Interview de M. Alain Deleu, président de la CFTC, dans "Les Echos" du 27 août 1999, sur le projet de loi sur les 35 heures, notamment l'attribution d'aides publiques dans le seul cas d'accords signés par les syndicats majoritaires.

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Texte intégral

Q – La majorité débat actuellement du partage des fruits de la croissance. Quelles sont vos priorités fiscales ?

– La CFTC s'impatiente de voir baisser la TVA sur les services créateurs d'emplois, portée provisoirement à 20,6 % en 1995. Plus globalement, il faudrait aller vers une pression fiscale nulle ou très faible pour les activités à caractère directement de solidarité, modérée pour les revenus du travail et les investissements créateurs d'emplois, maximale pour les enrichissements spéculatifs.

Q – Les 35 heures constituent le premier test de la rentrée sociale. La CFTC a donné l'impression d'être un peu absente du débat. Quelle est votre appréciation du texte de Martine Aubry ?

– Cette impression est fausse, surtout sur le terrain. La CFTC est la deuxième confédération pour le mandatement dans les PME. Notre préoccupation a toujours été de faire réussir les 35 heures, à la fois par la création d'emplois et pour permettre une meilleure harmonisation des temps de vie. Sur le premier point, les résultats sont encore insuffisants. Sur le second, nous avons de fortes réserves sur le projet de loi. En contrepartie de la réduction du temps de travail, les salariés risquent de perdre de la qualité de vie au travail.

Q – Mais la loi n'offre-t-elle pas plus de garanties, pour les salariés, que certains accords de branches que vous avez signés ?

– Chaque branche, dans son contexte, a négocié de manière responsable. Mais les accords qui sont le résultat des rapports de force existant dans chaque secteur, avaient besoin d'un encadrement législatif. Il faut une seconde loi claire, simple. Il appartiendra aux branches de toiletter, si c'est nécessaire, leurs accords.

Q – Qu'attendez-vous du débat parlementaire qui va commencer dans quelques semaines ?

– Le texte doit apporter plus de garanties aux salariés qu'il ne le fait aujourd'hui. La loi doit mieux encadrer la définition du temps de travail, les pauses, les astreintes, etc. Nous souhaitons des précisions sur le décompte annuel du temps de travail, les heures supplémentaires… Lorsqu'il y a modulation des horaires sur l'année, le nombre d'heures supplémentaires autorisé doit être plus bas que ce qui est prévu par le texte (90 heures). Le mécanisme retenu pour la modulation des horaires ne prend pas suffisamment le contre-pied de ce qui existe aujourd'hui, qui donne une prime à ceux qui changent les horaires, sous la pression du « marché », pratiquement sans prévenir. La loi doit réguler le marché qui pousse non plus vers le « juste-à-temps » mais vers le « zéro temps ». Il faut bien mettre un frein à tout cela ! S'agissant des cadres, nous regrettons que le décompte en jours soit le seul mis en relief. Et dans ce cas, il ne faut pas rester à 217 jours au maximum. Il faut descendre autour de 205 jours. Mais les 35 heures peuvent s'appliquer aux cadres aussi.

Q – Un point vous concerne directement : les aides publiques aux 35 heures ne seront accordées qu'aux accords signés par des syndicats représentant la majorité des syndicats. N'est-ce pas un danger majeur pour vous ?

– C'est évidemment un sujet extrêmement important même si ce n'est pas celui qui passionne le plus l'opinion : une mise au point s'impose d'abord. Nous ne concevons pas de signer des accords, surtout s'ils concernent d'aussi près les salariés que les 35 heures, sans nous assurer qu'ils ont le soutien de la grande majorité des salariés. A chaque fois que nos représentants négocient, ils vérifient qu'ils ont l'adhésion des salariés. Nous ne sommes donc pas inquiets de ce que peut donner la consultation des salariés. En revanche, je ne suis pas convaincu par les arguments de Martine Aubry. Elle nous dit : je ne peux pas engager l'argent public sans m'assurer qu'il s'agit d'un bon accord ; un accord porté par les syndicats représentant la majorité des salariés est, ajoute-t-elle, un bon accord. Mais désigner des élus lors d'élections et faire confiance aux syndicats dans la négociation ne relèvent pas de la même logique. La solution trouvée par Martine Aubry n'est pas la bonne. Il est clair en réalité que le gouvernement poursuit d'autres objectifs. Sinon pourquoi a-t-elle refusé d'étendre un accord de branche, celui de l'UIMM, signé par trois syndicats [FO, CGC et CFTC, NDLR] et a-t-elle accepté d'étendre celui de la chimie, signé par la seule CFDT ?

Q – Quel est, selon vous, ce véritable objectif ?

– Le gouvernement veut donner des gages au PS et à la CGT, ainsi qu'à la CFDT – même si celle-ci proteste sur la méthode retenue. Il a franchi le Rubicon d'une nouvelle forme d'ingérence du politique sur le syndical. Il commence à réorganiser progressivement le paysage syndical français. C'est une atteinte à la liberté syndicale. Cela ne suffira pas à mettre la CFTC en difficulté. Ceux qui pensent que ce coup nous sera fatal se trompent. Mais c'est la première étape d'une réorganisation du paysage syndical tel que le voient les pouvoirs publics et qui pourrait déboucher sur une remise en cause des critères de représentativité au plan national.

Q – Plus largement, l'identité de la CFTC ne risque-t-elle pas de pâtir de l'arrivée dans le camp des réformistes, d'abord de la CFDT, puis de la CGT, qui marchent ainsi sur vos plates-bandes ?

– La CFDT est venue clairement dans le champ réformiste mais cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas des écarts très significatifs entre nous. Si elle veut nous rejoindre, tant mieux ! Mais il faut attendre un peu pour voir ce que va faire la CGT. Elle a une longue tradition. Quant à nous, nous sommes porteurs des valeurs sociales chrétiennes. Je comprends que le PS ait envie d'avoir en face de lui une majorité plurielle syndicale de tendance socialiste. Mais nous ne sommes pas pour la confusion du politique et du syndical.

Q – Lionel Jospin arrive bientôt à la moitié de son mandat. Quel bilan en tirez-vous ?

Il a engagé une politique globale pour l'amélioration de l'emploi, sur laquelle nous portons un regard positif. L'autre grand rendez-vous, c'est celui de la protection sociale. Il est encore au pied du mur.

Q – Venons-en à un autre sujet, l'assurance-maladie. Vous avez voté le plan d'économies de la CNAM mais avec des réserves.

– Nous approuvons le plan Johanet mais pas sur tous ses aspects, notamment sur l'hôpital. Le plan est trop sommaire, mal préparé, Je suis inquiet de l'évolution de la situation des hôpitaux.

Q – La CFTC tiendra son congrès en novembre. Les opposants à la ligne que vous incarnez semblent actifs et vous devrez affronter un autre candidat à la présidence, Bernard Ibal.

La contestation que vous évoquez est largement surestimée par les médias. Et nos militants se rendent compte qu'elle est peu crédible. Ceux qui essaient de taxer la direction actuelle de conservatisme sont très mal placés pour le faire.