Texte intégral
Q - Aux élections européennes de 1994, Philippe de Villiers avait obtenu 12 % des voix avant de connaître un échec à la présidentielle de 1995. Pourquoi votre succès du 13 juin serait-il plus pérenne ?
- À l'époque c'était Villiers, et aujourd'hui c'est Pasqua plus Villiers. Dans de nombreuses régions, même si les scores des listes aux élections européennes de 1994 et de 1999 sont proches, la nature de l'électorat est assez différente. Cette année, nous avons recueilli sur notre liste un électorat plus populaire, qui a mordu, pour partie, sur celui du RPR, sur celui du Front national et, dans une moindre mesure, sur l'électorat de gauche. Nous avons été perçus comme une liste souverainiste, défendant l'unité nationale, et non pas comme une liste de droite, uniquement axée sur les valeurs conservatrices, et donc forcément un peu réductrice.
Face au choc de la mondialisation, face à la course au fric, face à la mise en cause de tout ce qui a fait la force de la France, les gens sentent bien qu'en définitive les politiques français ont abdiqué. Le système économique est tel qu'il va entraîner la disparition du type de société qui est le nôtre, et qui s'appelle la République. C'est la raison pour laquelle nous attirons des gens très au-delà des cercles de la droite traditionnelle.
Q - Comment peut-on espérer bâtir de fond en comble un parti un peu monothématique, même si l'idée centrale en est la défense de la souveraineté nationale ?
- Mais le parti ne sera pas monothématique ! Les missions de réflexion, que nous avons créées dans la perspective de notre congrès fondateur, se donnent pour objectif de donner un coup de projecteur sur le pays tel qu'il est, sur l'évolution de l'Europe telle qu'elle se dessine, et de dire quelle est notre vision du monde. Le mot de « souverainisme » ne me plaît pas outre mesure, mais c'est devenu une notion dans laquelle les gens se reconnaissent, parce que le souverainisme, au fond, c'est tout bonnement le social.
Q - LE RPF sera-t-il clairement un parti d'opposition au gouvernement actuel ou bien est-ce plus compliqué que cela ?
- Nous sommes un parti d'opposition à la cohabitation, dans ce qu'elle a d'hypocrite et dans ce qu'elle a de réducteur. Je dois dire à ce propos que je ne comprends pas l'attitude de Jacques Chirac. Ou plutôt, son attitude ne s'explique que d'une seule manière : Chirac est tellement content d'avoir une bonne image qu'il est persuadé que, même si la gauche gagnait les élections législatives, lui, il serait réélu.
C'est aussi ce qui explique son attitude par, rapport au RPR. La seule chose qu'il veut, c'est un RPR qui lui fiche la paix et qui soit donc aseptisé. C'est pourquoi le seul dont Chirac puisse être totalement sûr, paradoxalement, c'est Nicolas .Sarkozy : celui-ci n'a pas d'assise politique personnelle, il est simplement persuadé que Chirac lui permettra de faire carrière. Sarkozy est un ambitieux, il sera entièrement entre les mains de Chirac.
Q - Le procès de la cohabitation vous amène-t-il à tracer un signe d'égalité entre le Président de la République et le Premier ministre ?
- La cohabitation conduit le Président de la République et le Premier ministre à être d'accord dans beaucoup de domaines, et leurs partis aussi. Tout le monde s'aligne, aujourd'hui. Quand Chirac est arrivé au pouvoir en 1995, il pouvait proposer le report de la monnaie unique de deux ou trois ans, il pouvait dire que les critères de convergence étaient secondaires par rapport à la lutte contre le chômage. Mais, au bout de six mois, il a cédé devant les marchés et devant Helmut Kohl. Quand Lionel Jospin est arrivé en 1997, il était dans la même situation, il pouvait refuser le pacte de stabilité. En fait, il n'a pas mis un mois pour se ranger.
Il faut donc en tirer les conséquences. Il nous faut nous déterminer par nous-mêmes, en face des problèmes de notre temps, et ne pas nous sentir tenus par les positions ou les décisions, que prennent le Président de la République ou le Premier ministre. Nous ne sommes plus dans ce dispositif : nous n'avons pas créé le Rassemblement pour la France pour revenir à la même table que Sarkozy, Bayrou et Madelin !
Q - Deux rendez-vous approchent : des renégociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce et la réforme institutionnelle de l'Union européenne. Quelle sera votre attitude ?
- Nous aurons un important travail de sensibilisation et de mobilisation de l'opinion pour qu'on ne laisse pas les gouvernements et l'Europe faire n'importe quoi. Nous ne serons pas les seuls, comme le prouve l'affaire Bové.
Quant aux réformes institutionnelles, la principale consiste à généraliser le vote à la majorité qualifiée, et à dire si la France pèse 10 ou 12 %. C'est donc la fin programmée des nations. Pour nous, c'est un casus belli.
Q - On a perçu une différence d'analyse entre ceux qui, comme vous, feraient volontiers l'impasse sur les élections municipales et ceux qui, comme Philippe de Villiers, veulent être présents dans tous les scrutins.
La clarification a-t-elle eu lieu ?
- Il n'y a pas vraiment de différence d'analyse, dans la mesure où on ne peut pas adopter une position générale. Partout où on le pourra, nous présenterons des candidats. Mais il faudra que ce soit sous nos couleurs, en tout cas au premier tour...
Q - Et au second, vous vous désisterez pour les formations de droite que justement vous récusez ?
- Au second tour, nous ne ferons pas.la politique du pire et, sous réserve de réciprocité, nous nous retirerons au profit des formations qui, sur l'essentiel, défendent les mêmes thèses que nous.
Q - Vous n'échapperez pas à une certaine contradiction...
- Je le sais. C'est pour cela qu'il ne nous faut présenter de candidats aux élections municipales que dans les endroits où nous serons en position de force. Je pense particulièrement à Paris, Lyon, Marseille, où le scrutin a lieu par arrondissement. Mais le grand rendez-vous, pour nous, ce sont les législatives. Là, nous serons présents partout, et sans aucun complexe : n'oubliez pas que, sur la base des européennes, nous devançons le RPR et l'UDF dans une majorité de circonscriptions.
Q - C'est ce que vous répondez, par exemple, à Charles Millon ou à ceux du Front national qui seraient tentés de frapper à votre porte ?
- Charles Millon n'est pas le seul, il y en aura bien d'autres. Il est certain que, dans une première étape, nous rencontrerons plus de gens de droite, mais je suis persuadé que ce n'est pas le seul vivier dont nous disposons. Quant au Front national, rien n'est possible avec les appareils, mais avec les électeurs ou, même, avec les élus ayant choisi de rompre, il n'y aura pas de problème dès lors qu'ils décideraient de nous rejoindre sur la base de notre charte, qui sera aussi humaniste que souverainiste.
Q - Vous avez déclaré que vous seriez présent à l'élection présidentielle. La multiplicité des candidats ne risque-t-elle pas d'être préjudiciable à la droite ?
- En 1995, cela ne l'a pas desservie. Mais dans la vie, on ne peut jurer de rien, surtout, ajouterai-je, avec Chirac. Supposons qu'au moment de la présidence française de l'Union européenne Jacques Chirac se rende compte qu'un certain nombre de choses vont à l'encontre de l'intérêt national... C'est assez peu probable, mais, s'il veut être candidat à un deuxième septennat, il faudra bien qu'il dise comment il se détermine. Ce qui est sûr, c'est qu'il y, aura un candidat pour défendre nos thèses.
Q - Le président a-t-il eu raison de dire, le 14 juillet, qu'il fallait respecter le calendrier institutionnel ?
- Oui, il a eu raison. Mais rien ne garantit qu'il ne changera pas d'avis.