Interview de M. Pierre Méhaignerie, Président d'honneur de Force démocrate, à France 2 le 26 novembre 1997, sur le projet de loi sur l'accession à la nationalité française.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde : L’Assemblée nationale va entamer aujourd’hui la discussion sur le projet de la loi Guigou, projet de loi qui vient modifier la loi Méhaignerie sur la nationalité. Alors la grande différence entre l’actuelle loi Guigou et l’ancienne loi Méhaignerie dont vous étiez l’auteur, c’est qu’il n’y a plus la démarche volontaire pour obtenir la nationalité française, et cela vous déplaît beaucoup ?

P. Méhaignerie : Moi, je pose la question : pourquoi encore rouvrir ce dossier ? Pourquoi changer sans arrêt la législation alors que la loi de 1993 n’était même pas une loi du Parlement – c’était bien sûr la loi du Parlement mais issue d’une Commission qui s’appelle M. Long, qui avait dégagé au consensus de toutes les sensibilités politiques et qui avait préconisé pour le jeune la nécessité de faire une manifestation de volonté, pour ne pas devenir français par hasard, sans le vouloir ou sans le savoir.

F. Laborde : D’après certains chiffres, on s’est rendu compte qu’en fait, il n’y a que la moitié à peu près de la population concernée – 52 % – selon certains, qui aurait fait cette démarche volontaire dans l’ancien système.

P. Méhaignerie : Les deux premières années, le nombre de jeunes qui ont acquis la nationalité par ce moyen, par cette manifestation volontaire, était plus important que ce qu’il avait été les années précédentes. Et d’autre part, il aurait mieux valu d’abord, comme le proposait le Haut conseil à l’intégration, faire un bilan. Avant de changer une loi, mieux vaut l’évaluer. Or, moi, j’ai constaté – et je ne suis pas le seul – qu’en allant dans les mairies, dans les tribunaux d’instance, il y avait une grande fierté des jeunes, une satisfaction de faire eux-mêmes cette décision et d’être ainsi acteurs. Et nous avons toujours pensé, et c’était d’ailleurs la proposition de la commission M. Long, que cet acte de volonté était un moyen d’améliorer et de faciliter l’intégration du jeune.

F. Laborde : Mais qu’est-ce que qui se passait pour les jeunes qui oubliaient de faire cette démarche ?

P. Méhaignerie : je crois qu’il était toujours possible de la récupérer et il était possible – parce que ça marchait très bien certains départements – de lancer une campagne d’information. Parce que ceci était précédé d’une campagne d’information dans les établissements scolaires, dans les églises, dans… »

F. Laborde : Donc vous pensez qu’il y avait une vertu pédagogique, en quelque sorte, à indiquer qu’il fallait faire cette démarche et aller faire cette démarche de façon un peu solennelle ?

P. Méhaignerie : Absolument. Tout ce qui va dans le sens de la responsabilité, à mon avis, est toujours positif. »

F. Laborde : Le fait que dès 13 ans, avec ses parents, on puisse faire cette démarche, ça va dans le bon sens ?

P. Méhaignerie : Pas du tout, le Gouvernement n’y était pas favorable, ce n’était pas dans le projet initial. Mais une partie du groupe socialiste a voulu aller plus loin. Et j’estime que faire demander par les parents dès l’âge de 13 ans n’est pas une bonne solution dans la mesure où c’est une moyen, pour les parents, d’avoir un certificat de séjour. Donc c’est mélanger deux objectifs et instrumentaliser l’accès à la nationalité du jeune. La plupart des pédagogues, comme le Haut conseil à l’intégration, ne choisissaient pas cette solution. »

F. Laborde : Il y a un risque de pression sur les enfants ?

P. Méhaignerie : Bien entendu, bien entendu. »

F. Laborde : L’autre évolution – peut-être que celle-là vous convient un peu mieux –, c’est que l’on demandait cinq ans de présence continue pour un jeune. Or maintenant, ça pourrait être une présence discontinue…

P. Méhaignerie : Ça m’apparaît une bonne chose parce qu’il est normal qu’un jeune puisse circuler, rentrer dans son pays sans perdre cet avantage. »

F. Laborde : Est-ce que, sur ce texte sur la nationalité, à trop le critiquer et avoir un affrontement un peu vif à l’Assemblée, il n’y a pas un risque de faire le jeu du Front national ? On a vu hier J.-M. Le Pen faire une conférence de presse à l’Assemblée déjà.

P. Méhaignerie : C’est l’inverse. C’est en rouvrant ce dossier qu’on alimente le Front national. Et je me demande parfois si chez certains membres du Gouvernement, il n’y a pas cette volonté, finalement, de renforcer le Front national pour affaiblir l’actuelle opposition. »

F. Laborde : Est-ce qu’elle a besoin d’être affaiblie, l’actuelle opposition ? On a parlé de « vide sidéral » à propos de la réunion de l’UDF ?

P. Méhaignerie : Oui, mais le Gouvernement, aujourd’hui, a les yeux fixés sur mars prochain, les élections régionales. Donc en affaiblissant encore un peu plus ou en prenant des voix ou en donnant de l’aliment au Front national, je crains que le Gouvernement rende un mauvais service au pays. »

F. Laborde : On avait pu penser, à un moment donné, que certains centristes pourraient être tentés par une alliance avec L. Jospin, dans l’hypothèse où son gouvernement aurait pratiqué une politique d’ouverture, comme ça a été le cas avant.

P. Méhaignerie : Je n’en ai jamais entendu parler. Et je crois qu’il y a une très grande différence avec la période de M. Rocard en 1988. En 1988, nous avons un Gouvernement de type social-démocrate. Il y avait des possibilités de travailler, il y avait une coopération et un dialogue. Aujourd’hui, tout ceci est rompu et les solutions qui sont actuellement proposées par le Gouvernement vont en sens inverse de ce que font les autres pays européens, y compris sociaux-démocrates. Et moi, je suis convaincu que la remise en question de l’allégement des charges sociales va en sens inverse des bonnes solutions. Mais les Français le verront dans 18 mois. C’est tellement vrai qu’un ministre se déplaçant lundi dernier disait : ne va-t-on pas rater la reprise ? Tout simplement parce qu’il y a, aujourd’hui, dans les entreprises, un phénomène d’attentisme et un report d’investissements qui me paraît préjudiciable, du fait des incertitudes qui pèsent sur l’application des 35 heures. »

F. Laborde : Sur les 35 heures, on connaît le seuil maintenant : c’est 20 salariés pour l’application.

P. Méhaignerie : Oui, tout ceci varie : quelle va être l’évolution du Smic ? Normalement, il doit augmenter de 11 %. Mais ceci provoque chez les entreprises et chez les salariés un très grand sentiment d’inquiétude. D’autant plus que, je rappelle, il y a une diversité des attentes des salariés. Très bien pour ceux qui passent à 32 heures. Mais pourquoi remettre en question ceux qui veulent travailler 40-41 heures parce que, par exemple, ils veulent accéder à la propriété. Acceptons cette diversité des attentes et évitons les moules uniques qui rigidifient et finalement cassent le dynamisme. »

F. Laborde : Donc les centristes restent résolument dans l’opposition ?

P. Méhaignerie : Absolument, n’ayez aucune inquiétude si vous en aviez une à ce sujet ! »