Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro" du 2 septembre 1999, sur les conséquences de la fusion Carrefour - Promodès.

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LE FIGARO économie. – Votre loi a stoppé le développement des hypermarchés en France. N'est-elle pas responsable des méga-fusions comme celle de Carrefour et de Promodès ?

Jean-Pierre Raffarin. – La concentration de la distribution était prévisible et elle a été prévue. Pour moi, le rapprochement entre Carrefour et Promodès n'est pas en soi une mauvaise nouvelle. En effet, en France, la concurrence sauvage à laquelle se sont livrés les très nombreux distributeurs a fait beaucoup de dégâts. En Allemagne et au Royaume-Uni, les concentrations qui ont déjà eu lieu il y a de nombreuses années n'ont pas fragilisé les PME. Il vaut mieux, en France, avoir trois ou quatre grands réseaux de distributeurs plus responsables, plus internationaux, plus institutionnels plutôt qu'une dizaine de cow-boys qui s'écrasent eux-mêmes en écrasant les prix.

LE FIGARO économie. - Ces concentrations ne mettent-elles pas en péril les petits distributeurs ?

- Le problème en France n'est pas la concentration des entreprises, mais la culture dominante de l'hypermarché qui est destructeur. Ce concept est la négation de la notion de service. C'est le cousin germain du magasin d'usine, c'est le rêve de la vente directe qui est en fait la négation du commerce. Nous avons bien fait de mettre un coup d'arrêt aux créations d'hypermarchés en 1996. Cela a conduit les distributeurs à se développer à l'étranger. Déjà l'internationalisation de Carrefour lui a permis de progresser dans son partenariat avec les PME. La culture de Promodès, qui possède beaucoup de supermarchés et des magasins de proximité, est régionale et plus éloignée des hypermarchés. Le rapprochement des deux groupes devrait être un accélérateur de l'évolution de Carrefour.

LE FIGARO économie. - Cette fusion va entraîner la mise en commun des centrales d'achat. De plus en plus puissantes, celles-ci laminent les prix des fournisseurs, des grands groupes industriels et encore plus des PME. N'est-ce pas préoccupant ?

- Cette logique de la centrale d'achat existe en France depuis une quinzaine d'années. Depuis lors elle développe des abus de pouvoir à l'égard des PME qui sont matraquées. Aujourd'hui, il faut changer les méthodes plus que les structures. L'humanisation de la grande distribution passe par un changement de pratiques. Les problèmes ne viennent pas des concentrations, mais du fait que tout est fait pour produire en masse et vendre en masse. Ce qui compte, c'est que les distributeurs changent de comportement. Pour cela, des entreprises plus « institutionnelles » seront plus responsables.

LE FIGARO économie. - Votre région, le Poitou-Charentes, zone agricole, n'est-elle pas particulièrement frappée par les exigences de la grande distribution ?

- En Poitou-Charentes, nous veillons à ce que les moyennes surfaces restent puissantes pour structurer le territoire. Nous avons aussi développé des partenariats dynamiques avec les PME du commerce, notamment les boulangers  et les bouchers. Notre inquiétude est cependant vive quant à l'avenir des marges des producteurs surtout dans le secteur laitier. L'élevage est un secteur économique important, car il joue un rôle territorial et environnemental majeur. Les distributeurs doivent donc veiller à la préservation de nos productions nationales qui aujourd'hui sont réellement menacées.

LE FIGARO économie. - Certaines organisations professionnelles demandent aujourd'hui la révision des règles de la concurrence. Est-ce nécessaire ?

- Le rôle des pouvoirs publics doit être affirmé. Il faut agir pour que les distributeurs n'accumulent pas les marges en avant des filières mais que l'argent remonte en direction des producteurs. Les lois qui existent et surtout le contrôle strict de leur application auquel s'ajoute l'outil fiscal donnent à l'État  les moyens de civiliser des pratiques commerciales jusqu'ici dignes du Far-West. Pour humaniser la distribution, mieux vaut avoir un partenaire qu'une dizaine de distributeurs qui se livrent une guerre sans merci et avec lesquels un dialogue institutionnel est impossible. La stabilisation du secteur facilite le dialogue.

LE FIGARO économie. - Où s'arrêteront les concentrations ?

- Dans cinq ans il y aura probablement quatre grands groupes de distribution d'origine française. Sans doute auront-ils des participations étrangères dans leur capital. Mais ces groupes resteront l'essence française. Les Français garderont une réelle puissance dans le secteur, leur leadership n'est pas remis en question.