Article de M. Georges Sarre, Président délégué du Mouvement des citoyens, au "Figaro", le 1er août 1999, sur la Charte européenne des langues régionales et minoritaires et la défense de la langue française, intitulé "Langues régionales : ouvrir les yeux".

Prononcé le 1er août 1999

Intervenant(s) : 
  • Georges Sarre - président délégué du Mouvement des citoyens

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le combat pour les langues est d'actualité : ainsi le gouvernement Schröder a décidé, le 2 juillet dernier, de demander que l'allemand devienne langue officielle du Conseil des ministres de l'Union européenne. Revendication fondée, venant du pays le plus puissant d'Europe, qui aspire à redevenir un acteur essentiel des relations internationales. Revendication qui prouve aussi que la langue est un instrument politique. Au-delà de l'exemple allemand, les preuves abondent : l'arabisation en Algérie est un acte politique ; le renouveau de l'hébreu est indissociable de la naissance du sionisme ; le combat des Québécois pour le français est partie intégrante de celui pour la souveraineté.

Le français, comme l'allemand, est une langue de culture. Il est aussi la langue de la diplomatie et des traités, reconnu comme tel par les Nations unies. La France devrait donc, pour tenir son rang parmi les nations, consentir un réel effort en faveur de la défense du français et du développement de la francophonie. Voilà où sont la modernité et l'avenir.

Mon combat pour le français ne m'empêche pas d'être favorable aux langues régionales et minoritaires, qui sont des richesses culturelles à préserver. Il faut donner aux linguistes les moyens de leurs recherches, aux enseignants ceux de la transmission – de la maternelle à l'université –, aux citoyens qui le souhaitent ceux de l'apprentissage. Pour cela, un effort est nécessaire, mais le cadre de la loi Deixonne suffit. Quant aux écoles qui utilisent les langues régionales, elles doivent rester privées, sous contrat d'association.

Que veulent de plus les partisans de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ? Il existe un Office du bilinguisme en Alsace ; on enseigne le corse à l'université de Corte et même le normand à l'université de Rouen… Ratifier la Charte aurait donné à ces langues une consécration juridique tout en ouvrant la voie au rabaissement du français et, partant, de la France.

Rappelons l'origine de ce texte : après la chute du Mur de Berlin, le Conseil de l'Europe le conçoit comme un instrument de protection des minorités en Europe de l'Est. Celles-ci ont leurs partis politiques, leurs députés au Parlement, voire leur autonomie administrative. Il s'agit bien de mettre en oeuvre le principe des nationalités.

Ce modèle n'est pas celui de la France. Or elle avait retenu de la Charte, outre 39 articles, le préambule qui affirme nettement le droit à l'utilisation des langues régionales dans l'administration et la justice. Là est la ligne rouge : nous pensons qu'il n'est pas possible de reconnaître un tel statut aux langues régionales dans la région où elles sont parlées sans reconnaître ipso facto la collectivité des locuteurs comme peuple ou groupe ethnique. François Fontan, fondateur du Parti nationaliste occitan, pensait que « la langue est l'indice synthétique de la nation ». Nombre de mouvements régionalistes le revendiquent d'ailleurs : l'un appelle son journal Le Peuple breton, plusieurs se réfèrent au « peuple corse ».

L'hégémonie de l'anglais

Leur idéal est le modèle de « l'Europe aux cent drapeaux » théorisé par Yann Fouéré : fini les États-nations qui laminent les identités, à chaque ethnie son territoire et son État ! Cette pente naturelle vers l'indépendance est confirmée par le théoricien de l'Europe des ethnies, le professeur Guy Héraud, qui écrit : « L'existence d'une langue régionale prédispose le groupe qui la parle – où qui s'en réclame (…) – à former un corps distinct au sein de l'État et à briguer sans cesse plus d'autonomie, voire d'indépendance. »

Or, chaque fois qu'il a été appliqué dans l'histoire, ce modèle a conduit à la revendication de toujours plus de pureté ethnique : on commence par « purifier » la langue ; vient ensuite la demande d'autonomie, puis d'indépendance. Dans ce contexte, les premières victimes sont toujours les minorités et, dans certains pays signataires de la Charte, le statut de celles-ci n'est guère enviable : faut-il bon être Tzigane en Roumanie, Albanais en Macédoine, Tatar en Ukraine ou Bosniaque en Croatie ?

Tout à leur naïveté, les partisans des langues régionales croient favoriser la diversité des cultures et l'épanouissement des différences. Eux qui prétendent que, pour contrer la toute-puissance de la culture anglo-saxonne, le réenracinement dans les langues régionales et minoritaires est la meilleure des armes, travaillent pourtant à l'hégémonie de l'anglais. En effet, les langues régionales serviront, certes, à la vie quotidienne de quelques centaines de milliers de personnes, mais seront vite folklorisées : comment communiqueront entre eux un entrepreneur, un scientifique basque et son homologue flamand, sinon par l'anglais ?

De plus, loin de n'être qu'un objet de discussion entre linguistes, la Charte est un texte de nature politique, qui ne prend sa mesure que dans un projet visant à déconstruire les États-nations au profit de l'Europe des régions. C'est pour ne pas avouer cet objectif que les défenseurs de la Charte ont caricaturé, déformé les arguments de ceux qui, suivant ainsi le Conseil d'État en 1996 et le Conseil constitutionnel en 1999, refusent de voir l'unité du peuple français démembrée.

En vérité, le français n'est pas défendu chez nous. Il importe donc de lui faire retrouver la place qui lui revient sur la scène internationale et de convaincre la jeunesse qu'il faut, à l'ère de la mondialisation, maîtriser les grandes langues d'échanges (anglais, arabe, chinois, russe) avant les langues minoritaires. Mais comment demander à nos partenaires étrangers d'aimer et d'utiliser notre langue si nous-mêmes n'avons pas foi en sa vocation nationale d'instrument d'intégration des deux millions de jeunes d'origine étrangère, et en sa vocation universelle ?