Débat entre MM. Robert Hue, secrétaire national du PCF, François Hollande, premier secrétaire délégué du PS, Dominique Perben, ancien ministre RPR de la fonction publique, Alain Minc et Jean-Paul Fitoussi, économiste, à France 2 le 12 octobre 1997, sur la réduction du temps de travail.

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Circonstance : Conférence nationale sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de travail avec les partenaires sociaux, à Matignon, le 10 octobre 1997

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Jean-Michel Mercurol : Dur à avaler pour le patronat la réduction à 35 heures du temps de travail. Il ne voulait pas d’une date butoir, ce sera le 1er janvier 2000. Il redoutait une loi-cadre, les négociations sur l’aménagement du temps de travail doivent se dérouler partout d’ici deux ans. Satisfaction quasi générale en revanche pour les syndicats des salariés.

Louis Viannet (secrétaire général de la CGT) : Nous sortons de cette conférence avec des points d’appui. Des points d’appui pour faire évoluer la situation dans un sens favorable à l’emploi.

Marc Blondel (secrétaire général de FO) : On sent que le Gouvernement veut faire quelque chose, mais on le sent bloqué par les finances, c’est évident.

Nicole Notat (secrétaire générale de la CFDT) : Ceux qui attendaient de cette journée qu’il se passe quelque chose pour l’emploi n’ont aucune raison d’être déçus.

Jean-Michel Mercurol : Agréable surprise pour la gauche, mauvais coup contre l’emploi à droite. Lionel Jospin en tout cas aura réussi à mettre en musique sa promesse électorale. Tout en slalomant entre surenchères syndicales et refus patronaux, il avait dit ce qu’il ferait, il a fait ce qu’il a dit.

Lionel Jospin : Donc, je crois que personne n’a été berné, bien sûr.

Michèle Cotta : Alors, les 35 heures en l’an 2000, la parole est à l’accusation. Dominique Perben, est-ce que vous pensez qu’il fallait obligatoirement passer par une loi ou est-ce que sur le fond des 35 heures, vous êtes délibérément hostile et restez hostile malgré les sondages d’opinion qui aujourd’hui font apparaître que les…

Dominique Perben (ancien ministre RPR) : Oh, ils sont ambigus. Il faut aller un peu plus loin que l’apparence en matière d’analyse des sondages. Je voudrais d’abord dire qu’il y a incontestablement un succès politicien pour Lionel Jospin. Il a conforté sa majorité, c’était son objectif. Il y est parvenu. Par contre, je crois qu’il y a un échec politique. Dans la mesure où un sommet social, et j’ai participé à des sommets sociaux… cela a quel objectif ? De faire en sorte que l’on avance dans les possibilités de dialogue social. Or, le bilan que l’on peut faire de la journée d’avant-hier, c’est que le dialogue social sera plus difficile demain qu’il ne l’était au début de la semaine dernière, et ça, c’est une première remarque qui me paraît extrêmement importante. Il y a crispation dans les relations sociales depuis avant-hier et ça, je pense que cela aura des conséquences négatives sur la situation économique et sociale. Sur le fond, vous connaissez ma position. Je suis convaincu que la question du temps de travail, la question de l’aménagement du temps de travail, la question de la flexibilité, c’est une affaire qui doit se négocier entreprise par entreprise. Je connais des cas très précis, ceux que j’ai analysés, j’ai vu les choses de près et j’avais d’ailleurs moi-même, y compris dans le domaine de la fonction publique, essayé d’avancer dans cette direction. Je pense que la loi – même si on nous dit c’est une loi-cadre avec un objectif dans le temps –, c’est en fait enfermer la négociation et c’est à mon avis un mauvais coup pour l’emploi à terme parce que, en réalité, on va amener les entreprises à faire de la productivité à toute vitesse et on va avoir des réductions d’emploi au lieu d’avoir des gains d’emploi et des gains de… une victoire sur le chômage.

Michèle Cotta : Alors, Gilles de Robien, vous, votre position est assez ambiguë, vous avez fait voter la loi qui porte votre nom et qui est une loi de réduction à 35 heures. Alors, qu’est-ce que vous pouvez dire maintenant… il y a un autre mécanisme effectivement que votre loi… qui est proposé. Est-ce que vous le regrettez et quelle est votre position de fond sur les 35 heures ?

Gilles de Robien (député de la Somme) : Certainement pas une position ambiguë. Il y a une loi qui est une loi de l’ancienne majorité et qui marche formidablement bien.

Michèle Cotta : C’est la vôtre.

Gilles de Robien : Non, ce n’est pas la mienne, c’est celle de l’ancienne majorité et c’est maintenant celle de la République et chaque mois qui passe montre qu’il y a des centaines d’entreprises qui justement l’adoptent. Et donc la question qui se pose aujourd’hui : c’est comment accélérer le mouvement avec la concertation avec les partenaires sociaux ? Je dis d’abord certainement pas en braquant…

Michèle Cotta : Pardon, mais il y a quand même une divergence entre vous. Vous, vous pensez que 35 heures, il ne faut pas les faire tout de suite. Vous, vous pensez qu’il faut aller vers les 35 heures.

Dominique Perben : J’ai dit qu’il faut le faire par la négociation dans l’entreprise et par la branche, j’ai été très clair là-dessus. J’ai dit le cadre général, c’est quelque chose qui ne marchera pas car on enferme tout… en plus, créer un nouvel effet de seuil à 10 salariés, franchement, quand on sait tout ce que l’on peut dire sur les effets de seuil…

Gilles de Robien : Et donc la question qui se pose : c’est comment amener les partenaires sociaux de façon intelligente à discuter et à contractualiser sur la réduction du temps de travail. Je dis certainement pas en braquant l’un des partenaires sociaux. Le grand échec de vendredi c’est quand même que les employeurs qui sont indispensables pour créer des emplois sont partis mécontents. Alors quand on prône le dialogue et que l’on piège l’un des partenaires sociaux, je pense que l’on fait une mauvaise action contre l’emploi. Ceci dit, le dispositif proposé par M. Jospin dans un premier temps, un dispositif incitatif, j’attends pour le voir, mais il est dans le même esprit que la loi de l’ancienne majorité. Simplement, il faut savoir comment on peut accélérer le mouvement et donc, moi, je suis d’accord sur le principe, mais pas sur l’obligation dans deux ans de mettre tout le monde sur la même toise parce que ça, c’est anti-économique et c’est anti-social.

Michèle Cotta : Alain Minc, vous voulez ajouter quelque chose au réquisitoire ?

Alain Minc (économiste) : Vous savez, si on n’avait pas dit 35 heures payées 39 et si on avait dit cinq semaines de congés payés supplémentaires, je pense qu’il y aurait eu quand même un grand étonnement dans le pays. Alors, qu’on le veuille ou non, c’est une manière de dire que l’on donne cinq semaines de congés supplémentaires et je crois que les Français sont les premiers à penser que ce n’est certainement pas la meilleure manière de créer de l’emploi. Deuxième chose, tous les pays qui ont réduit le chômage l’ont fait aussi parce que le temps partiel s’est largement accru. Alors, il est bien évident qu’en réduisant la durée du travail à 35 heures, on va réduire toutes les évolutions vers le temps partiel et donc, de ce point de vue, je crois que c’est une régression. Et, dernier élément, au fond je crois que le Gouvernement sous-estime le fait que le principal facteur en réalité de production économique ce n’est ni le capital ni le travail, c’est la psychologie, la psychologie collective et, à tort ou à raison, l’effet de souffle chez les industriels est tel que l’on risque de perdre un demi-point de croissance et en tout cas un peu de ce qui était… ce climat tonique et électrique de la rentrée pour des raisons qui sont purement psychologiques. C’est comme cela. Il faut prendre les entrepreneurs tels qu’ils sont. On ne peut pas leur inventer une autre vision que celle qui est la leur.

Michèle Cotta : Robert Hue ? Je signale quand même que c’est la première fois que tous les deux, vous vous trouvez sur le même plateau de télévision, le premier secrétaire et le secrétaire général…

Robert Hue (secrétaire national du PCF) : Il faut que cela se repasse plus souvent et à l’occasion de la prise de décision comme celle-là, je trouve que c’est très très bien parce que je suis tout à fait favorable à la décision que vient de prendre le Gouvernement. Je la trouve positive et je la regarde dans son ensemble, j’ai naturellement un certain nombre de réserves sur quelques aspects, mais je la trouve positive d’abord en politique pour quelque chose, Michèle Cotta, c’est que l’on tient un engagement pris devant les Françaises et les Français. Parce que je vois le patronat qui s’affole, le patronat considère toujours une avancée sociale comme un tremblement de terre et on a toujours vu cela dans l’histoire. Je suis choqué par l’attitude du patronat. Les Français sont certainement choqués. D’ailleurs, quand on m’a dit comment les choses s’étaient passées en 36 au moment des congés payés, c’était l’affolement, tout allait… Non, écoutez, soyons sérieux. Il y a eu une augmentation de la productivité de 42 % en dix ans. Aujourd’hui, si on n’allait pas vers les 35 heures, ce serait une véritable régression, donc je pense que c’est très positif. Il reste que, naturellement, je vois bien les mesures d’incitation. Sur ces mesures d’incitation, je pense qu’il faut peut-être travailler encore parce que je pense, moi, qu’il faut d’abord inciter les PME-PMI qui sont souvent les plus créatrices d’emploi plutôt que d’avoir une démarche généralisée. Mais il reste que cela me semble une bonne chose peut-être dans la suite du débat, je dirai mon sentiment sur une autre mesure nécessaire qui me semble l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés. Alors, j’entends bien Alain Minc, mais puisqu’on est dans une émission… « Polémiques », qui commence à nous donner un certain nombre de vérités, de certitudes, Alain Minc, cela fait longtemps que vous nous parlez de certitudes et que cela ne fonctionne pas quand même.

Alain Minc : Ça, ce sont les certitudes du monde entier. Vous êtes en train d’inventer le socialisme dans un seul pays.

Robert Hue : Non, non. Écoutez, je ne crois pas et en tout état de cause, il faut, je crois… vous avez tout essayé quand même et cela n’a pas fonctionné vos méthodes. Donc, il faut bien laisser à la gauche, à ceux qui font ces propositions – conformes donc aux engagements qui sont pris – le soin de les mettre en œuvre et je crois que cela peut fonctionner. Alors, je pense… pardonnez-moi encore un mot, je pense que c’est une porte qui est ouverte. Maintenant, tout dépend, vu l’attitude du patronat notamment, de ce que vont faire les syndicats et également les salariés, les citoyens. Il faut maintenant mettre le pied dans la porte qui est ouverte et puis intervenir pour faire avancer les négociations.

Michèle Cotta : Tout de même, est-ce qu’on peut faire une réforme de ce genre sans avoir les patrons, les chefs d’entreprise avec soi ou est-ce que vous pensez qu’à cause des incitations il y aura une partie du patronat qui saisira au bond la balle des incitations et puis l’autre qui restera plus ferme ? C’est ça, votre calcul ? C’est de diviser le patronat ?

François Hollande : Je crois qu’il est suffisamment divisé. On n’a pas besoin de nous y employer davantage. Mais ce qui compte, c’est qu’il y ait une négociation dans l’entreprise et elle est permise par finalement ce qui vient d’être déclaré ici.

Dominique Perben : Vous allez la bloquer avec cette loi. C’est ça, le nœud de l’affaire. Mais je crois qu’il faut qu’on en parle.

François Hollande : Si vous, vous me laissez parler… c’est-à-dire que, pendant deux ans, il va y avoir un certain nombre de négociations qui vont être menées dans les entreprises. Et on a bien vu, même avec l’ancien dispositif, enfin ancien qui n’est pas encore abrogé, mais qui va se fondre dans le nouveau mécanisme, on voit bien qu’il y a dans beaucoup d’entreprises une volonté de négocier sur l’organisation du temps de travail, sur la baisse du temps de travail et surtout avec des incitations qui sont proposées. Donc, il va y avoir une négociation. Et moi, je fais confiance aux entreprises pour essayer de voir quel est l’intérêt collectif. Vous avez parlé tout à l’heure de psychologie. C’est vrai que c’est un facteur essentiel, mais il n’y a pas que la psychologie des chefs d’entreprise ou de certains chefs d’entreprise. Il y a aussi la psychologie d’un certain nombre de salariés et même de chômeurs parce que le signe qui a été envoyé là, c’est un signe que…

Michèle Cotta : C’est quand même travailler moins, le signe envoyé, c’est quand même travailler moins.

François Hollande : Non, c’est que tout le monde travaille plus. C’est ça le signe. C’est qu’il y a effectivement une issue à ce drame collectif qu’on vit et j’allais dire toutes les majorités confondues responsables – certains peut-être moins que d’autres –, mais en tous les cas responsables depuis quinze ans… et donc, on n’a pas réussi à donner une espérance, une perspective. Aujourd’hui, c’est possible. Alors, moi, je fais confiance effectivement à la négociation. Il y aura beaucoup de chefs d’entreprise, il y aura beaucoup d’entreprises qui voudront se mettre dans cette situation. Et enfin – et c’est mon dernier mot – le fait qu’on ait toutes les organisations syndicales. Elles ne pensent pas de la même manière, les organisations syndicales. On a une organisation de cadres, on a une organisation comme la CFTC qui n’est vraiment pas en soi une organisation complice de quelque manière avec le pouvoir actuel… On a les trois autres organisations qui nous ont dit « oui, ça nous paraît – avec des formes différentes – aller dans la bonne voie », je pense que c’est suffisamment rare cette unité syndicale pour qu’on voie bien que, là, il y a un changement de climat.

Michèle Cotta : Alors, Jean-Paul Fitoussi, quand même, on dit c’est le seul chemin qui n’avait pas été exploré. Par conséquent, c’est la seule voie. Est-ce que vous êtes sûr, vous, qu’il y a des traductions en matière d’emploi de ce passage collectif aux 35 heures.

Jean-Paul Fitoussi (président de l’OFCE) : Je voulais d’abord faire une remarque préliminaire, c’est que la démocratie, c’est la gestion pacifique des conflits, ce n’est pas la suppression des conflits et qu’aujourd’hui les rapports de force sur le marché du travail sont tels en raison du chômage de masse que les salariés sont en position de faiblesse, que cette mesure rétablit un certain équilibre des forces. Lorsqu’on pousse le camp qui était en position de force à négocier, c’est normal qu’il ne soit pas heureux, mais c’est aussi imprimer une dynamique sociale importante puisque la négociation devra être un passage obligé et que les voix des salariés vont se faire entendre. Sur le second point, sur le point de la réduction du temps comme solution du problème du chômage, j’ai des réserves là-dessus parce qu’il me semble que c’est une solution un peu…

Michèle Cotta : C’est des réserves importantes parce que tout de même…

Jean-Paul Fitoussi : C’est une solution. Il me semble que c’est plutôt une solution de résignation. J’aurais préféré une solution plus ambitieuse qui soit de faire croître la quantité d’emplois, qui soit de faire croître l’emploi et donc les salaires pour l’avantage de l’ensemble des travailleurs. Mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui les moyens des politiques expansionnistes ne sont plus disponibles, que la construction européenne pendant encore quelques années va bloquer la possibilité de politiques expansionnistes. Donc, il faut bien faire feu de tout bois devant un problème aussi massif.

Michèle Cotta : Pour vous, c’est un pis-aller quand même puisque vous êtes en train de dire « comme on a l’Europe, on ne peut pas faire mieux ».

Jean-Paul Fitoussi : Il faut se rendre au principe de réalité. Je voulais quand même ajouter une dernière remarque qui montre que, de toutes les façons, cette question est ambiguë parce qu’on mélange plusieurs aspects, plusieurs objectifs. La réduction du temps de travail est une finalité en soi de l’activité économique. C’est un objectif en soi. C’est un progrès social.

Michèle Cotta : Elle sera jugée néanmoins à l’aune de la réduction du chômage.

Jean-Paul Fitoussi : C’est de vouloir mélanger l’aspect progrès social et stratégie de lutte contre le chômage qui rend le problème ambigu.

Dominique Perben : Je voudrais – si vous le permettez – revenir sur cette opposition entre loi-cadre et négociation parce qu’on vient d’assister en trois jours, enfin en deux jours, à un changement de discours du côté socialiste, du côté du Gouvernement. La première affaire, ça a été de dire une loi-cadre pour répondre à la demande de sa majorité politique. Et puis vous avez bien compris qu’il y avait là un risque par rapport au dialogue social. Et aujourd’hui, après déjà une intervention hier, faite plutôt ce matin dans « Le Journal du Dimanche » par Mme Aubry, vous revenez sur l’idée de négocier. Or, il faut choisir. Vous avez choisi. Le Gouvernement a choisi une décision politique, politicienne qui correspondait à son discours électoral et à la stabilité de sa majorité. Mais on ne peut pas en même temps choisir le développement du dialogue social car à partir du moment où on dit aux négociateurs « vous devez arriver à cela », comment voulez-vous que la négociation s’enrichisse ? Et il y a là, je crois, un défaut très, c’est vrai, très français. Nous avons un peu trop l’habitude et les socialistes peut-être plus que d’autres à dire a priori ce qu’il faut faire alors que ce dont notre pays a besoin, ce dont les Français ont besoin, ce dont l’emploi a besoin, c’est au contraire de respiration, de capacité à adapter les choses. Moi, je connais des entreprises dans la région qui ont fait des choses extraordinaires en matière d’aménagement du temps de travail à la satisfaction à la fois des salariés et du chef d’entreprise.

François Hollande : Mais tant mieux ! Ils vont s’inspirer du dispositif.

Dominique Perben : Mais non ! À partir du moment où vous introduisez ce blocage dans la négociation, eh bien, c’est une régression par rapport à ce que devrait être je dirais notre dialogue social dans ce pays.

François Hollande : Justement M. Perben, on peut simplement faire le choix…

Gilles de Robien (député UDF de la Somme) : Vous avez dit tout à l’heure que c’était le dernier mot.

Michèle Cotta : Oui, mais pas de l’émission.

François Hollande : Le dernier mot de la première intervention. Ne vous inquiétez pas. J’en aurai d’autres. On va réduire aussi le temps des prises de parole.

Gilles de Robien : Mais pas de la vôtre. C’est ça, le partage socialiste.

François Hollande :  Écoutez, attendez, je n’ai pas encore commencé à parler. On peut choisir aussi d’être intelligent, c’est-à-dire on peut se dire qu’il faut bien une négociation. Mais une négociation, si elle n’a pas de date limite, si on discute sans date butoir, comment voulez-vous qu’il y ait négociation ? C’est pour ça que le choix qui a été fait de faire à la fois la négociation et la loi est le bon choix.

Dominique Perben : Il y avait négociation. On en connaît tous des centaines d’exemples. Il y avait négociation.

Gilles de Robien : Je crois que M. Hollande a dit tout à l’heure quelque chose de très, très juste que je partage. Vous voyez, je fais un bout de chemin avec lui. Il a dit tout à l’heure « on a vu que, dans les entreprises, ça marchait. Le dialogue aboutissait à des accords ». M. Perben a dit la même chose « le dialogue aboutit à des accords ». Alors pourquoi est-ce que vous cassez un système qui marche ? Vous savez très bien que dans le système économique, lorsqu’on change les règles du jeu, il y a six mois, un an où les choses se gèlent. Il y a l’attente, la compréhension et ensuite on embraye petit à petit sur un nouveau dispositif. Donc, grand 1, vous cassez un dispositif qui marche. Est-ce que c’est une question d’idéologie, de sectarisme parce qu’il a été voté par l’ancienne majorité ? J’espère que non. Ça serait dommage parce que c’est l’emploi qui va trinquer.

François Hollande : On va l’améliorer.

Gilles de Robien : Donc, tout le monde estime que le dispositif marche. Deuxièmement, vous voulez mettre une contrainte en mettant une obligation. Moi, je dis que mettre une contrainte dans un système comme celui-là, c’est quelque part reconnaître que vous n’avez pas la capacité de convaincre d’aller encore plus vite. Moi, je dis que c’est une question de pédagogie de gouvernement. Mettons-nous tous ensemble, et je crois qu’il y a consensus entre les employeurs et les employés, entre les syndicats pour la plupart et entre les politiques très nombreux, pour un système incitatif. Prêchons la même chose. Disons qu’avec les compensations – qu’elles s’appellent Aubry, qu’elles s’appellent Robien, ça m’est complètement égal – qu’avec certaines compensations, on peut y aller volontairement, pas tous… à 35 heures. Il y en aura qui iront à 32 et d’autres à 36. Il y en aura qui iront en annualisation du temps de travail et d’autres en saisonnalité selon le métier qu’elles font, l’importance de l’entreprise, la concurrence mondiale ou la concurrence européenne. Bref, faisons du sur mesure. Là où il y a contrainte, je vous assure, c’est anti-économique et anti-social.

Michèle Cotta : Robert Hue, vous êtes contre le sur mesure ?

Robert Hue : M. de Robien dit que le dispositif fonctionne. Non, M. de Robien. Je veux bien qu’il y ait un certain nombre de dispositions qui aient pu avancer quelque peu mais au fond ça ne fonctionne pas.

Gilles de Robien : Dites-moi pourquoi M. Hue.

Robert Hue : Pardonnez-moi M. de Robien, je voudrais terminer. Je vais vous dire les choses.

Gilles de Robien : Mais dites-moi pourquoi, parce que vous ne pouvez pas faire une affirmation.

Robert Hue : Ce n’est pas ma méthode. Je dis, 1, ça ne fonctionne pas parce que c’est infinitésimal ce que vous avez réussi par rapport au problème...

Gilles de Robien : Moi, je n’ai rien réussi. C’est les syndicats. La CGT le signe de plus en plus.

Robert Hue : Permettez-moi de donner mon sentiment.

François Hollande : Partagez, partagez M. de Robien.

Robert Hue : Partagez. Mais vous voyez comme vous êtes. J’ai dit « autoritaire » tout à l’heure. Derrière une attitude plutôt libérale, vous êtes très autoritaire.

Michèle Cotta : C’est le gant de velours.

Robert Hue : Laissez-moi dire les choses. 1, votre dispositif n’a pas fonctionné. Les Français qui nous regardent le sauraient.

Gilles de Robien : Ne dites pas ça !

Robert Hue : Mais je les prends à témoin. Est-ce que le chômage a diminué suffisamment dans le pays ? On le saurait. Ça n’a pas diminué. Ça a même augmenté sous votre responsabilité, celle des gouvernements que vous avez soutenus.

Dominique Perben : Mais ce ne sont pas les 35 heures qui vont réduire le chômage. Ils le disent dans les sondages, ça n’aura pas d’effet sur le chômage.

Robert Hue : Deuxièmement, vous dites négociation. Pour le moment, c’est le patronat qui a dit « je bloque tout, je ne veux pas négocier ». C’est bien cela ? Et dans l’histoire sociale française – et là, il y a un certain nombre de spécialistes qui peuvent le dire – dans l’histoire sociale française, jamais, jamais le patronat n’a accepté sans une loi effectivement de réduire le temps de travail. Il faut donc bien qu’on prenne ça en considération. Et je crois que cette loi n’est pas contraignante. En même temps, il y a une date butoir. D’ailleurs, les négociations pourront permettre peut-être de l’accélérer. Je souhaite que ça soit accéléré. Mais en tout état de cause, il fallait cette loi et je pense que c’est bien qu’il y ait eu cette décision de prise.

Gilles de Robien : Pardonnez-moi M. Hue, mais vous faites une confusion. Il y a deux lois. Il y en a une qui est incitative dans le modèle de la loi de l’ancienne majorité. À voir les modalités, moi, je suis d’accord sur la philosophie. La deuxième qui rend obligatoire dans deux ans, celle-là elle est contraignante. Donc, vous ne pouvez pas à la fois prêcher le dialogue et faire l’obligation.

Michèle Cotta : Gilles de Robien, vous aurez le diagnostic économique d’Alain Minc et puis celui de Jean-Paul Fitoussi.

Alain Minc : Moi, j’ai l’impression que nous aurions le même débat si nous étions des esquimaux au Groenland, c’est-à-dire si l’environnement n’existait pas. On oublie quand même que nous sommes immergés dans un univers où nous voyons le chancelier expliquer qu’il faut travailler plus aux Allemands, le Premier ministre travailliste britannique dire exactement la même chose, le secrétaire général de l’ancien Parti communiste italien qui était le chef de file de la majorité jusque il y a trois… quatre jours… dire qu’il faut travailler plus et la France est en train d’inventer une solution qui est totalement étrangère à cela. Alors soyons clairs ! Qu’est-ce ceci signifie ? À l’intérieur de la zone euro, est-ce que nous voulons, nous Français, être à l’échelle de l’euro ce que l’Auvergne – que les Auvergnats me pardonnent – est à l’échelle de la France ? C’est-à-dire une zone où le pouvoir d’achat est plus faible et où finalement c’est un ajustement du niveau de vie qui paie en réalité un certain nombre de systèmes ? Il faut tout de même échapper à l’idée qu’on peut inventer contre le monde entier la solution. Je veux dire, l’exception française en économique, ça n’existe pas. Quand les Français croient qu’ils sont les seuls au monde à avoir trouvé une solution, il faut toujours, toujours en économie se méfier.

Michèle Cotta : Jean-Paul Fitoussi, je voudrais votre diagnostic économique. Est-ce que vous pensez vraiment qu’on sera l’Auvergne enfin ou… je ne veux pas dire l’Auvergne, moi mais…

Jean-Paul Fitoussi : C’est très facile de dire à une société « travaillez plus ! » lorsqu’on ne lui offre pas d’emploi. Lorsqu’il y a 13 % de chômeurs, c’est très facile de lui dire « travaillez plus ! ». C’est un discours qui est inaudible. Le problème est d’essayer de répartir de façon plus solidaire la quantité d’emplois qui existe. C’est en ce sens que la réduction du temps de travail est une solution de solidarité. Même si elle est de résignation, c’est une solution de solidarité. Donc, le problème est de savoir si elle va continuer à créer des emplois. Les études qui sont faites et les simulations qui sont faites sur cette question montrent que ça dépend des conditions dans lesquelles elle est faite. Si elle faite dans des conditions qui ne conduisent pas à une augmentation importante des coûts salariaux, alors, dans ce cas-là, elle peut contribuer à créer des emplois. Si ces conditions ne sont pas réunies, alors elle peut contribuer à en détruire. Donc, il faut bien cadrer les conditions idéales dans lesquelles elle peut…

Michèle Cotta : C’est inquiétant ce qu’il dit quand même Jean-Paul Fitoussi…

François Hollande : M. Fitoussi a tout à fait raison. Il faut que la réduction du temps de travail permette la création d’emplois. Ce n’est pas simplement un progrès social pour ceux qui travailleront moins même si c’est déjà important. Il faut que ça crée des emplois. Pour que ça crée des emplois, il ne faut pas qu’il y ait perte de pouvoir d’achat pour les salariés parce que sinon, on a à ce moment-là une détérioration des moyens de consommation et il ne faut pas non plus que ce soit un alourdissement pour les coûts des entreprises. Et c’est pour cela… qu’est-ce qu’a fait le Gouvernement dans ce dispositif d’incitations ? C’est justement que l’État, plutôt que de verser des allocations de chômage à des gens qui ne peuvent pas retrouver un emploi, de mettre, de recycler une partie de cet argent qui est aujourd’hui dépensé – tant mieux ! – pour donner une couverture, une indemnisation, qu’on le mette dans des systèmes incitatifs au temps de travail de façon à compenser la hausse des coûts salariaux. Et on va demander aux salariés – et ce n’est quand même pas si simple pour un gouvernement de gauche – de modérer les augmentations salariales. Et si on parvient à cet équilibre… on peut ne pas être d’accord. Là, on peut retrouver quelques clivages mais si on arrive à dire aux salariés…

Michèle Cotta : Je vois un clivage qui se manifeste.

Robert Hue : Vous allez voir un clivage apparaître.

François Hollande : Mais c’est normal. Mais on va à la fois compenser une partie du coût pour les entreprises, on va maintenir le pouvoir d’achat des salariés et c’est vrai qu’on va les amener à un accord collectif pour qu’il y ait plus d’emplois dans ce pays parce qu’il fout travailler plus.

Michèle Cotta : Dominique Perben, est-ce qu’il ne fallait pas mieux augmenter alors, si on voulait relancer la consommation, est-ce qu’il ne valait pas mieux passer d’abord par une augmentation des salaires et après simplement remettre l’objectif des 35 heures beaucoup plus tard ?

Dominique Perben : Ce qui est préoccupant, c’est le cadre dans lequel intervient cette mesure, parce que, si elle était isolée, s’il n’y avait que cela, mais malheureusement il y a un certain nombre d’autres choses qui vont peser sur la croissance, qui vont peser sur l’emploi dans le sens négatif en partie…

François Hollande : Vous pensez à quoi ?

Dominique Perben : Matraquage fiscal par exemple, le matraquage de l’épargne par exemple.

François Hollande : De quoi ?

Dominique Perben : Mais de vous…

François Hollande : Mais de qui ? De quels épargnants vous parlez ?

Dominique Perben : Mais les millions d’épargnants qui vont être…

François Hollande : Vous étiez vous-même il y a peu de temps au Gouvernement, vous étiez préoccupé par l’épargne de précaution et vous essayez de la débloquer. Alors, moi, je pense qu’on a suffisamment connu les expériences des uns et des autres pour savoir que si, aujourd’hui, on n’invente pas une solution nouvelle et notamment de la croissance, on est…

Michèle Cotta : François Hollande, laissez Dominique Perben s’exprimer jusqu’au bout.

Dominique Perben : Je dis simplement que cette mesure, dans le cadre de l’ensemble des autres mesures, c’est extrêmement préoccupant. Et à mon avis, ça ira vers ce qui me paraît inévitable aujourd’hui…

François Hollande : … Ce n’était pas préoccupant ?

Dominique Perben : On parlera du bilan Juppé quand vous voulez, même aujourd’hui.

François Hollande : Non, mais, je ne parle pas du bilan Juppé, je parle de…

Dominique Perben : Quand on lit les préliminaires du projet de budget 98, eh bien on voit que M. Strauss-Kahn tire un bon coup de chapeau à Alain Juppé parce qu’il montre que le budget 97 s’exécute dans de très bonnes conditions et que la croissance s’est accélérée. Eh bien, je dis aujourd’hui très clairement, c’est la première fois de façon très claire que l’on dit M. Juppé a bien travaillé avec son gouvernement. Mais pour revenir à la mesure dont on parle ce matin, il est évident qu’avec d’une part le matraquage fiscal sur les entreprises, d’autre part le matraquage fiscal sur l’épargne, d’autre part les impasses à terme sur le plan des dépenses et des recettes de l’État dont il faudrait aussi qu’on parle car, dans le budget 98, il y a des recettes exceptionnelles, il y a des dépenses qui, sur le long terme, ne seront pas maîtrisées car vous faites un équilibre budgétaire par la recette et non pas par la maîtrise de la dépense.

François Hollande : Vous êtes mis… la soulte de France Télécom. Alors, là-dessus, vraiment, parlons de l’avenir.

Dominique Perben : Ce qui veut dire M. Hollande, en 1999, il y aura un rendez-vous extraordinairement difficile – 99, c’est l’avenir – extrêmement difficile sur le plan financier, d’autant qu’il n’y aura pas à mon avis les 3 % de croissance en 98. Et pour toutes ces raisons, je dis que, dans deux ans, il y aura un réveil très très difficile sur le plan économique.

Robert Hue : On a évoqué il y a un instant les coûts salariaux, donc salaire, pouvoir d’achat. Je crois qu’un des aspects importants du dispositif, c’est qu’il n’y aura pas diminution de salaire et ça me semble important parce que, non seulement je pense qu’il ne faut pas qu’il y ait diminution de salaire, mais je pense même que pour s’attaquer fondamentalement à la question du chômage en France qui est horrible, eh bien, il faut à la fois cette réduction du temps de travail sans diminution de salaire, mais il faut aussi une relance de la consommation et une augmentation sensible du pouvoir d’achat des retraites, des salaires sans lequel on n’aura pas la mesure structurelle qui permettra d’aller plus loin. J’ajoute à cela, je rejoins M. Fitoussi complètement quand il dit tout à l’heure, il peut y avoir un blocage du côté de la construction européenne parce que c’est ce que vous disiez tout à l’heure M. Fitoussi. Ça me semble très important. Et là, je veux aussi affirmer une différence avec mon ami François Hollande. C’est que je pense qu’il faut lier les questions sur lesquelles nous sommes engagés à l’Europe et à la réorientation de l’Europe. Je vais dire pourquoi. Regardez le symbole qui vient de se produire hier, avant-hier. Le jour même où cette belle décision des 35 heures était prise en France, il y avait la décision brutale de la Bundesbank de baisser ses taux d’intérêt…

XXX : D’augmenter ses taux.

Robert Hue : D’augmenter ses taux d’intérêt, pardonnez-moi, vous avez bien compris, d’augmenter ses taux d’intérêt et dans ces conditions de porter un coup à des mesures de croissance et d’emploi. Je pense donc qu’il faut réorienter sensiblement la construction européenne pour pouvoir mettre en œuvre les mesures structurelles que nous prenons.

Michèle Cotta : Alain Minc, je vous ai fait bondir en parlant augmentation des salaires, mais…

Alain Minc : Un avis divergent de celui de M. Perben qui, dans la logique d’un combat politique, met sur le même plan le budget et les 35 heures. Je crois que ce sont deux sujets tout à fait différents. Je crois que ce budget, qu’il me pardonne, est plutôt bien bouclé et que de ce point de vue, le rééquilibrage en matière de prélèvement entre les salaires et l’épargne était quelque chose que vous vouliez aussi faire sans le dire et vous aviez d’ailleurs commencé à le faire par l’extension de la CSG. Et là, on est dans des ajustements à la marge et chacun fait dans la liberté qui lui est donnée. Je crois que les 35 heures, c’est quelque chose d’une tout autre nature. Et je voudrais que François Hollande me dise pourquoi un pays qui a quand même réglé son problème de chômage avec un gouvernement de gauche – donc, je ne me réfère évidemment pas à l’exemple britannique thatchérien, je me réfère à l’exemple hollandais – pourquoi c’est un pays où on a accepté une généralisation très forte du temps partiel, c’est-à-dire avec des revenus proportionnels ? Pourquoi c’est un pays où il y a un SMIC jeunes ? Pourquoi c’est un pays où, en 83, on a décidé une modération salariale qui, au bout de douze ans, a porté ses fruits ? Et j’aimerais bien qu’il me dise en quoi la solution que les Hollandais ont trouvée n’est pas celle qu’un gouvernement de gauche devrait instituer au lieu de rêver ?

Michèle Cotta : Avant qu’il vous réponde, peut-être Jean-Paul Fitoussi…

Jean-Paul Fitoussi : Oui, oui, deux mots. La première, c’est sur l’Europe et la croissance. Il est clair que dans les circonstances actuelles, comme l’objectif de la construction européenne est un objectif en soi qui n’appartient plus à la sphère économique, il y a un blocage des politiques d’expansion alors que l’Europe se trouve dans la situation idéale des politiques d’expansion. Mais on voit bien que ce blocage est réel, il existe. Cette décision d’augmenter les taux d’intérêt n’avait aucun fondement. On n’augmente pas les taux d’intérêt lorsque le taux d’inflation baisse. Enfin, ça apparaît… l’évidence. La deuxième remarque est sur l’exemple hollandais. Il faut bien savoir ce qui s’est passé en Hollande. En Hollande, on partait d’un taux d’activité très faible des femmes alors que le taux d’activité des femmes était très élevé en France.

Michèle Cotta : Ça va être encore de notre faute là.

Jean-Paul Fitoussi : Non, non, pas du tout, au contraire ! De sorte que la généralisation du temps partiel a correspondu à une augmentation du taux d’activité des femmes et à une augmentation choisie du taux d’activité des femmes, ce qui a permis de résoudre le problème sans qu’il y ait de tension. Alors que là, c’est une situation qui est complètement différente en France.

François Hollande : D’abord, juste une remarque de bon sens mais c’est vrai que l’emploi trouve sa source dans la croissance et que ça, c’est l’aspect essentiel. Et tout gouvernement responsable doit tout faire pour qu’il y ait le plus de croissance possible. Et moi, je me félicite qu’il y ait une perspective de croissance pour l’année qui soit meilleure que pour cette année et je pense qu’on est revenu - hélas, il y a des contraintes qui effectivement ont été décrites comme monétaires et à mon avis trop strictement monétaires –, mais on est revenu à un cycle de croissance qui sera plus fort et tant mieux pour l’emploi.

Michèle Cotta : Ce n’est pas ce qu’on dit tout le temps, ça ?

François Hollande : Non. Mais en ce moment, ça se passe. Donc, il ne faut pas essayer de minimiser.

Jean-Paul Fitoussi : Presque par hasard, en raison de l’appréciation du dollar.

François Hollande : Pas simplement parce que le commerce mondial est assez dynamique.

Gilles de Robien : Ce n’est pas la consommation intérieure quand même.

François Hollande : Non, justement. C’est quand même un point important. Et puis deuxièmement, il fallait retrouver des éléments dans la consommation intérieure, c’est pour ça que nous avons pris un certain nombre de décisions sur le SMIC et l’allocation de rentrée scolaire. Troisièmement, une fois que la croissance est remise sur ses rails et j’espère qu’elle le sera durablement et ça rejoint au débat européen, il faut qu’il y ait une réduction du temps. Alors cette réduction du temps de travail, elle peut se faire soit par le temps partiel c’est vrai, soit par une réduction générale du temps de travail.

Michèle Cotta : Et ça, ce n’est pas la même chose ?

François Hollande : Bien sûr que ce n’est pas la même chose ! Et ça, c’est un débat essentiellement politique. C’est-à-dire, soit on dit que finalement c’est le marché qui va éclater la notion de travail et chacun se débrouillera dans ce marché pour avoir dix heures, quinze heures, vingt heures, vingt-cinq heures ou on essaie de faire une réduction générale. Le choix des Hollandais a été plutôt d’aller, pour des raisons qui viennent d’être précisées, vers le temps partiel. Ils ont été aussi vers les emplois jeunes. Ils ont été aussi vers des congés de formation de longue durée, ce qui fait que les taux de chômage ne sont pas forcément les meilleurs. Mais ce que je veux dire, c’est que nous on a fait le choix d’une réduction générale du temps de travail pour que plus d’hommes et de femmes puissent travailler dans ce pays.

Michèle Cotta : Gilles de Robien, Dominique Perben, vous concluez.

Gilles de Robien : Je crois qu’il faut éviter de jouer sur les mots. Le temps partiel, c’est quelque part du partage du temps de travail. Et donc, si nous avions d’ailleurs en France le même taux de temps partiel que les Pays-Bas…

Michèle Cotta : Il faut dire simplement que le temps partiel, on paie autant qu’on travaille.

Gilles de Robien : Oui, mais là, avec la réduction de charges sociales dans le dispositif actuel ou avec l’aide à l’emploi de 9 000 ou 13 000 francs que prévoit M. Jospin, ça revient au même. C’est-à-dire que la charge salariale pour l’entreprise sera identique avec un temps de travail plus bas, c’est-à-dire un temps partiel. Un 35 heures par rapport à 39…

François Hollande : Oui, mais pour le salarié payé selon son ancien taux horaire… c’est ça la grande différence. Alors que le temps partiel, il est d’une brutalité absolue.

Gilles de Robien : Alors vous n’êtes pas allé voir les 1 000 entreprises…

François Hollande : Je ne parle pas de votre accord. Je parle du temps partiel en général. Demandez aux caissières aujourd’hui comment ça se passe. On leur réduit le temps en partiel, on leur réduit leur salaire.

Gilles de Robien : Je crois que le temps partiel, le partage du temps de travail, c’est efficace et si on avait autant de temps partiel en France qu’aux Pays-Bas, nous aurions 900 000 à 1 000 000 de chômeurs en moins.

Dominique Perben : Je veux dire simplement en conclusion qu’on est là devant incontestablement un choix qui a des motivations politiques. Je crois qu’il y a deux approches dans la gestion de la société. Moi, je suis absolument convaincu que dans le monde d’aujourd’hui, dans la France d’aujourd’hui, il faut faire confiance beaucoup plus à la liberté, à la négociation. C’est ce dont souffre en terme de déficit notre pays. Et là, vous venez de prendre une mesure je dirais type année 60. Eh bien, je crois que ce n’est pas adapté à la réalité d’aujourd’hui.

Robert Hue : Je crois au contraire que c’est un choix d’avenir, cette baisse du temps de travail et l’augmentation du temps libre. Mais je vois bien – et notre discussion le montre… l’attitude du patronat est aussi à regarder – que maintenant, eh bien ce sont les travailleurs, ce sont les salariés qui vont, avec les citoyens, déterminer ce que sera le fruit des négociations. Et c’est un appel, une ouverture, c’est un appel d’air au mouvement social pour qu’effectivement on rentre dans ces 35 heures effectivement.

Michèle Cotta : J’attendais une protestation d’Alain Minc qui n’est pas venue. Alors à qui se fier ?

Alain Minc : Vous allez passer deux ans à vider empiriquement votre loi de toute substance, vous verrez.

Michèle Cotta : Pour assister à l’émission, vous tapez 3615 code France 2. À 13 heures, le journal est présenté par Benoît Duquesne. On se revoit la semaine prochaine. Messieurs, vous continuerez cette discussion hors plateau si vous le voulez bien.