Texte intégral
Libération : 22 juin 1999.
A mon initiative, des intellectuels et élus ont, au nom de notre idée de la République, lancé un appel contre la ratification de la Charte des langues régionales et minoritaires. Nous voici accusés de pratiquer une politique d'exclusion visant à « priver les citoyens d'un ancrage identitaire ». Démontons ce procès d'intention.
Nous reconnaissons les langues régionales et minoritaires comme partie intégrante du patrimoine français. Nous considérons que la Charte, si elle avant pour objectif, comme l'écrivent Henri Giordan et ses amis « la sauvegarde d'un patrimoine linguistique menacé de disparition » serait un texte ringard pour nostalgiques mais acceptable. Le gouvernement l'a d'ailleurs voulu ainsi, qui n'a pas retenu les articles introduisant ces langues dans la justice et l'administration. Le problème est que, de l'aveu même de nos détracteurs, elle n'est pas que cela. Elle est, pour les mouvements autonomistes et régionalistes, une arme politique. Pour favoriser l'éclatement du cadre national et à la création d'une Europe des régions qu'ils souhaitent, ils réclameront demain la ratification d'autres articles, exigeront que deviennent publiques, alors qu'elles peuvent rester privées et sous contrat, des écoles où l'enseignement est entièrement dispensé dans les langues régionales. C'est l'ethnicisation des esprits qui est en marche.
Aux partisans de la Charte qui culpabilisent la France en l'accusant de réprimer des langues régionales, nous rappelons qu'elles sont librement parlées et enseignées, que personne n'a interdit Alan Stivell ou I Muvrini. D'ailleurs nombre de pays non signataires de la Charte respectent leurs minorités (Italie, Belgique, Royaume-Uni) alors que d'autres qui l'ont ratifiée pratiquent, en Europe centrale notamment, la discrimination ethnique et linguistique, en particulier envers les Roms, peuple paria de la région !
Nous le maintenons, cette charte porte un mauvais coup à la francophonie, car l'hégémonie de l'anglais ne pourra être contenue que par un effort massif en faveur du français. Oui, économiquement, il est suicidaire d'enfermer une petite fraction de la jeunesse de certaines provinces dans la pratique de langues qui ne sont parlées que dans une province d'un ou deux pays européens alors que le français possède des dizaines de millions de locuteurs en Afrique, au Maghreb, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est. Et disons-le clairement aux citoyens de nos DOM-TOM : s'il est naturel de protéger les créoles, comme les langues polynésiennes ou mélanésiennes, seuls le français peut, dans la Caraïbe et le Pacifique, être langue de communication avec l'anglais et l'espagnol.
On nous dit disciples de l'abbé Grégoire ? Mais nous ne nions pas l'existence des langues régionales et leur richesse ! Si nous ne récusons pas la figure de l'illustre conventionnel, c'est parce qu'il donna aux juifs de France leur citoyenneté et aux esclaves leur liberté. Si, sous la Révolution, et plus tard la IIIe République, l'Etat a voulu contenir les patois et les langues régionales, c'est parce que la construction de la France en tant que nation passait par la diffusion du français, en un temps où les adversaires de la République misaient sur les régionalismes. Ces adversaires existent toujours. En adoptant le modèle communautariste en vigueur dans nombre de pays signataires de la Charte, mais contraire à notre tradition républicaine, fondée sur le citoyen et non sur les identités collectives, ils défont la République et nuisent à l'intégration des Français d'origine étrangère ; laquelle ne peut passer que par le français. En censurant certaines dispositions de la Charte européenne sur les langues régionales et minoritaires, le Conseil constitutionnel nous a d'ailleurs donné raison.
Déclaration – 23 juin 1999
Le Président de la République vient de refuser d'engager la révision constitutionnelle demandée par le Premier ministre afin que la France puisse ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, déclarée incompatible avec notre Constitution par le Conseil Constitutionnel. C'est une heureuse surprise qui met un point final à une funeste entreprise qui, loin de reposer sur une querelle de linguistes, était en fait éminemment politique. En effet rappelons que les langues régionales et minoritaires, les patois sont en France parlés, écrits, enseignés et diffusés librement. Ils sont utilisés par la presse écrite, les radios et les télévisions, y compris du service public.
Il est normal que soient protégées des langues qui font partie du patrimoine historique national. Comme l'indique le président de la République, cela est possible sans signer ni ratifier la Charte, que les républicains modernes ne pouvaient soutenir car elle consacrait la reconnaissance politique des langues en question. La question politique que pose la ratification de la Charte est simple : certains, par simple effet de mode, soutiennent le droit des langues régionales et minoritaires à être utilisées dans la sphère publique. Adopter leur point de vue aurait conduit au remplacement des Etats-Nations par une Europe des régions où la citoyenneté aurait été supplantée par le communautarisme. C'est cette idée fausse qui vient de se voir organiser, par le chef de l'Etat, un bel enterrement.
Le Monde : 25 juin 1999
1. - Vous êtes député de Paris, porte-parole du Mouvement des citoyens. Lionel Jospin a proposé une révision de la Constitution que Jacques Chirac vient de refuser. Vous en réjouissez-vous ?
Jacques Chirac a organisé un bel enterrement. C'est une heureuse surprise. Si le patois et les langues régionales étaient menacés, je serais le premier à me mobiliser pour les défendre. Ce n'est pas le cas : les langues minoritaires sont écrites, parlées, diffusées. En outre, il ne s'agit pas pour nous d'une querelle de linguistes. C'est une affaire hautement politique. Ceux qui brandissent l'étendard de la sauvegarde des langues minoritaires défendent, qui l'autonomie, qui l'indépendance, qui l'Europe des régions. Nous ne voulons pas que la République soit remise en question par une « Europe sans drapeaux ».
2·- Quand Dominique Voynet avait réclamé, en novembre 1998, la régularisation de tous les sans-papiers, vous aviez souligné dans un communiqué son « inconséquence ». Le MDC est aujourd'hui en désaccord avec la réforme du parquet, après s'être opposé aux frappes de l'OTAN au Kosovo. La majorité « plurielle » est-elle un édredon prêt à accueillir toutes les opinions ?
La majorité plurielle est plurielle, comme l'a dit Lionel Jospin, et seul le débat permet d'avancer. Nous donnons, nous, la préférence à un pôle sérieux, authentiquement de gauche, qui donne une cohérence à l'ensemble. La liste PS-MDC-PRG en a été le reflet aux élections européennes. Nous entendons peser sur les questions sociales : les 35 heures, les retraites. La majorité n'est pas un édredon, car nous ne sommes pas des plumes. Simplement, quand elle prend des coups, chacun retrouve sa place.
3. - Daniel Cohn-Bendit déclare, dans L'Evénement (24-30 juin}, que Jean-Pierre Chevènement, « après son dramatique accident d'anesthésie, a droit à une retraite anticipée méritée ». C'est une bonne idée, de la part de M. Jospin, de rencontrer M. Cohn-Bendit ?
C'est une polémique subalterne, ne présentant aucun intérêt. Point final. Quant au premier ministre, il reçoit qui il veut quand il veut et où il veut.