Texte intégral
Q - Comme chaque année, vous avez établi un baromètre social. Cette année, la question portait sur le dialogue social et les 35 heures dans l'entreprise. La réponse montrait que le dialogue social n'a pas été vraiment amélioré par cette négociation sur les 35 heures.
- « Tout le monde dit qu'au fond, les 35 heures ont été un formidable élan pour la négociation, le dialogue social. »
Q - C'est ce que disait en tous cas M. Aubry.
- « En statistique, on voit également un nombre d'accords important. D'une part, il est vrai que là où il n'en était pas question, dans l'artisanat, les PME, les discussions s'ouvrent, s'engagent. Il y a des négociations. Nous avons signé 40 % d'accords dans des entreprises où nous n'étions pas présents avant. C'est-à-dire que-nous avons été appelés par les salariés pour créer, constituer une section syndicale et négocier. »
Q - Là, ça s'est bien passé ?
- « Là, ça marche. Mais en revanche, dans les entreprises moyennes ou importantes, c'est un peu la surprise. On voit que, au fond, les 35 heures viennent perturber la négociation sociale, viennent la percuter. On ne sait pas comment arrêter le problème. Les entreprises cherchent des solutions, on fait appel à des consultants, on s'appuie sur la hiérarchie... »
Q - Qu'est-ce que cela veut dire ? Que cela crispe le dialogue social entre syndicats et patrons ?
- « On ne sait, pas comment faire. Le patronat doit trouver une solution parce qu'il doit appliquer cette loi. Les salariés veulent défendre leurs garanties. Les patrons ne savent pas comment gérer cette affaire dans le détail. Les syndicats sont également assez impuissants. Au fond, on a une négociation qui ne sait pas comment se nouer. On voit bien qu'un syndicalisme d'incantation – "Il n'y a qu'a", "Il faut" – ; ou bien un pilotage par le haut – l'état-major dit : "Il faut faire cela" – ne marchent pas. On sent venir pour traiter un problème comme l'importance d'un syndicalisme de compétences, de réseaux de compétences jusqu'au terrain, jusqu'au bout. Il y a une remise en cause du syndicalisme derrière cela qui me paraît importante. »
Q - Justement, cet après-midi, la deuxième loi sur les 35 heures va être discutée à la commission sociale de l'Assemblée nationale et, au coeur de cette deuxième loi, la réforme de la représentativité syndicale. Comme M. Blondel, dites-vous que c'est un casus Belli entre le Gouvernement et les syndicats ?
- « A part la CGT, toutes les confédérations sont du même point de vue. C'est-à-dire que le choix qui est fait dans le Gouvernement est un mauvais choix. On dit qu'il faut s'appuyer sur les syndicats majoritaires. Or en France, majoritairement, les confédérations refusent cette disposition. »
Q - Est-ce qu'il est normal que dans une entreprise, quand un syndicat est minoritaire et qu'il signe un accord, que cet accord soit applicable à tous ? Est-ce que c'est de la démocratie normale ?
- « Cela fait des décennies que cela dure et heureusement ! Parce que si l'on avait attendu les majoritaires, qui sont élus souvent sur un cahier de surenchères revendicatives, qui sont majoritaires par démagogie parfois, on n'a rien eu ! Ni la sécu, ni le chômage, rien, C'est souvent comme ça. Aujourd'hui, il est clair que les neuf-dixièmes des accords sur le temps de travail sont signés par l'ensemble des syndicats présents dans l'entreprise. Autrement dit, c'est un faux problème. Le Gouvernement fait cela pour donner un petit cadeau à la CGT pour commencer à remettre en cause... »
Q - Peut-être aussi pour apaiser les patrons qui parfois s'y perdent avec des interlocuteurs multiples dans les entreprises.
- « Quand on s'y retrouve, le pluralisme est une richesse. Quand vous voyez l'Indonésie, les pays dans le monde ou cela ne marche pas sur le plan social, généralement y a un monopole syndical. La liberté syndicale c'est une chance pour la France. »
Q - Regardons les statistiques : selon le BIT, le pourcentage des syndiqués en France est de 9 % des salariés, en Espagne il est de 18 %, en Allemagne de 29 %, au Royaume-Uni de 33 %, en Italie 44 %. 9 % en France, mais c'est dérisoire !
- « On en connaît assez bien la raison. En France, il n'y a pas d'avantages particuliers pour les syndiqués. Allez en Belgique ou ailleurs, il y a un avantage direct à être syndiqué. Par exemple, en Belgique, on touche le chômage. En France, ce sont des syndicats de lutte de classe, de contestation qui sont dominants dans les médias; les super médias, à la télé, c'est eux que l'on voit ! Effectivement, les salariés ne veulent pas de cela. C'est la preuve que le syndicat dominant en France est rejeté par les salariés. Ce n'est donc pas le moment pour mettre en difficulté ceux qui ont moins les moyens de s'exprimer. »
Q - En Italie, il y a un accord au terme duquel il y a un syndicat dans une entreprise qui représente l'ensemble des salariés et cela arrange les choses.
- « Oui, à l'italienne... »
Q - Ce n'est pas transposable en France ?
- « Non, L'Italie ce n'est pas la France. En revanche, en France il faut arriver à travailler ensemble davantage. Nous, à la CFTC, nous y sommes prêts. Nous sommes souvent les acteurs qui font que l'on réussit à trouver des terrains d'entente à plusieurs parce qu'on peut mettre des liens entre les choses. Donc, étant nous-mêmes, chacun soi-même avec sa diversité, sa culture, ses références, on peut agir ensemble. Il y a beaucoup à faire. Mais ce n'est pas en se dressant l'un contre l'autre avec cette affaire de loi Aubry que l'on va avancer. »
Q - Il n'y aura aucun accord avec les syndicats pour reformer la représentativité ?
- « On peut discuter. Depuis le d »but, nous avons dit : "Quand il y a des syndicats majoritaires qui refusent un accord, qu'ils s'y opposent !" Ils peuvent s'y opposer, la loi le permet. Eh bien, que la loi permette que le droit d'opposition fonctionne bien. »
Q - Le droit de veto ?
- « Oui, il existe ! On peut l'aménager parce qu'il est un peu bas dans le système actuellement. On peut le corriger, mais aller au-delà c'est une erreur pour la démocratie. Ne faisons pas cela, c'est une erreur ! »