Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président de la commission économique du CNPF, à France 2 le 8 septembre 1992, sur le traité de Maastricht et la situation des entreprises.

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Média : France 2

Texte intégral

F. Ponchelet : Vous participez à une conférence de presse pour le oui à Maastricht. Est-ce bien le rôle des patrons de s'engager dans une consultation électorale ?

E.-A. Sellière : Nous aurions probablement choisi de nous taire et de rester prudents et silencieux, si nous n'avions pas senti que l'enjeu était considérable. Nous pensons devoir le dire. L'enjeu c'est la poursuite de ce qui a été le fond de l'expansion française, à savoir la perspective d'une construction européenne de plus en plus précise, de plus en plus énergique. Nous soulignons les dangers d'une interruption de ce processus.

F. Ponchelet : Un non aurait des conséquences graves pour l'économie, pour les entreprises françaises ?

E.-A. Sellière : Sûrement. À court terme, il y aurait une pression sur notre monnaie, un détournement des investissements en France. À plus long terme, dans ce climat plus nationaliste que serait une Europe dont on aurait interrompu la construction, l'Europe se ferait beaucoup plus à l'anglaise avec un grand marché inorganisé et beaucoup plus à l'allemande avec un Mark très dominant. Nous pensons que l'entreprise française dans tout ceci, ne retrouvera pas son compte.

F. Ponchelet : D'autres grands patrons plaident pour le non et la technocratie de Bruxelles; est-ce qu'il n'y a pas là un vrai danger ?

E.-A. Sellière : Chacun d'entre nous, et à titre personnel, fait une sorte de colonne des raisons de voter oui et une avec les raisons de voter non. Nous ne sommes pas du tout du sentiment qu'il n'y a pas de raisons de voter non. Notre colonne à nous est beaucoup plus lourde du côté du oui que du côté du non. Nous comprenons fort bien que certains chefs d'entreprises aient un raisonnement inverse. Nous croyons fondamentalement – et je le répète – qu'un non aurait sur notre économie des conséquences très lourdes et négatives et nous le ressentirions immédiatement sur l'emploi, sur l'expansion française.

F. Ponchelet : Dans le Traité il y a aussi la monnaie unique ; est-ce bien réaliste quand on voit les différences de niveaux entre la France, l'Allemagne, la Grèce ? Et n'est-ce pas se placer sous la dépendance de la toute puissante Allemagne ?

E.-A. Sellière : Nous pensons le contraire. Pour nous, ce qui est dangereux c'est de prolonger la situation actuelle dans laquelle l'Allemagne en réalité, avec sa pleine autonomie monétaire, nous impose des conditions de taux d'intérêts qui sont trop élevés et dont nous ne pouvons pas sortir. Cela à cause, du manque de conditions monétaires en Europe. Nous pensons au contraire, qu'il y a grand intérêt à ce que l'Allemagne s'encadre dans le processus européen et y perde – il faut le reconnaître – une partie de sa puissance.

F. Ponchelet : Deux sondages aujourd'hui traduisent la déprime des patrons français : celui de la Tribune indique que les trois quarts des patrons pensent que la situation générale se dégrade. 40 % se préparent à envisager des licenciements. C'est catastrophique…

E.-A. Sellière : Dans le climat de grande incertitude politique où nous place ce referendum, les chefs d'entreprises regardent leurs carnets de commandes et trouvent que les choses ne sont pas bien orientées. D'où le pessimisme. Nous ne pouvons pas nier un instant que l'économie ne soit pas actuellement porteuse, mais nous pensons que le processus qui doit nous conduire vers l'expansion est largement en cours. C'est une question de mois. Le pire est derrière nous.

F. Ponchelet : Est-ce que cet excès de pessimisme, d'attentisme des chefs d'entreprises ne risque-t-il pas de prolonger la crise ?

E.-A. Sellière : Oui. La question de la confiance, de la vision plus optimiste de l'avenir oriente vers la consommation. Il faut inciter à consommer, à investir et tout cela est largement psychologique car lié à la confiance. Il faut qu'elle revienne et elle reviendra.

F. Ponchelet : Cette reprise, ça fait deux ans que nous l'attendons. Y-a-t-il des signes, des indications ?

E.-A. Sellière : Oui il y a certains signes qui tiennent à la digestion de l'inflation en Allemagne. Ce sera le signal dans ce pays de la baisse des taux d'intérêts. Ils tiennent aussi au fait qu'aux USA se créent peu à peu les conditions de la reprise. Ce qui amènera le dollar à reprendre un peu de force et à nous faire moins concurrence. Nous, les chefs d'entreprises – c'est notre métier et notre orientation – allons-nous battre pour en sortir au plus vite et assumer dans ce pays le maximum d'emplois. Vous pouvez compter sur nous.