Texte intégral
Le Nouvel Observateur. – On attendait une mobilisation générale du gouvernement pour le sauvetage des banlieues difficiles. Ministre de la Ville, vous êtes chargé de ce dossier. Pourquoi vous voit-on si peu ?
Claude Bartolone. – La situation dans nos quartiers est grave et les tensions y sont très fortes. J'ai choisi d'aborder ce dossier avec sérieux, de ne pas faire de politique-spectacle.
N. O. – De faire de l'anti-Tapie ?
C. Bartolone. – Si vous voulez. En tout cas, de ne pas toujours me faire accompagner de micros et de caméras lorsque je vais dans les quartiers. Ce ne sont pas des réserves, dont la télévision montrerait des images exotiques. Leurs habitants n'aspirent qu'à pouvoir y mener une vie normale. Avant de parler, il fallait redonner confiance à tous ceux – éducateurs, fonctionnaires, élus locaux, acteurs associatifs – qui s'engagent au quotidien pour améliorer la vie dans les quartiers. Ils ont déjà entendu trop de discours, trop de promesses !
N. O. – Visez-vous le pacte de relance Gaudin-Juppé et les zones franches pour inciter les patrons à venir ?
C. Bartolone. – Je ne jette la pierre à personne. Les inventeurs des zones franches urbaines ont au moins eu le mérite de faire comprendre qu'on ne résoudra rien si on ne crée pas d'activités économiques dans les quartiers. Mais il ne suffit pas d'accorder des primes aux entreprises pour donner de l'emploi aux habitants. Je prépare avec Martine Aubry des mesures contre le chômage dans les quartiers, notamment pour les adultes. Le grand chantier du renouvellement urbain que nous ouvrons avec Jean-Claude Gayssot et Louis Besson aura également pour but de transformer ces quartiers sans vie économique et d'inciter les entreprises à y participer.
N. O. – Précisément, ceux qui sont sur le terrain ont le sentiment que rien n'a changé, qu'il y a toujours un écart entre le discours et la réalité.
C. Bartolone. – Je croix au contraire que la reconquête est en marche, avec la confiance que suscitent les premiers résultats d'une politique qui engage – fait sans précédent depuis les débuts de la politique de la ville – chaque membre du gouvernement. Lorsque le gouvernement obtient un gel pendant deux ans des loyers HLM, lorsque l'Education nationale réforme les zones d'éducation prioritaire et s'ouvre au partenariat pour favoriser la réussite pour tous, lorsqu'on crée des emplois-jeunes dans les banlieues, on passe du discours à la réalité. Le Premier ministre, très attentif à ce sujet, souhaite que la rentrée marque une nouvelle étape.
N. O. – Pourquoi disposez-vous d'un budget aussi faible ?
C. Bartolone. – Cela représente tout de même 1,2 milliard de francs, entièrement consacrés à des actions de terrain. Mon ministère n'a pas pour ambition de faire à la place des autres, mais d'impulser et de coordonner l'action. La progression sans précédent de mon budget en 1999, avec de bonnes perspectives pour 2000, est à la mesure de l'implication croissante des ministères et des partenaires locaux. Mais au-delà des moyens financiers, l'enjeu est que chacun se sente concerné par ce projet de société : refuser que des territoires regroupent des femmes et des hommes qui subissent la misère et ne voient aucun moyen de s'en sortir, pour eux comme pour leurs enfants.
N. O. – Vous aurez du mal à faire croire que la ville est une des grandes priorités du gouvernement.
C. Bartolone. – C'est pourtant le cas, et cette priorité sera réaffirmée prochainement. Dans un premier temps, c'est vrai, le gouvernement s'est concentré sur le recul du chômage et le retour de la croissance. Aujourd'hui, une grande partie des fruits de cette croissance retrouvée doit servir à combattre les inégalités. Et où trouve-t-on les inégalités les plus criantes si ce n'est dans les quartiers en difficulté ? Le retour à la croissance ne doit pas s'arrêter à l'entrée des quartiers. Les populations et notamment les jeunes qui y vivent ne contestent pas la société de consommation, ils veulent pouvoir y trouver leur place. Mais ils ont l'impression d'être des citoyens de seconde zone, en raison de leurs origines ou de leur adresse, de ne pas jouir de l'égalité des chances pour l'emploi, le logement ou les loisirs. La politique de la ville ne doit plus être perçue comme un geste de solidarité, mais comme l'outil d'un renouveau de la citoyenneté, d'une volonté d'intégration dans la société. Mêmes droits, mêmes devoirs : c'est ce que j'appelle le donnant-donnant, le gagnant-gagnant. La citoyenneté sera le troisième axe sur lequel je prendrai des initiatives à l'automne, avec le renouvellement urbain et l'emploi.
N. O. – Quand verra-t-on des résultats concrets en matière de sécurité ou d'emploi, par exemple ?
C. Bartolone. – La reconquête sera faite de petites victoires quotidiennes. Pour chacun des 25 000 emplois-jeunes en provenance des quartiers, c'est une famille entière qui reprend espoir. Quand des correspondants de nuit s'attachent à apaiser les tensions, à résoudre des conflits, c'est le climat d'un quartier qui change. Il n'y aura pas un grand soir de la politique de la ville. Les dysfonctionnements sont apparus au début des années 60, ils ont culminé au milieu des années 80. Il nous faudra presqu'autant d'années pour rééquilibrer nos territoires. Nos villes vont profondément changer dans les dix prochaines années. Le Premier ministre et le gouvernement ont vraiment cette ambition. La réunion gouvernementale d'Arles en apporte une nouvelle preuve : l'Etat fera plus que doubler les crédits affectés à la politique de la ville dans les sept prochaines années. C'est un signe qui ne trompe pas.
N. O. – En attendant, pour l'été, vous organisez une nouvelle opération anti-été chaud. Comme vos prédécesseurs. Est-ce que ce n'est pas un peu à l'image de la politique de la ville : on évite le pire, mais on ne résout rien…
C. Bartolone. – Il est vrai qu'au départ ces dispositifs pendant les vacances avaient pour but d'éviter les violences dans les quartiers. Il est vrai que des municipalités s'en sont parfois servies pour exporter leurs difficultés en envoyant leurs jeunes dans des lieux touristiques. Ce n'est plus le cas, et j'ai tenu à ce qu'il ne s'agisse plus seulement d'une action pour l'été e que les jeunes soient servis pendant toute l'année par des animateurs, qui les aident à monter un projet pour les vacances. Par ailleurs, avec l'Association des Maires de France, j'ai coordonné l'action des villes de départ et des villes d'accueil, et renforcé l'encadrement des jeunes, qu'ils partent ou qu'ils restent. Dans certaines écoles, des enseignants acceptent bénévolement de s'occuper des jeunes en difficulté. Vous voyez, là aussi l'esprit a changé.