Texte intégral
Q - Pour votre rentrée publique, un 31 août, vous disposez des chiffres du chômage pour juillet et ils sont...
- « Ils sont très bons : 40 000 chômeurs en moins, ce qui, pour un mois de juillet est bien. J'espère que le mois d'août ne sera pas mauvais. Les mois d'août sont souvent mauvais. »
Q - Mais juillet-août, est-ce que c'est significatif ?
- « C'est significatif, justement, parce que ça baisse beaucoup, que les offres d'emplois continuent à être fortes pour un été, que toutes les catégories au chômage baissent - les jeunes, le chômage de longue durée et, surtout, et je crois qu'il faut le dire, cette année, au, bout de sept mois, nous avons autant de chômeurs en moins - 135 000 - que sur toute l'année dernière qui était déjà un record. »
Q - Mais en juillet, c'était alors combien ?
- « Moins 40 000, ce qui est très important pour un mois de juillet. Cela veut dire que malgré une croissance moins forte cette année, et alors que nous ne sommes qu'à la moitié de l'année, nous avons déjà les bons chiffres de toute l'année dernière. Cela prouve que la politique structurelle qui est menée sur les emplois-jeunes, sur le début de l'application de la durée du travail, sur une croissance plus riche en emplois, en nouvelles technologies, sur l'aide aux PME, commence à porter ses fruits même s'il reste évidemment beaucoup de travail à faire. »
Q - Cela veut dire que c'est un mieux sur toute la ligne. On peut imaginer que le phénomène de baisse, s'il se produit encore mois après mois, qu'il s'agit plus d'un vrai mouvement durable que d'une tendance ?
- « Oui, je crois que c'est certainement les fruits de la priorité qui a été donnée à l'emploi : nous avons voulu ramener la confiance pour que la consommation redémarre, redonner du pouvoir d'achat pour que la croissance soit là, redonner confiance aux parents en donnant des emplois aux jeunes, nous donner tous les moyens de combattre l'exclusion par l'emploi. »
Q - Vous dites quand même merci à Madame la Croissance ?
- « Evidemment, d'autant plus que cette croissance, nous y avons beaucoup contribué. La croissance, ça ne se décrète, mais ça s'aide. »
Q - Et c'est un phénomène international pour ne pas dire mondial ?
- « C'est un phénomène international, comme ça l'était précédemment. Mais avec le précédent gouvernement, le taux de croissance de la France était 1 % en-dessous de la moyenne européenne. Aujourd'hui, nous courons en tête, ce qui veut dire que la politique menée pour redonner du pouvoir d'achat, de la confiance, des emplois aux jeunes, pour développer les nouvelles technologies, porte ses fruits. »
Q - Ce mouvement, à votre avis, peut-il se répéter, se prolonger ?
- « Je pense que nous sommes sur une tendance longue pour plusieurs raisons. D'abord, parce que nous avons encore devant nous l'effet de la réduction de la durée du travail qui s'amplifie actuellement. Je vais défendre devant le Parlement, à l'automne, une baisse très importante des charges sociales pour les entreprises de main d'oeuvre, pour les petites entreprises, puisqu'il y aura environ 5 % de baisse du coût du travail. Jusqu'à 10 000 francs après le coût de la durée du travail. »
Q - Et c'est créateur d'emplois, d'après vous ?
- « Je crois que c'est créateur d'emplois, dans un pays où les charges sociales sont encore beaucoup trop fortes sur le travail. »
Q - Cela veut-il dire que si ça continue, ce serait la sortie d'une crise de 25 ans ?
- « Nous devons nous battre pour sortir totalement de cette crise et, je l'ai dit, il reste beaucoup de travail à faire, ce qui veut dire qu'il faut que nous réfléchissions à la façon d'alimenter la croissance sur le moyen et le long terme. Par exemple, en essayant de voir comment reconstruire les banlieues. Nous en parlons avec C. Bartolone. »
Q - Oui, mais enfin, ça, vous en parlez depuis longtemps, et on ne voit pas encore.
- « Eh bien, justement, maintenant que nous avons des moyens, des marges de manoeuvre, parce que nous les avons créés, nous avons un débat à avoir sur : comment répartissons-nous ces marges de manoeuvre ? Une des parties doit aller vers l'alimentation de la croissance demain, et le règlement des problèmes pour que les Français, demain, ne pâtissent pas. Je pense par exemple aux retraites. »
Q - L. Jospin promettait, à La Rochelle, sur une décennie, de reconquérir une société de plein-emploi. C'est génial, mais qu'est-ce que cela veut dire ?
- « Cela veut dire tout d'abord que faire de la politique aujourd'hui, c'est dire : il n'y a pas de fatalité du chômage, et c'est ce que nous essayons de montrer même si beaucoup peuvent dire : ça ne baisse pas assez vite, malgré ces records, si je puis dire. Et je les comprends, car il reste beaucoup de personnes au chômage. »
Q - En même temps, ne pas faire naître l'illusion que nous sommes des magiciens.
- « Nous ne sommes pas des magiciens, cela se voit. C'est-à-dire que malgré cette priorité, malgré les moyens, l'énergie qui y est mise, le chômage baisse de manière très sensible, mais il reste beaucoup de chômage. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire moins de temps au chômage, car je crois que les Français peuvent accepter d'avoir des périodes d'inactivité, si on ne tombe pas dans le trou quand on tombe au chômage. Si on doit par exemple, en profiter - c'est la grande loi que nous préparons avec N. Pery : le droit à la formation et à la progression professionnelle qui est un outil d'efficacité des entreprises mais qui est aussi un moyen pour chacun Français d'avoir le droit à progresser, notamment lorsqu'il est en chômage : "Formons-nous pour être meilleurs demain." Ce sont tous ces éléments-là qui doivent réduire à la fois le nombre de chômeurs mais aussi le temps passé... »
Q - Le plein-emploi, c'est-à-dire quand même des chômeurs. Vous n'annoncez pas pour 2008, 2010 la fin du chômage en France ?
- « La fin d'un chômage de masse, oui, bien sûr, et puis des durées de chômage beaucoup plus faibles, car on sait très bien que c'est le chômage long qui casse les gens. On peut avoir à changer de métier ; on peut rester deux, trois mois en changeant, en se formant. C'est bien autre chose que d'avoir 30 % de chômeurs au-dessus d'un an. »
Q - Et ce plein-emploi, la droite aussi pourrait le conquérir ou l'imposer ?
- « Pour cela, il faut une volonté, il faut des idées. Pour l'instant, moi j'entends une droite qui nous a attaqués sur tout : sur les emplois-jeunes, sur le transfert des cotisations maladie vers la CSG sur lequel je me suis battue l'année dernière, car il donnait du pouvoir d'achat, sur la réduction de la durée du travail qui, aujourd'hui, d'ores et déjà, annonce 118 000 emplois créés et préservés, six mois après le début de l'année, et avant même que l'obligation ne se fasse. Une droite qui a toujours défendu la baisse des charges mais qui l'a fait en faisant financer par les ménages - Balladur-Juppé - alors que nous, nous allons le faire financer par les entreprises. J'espère qu'elle votera la baisse des charges sociales. »
Q - Si vous vous installez dans une perspective de dix ans, vous aurez aussi le temps de voir en retour comme un boomerang les 35 heures ?
- « Je crois qu'au contraire, nous aurons le bénéfice de ces 35 heures. Des entreprises qui fonctionnent mieux, elles nous le disent déjà ; des salariés qui sont plus heureux et qui vivent mieux ensemble, qui s'occupent de leur famille, de leurs voisins, et puis surtout, des chômeurs qui n'attendent plus à la porte et on commence à en voir les résultats. »
Q - Mais alors, tout ce que vous faites est formidable ?
- « Non, parce que je n'arrête pas de vous dire qu'il reste beaucoup de chômeurs. La lutte contre les exclusions n'est qu'à ses débuts, aussi bien sur l'emploi que sur la santé, avec la CMU, que sur le logement. »
Q - Quand vous parlez des emplois créés, ce sont des emplois publics ou des emplois marchands ?
- « 750 000 emplois créés en deux, dont 220 000 emplois-jeunes mais dont un nombre tous les jours plus grand commence à se solvabiliser, c'est-à-dire à se financer par le marché. »
Q - La deuxième loi sur les 35 heures sera en débat public à l'Assemblée, le 5 octobre. J'entends dire que vous pourriez utiliser le 49.3, s'il y a des gens qui n'ont pas envie de la voter. C'est vrai ?
- « Non, vraiment, on n'en est pas là. Le Gouvernement ne l'a jamais utilisé. Je rappelle que les précédents l'ont utilisé, y compris contre leur propre majorité qui n'arrivait pas à se mettre d'accord. Moi je suis heureuse de voir que même avec les débats longs, acharnés, y compris au sein de la majorité, pour que nos textes soient les meilleurs possibles, mes textes ont toujours été votés, parce qu'ils avaient l'emploi comme objectif. Je suis convaincue que nous allons améliorer ce texte. Il peut. être amélioré sur les durées maximales, sur le passage aux 32 heures par exemple, et que ce texte sortira encore meilleur pour réussir les 35 heures. »
Q - Les difficultés viendront de la droite ou de la gauche ?
- « J'espère qu'elles ne viendront pas. Il y aura peut-être du temps. Il faudra passer des jours et des nuits. Mais quand on croit à quelque chose, il faut le faire. Quant à la gauche, nous aurons des débats et c'est bien normal, nous sommes en démocratie, et moi je suis pour enrichir ce texte encore. »
Q - M. Seillière vous demande de renoncer aux nouveaux impôts sur les entreprises pour financer vos 35 heures. Qu'est-ce que vous lui répondez ?
- « Il n'y a pas de nouvel impôt sur les entreprises pour financer les 35 heures. Il y a, pour réduire les charges des petites et moyenne entreprises du commerce et de l'artisanat, des entreprises de main d'oeuvre - je pense au textile et l'habillement par exemple qui souffrent énormément - il y a un transfert, à l'intérieur des charges financées par les entreprises, entre les entreprises capitalistiques et les autres. »
Q - Mais vous lui dites alors ?
- « Il n'y a pas d'impôt supplémentaire. »
Q - Il a mal compris. Il a fait un contresens.
- « Je ne sais pas. »
Q - A La Rochelle, vous êtes revenue sur un de vos dadas : taxer les entreprises qui abusent de l'intérim, des emplois précaires. Est-ce que c'est une menace en l'air où vous le ferez vraiment ?
- « Cela fait un an qu'on en parle. Maintenant, on le fera puisqu'il devait y avoir des négociations dans un certain nombre de secteurs : ceux qui utilisent plus de 15 ou 20 % de CDD ou de travail temporaire en permanence. Je pense par exemple au commerce de détail, à la construction, aux industries agro-alimentaires. Le Medef avait proposé la négociation, j'en étais ravie, car je crois que la négociation est un meilleur moyen de faire passer les choses que la loi. »
Q - Or ça tarde, dites-vous !
- « Je crois surtout qu'il ne souhaite pas le faire. Dans ces conditions, nous prendrons des mesures. »
Q - Soyons concrets.
- « Nous taxerons les entreprises qui ont un recours permanent au travail temporaire et aux contrats à durée déterminée. »
Q - Avant la fin de l'année ?
- « En revanche, je suis tout à fait favorable au travail à durée déterminée, lorsqu'il s'agit de répondre à des besoins occasionnels des entreprises, à remplacer des absents, à lancer un nouveau produit, une nouvelle machine. Pour tout cela, bien sûr, il n'y aura aucun changement. »
Q - Une question d'actualité: la fusion Carrefour-Promodès. Le numéro 2 mondial maintenant de la distribution. Est-ce que vous dites bravo !
- « Je dis deux choses : je dis d'abord "bravo" parce qu'aujourd'hui, après une forte explosion en France, les hypermarchés s'implantent surtout à l'étranger, et c'est la présence de la France. Je n'oublie pas qu'il y a souvent quand même des clients qui sont des producteurs français. Mais je leur dis aussi, et je l'ai dit au président de Carrefour que je connais bien, c'est aussi une plus grande responsabilité encore par rapport à notre pays - je pense aux agriculteurs. Je vois par exemple des accords entre certains magasins et des produits régionaux. Mais je pense aussi à l'industrie du textile et de l'habillement dont je redis qu'elle souffre actuellement. »
Q - Le Gouvernement n'empêche rien ?
- « Non, le Gouvernement n'empêche rien. Nous sommes dans un pays où le marché fonctionne dans le secteur concurrentiel. Mais nous pouvons travailler avec la grande distribution pour faire en sorte que des accords privilégiés puissent avoir lieu notamment avec les agriculteurs et avec certaines productions françaises. »
Q - Le retour du débat saisonnier : quand les moissons sont bonnes, que faire du surplus lié à la croissance ? Vous avez donné une idée tout à l'heure. A votre avis, c'est payer les dettes des déficits, investir pour plus tard, redistribuer ou remplir les caisses du fonds pour les retraites, comme le demande N. Notat ?
- « Il faut trouver ce bon équilibre : désendetter, car désendetter c'est rendre aux Français pour que leurs enfants, demain, aient moins à payer, et puis baisser les impôts, moi je pense par exemple que la baisse de la CSG qui touche tout le monde, qui réduit encore le coût du travail est une hypothèse à travailler, comme la baisse de l'impôt sur le revenu. »
Q - Les retraites ?
- « Les retraites, parce que c'est préparer l'avenir. Alimenter la croissance, réduire les inégalités et pour moi, ce n'est pas assister plus, augmenter les minima, c'est plutôt continuer à aider par exemple en augmentant l'aide au logement, comme nous l'avons fait, en mettant en place la Couverture maladie universelle sur l'accès aux soins. C'est-à-dire donner à chacun des droits, pas d'assistance, mais lui donner les moyens de se' retrouver au coeur de la société. L'équilibre entre tout cela, eh bien nous allons en discuter, notamment le 10, lors d'un séminaire gouvernemental, car il faut trouver les moyens d'équilibrer nos ressources complémentaires - que nous avons gagnées - ces marges de manoeuvre, entre tout cela. »
Q - Vous ne pouvez pas souffler une minute ? Ça va durer comme cela jusqu'à quand ?
- « Malheureusement, en ce moment, assez peu, et j'espère que cela durera pour nous tous, longtemps, si nous continuons à avoir des résultats. »
Q - Puisque vous promettez d'être là pour dix ans. Tous ensemble.
- « Oui, enfin on verra. Pour certains en tout cas. »
Q - Une dernière chose, pour l'anecdote : L. Jospin a, parait-il, grondé vendredi ou samedi D. Strauss-Kahn qui avait trop parlé de baisser les impôts en 2001. Et Strauss-Kahn dit : « C'est une colère justifiée ». Toute la presse a écrit, je l'ai entendu, lu, que c'est vous qui avez raconté, non sans plaisir. C'est vrai ou faux ?
- « Non, d'abord ça n'a été écrit que dans un seul journal, et puis, moi, à l'heure où ça a été raconté, j'étais dans le train avec mon ami E. Guigou. Nous partions pour faire une réunion avec des femmes à La Rochelle. »
Q - Et vous chantiez ?
- « Et nous avons chanté, nous avons beaucoup chanté là-bas. Ça nous a détendu. C'était fraternel et chaleureux, comme j'espère que la France le sera plus au XXIe siècle. »
Q - Vous, vous ne chantiez pas l'Internationale, comme D. Strauss-Kahn. Qu'est-ce que vous chantiez, si je ne suis pas indiscret ?
- « Non, moi je chantais Chiffon Rouge. C'est une chanson du Nord mais une très belle chanson, de solidarité. »
Q - C'est quoi ? Par exemple, qu'est-ce que c'est...
- « Non, non, j'essayerai d'éviter ce matin. Le temps est annoncé au beau. Donc, j'évite. »
Q - C'est quoi Chiffon rouge ? Comment ça se dit Chiffon Rouge ? Avec les mains ou les menottes ?
- « On peut bouger les menottes si on veut. J.-P. Elkabbach le fait très bien. »