Interviews de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, dans "La Dépêche du Midi" le 27 novembre 1997, et dans "Le Monde", "La Croix" et "L'Humanité" le 29 novembre, sur le bilan des rencontres locales avec les jeunes, les Journées nationales de la jeunesse à Marly-le-Roi et sur les mesures en faveur des jeunes.

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Circonstance : Journées nationales de la jeunesse à Marly-le-Roi (Yvelines) les 29 et 30 novembre 1997

Média : Emission la politique de la France dans le monde - L'Humanité - La Croix - La Dépêche du Midi - Le Monde

Texte intégral

La Dépêche du Midi - jeudi 27 novembre 1997

La Dépêche du Midi : Vous avez rencontré des dizaines de jeunes, vous avez fait naître des espérances, sur quelles mesures concrètes vont déboucher les rencontres de la jeunesse que vous clôturez ce week-end ?

Marie-George Buffet : Ce sont plus de mille sept cents rencontres de la jeunesse qui se sont tenues partout dans le pays, depuis le mois d'octobre. Elles ne sont pas destinées à faire un énième constat des difficultés, des angoisses et du malaise des jeunes dans notre société. Leurs problèmes, ils les connaissent et je les connais aussi, sinon je ne serais pas digne d’être aujourd'hui la ministre de la jeunesse.

Les 29 et 30 novembre se tiendront, à Marly-le-Roi, des rencontres nationales de la jeunesse. Durant ces deux journées, le dialogue va s'instaurer entre les ministres Claude Allègre, Bernard Kouchner, Louis Besson, Christian Sautter, Alain Richard et trois cents jeunes participants qui pourront et auront à avancer des idées et faire des propositions concrètes pour construire ensemble des mesures.

La présence du Premier ministre pour conclure ces journées témoigne que les problèmes de notre jeunesse constituent rune des grandes priorités du gouvernement. Je proposerai notamment la création d’une « commission nationale de le jeunesse » et une structure de même type aux côtés de chaque direction départementale de la jeunesse et des sports.

Plutôt qu’un projet de loi général sur la jeunesse qui aurait l'inconvénient d’être trop abstrait, les mesures qui pourraient être adoptées au début de l’année 1998 concerneront l'amélioration de l'accès à l'emploi et la formation, à la santé, au logement, au sport, loisirs et vacances, ainsi que les moyens pour les jeunes d’être partie prenante des décisions et des actions.

La Dépêche du Midi : Votre ministère envisage-t-il de créer lui aussi des emplois-jeunes ?

Marie-George Buffet : Dans le mouvement associatif, en particulier dans celui du sport, celui des activités pour les jeunes et celui de l’éducation populaire, il existe de formidables gisements : gisement d'initiative, gisements de projets, gisement d’emplois.

J'ai signé des accords cadre avec le Comité national olympique du sport français (CNOSF) et celui des associations de jeunesse et d’éducation populaire. Au total, plusieurs milliers d’emplois pourront ainsi être créés d'ici au début de l’année 1998.

La Dépêche du Midi : En tant que ministre communiste, ne craignez-vous pas que certains diplômés doivent se contenter d'emplois-jeunes et donc d'un salaire qui ne soit pas en rapport avec leur niveau d'étude ?

Marie-George Buffet : J’ai demandé que les conventions collectives s'appliquent dans le cadre des emplois-jeunes. Chaque jeune employé aura un salaire correspondant à la fonction et aux responsabilités qu'il aura à assumer. Les pouvoirs publics et les partenaires sociaux sont tous.je l'espère, vigilants, vis-à-vis des conditions de travail, de la formation et de la rémunération des jeunes.

 

Le Monde - 29 novembre 1997

Le Monde : Vous êtes ministre de la jeunesse et des sports. Ne craignez-vous pas de décevoir les attentes des jeunes en leur proposant un catalogue de mesures plus ou moins importantes ?

Marie-George Buffet : Nous aurions pu faire une grande loi d'orientation sur les droits des jeunes. Dès les premières rencontres, je me suis aperçue que ça ne résoudrait pas leurs problèmes. Ce qu'ils veulent, c'est qu'on leur simplifie la vie. Ils n'attendent pas un discours démagogue mais des mesures très concrètes. En outre, il n'y a pas, dans nos propositions, des mesures et des « mesurettes ». Il y a certes de gros dossiers, comme le logement ou la protection sociale des 165 000 jeunes qui ne sont plus pris en charge par leurs parents et qui n'ont pas de couverture. Mais il y a aussi des mesures qui peuvent nous paraître moins importantes et qui ne le sont pas pour les jeunes, comme le subventionnement des projets associatifs au moment de leur lancement, et non pas un an plus tard.

Le Monde : Le fait d'avoir organisé des rencontres au niveau local pendant deux mois a-t-il modifié votre optique de départ ?

Marie-George Buffet : Complètement. Au départ, nous étions partis sur des thèmes beaucoup moins étendus. Je n'avais pas mesuré, par exemple, l'ampleur de la question de l'accès à la santé. D'autre part, nous étions trop institutionnels. Lors des rencontres, je n'ai jamais entendu parler de l'âge du droit de vote, en revanche la question des discriminations a été fréquemment évoquée. Les rencontres locales ont ajouté de I'« humain » aux mesures proposées.

Le Monde : Est-il opportun d'appliquer une politique à une classe d'âge, au risque d'oublier des populations tout aussi fragilisées mais qui n'auraient pas le bénéfice de l'âge ?

Marie-George Buffet : J'évite les discours sur la « génération sacrifiée », je ne dis pas qu'il faut faire de la jeunesse la priorité absolue, qui écarterait les autres. Je crois simplement qu'il faut prendre en compte les questions propres à la jeunesse ; dans le logement, par exemple, il faut vraiment traiter concrètement les problèmes particuliers des jeunes.

 

La Croix - 29 novembre 1997

Marie-George Buffet : Nous voulions donner la parole aux jeunes. Ainsi, à l'initiative du ministère et, dans bien des cas, en partenariat avec des associations de jeunes, des mouvements d'éducation populaire, des mairies et des départements, plusieurs milliers de jeunes se sont rencontrés à travers toute la France.

La Croix : Qu'espérez-vous de la rencontre nationale de ce week-end ?

Marie-George Buffet : Les rencontres régionales et la manifestation de ce week-end sont là pour permettre aux jeunes de décider avec le ministère des changements à accomplir. Faisons-leur confiance, car sur tout ce qui pourrait améliorer leur vie quotidienne, ils ont des idées et des projets.

La Croix : Par exemple ?

Marie-George Buffet : J'ai reçu dernièrement des jeunes ruraux qui m'ont présenté des initiatives très encourageantes de reconstruction du tissu social dans le monde rural. D'autres jeunes, qui bénéficient de la subvention du ministère dans le cadre de l'aide aux projets associatifs, ont déjà à leur actif de belles réalisations comme cet accompagnement scolaire pour 120 collégiens et lycéens à Lille. Pour ma part, j'engage mon ministère dans une politique d'action avec les jeunes eux-mêmes sur des objectifs précis. Cette politique doit se définir en tenant compte du mouvement associatif qui renaît actuellement au sein de la jeunesse.

La Croix : Allez-vous annoncer des mesures concrètes ?

Marie-George Buffet : Nous nous dirigeons vers une série de mesures précises, législatives ou réglementaires. Et pour veiller à leur bonne application, je proposerai la création d'un Comité consultatif de la jeunesse au niveau national et aux côtés de chaque direction départementale de la jeunesse et des sports.

La Croix : Depuis votre prise de fonction à la tête du ministère, avez-vous découvert quelque chose que vous ignoriez ?

Marie-George Buffet : Des choses que je sous-estimais, certainement : notamment les envies des jeunes de s'investir, leur désir de citoyenneté ou la préoccupation qu'ils manifestent pour la santé sans que cela soit lié au seul sida. Nous envisageons d'ailleurs une campagne de prévention sur les dangers du tabac, de l'alcool, de la drogue et du dopage.

La Croix : Une campagne de plus... Vous croyez vraiment à leur efficacité ?

Marie-George Buffet : Oui, car cette campagne sera menée avec les autres ministères concernés. Une telle collaboration gouvernementale démultiplie les chances de réussite.

La Croix : Où en est le dossier des rythmes scolaires défendu par votre prédécesseur, Guy Drut ?

Marie-George Buffet : J'ai deux convictions : d'une part, ce dossier ne peut être traité qu'avec l'éducation nationale puisqu'il s'agit en premier lieu des rythmes de vie de l'enfant, et, dans ceux-ci, il y a le temps scolaire. D'autre part, je crois qu'il est temps que nous sortions de la phase expérimentale qui dure depuis plus de dix ans avec différents systèmes. La généralisation de l'aménagement des rythmes scolaires est nécessaire si l'on veut répondre aux besoins de tous les enfants.

La Croix : D'autres dossiers sont en cours de traitement avec le ministère de l'éducation nationale ?

Marie-George Buffet : Oui, après la maltraitance, la violence, la santé, nous étudions le problème de la formation. Nous devons trouver un débouché pour tous les jeunes qui suivent les filières de l'éducation nationale ou les formations jeunesse et sports.

La Croix : Avez-vous des projets concernant les loisirs des jeunes ?

Marie-George Buffet : Je suis déterminée à soutenir les initiatives innovantes des associations et des clubs. Une manière de les aider est d'être partie prenante de la création d'emplois jeunes dans tous les secteurs de l'animation et du sport. Nous allons travailler sur un statut du bénévolat et une simplification des demandes pour la création d'associations.

La Croix : Le budget dont vous disposez est-il à la hauteur de vos ambitions ?

Marie-George Buffet : Ce budget 1998 marque une inversion de tendances. Pour la première fois depuis 1993, les crédits consacrés à la jeunesse et aux sports sont en augmentation. Et à l'intérieur de ce budget, j'ai réussi à rééquilibrer la part consacrée à la jeunesse par rapport à celle du sport. C'était pour moi essentiel.

 

L’Humanité - 29 novembre 1997

L’Humanité : On sait que vous avez eu, dès votre arrivée, la volonté de rééquilibrer l'action du ministère qui avait eu tendance, ces dernières années, à laisser de côté les questions propres à la jeunesse. Les rencontres de Marly sont-elles une étape importante ?

Marie-George Buffet : Je crois que ces rencontres peuvent constituer l'acte de naissance ou de renaissance d'un ministère de la jeunesse. Ce rôle avait quasiment disparu pour laisser place à des opérations ponctuelles, à tel point que beaucoup de fonctionnaires de ce ministère, très présents sur le terrain, ont pu avoir le sentiment d'être instrumentalisés. Dès mon arrivée, il fallait affirmer l'ambition de donner à ce ministère une mission essentielle : devenir un interlocuteur permanent des jeunes, un relais actif à leurs projets, leurs besoins, leurs demandes. Une dynamique s'est alors enclenchée. Depuis le 1er octobre, environ 100 000 jeunes ont participé à 1 700 rencontres locales.

Et c'est à partir de ce qu'ils ont proposé, que nous avons travaillé, avec les ministères concernés, à une série de mesures concrètes.

L’Humanité : Après seulement cinq mois d'exercice, était-il urgent de passer aux actes ?

Marie-George Buffet : C'est précisément l'objectif de cette rencontre nationale. Les jeunes n'y viennent pas pour qu'on leur raconte des histoires ou pour bien leur expliquer ce qu'ils n'auraient pas compris. Ils viennent d'abord pour prendre la parole, avoir un débat direct avec plusieurs ministres, ce qui ne s'est jamais fait jusqu'ici, et sortir de ces deux journées avec la perspective de mesures précises applicables rapidement.

Dans un premier temps, j'avais envisagé la présentation d'un projet de loi-cadre sur la jeunesse. Les rencontres m'ont fait changer d'avis. J'ai vite mesuré combien les jeunes ne se contenteraient pas d'un discours de bonnes intentions. La méfiance que peuvent susciter chez eux les politiques ne peut être surmontée que par des actes. Faisons ce que nous disons, et la politique y gagnera. J'aurai donc l'occasion de présenter, dimanche matin, des mesures élaborées avec les jeunes et des propositions qui nécessitent de poursuivre le chantier qui s'est ouvert. Ces mesures ont trois grands objectifs : améliorer les conditions de vie quotidienne des jeunes, leur permettre d'accéder réellement à la citoyenneté, et développer fortement les actions contre l'exclusion sociale.

L’Humanité : On connaît la souffrance des jeunes, mais les rencontres, depuis début octobre, ont montré, aussi, qu'ils étaient prêts à s'investir. Comment les aider ?

Marie-George Buffet : C'est ce qui m'a frappé le plus. Elles et ils ne se lamentent pas sur leur sort, mais expriment avant tout une formidable volonté de s'impliquer dans tout ce qui les valorise. Partout, je les ai entendus dire : « On ne nous fait pas confiance, on veut être considéré, on veut pouvoir donner notre avis, on en a assez que des gens parlent à notre place. » C'est un appel. Notre devoir est d'y répondre. Je pense en particulier qu'il est nécessaire d'encourager, par des aides directes, les initiatives, les projets, les créations d'associations, les actions d'insertion économique et sociale. Cette forte demande de concret et d'immédiateté n'est pas à mon sens, le révélateur d'un défaut d'idéal. La plupart de leurs idées et propositions portent des valeurs humaines.