Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur l'industrie sucrière dans le domaine de la betterave, les propositions de réforme du secteur des grandes cultures dans le cadre de la PAC et de l'OCM sucre, et l'évolution du secteur sucrier, Paris le 10 décembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée générale de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), Paris le 10 décembre 1997

Texte intégral

Monsieur le président,

Merci de m’accueillir pour la clôture de votre Assemblée générale. Votre confédération porte allègrement ses 76 ans et, même si je n’en doutais pas avant de vous entendre je suis heureux de constater que la profession betteravière est pleine d’allant et de projets.

Un grand journal du soir paraissant en début d’après-midi, « Le Monde » pour ne pas le nommer, sous la plume de François Grosrichard, depuis Etrépagny dans le département de l’Eure, au bord du champ si je puis dire, décrit les planteurs de betteraves et des fabricants de sucre comme un monde qui d’ordinaire n’est pas porté à parler haut et fort.

Attitude compréhensible pour un secteur qui a toujours su allier à un fort degré d’organisation à la performance.

Vos résultats remarquables parlent d’eux-mêmes.

Cependant, comme vous l’avez judicieusement fait remarquer, Monsieur le Président, les 516 délégués planteurs de betteraves ici présents sont, dans le concret de leurs exploitations, d’abord des céréaliers, ensuite des producteurs d’oléo-protéagineux, et/ou des producteurs de pommes de terre et de légumes de plein champ, et seulement enfin des producteurs de betteraves.

La bonne santé de votre secteur, la récolte du siècle que vous venez d’engranger, motivent votre légitime fierté mais, rassurez-vous Monsieur le président, elles ne me prédisposent ni aux paroles lénifiantes, ni à un optimisme béat face à un auditoire qui sait bien que l’avenir de l’agriculture française et européen dépendra largement de sa capacité à être présente sur des marchés de plus en plus ouverts et concurrentiels.

Permettez-moi simplement de me réjouir de rencontrer pour la première fois les représentants d’une filière où le couple planteur fabricant s’interdit le divorce, où la communication sur le produit est remarquable d’efficacité, ou l’interprofession vit sa vie par-delà les naturelles divergences d’intérêt.

Mais, comme je suis sûr que vous ne faites pas vôtre célèbre formule de Docteur Knock de Jules Romains « la bonne santé est un état précaire qui ne présage rien de bon », j’interprète votre inquiétude, Monsieur le président, comme étant celle d’un agriculteur qui s’interroge à propos des effets du paquet Santer sur le devenir des exploitations agricoles du secteur des grandes cultures.

En ce qui concerne l’avenir plus spécifique de la betterave il me semble d’une grande lisibilité.

Votre OCM sucre est spécifique, elle s’autofinance, alors que je ne vois pas en quoi j’aurais besoin de vous rassurer sur sa pérennité. Croyez-moi le chantier du paquet Santer suffit à mon bonheur de ministre et soyez assuré que, comme vous Monsieur le président, je ne crois pas aux vertus thérapeutiques de la baisse des prix avec compensations appliquée à tous les secteurs. Bien au contraire j’estime qu’il faut développer une approche spécifique pour chacune des OCM.

Ayant rassuré le président de la CGB sur l’OCM sucre en ne répondant pas à une question que ne se posait pas, je me tourne vers M. Ducroquet agriculteur dans le Pas-de-Calais et vers l’ensemble des agriculteurs présents dans cette salle, soit si j’ai bien écoute le président, 26 départements représentés, pour leur dire que je comprends leur inquiétude face aux propositions de réforme du secteur des grandes cultures.

Croyez bien que je suis parfaitement conscient de la portée des décisions que nous serons amenés à prendre, mes collègues et moi-même, au terme de la négociation de la nouvelle réforme de la PAC. Elles devront par-delà la nécessaire adaptation à la nouvelle donne des marchés mondiaux prendre en compte l’équilibre et la pérennité de vos exploitations.

Alors, si vous me le permettez, je voudrais profiter de votre Assemblée générale pour insister une nouvelle fois sur quelques préalables essentiels à respecter avant que nous nous engagions dans le débat sur le détail de la réforme.

Premier préalable : affirmer l’identité de l’agriculture européenne.

Je souligne deux fois affirmer. Cessons de nous comporter comme des enfants pris les doigts dans la confiture. Le noyau initial de l’Europe s’est formé autour d’une volonté politique commune d’organiser les marchés agricoles, d’un souci permanent de ne pas soumettre nos exploitations aux fluctuations erratiques de cours mondiaux sur lesquels nos agriculteurs n’ont aucune prise.

Réaffirmons sereinement cette volonté d’organisation et de protection qui garantira notre bien le plus précieux dans la compétition mondiale : la diversité de nos exploitations agricoles.

Second préalable : la réforme doit disposer des moyens de son ambition.

Je suis très attentif à l’évolution de ce dossier qui devrait être évoqué en cette fin de semaine au sommet des chefs d’État et de gouvernement.

Dernier préalable : valoriser la PAC dans les enceintes internationales.

Tous les grands pays développés ont une politique agricole visant à conforter leur production nationale et la place de celle-ci dans les échanges mondiaux.

Dans le secteur sucrier, comme dans d’autres, nous pouvons sans crainte confronter nos outils de gestion et d’organisation du marché à ceux de nos grands compétiteurs mondiaux et l’Union européenne est fondée à valoriser l’acquis communautaire.

La prise en considération des politiques en matière d’environnement, des contraintes sociales affectant le secteur nous permettent d’attendre les futures négociations multilatérales avec une sérénité empreinte de vigilance.

Mais, comme vous l’avez dit, aujourd’hui nous sommes ici pour parler de la betterave sucrière et je me dois d’évoquer devant votre Assemblée générale quelques dossiers d’actualité plus immédiate.

Tout d’abord la question des semences. Je comprends votre inquiétude de producteur face à l’évolution de ce secteur tenu par des grands groupes multinationaux opérant dans des secteurs éloignés de l’agriculture.

Pour ce qui est des semences génétiquement modifiées la position du gouvernement – car il s’agit d’une décision de ce niveau – obéit à une attitude de nécessaire prudence. Il est essentiel sur une question aussi sensible de disposer d’avis scientifiques qui démontrent l’absence de tout danger pour le consommateur et pour l’environnement.

Cependant prudence ne signifie pas immobilisme et, lorsqu’une variété nouvelle fait l’objet d’un dossier scientifiquement irréfutable, comme cela a été le cas pour un maïs, le gouvernement a su prendre ses responsabilités.

Ensuite, pour rester sur des sujets chauds, parlons de la préservation de l’environnement dans la mise en œuvre de vos techniques culturales.

Vous avez plaidé ce dossier ce matin devant un conseiller du ministre de l’environnement et je suis persuadé que la qualité de votre argumentation l’aura plus encore convaincu de l’exemplarité de vos actions.

Dans l’équipe gouvernementale, chaque ministre s’efforce d’être en phase avec le secteur dont il a la charge.

Ici au congrès de la CGB, vous m’avez rappelé à plusieurs reprises, Monsieur le président, que je me dois de défendre tant au plan communautaire qu’au plan national les dossiers qui conditionnent l’exercice de votre profession. Il est donc normal que Madame Voynet en charge de l’environnement soit attentive à ces questions qui préoccupent l’ensemble de nos concitoyens.

L’important, en définitive, c’est que, comme vous savez si bien le faire au sein de votre interprofession, au terme d’un dialogue franc et d’une concertation sérieuse, des solutions préservant l’intérêt général émergent.

Sur l’épandage des boues urbaines, vos préoccupations sont légitimes, et je suis persuadé que les pouvoirs publics sur cet épineux dossier sauront prendre et assumer avec vous leur responsabilité.

Vous avez évoqué également la politique contractuelle. Sur cette question, tout en souhaitant attirer mon attention sur ce dossier, j’ai eu le sentiment que vous profitiez de ma présence pour dire à vos partenaires industriels, avec le franc parler qui vous caractérise, que le temps était venu d’adapter la réglementation aux réalités de la production betteravière.

Je prends note des évolutions que vous souhaitez dans ce domaine, et vous confirme que les services de la DGAL accompagneront votre entreprise de rénovation. Je fais confiance au sens des responsabilités des représentants des producteurs et des transformateurs au sein de l’interprofession pour que ces questions très pointues trouvent des solutions qui fassent entrer l’économie sucrière dans le prochain siècle avec des dispositifs contractuels rénovés.

Beau défi qui, j’en suis sûr, sera relevé très rapidement. Les excellents résultats de la récolte 1997 devraient inciter les industriels à répondre favorablement à votre appel si résolu, Monsieur le président.

Un autre sujet qui vous préoccupe : l’évolution du pouvoir au sein des holdings qui contrôlent les grands groupes sucriers opérant dans notre pays.

J’y suis très attentif mais, comme vous l’avez souligné, pour l’heure, seule la vigilance est de mise.

Le constat d’un contrôle de 55 % de la production de sucre par des sociétés à capitaux majoritairement italiens n’est pas en soi préoccupant pour le devenir de celle-ci puisque, vous le savez mieux que moi, les quotas sucre sont attribués aux états membres et notre compétitivité agricole nous met à l’abri d’une délocalisation éventuelle.

Pour l’avenir, s’il fallait travailler à des évolutions structurelles, je pense sincèrement que le rôle des pouvoirs publics se devra d’être, comme dans un passé récent, discret et efficace, pour que les intérêts de nos producteurs soient sauvegardés.

Je ne doute pas du savoir-faire de l’ensemble des partenaires ici rassemblés pour agir dans le sens de nos intérêts dans le respect des règlements et de l’organisation du marché du sucre.

Enfin, sur les questions essentielles relatives aux débouchés de vos produits :

– pour le sucre, les incertitudes que vous évoquez concernant la future négociation OMC et les judicieux conseils que vous me prodiguez m’incitent à vous répondre que ce n’est ni le jour ni l’heure de donner du grain à moudre à ceux qui s’emploient, et continueront de s’employer, à contester le dispositif communautaire. Il ne s’agit même pas de se hâter lentement, mais de rester vigilant ;
– pour le marché de l’alcool, vous savez bien Monsieur le président, que les représentants du ministère de l’agriculture ont délimité à la Commission la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle des importations afin de détecter d’éventuelles irrégularités et de permettre de les combattre ;
– pour l’éthanol, vous avez rappelé la confirmation de ma position favorable au développement des biocarburants qu’a faite J.F. Collin lors de l’Assemblée générale de l’ADECA.

Je voudrais toutefois rappeler que le développement des biocarburants a été engagé de façon significative à partir de 1991, et que la production de carburants d’origine agricole est désormais une réalité économique tant agricole qu’industrielle.

203 000 hectares ont été ainsi consacrés à la production de biocarburants en 1997, dont 12 500 hectares de betteraves.

Des investissements importants ont été consacrés pour la production d’éthanol destinée à la fabrication d’ETBE : 20 sucreries-distilleries y sont engagées.

Total et ELF ont pour leur part démarré en 1996 leur activité de fabrication d’ETBE, et réalisé des investissements importants, en partenariat avec les filières betterave et blé.

La France occupe désormais le premier rang de producteurs européens de biocarburants.

Le soutien public s’exerce par un avantage fiscal très substantiel. Pour les trois premiers trimestres 1997, cela représente pour la seule filière éthanol-ETBE plus de 266 MF.

Et pour 1998, vous en avez eu connaissance, le Premier ministre a décidé sur ma proposition la défiscalisation de 270 000 tonnes d’ETBE : cela permet de prendre en compte non seulement les capacités actuelles, mais aussi les augmentations de production prévues par certaines unités.

Complémentairement, l’exonération de la TIPP sera maintenue à son niveau actuel.

De nouvelles étapes seront bien entendu à préparer et nous nous y emploierons ensemble.

Comme sur d’autres dossiers, je m’emploierai avec pragmatisme et détermination à convaincre. Nier qu’il y ait un débat vigoureux sur cette question serait pratiquer la politique de l’autruche. C’est ainsi depuis l’origine et ça n’a pas empêché le ministère de l’agriculture de faire progresser le dossier dans toutes les enceintes où il est débattu. Que de chemin parcouru depuis 1992 !

Alors, plutôt que de vouloir monter sur des estrades pour ferrailler avec vos détracteurs, je préfère travailler avec l’ensemble des partenaires de l’ADECA pour que nous abordions les nouvelles échéances en disposant de tous les arguments techniques, économiques et environnementaux qui nous permettront de stabiliser le dispositif et consolider nos filières.

Voici venu pour moi le temps de conclure.

L’image qui me venait à l’esprit, en vous entendant dire, Monsieur le président, que la profession betteravière était de nouveau déterminé à aller de l’avant face aux défis qui lui sont lancés.

C’est un équipage solide et expérimenté sur un bateau bien préparé.

De tout temps, vous avez su faire prévaloir vos analyses pour que votre OCM reflète votre souci constant d’organisation et de gestion. C’est tout à l’honneur de votre profession d’avoir su placer et maintenir la production betteravière française sur la plus haute marche du podium.

Alors, même si par ailleurs vous êtes tout naturellement préoccupés des évolutions de la PAC, je suis persuadé que votre aptitude naturelle pour l’anticipation vous permettra d’engranger de nouvelles et de belles victoires.

J’ai noté d’ailleurs que votre filière anticipait largement sur l’adhésion des PECO à l’Union européenne.

L’importance des investissements français dans ces pays en témoigne, mais elle doit aussi interpeler les producteurs français.

Nous nous employons à préparer soigneusement l’adhésion de ces pays, et les relations développées par votre association et les industriels contribuent à une meilleure connaissance mutuelle et à un utile rapprochement des dispositifs existants ou à créer dans ces pays, avec ceux de l’Union européenne.

Je suis donc convaincu que là aussi vous saurez ensemble remporter de nouveaux succès, qui contribueront efficacement à maintenir longtemps les champs de betteraves et les sucreries des plaines françaises.