, des options différentes et qui se rassemblent sur une vision de notre pays, sur une vision de la France en Europe, sur une vision de la société française. Eh bien, pour cette vision, rassemblons tous ceux et toutes celles qui aiment leur pays.

M. FIELD : Vous avez défrayé la chronique il y a quelques semaines…

M. DEBRÉ : Diable !

M. FIELD : … avec votre formule, assez bien trouvée d’ailleurs, sur « la Gauche pétard. Je reviens un moment là-dessus parce que c’était, en plus, Élisabeth Guigou qui, ici même, s’était prononcée sur la dépénalisation et vous lui répondiez. Ne regrettez-vous pas, avec une formule à l’emporte-pièce qui a fait rire ou sourire d’avoir finalement répondu comme ça, un peu ironiquement, à un vrai débat et à un vrai débat de société ?
Je me souviens que, quand Charles Pasqua était ministre de l’intérieur une commission s’était réunie sous la présidence du professeur Henrion qui avait conclu à la légitimité et à la possibilité de la dépénalisation des drogues douces. Donc, est-ce que, finalement, il n’y a pas un vrai débat de société dont, par exemple, Alain Madelin, sur ses dernières prises de position, accepte même l’éventualité de cela ? N’est-ce pas, peut-être, manqué de sens de responsabilité que d’avoir, par un slogan, évacué ce problème ?

M. DEBRÉ : Pensez-vous que c’est avoir le sens des responsabilités que de dire devant des millions de Français : « il faut dépénaliser le hasch ». Je ne sais pas, Michel Field, si vous avez lu récemment le rapport de l’Académie des sciences, ces médecins qui sont des grands spécialistes. Je ne sais pas si vous avez également lu deux articles parus dans une revue scientifique américaine de haut niveau. Que disent ces spécialistes et ces journalistes scientifiques ? Que le hasch à des conséquences...

M. FIELD : ... le hashish.

M. DEBRÉ : Oui, les hashish.

M. FIELD : Vous en parlez comme les gens qui en prennent en parient.

M. DEBRÉ : Je vous rassure, je n’en prends jamais !

M. FIELD : D’accord.

M. DEBRÉ : Ils disent que le hasch a des conséquences sur les cellules nerveuses du cerveau. Et que, à force de vouloir, de dire, de laisser se développer des slogans disant : « ce sont des drogues douces », eh bien, on risque d’hypothéquer gravement l’avenir de nos enfants.

M. FIELD : Jean-Louis Debré, nous sommes devant une loi qui n’est pas appliquée. Vous savez qu’il y a plus d’un million de consommateurs de haschich qui ne sont pas poursuivis parce que c’est toléré, désormais, socialement. Donc, c’est aussi une façon de rééquilibrer la loi par rapport aux faits.

M. DEBRÉ : Michel Field, c’est toléré socialement dans un certain niveau social. Mais allez dans des banlieues et vous verrez le drame des familles dont les enfants se droguent.

M. FIELD : Pas le drame parce qu’ils fument du hasch.

M. DEBRÉ : Est-ce qu’un responsable de l’État a le droit de dire : « Fumer, ce n’est pas grave », quand il sait, parce que les scientifiques lui disent, que to haschich détruit les cellules nerveuses du cerveau des enfants. Eh bien, je crois qu’on n’a pas le droit de le dire et je crois que l’État doit avoir, dans le domaine de la lutte contre la toxicomanie, l’image d’un État fort et qui fait respecter la loi.

M. FIELD : Mais vous qui avez été ministre de l’intérieur, vous ne trouvez pas que c’est une façon aussi de disperser les tâches de police au les urgences de police sur la vraie lutte anti-drogue, c’est-à-dire celle contre les drogues dures, contre les filières de drogue que de, finalement, pourchasser les petits fumeurs de hasch ?

M. DEBRÉ. Les petits fumeurs de hasch terminent souvent comme des grands fumeurs de drogues dures.
Je crois que la responsabilité d’un homme politique, c’est de faire en sorte qu’il y ait l’égalité des chances entre les enfants. Or, quand vous avez des enfants ou des jeunes qui se mettent et se droguer, ils sont déjà en inégalité par rapport à ceux qui ne se droguent pas. Et je dis encore une fois : « naturellement, il faut être très fermes à l’égard des toxicomanes qui, en même temps, font du trafic. Naturellement, il faut essayer de casser les filières de drogue. Naturellement, il faut chercher à être plus efficaces contre le trafic international de drogue. Mais ne donnez pas le sentiment à nos enfants qu’ils peuvent fumer du hasch quand vous savez, encore une fois, les ravages que cela fait dans le cerveau, les ravages que cette drogue fait dans le cerveau ».

M. FIELD : Donc, vous êtes en désaccord total avec Alain Madelin qui prend des positions libérales, au sens strict du terme, sur cette question-là ?

M. DEBRÉ : Mais, moi, je ne suis pas libéral quand cela touche la santé de nos enfants et l’avenir de nos enfants.

M. FIELD : Jean-Louis Debré, je vous propose de regarder maintenant l’Edito de « Public ».

L’ÉDITO :
- LOUXOR/la barbarie.
- SENTIER/la vérité si…
- BEAUJOLAIS NOUVEAU/un verre, ça va !
- LUXEMBOURG/scepticisme.

M. FIELD : Nous avons déjà eu votre commentaire, Jean-Louis Debré, sur les conséquences politiques du Sommet du Luxembourg. Peut-être un mot sur l’islamisme et cet attentat de Louxor ?

M. DEBRÉ : Oh ! Oui, parce que c’est probablement l’un des grands défis auxquels le Monde et la France vont avoir à faire face dans les années qui viennent. On l’a vu à Louxor récemment, on l’a vu en France l’année dernière. Et je crois qu’il ne faut, en ce domaine, absolument pas baisser la garde.
Que faut-il faire ? Naturellement, il faut faire comme il avait été décidé après le Sommet de l’année dernière, approfondir la coopération entre les différents États du monde, échanges de renseignements. Nous avons beaucoup de progrès à faire dans ce domaine-là. Il faut que dans l’espace de Schengen, chaque État ait conscience de ses responsabilités à l’égard des autres États. Il faut, enfin – et c’est le grand défi de la France –, que nous assurions une présence plus forte en Méditerranée.
Je crois que, dans les années qui viennent, l’objectif de la France, c’est d’assurer, en Méditerranée et sur les Nations qui bordent la Méditerranée, un ordre et une volonté de coopération avec tous les services de police et tous les services d’enquêtes.
Je crois qu’enfin il faut que, en France, sur le territoire français, on ne crie pas « victoire ». Je l’ai vu dans le petit film. Vous savez que nous avons beaucoup lutté contre l’islamisme. Vous savez que j’ai été à l’origine de l’interpellation des principaux terroristes de 1995. Mais il ne faut pas crier « victoire », il faut maintenir le plan Vigipirate, maintenir la mobilisation de la police et donner aux services de renseignements les moyens de leur action.

M. FIELD : Jean-Louis Debré, après la publicité, Bertrand Tavernier nous rejoint. Nous évoquerons la campagne de « Handicap international » sur les mines antipersonnel et puis nous reviendrons sur le grand thème de l’immigration on sa compagnie.
À tout de suite.

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M. FIELD : Retour sur le plateau de « Public ». Jean-Louis Debré, député de l’Eure et président du Groupe RPR à l’Assemblée nationale est mon invité.
Bertrand Tavernier nous a rejoints. Bertrand Tavernier, merci d’être avec nous. Nous allons parler dans un instant de cette opération « 10 films contre 100 millions de mines antipersonnel ». C’est la contribution de 10 cinéastes au combat que mène l’Association « Handicap international ». Nous allons parler de ces mines antipersonnel qui touchent un nombre considérable de pays, qui font une victime quasiment toutes les 20 minutes, à chaque fois, dans le monde. Des victimes innocentes, c’est-à-dire des victimes où la guerre continue après la guerre.
Mais pour avoir un aperçu de ces films qui sont difficiles, je dois le dire, à voir parce que la violence, il n’y a pas 36 façons, finalement d’en parler ou de la montrer, j’ai choisi le film, peut-être, qui évoque de façon là moins directement violente et en même temps terrible, ce problème. C’est celui de Coline Serreau.

PRESENTATION DU FILM

M. FIELD : Bertrand Tavernier, cette action des cinéastes, cet engagement des cinéastes sur ce combat, cela vise à quoi ? À l’interdiction absolue de ces mines antipersonnel qui, c’est vrai, une fois qu’elles sont posées échappent absolument à tout contrôle et se révèlent – dans des théâtres de conflits comme, par exemple, l’ancienne Yougoslavie – finalement un obstacle à la reconstruction, à la pacification puisque c’est la guerre qui continue à produire ces effets même quand elle a cessé.

M. TAVERNIER : Oui, et les victimes en sont des femmes, des enfants, des paysans, c’est-à-dire des gens qui n’ont pas été mêlés à cette guerre. Oui, cela vise à l’interdiction, mais cela vise aussi, d’abord, essayer d’avoir une loi en France.
On vient de montrer ces films aux différents présidents des différents groupes à l’initiative de Philippe Douste-Blazy et je crois que, d’après ce qu’on m’a dit, un projet de loi va être déposé très rapidement. Enfin, c’est une loi dont on parle depuis très longtemps, qu’on n’avait jamais mise en chantier réellement...

M. FIELD : ... une loi qui interdise la fabrication.

M. TAVERNIER : La fabrication et l’impression qui assimile, salon ce qu’on m’a dit, les gens qui ont des mines à des trafiquants de drogue. J’ai dit : « y compris les militaires ? », y compris les militaires.

M. DEBRÉ : Ce n’est pas tout à fait cela ! À partir du moment où il y a un traité international, ce que nous souhaitons, ce que Jacques Chirac souhaite depuis le 10 octobre ou il a pris la tête de cette campagne, à partir du moment où il y a un traité international signé par la France, il faut une loi pour ratifier ce traité.
Moi, ce que je souhaite très profondément – parce que les films que Bertrand Tavernier nous a montrés il y a quelques jours à l’Assemblée nationale, sont terribles, on en a vu une la télévision aujourd’hui, mais c’est le moins dur – que, à Ottawa, dans quelques jours, en décembre, l’ensemble des puissances du monde fasse comprendre aux États-Unis et à la Russie qu’il faut signer ce traité interdisant les mines antipersonnel. Et alors, là, nous aurons tous, quelle que soit notre appartenance politique, quelles que soient nos options idéologiques, fait avancer le combat de l’homme...

M. FIELD : ... c’est une vraie question internationale. Il y a 71 pays touchés – nous allons vous présenter une carte – et 33 particulièrement. Quand on regards cette carte, effectivement, cela touche tous les continents.

M. TAVERNIER : Absolument ! Dans le film qu’a fait Schöndorff, on voit que l’Allemagne aussi est concernée. Bien sûr qu’il faut, à la conférence d’Ottawa, obtenir de ratifier ce traité qui interdise les mines. Pour le moment, il y a 120 pays, ce qui est un succès ! Mais on peut aussi avoir une loi nationale. Je pense que les deux peuvent aller de pair.
Il y a eu assez d’initiatives pour empocher ces mines, et puis on les tournait. On les tournait de manière hypocrite. On disait qu’on ne fabriquait plus de mines antipersonnel. Les gens de Handicap m’ont donné des exemples...

M. DEBRÉ : ... Elles sont désamorcées ?

M. TAVERNIER : Elles sont désamorcées.
Voici, par exemple, ce qu’on appelait une mine « papillon » que les Russe lançaient par hélicoptère. Elles sont disposées dans les champs, dans les chemins et elles continuent à tuer. Il n’y a aucune stratégie là-dedans, sauf de continuer à frapper les gens longtemps après. D’ailleurs le film de Pavel Lounguine est un film absolument déchirant qui montre deux personnes victimes de ces mines : un enfant russe et un homme qui a posé les mines.
Ceci est une mine chinoise.
C’est vrai qu’on a lutté à Ottawa contre les États-Unis qui ont une attitude incroyablement hypocrite. On interdit les mines dans les pays où en a besoin pour nous : la Russie, la Chine. Mais en attendant, le but de ces films est de faire prendre conscience à un certain nombre d’hommes politiques en France qu’il faut aussi agir dans notre pays.

M : FIELD : Lumière sur un massacre. « 10 films contre 100 millions de mines antipersonnel », ce sont des films que vous verrez d’ailleurs au hasard des programmations sur les chaînes de télévision. La cassette est évidemment disponible et les coordonnées de « Handicap international » sont à votre disposition si vous nous joignez évidemment.
On va revenir, pour terminer l’émission, sur cette question de l’immigration, le projet de loi gouvernemental. Bertrand Tavernier, vous restez avec nous. Vous êtes un interlocuteur de choix par rapport à Jean-Louis Debré puisque vous avez fait partie de ces cinéastes qui se sont manifestés très vite et très tôt contre ce que vous appeliez « les lois Pasqua-Debré »0.
On fait un petit détour par Internet pour voir, justement, comment, sur le Net, vous avez une certaine popularité. Mais sur cette question-là, c’est à peu près pareil ! Regardons.

REPORTAGE

M. FIELD : Un sujet sur le Net de Jérôme Paoli.
Jean-Louis Debré, le débat sur le code de la nationalité, puis ensuite sur l’immigration, va mettre sur la sellette, à la fois, Élisabeth Guigou et Jean-Pierre Chevènement devant l’Assemblée nationale. On ne va peut-être pas rentrer dans la technicité de ces textes parce que c’est souvent, et vous le savez bien, vous êtes le premier à le savoir, assez complexe. On va peut-être retenir trois thèmes qui semblent émerger de vos désaccords absolus avec le projet du gouvernement, c’est l’automaticité de l’octroi de la nationalité, l’extension du droit d’asile et l’assouplissement des critères du regroupement familial.

M. DEBRÉ : Je vais essayer d’être très précis et de ne pas partir dans des incantations en disant que j’aimerais tellement pouvoir dire : « allez, venez chez nous. Installez-vous », être généreux, c’est facile ! Mais un homme politique, pour moi, ne doit pas faire de démagogie.
Je vais vous montrer par des exemples très précis en quoi ces projets du gouvernement sont pervers.
Les enfants nés en France de parents étrangers vont pouvoir devenir à 16 ans automatiquement Français. Très bien !...

M. FIELD : ... démarche volontaire de 16 à 18 ans et, automatiquement, à 18 ans. Je crois que c’est cela le projet de loi.

M. DEBRÉ : Automatiquement. Cela veut dire quoi ? Avant les socialistes, lorsqu’il y avait un jeune qui faisait une attaque à main armée, qui commettait un crime, qui déposait une bombe, il était condamné et il ne pouvait pas devenir Français parce qu’il avait enfreint la loi française.
Autre exemple...

M. TAVERNIER : ... là, il va être condamné en tant que Français.

M. DEBRÉ : Il va être condamné, mais il ne serait plus expulsable.

M. TAVERNIER : Mais il va être condamné. Quelle est la différence entre des gens qui sont expulsables et qu’on n’arrive pas à expulser, étant donné que la plupart des procédures ne marche pas...

M. DEBRÉ : Ce n’est pas vrai !

M. TAVERNIER : ... et quelqu’un qui va être condamne en tant que Français et mis en prison en tant que Français ?

M. DEBRÉ : Bertrand Tavernier, ne dites pas n’importe quoi ! Bertrand Tavernier, je crois qu’il est beaucoup plus facile d’être généreux, mais ne dites pas n’importe quoi, s’il vous plaît ! Parce que, quand je suis arrivé au ministère de l’intérieur, effectivement, on n’exécutait pas les reconduites à la frontière. Mais lorsque je suis parti, on les exécutait.
Je suis républicain, vous êtes probablement républicain...

M. TAVERNIER : … sauf que la moitié des cas de Saint-Bernard ont été cassés pour fautes de procédure, falsifications, mensonges...

M. DEBRÉ : … inexact ! Laissez-moi terminer : « vous êtes républicain, je suis républicain. J’ai appris une chose de la République, c’est le respect de la loi. Nous sommes arrivés à une évolution de l’immigration. Jadis, l’immigration, c’était une immigration de travailleurs, d’hommes et de femmes qui venaient on France avec un souci, une volonté, une ambition, de travailler et respecter les lois de la République. Aujourd’hui, cette immigration a changé de nature. Ce n’est plus une immigration de travailleurs, c’est pour beaucoup d’entre eux une immigration d’ayants-droit, d’hommes et de femmes qui ne veulent plus s’intégrer, qui ne veulent pas s’intégrer à la communauté française, mais qui veulent bénéficier d’un régime social et d’un régime favorable.
Je voudrais continuer...

M. TAVERNIER : … non, laissez-moi un peu répondre : « "je trouve que vous faites un procès général d’intentions que je trouve passablement scandaleux ». Si vous lisez les textes du XIXe siècle, les textes du début du XXe siècle, certains journaux, vous trouvez la même chose sur les Polonais, sur les Italiens. J’ai dix témoignages – y compris dans le film que j’ai fait sur la guerre d’Algérie – de gens, d’Italiens qui étaient à Grenoble qu’on appelait « les macards », dont on disait qu’ils venaient...

M. DEBRÉ : ... en réalité, il y a, entre Bernard Tavernier et moi, une opposition de principe, il y a deux philosophies. Il y a la philosophie de ces personnes, et je la respecte, tout en pensant que, pour eux, cela n’a aucune conséquence, qui est de dire : « il y a la mondialisation des échanges, il y a l’internationalisation du commerce, alors, il y a la mondialisation des flux de populations. Laissons les gens rentrer, sortir...

M. TAVERNIER : ... non, on ne dit pas cela. Je ne dis absolument pas cela. Je trouve scandaleux qu’on fasse une loi et que, par ailleurs, sur le terrain, il n’y ait rien. Pendant que vous étiez au pouvoir, il n’y a eu aucun inspecteur du travail d’engagé. Il y en a eu 400 retirés de la rue. Dans le IIIe arrondissement où vous avez vu la rafle sur le Sentier, il y a un type qui travaille pour contrôler 3 500 entreprises et qui demande, depuis 5 ans, d’avoir d’autres gens.

M. DEBRÉ : Bertrand Tavernier, vous venez de donner, le, l’exemple de quelqu’un qui n’a pas lu ma loi. Parce que si vous aviez lu ma loi que, vous avez contestée, vous auriez vu que j’ai donné des pouvoirs beaucoup plus importants à la police pour aller vérifier les ateliers...

M. TAVERNIER : ... ce n’est pas la police, ce sont les inspecteurs du travail.

M. DEBRÉ : Mais non, je veux que la police rentre pour vérifier le travail clandestin.
Pour continuer sur ce sujet...

M. TAVERNIER : ... la loi sur les donneurs d’ordres, il n’y avait pas de loi sur les donneurs d’ordres. Il n’y en a absolument pas. Vous agitez un chiffon...

M. DEBRÉ : … vous avez défendu et vous défendez – je préfère vouvoyer plutôt que de tutoyer, Bertrand Tavernier, bien que je le connaisse depuis longtemps...

M. TAVERNIER : ... ma sœur surtout.

M. FIELD : Si on vous dérange, on peut partir !

M. TAVERNIER : C’est pour cela que je ne peux pas dire autant de mal de Jean-Louis Debré que je le voudrais...

M. FIELD : … à cause de votre sœur ?

M. TAVERNIER : Mais oui, c’est parce qu’il est ami avec ma sœur.

M. DEBRÉ : Cela fait 40 ans.

M. TAVERNIER : Elle m’a demandé de ne pas être trop dur avec lui.

M. DEBRÉ : Et elle m’a demandé de ne pas être trop dur avec toi.
Cela fait 40 ans que je connais Bertrand Tavernier et j’ai un immense respect pour ses qualités de cinéaste. En ce qui concerne ses qualités de citoyen, je suis plus critique parce que quand je l’ai vu défendre des gens qui étaient ce qu’on appelait des « sans-papiers », c’est-à-dire quoi ? C’est-à-dire des hommes et des femmes qui étaient venus en France en violation des lois et qui voulaient se maintenir en France en violation des lois et en violation des décisions de justice, je dis simplement que si nous acceptons cela, il n’y a plus de République et il n’y a plus d’État.

M. FIELD : Je voudrais juste vous poser une question sur l’actuel projet de loi gouvernemental. Au départ, vous l’avez plutôt bien accueilli. Vous avez dit : « Mais, finalement, Chevènement va dans mon sens ». Et, d’ailleurs, les critiques de Gauche sur ce projet de loi gouvernemental sembleraient vous donner raison. Et, là, maintenant, vous réenfourchez le cheval de l’Opposition sur l’immigration contre le gouvernement ?

M. DEBRÉ : Si vous avez lu tout ce que j’ai dit à cette époque-là, j’ai dit qu’il y avait des dispositions qui étaient l’expression du reniement des socialistes. Car, quand j’ai fait ma loi, j’avais prolongé la rétention administrative de 7 à 10 jours. Hurlements ! On a fait défiler les gens dans la rue...

M. FIELD : ... là, ils ont proposé 14 jours et cela va être finalement 12 jours.

M. DEBRÉ : Cela montre bien que, plutôt de me critiquer, ils font pire. Alors, j’étais assez amusé de voir ce reniement des socialistes en l’espace de quelques semaines. Et puis j’avais simplement dit qu’il y avait d’autres dispositions, le droit d’asile et le droit de la nationalité, qui étaient des dispositions, que prévoyaient les socialistes, qui n’étaient pas acceptables pour la France.

M. FIELD : L’extension du droit d’asile aux combattants qui risquent des persécutions en faveur des libertés ?

M. DEBRÉ : Vous n’êtes pas député, vous n’étiez pas à la Commission des lois, mais lorsqu’on interroge les responsables du texte en demandant : « qu’est-ce qu’un combattant de la liberté ? »

M. FIELD : ... c’est, par exemple, des combattants démocrates algériens.

M. TAVERNIER : Pour le moment, un grand nombre d’articles, de textes le montrent, il y a eu plus de démocrates algériens, de gens qui sent menacés par le FIS, à qui on a refusé absolument les visas que des gens qui sont dans la mouvance du FIS et qui eux ont pu rentrer tout à fait librement.

M. DEBRÉ : Bertrand Tavernier, je vais vous répondre :
1. Est-ce que la France va accueillir tous les opposants du Monde ?

M FIELD : Non, mais c’est une tradition gaulliste qu’elle soit une terre d’accueil pour les combattants de la liberté.

M. DEBRÉ : Pour les gens qui sont persécutés par les États.
En ce qui concernes les Algériens, quand j’étais ministre de l’intérieur, j’ai effectivement accueilli sur le sol de France des Algériens qui étaient persécutés, mais qu’est-ce qu’ils me demandaient ? Surtout que cela ne sache pas. Parce que leur vie était tellement en jeu qu’ils préféraient que cela se passe discrètement.
Alors, je souhaite en ce domaine-là qu’on continue ce que l’on fait...

M. FIELD : ... le gouvernement de Lionel Jospin présente son projet de lot comme un projet d’équilibre, justement, du juste milieu entre sa Gauche et sa Droite, pour aller vite.

M. DEBRÉ : Il explique aux uns qu’on ne touche pas les lois Pasqua-Debré, aux autres qu’on les touche. Le gouvernement Jospin a peur, a peur de sa Majorité et a peur des Français. Parce que si j’avais le temps, je vous donnerais le détail de ces mesures perverses et qui sont dangereuses pour la France. Il a tellement peur qu’il a déclaré l’urgence à l’Assemblée nationale.
Quand j’ai fait ma loi, il y a maintenant quelques mois, je n’ai pas déclaré l’urgence parce que je voulais que le Parlement en discute et en discute longuement parce que ce sont des questions tellement difficiles qu’il faut laisser aux uns et aux autres le droit d’en parler.

M. FIELD : Pourtant, dans votre livre, vous dites quo « vous n’étiez pas tellement partisan de remettre en chantier des mesures législatives et d’utiliser plutôt celles qui existaient puisque votre loi était la 24e modification des textes...

M. DEBRÉ : … quand j’al vu, après Saint-Bernard, combien on avait organisé la paralysie de l’État, je me suis dit que la République avait besoin d’être efficace et d’être respectée.

M. FIELD : Vous ne regrettez pas Saint-Bernard et les images qu’on a vues tout à l’heure ? Vous ne regrettez pas la forme que cela a pris ?

M. DEBRÉ : C’est-à-dire d’être rentré dans une église…

M. FIELD : … oui, cette attaque de l’église. Enfin, ces images qui sont difficiles pour tout le monde.

M. TAVERNIER : Vous trouvez sincèrement que les gens de Saint-Bernard font plus la paralysie de l’État que Monsieur Tiberi avec les faux électeurs, que le RPR avec...

M. DEBRÉ : … ça y est, on est partis !...

M. TAVERNIER : Mais bien sûr ! Vous trouvez que ce n’est pas cela la paralysie de l’État ? Le problème des HLM, vous trouvez que ce n’est pas cela ?

M. DEBRÉ : La paralysie de l’État, c’est le respect de la loi...

M. TAVERNIER : ... le respect de la loi, c’est de faire des faux électeurs ?

M. DEBRÉ : Bertrand Tavernier, le Conseil constitutionnel statuera. Je souhaite que, dans tous les cas, on respects la loi. Pour Saint-Bernard, vous allez m’expliquer comment on peut rentrer dans une église lorsque vous êtes barricadé derrière. Je ne sais pas si vous lisez souvent la bible ?...

M. FIELD : ... cela m’arrive. Peut-être pas tous les fours ! Non, cela serait peu prétentieux.

M. DEBRÉ : Lisez le nouveau Testament et los marchands du temple. Une église, c’est fait pour quoi ?

M. TAVERNIER : C’est scandaleux ce que vous dites ! C’était des marchands du temple ? Ils faisaient du pognon dans cette église ? Non, mais attendez, c’est aberrant ce que vous dites !

M. DEBRÉ : Une église, c’est fait pour le culte.

M. TAVERNIER : C’est fait aussi pour la protection des faibles. C’est dans la Bible aussi.

M. DEBRÉ : Je vais le dire aussi : « interrogez les hommes et les femmes qui étaient à Saint-Bernard, ils vous diront s’il y avait véritablement une grève de la faim ». Eh bien, je crois que vous serez, à ce moment-là, déçus et vous verrez combien on a organisé une attaque contre l’État. Oui, je ne regrette rien parce que, lorsque l’État est attaqué, lorsque la loi n’est pas respectée, le rôle et l’ambition d’un ministre de l’intérieur, c’est de faire respecter la loi à l’égard de tout le monde, quel qu’il soit, parce que c’est cela la République. Que l’homme soit blanc, noir, jaune ou vert, il doit respecter la loi en France et la France s’honore d’être un pays où la loi républicaine est respectée.

M. FIELD : Jean-Louis Debré, pour détendre un peu l’atmosphère, je voudrais juste vous dire qu’il y a un arrêté d’expulsion qui court depuis plus de 10 ans sur une occupation illicite d’une église qui s’appelle Saint-Nicolas du Chardonnet et que la police n’a toujours pas exécutée.

M. DEBRÉ : Pourquoi pas !

M. FIELD : Je dis cela à l’ancien ministre de l’intérieur que vous êtes.
Bertrand Tavernier, votre regard sur le dispositif gouvernemental actuel ?

M. TAVERNIER : Je répondrai d’abord à Jean-Louis Debré qu’il y a une phrase de quelqu’un qui s’appelait Spinoza et qui dit : « quand la loi est injuste, il faut changer la loi. Et il faut se battre pour la changer ». Et, là je ne pense pas que, sincèrement, les gens de Saint-Bernard étaient une menace énorme pour la République.
Par rapport à la nouvelle loi, je pense qu’il y a des points positifs. Je pense qu’il y a des points sur lesquels nous avons exprimé notre désaccord. Nous ne sommes pas les seuls d’ailleurs. Cela va aussi bien de Robert Badinter à un certain nombre de personnel. Il y a des points qui sont critiquables. Il y a un certain nombre d’avancées positives. Cela est net ! Mais pour le moment il y a encore un certain nombre de choses qu’on aurait envie de voir modifier.
On a demandé, en effet, la régularisation des gens qui en ont fait la demande et non pas – ce qui a été travesti – en disant que cela ouvrait les frontières à tout le monde. En plus, quand vous parlez à des policiers, j’en connais pas mal depuis « L. 627 » ...

M. DEBRÉ : … moi aussi !

M. TAVERNIER : D’ailleurs, entre parenthèses, ceux que je connais me disent que rien n’a changé depuis « L. 627 ». Je vous entendais parler de la drogue dans les cités, cela était assez aberrant ! Votre description de la banlieue était absolument aberrante...

M. DEBRÉ : … j’y vis en banlieue. J’y vais souvent.
Depuis 5 mois, tout a changé car le taux d’exécution des reconduites à la frontière a baissé de 15 %, c’est-à-dire qu’on a demandé à la police de ne plus faire respecter la loi, la loi républicaine. C’est en cela que ce règne s’avachit.
Et dans le projet de loi – je ne veux pas rentrer dans toutes les dispositions –, il est inscrit que, désormais, le Procureur de la République qui représente la Société, ne pourra plus faire rappel d’une décision refusant la prolongation de la rétention administrative. On organise la paralysie de l’État. Et je peux vous prendre 25 dispositions de ce texte qui est un texte pervers parce que, en réalité, au bout du compte, l’État sera paralysé face à un certain nombre d’étrangers.
Et finalement le drame de votre combat, c’est que vous êtes en train de faire naître dans ce pays des phénomènes de racisme et de xénophobie parce qu’il faut chercher à intégrer les étrangers en situation régulière en écartant et en faisant partir celles et ceux qui viennent en France et qui ne veulent pas respecter les lois françaises.

M. FIELD : Jean-Louis Debré, Bertrand Tavernier, merci.
C’est un débat évidemment à suivre. Nous aurons l’occasion, d’ailleurs, d’y revenir avec mes prochains invités : Laurent Fabius, la semaine prochaine, puis, ensuite, Charles Pasqua, puis, enfin, Jean-Pierre Chevènement, pour finir ce premier trimestre de « Public ».
En tout cas, tout de suite, vous avez rendez-vous avec Claire Chazal pour le 20 heures et vous avez bien de la chance.

Merci à tous et à la semaine prochaine.