Texte intégral
Date : lundi 1er décembre 1997
Source : Le Progrès
Le Progrès : Nous sommes à mi-chemin entre les législatives et les régionales et cantonales. L’opposition a-t-elle tiré les leçons de son échec du printemps ?
Alain Madelin : Cet échec, même si l’écart en voix était somme toute faible, n’en a pas moins constitué un formidable tremblement de terre pour l’opposition. Il marque la fin d’une époque en politique, la fin d’une conception fondée sur une vision autoritaire du pouvoir et sur une pratique autoritaire du gouvernement. L’opposition doit, à mes yeux, franchement prendre le cap libéral des sociétés modernes. Bien sûr, l’œuvre nécessaire de reconstruction prendra du temps. Pour pouvoir récolter demain, il faut d’abord labourer et semer. C’est ce à quoi je m’emploie.
Le Progrès : Le temps de la récolte peut-il venir dès les prochaines élections ?
Alain Madelin : Il s’agit d’élections locales qui ne constituent pas, par nature, des échéances nationales. L’opposition détient dans des régions et des départements des positions fortes. Pour les maintenir, il faut savoir s’ouvrir sur la société et faire accéder des jeunes et des femmes à des postes de responsabilité.
Le Progrès : Évitera-t-on de faire des régionales une session de rattrapage pour les battus des législatives ?
Alain Madelin : Les députés battus aux législatives à l’occasion d’une dissolution et d’une campagne nationale sur laquelle il y aurait beaucoup de choses à dire n’ont pas obligatoirement démérité. Il faut néanmoins avoir l’audace d’apporter un sang neuf, un courant nouveau à l’opposition à l’occasion de ces élections.
Le Progrès : Vous sentez-vous aujourd’hui à l’aise au sein de l’UDF ?
Alain Madelin : L’UDF est la réunion de plusieurs familles politiques qui ne se sont pas réunies par hasard. Elles partagent une même vision de la société, une même confiance dans l’homme, dans sa liberté et sa responsabilité.
Le Progrès : Ce n’est pas le cas du RPR ?
Alain Madelin : Non. Le RPR exprime encore trop une conception de l’État différente de la nôtre même si je me réjouis de l’expression plus forte aujourd’hui du courant libéral au sein du RPR. Ce qui est sûr, c’est que tant l’UDF que le RPR doivent se remettre en question comme nous l’avons fait de notre côté à Démocratie libérale. Pour reconstruire l’UDF comme l’ensemble de l’opposition, il faut des convictions fortes. Comme le dit Tony Blair, « on ne construit pas une société forte avec des choix mous ». Le moment venu, la France devra à son tour faire vraiment le choix libéral. C’est sur ce choix que l’on peut reconstruire une opposition à la fois unie mais aussi forte et entraînante.
Le Progrès : Le libéralisme que vous prônez fait peur à nombre de Français ; ils y voient la promesse d’une société très inégalitaire ?
Alain Madelin : La société très inégalitaire, dure pour les faibles, où la pauvreté et l’exclusion se reproduit de génération en génération, c’est la société d’aujourd’hui et pas la société libérale.
Je souhaite au contraire une société qui créée des emplois, qui remet en marche l’ascenseur social, qui donne à chacun sa chance et lui assure de vraies sécurités contre les risques et les aléas de l’existence. Je souhaite une société où la loi est égale pour tous ; où l’Etat fait respecter le droit et ne cède plus aux politiquement forts, aux porteurs de pancartes et aux barreurs de chemins. Aujourd’hui, ce sont le plus souvent ceux qui bénéficient de rentes de situations acquises qui combattent les idées libérales susceptibles de remettre en cause leurs privilèges. J’ai la conviction qu’une société libérale aujourd’hui, c’est la chance des plus faibles.
Le Progrès : Vous voulez moderniser notre société et dans le même temps vous vous opposez à la limitation du cumul des mandats ?
Alain Madelin : Le cumul des mandats apparaît effectivement comme un symbole de mauvais fonctionnement de notre démocratie. Mais la vraie maladie française, c’est son centralisme jacobin dont le cumul des mandats n‘est que le symptôme. Je sens d’ailleurs monter la révolte de la province contre Paris.
Il existe effectivement un certain nombre de grandes fonctions exécutives qui doivent être exercées à plein temps. Il ne doit plus être admissible que l’on puisse être à la fois ministre et président de Conseil général, ou encore maire de Lille ou de Bordeaux.
J’ai rencontré Lionel Jospin sur le problème du cumul des mandats. Je lui ai demandé s’il avait l’intention d’aller plus loin dans le domaine de la décentralisation. Il m’a répondu non. Dès lors, je pense qu’il n’est pas forcément inutile que quelqu’un qui exerce une fonction exécutive locale puisse la compléter par un mandat représentatif national. Cela va dans le sens de l’intérêt général. Car pour aller de Villefranche à Villeurbanne, un dossier doit aujourd’hui souvent passer par Paris.
En fait, le vrai combat pour la modernisation de la vie politique française, c’est celui de la reconstruction de la démocratie à partir d’une plus large autonomie des collectivités locales et territoriales. C’est ce thème que je voudrais voir débattre à l’occasion des prochaines élections.
Le Progrès : Un choix qui vous évitera aussi de critiquer Lionel Jospin dont la politique semble plaire aux Français ?
Alain Madelin : Je pense hélas que la politique de Lionel Jospin est une politique sans chance. On ne peut pas résoudre les problèmes du pays avec des solutions à contre-courant du monde et à contre-courant du simple bon sens. Le Premier ministre bénéficie de deux éléments favorables : celui attaché à un nouveau gouvernement dont le style peut apparaître plutôt sympathique par comparaison et un début de croissance économique. Mais cette croissance est essentiellement tirée de l’extérieur par des pays libéraux dont on sait qu’ils vont plutôt ralentir dans les temps qui viennent. Le véritable moteur de la croissance – le moteur intérieur – a du mal à redémarrer d’autant que les mesures annoncées comme les 35 heures sont de nature à casser la confiance et à créer une incertitude sur l’avenir peu favorable à l’investissement en France.
Date : 10 décembre 1997
Source : La Voix du Nord
La Voix du Nord : Quel bilan tirez-vous des six premiers mois du gouvernement Jospin ?
Alain Madelin : Le gouvernement Jospin a pratiqué jusqu’ici une politique de facilité. Et les facilités d’aujourd’hui seront les difficultés de demain… Il est facile de boucler un budget avec des prélèvements supplémentaires, en renonçant à tout véritable effort d’économies, sauf à sacrifier l’investissement, la défense et les familles.
Créer des emplois publics avec de l’argent public ne demande pas un génie politique particulier. Quant à la première grande décision du gouvernement, à savoir la refonte de notre politique d’acquisition de la nationalité et de l’immigration, elle est manifestement en totale contradiction avec l’opinion d’une grande majorité des Français.
La Voix du Nord : En souhaitant que 2002 soit l’occasion d’un sursaut, vous semblez penser que la législature ira à son terme…
Alain Madelin : Nous n’avons pas le pouvoir de brusquer les échéances… Elles peuvent être accélérées par les faits ou par la volonté présidentielle. Si tel était le cas, ce serait sur un échec profond des socialistes.
Il m’appartient de veiller à ce que ma famille politique soit prête à toute anticipation. Mais il me faut tout mettre en œuvre pour réussir l’échéance 2002. Sinon, cela signifierait douze ans de socialisme. C’est un risque que je ne veux pas faire courir à mon pays. Car ce serait rater les chances de modernisation de la France.
La Voix du Nord : Si l’opposition ne peut redevenir la majorité sans les voix parties au FN, que faut-il faire pour les récupérer ?
Alain Madelin : Nous devons retrouver les électeurs qui nous ont quittés pour le Front national et, à plus forte raison, empêcher d’autres électeurs le rejoindre. Au fond, j’ai la conviction que ces électeurs ne considèrent pas que le FN détient les solutions de l’avenir de notre pays. Mais qu’ils ont davantage voulu exprimer un rejet de l’ex-majorité, quand ce n’est pas un rejet de la politique elle-même.
J’entends combattre le simplisme des solutions de facilité du Front national – les « y’a-qua »… « y’a-qua fermer nos frontières » et « y’a qua partager l’emploi entre Français » – par le débat, pas par l’ostracisme. J’entends aussi apporter, sans tabous ni langue de bois, des réponses claires et concrètes à un certain nombre de problèmes réels, comme l’immigration ou la sécurité. Ce sont des problèmes que la majorité d’hier a trop souvent occultés, pratiquant la politique des trois singes – ni voir ni entendre ni parler – et auxquels le gouvernement apporte de mauvaises réponses. L’opposition doit regarder, entendre et parler de tous les problèmes qui concernent les Français.
La Voix du Nord : Pas d’ostracisme, cela signifie-t-il les alliances dénoncées par le PS ?
Alain Madelin : Je suis surpris de la crise d’amnésie frappant le Parti socialiste. Le voici qui en vient à donner des leçons à l’opposition en oubliant un peu vite qu’il doit son pouvoir à un Front national disant préférer M. Jospin à M. Chirac.
En ce qui concerne Démocratie libérale, les choses sont claires : il n’y a pas et il n’y aura pas, à l’occasion des prochaines élections régionales, une quelconque alliance sur la table ou sous la table avec le Front national. Le Front national combat les libéraux et les valeurs des libéraux ne sont pas celles du FN. Les propos que le président du FN vient de réitérer sont une insulte et une provocation pour les libéraux attachés aux droits de l’homme, au respect et à la dignité de la personne.
La Voix du Nord : Qu’entendez-vous par la réforme de l’État et des institutions pour moderniser la France ?
Alain Madelin : Il existe aujourd’hui, dans tous les domaines, un formidable décalage entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés. On fait encore trop souvent confiance aux Parisiens en haut, et pas assez aux Français en bas. La politique socialiste est par nature une politique de confiance dans l’État quand la pensée libérale est une philosophie de confiance dans la liberté, la responsabilité des personnes et des collectivités locales.
Aujourd’hui, pour aller d’Armentières à Lille, un dossier est souvent obligé de passer par la capitale, ce qui est une vraie maladie française. Nous devons réformer, alléger les structures centrales de l’État et vivifier les collectivités locales en leur donnant plus de pouvoir et en leur rendant une part des impôts confisqués au plan national. Voilà un vrai projet que je souhaite voir débattre à l’occasion des élections régionales.
La Voix du Nord : L’opposition en général, le RPR de Philippe Séguin en particulier, vous semblent-ils suffisamment libéraux ?
Alain Madelin : Les idées libérales, à savoir les idées de liberté et de responsabilité, sont les grandes idées modernes qui partout dans le monde assurent la réussite des pays qui leur font confiance. L’on peut être de gauche et libéral comme les travaillistes britanniques ou les sociaux-démocrates hollandais, l’on peut être social et libéral, écologiste et libéral, gaulliste et libéral…
D’ailleurs, le miracle de la prospérité économique retrouvée et de la rénovation de l’État en 1958 résulte du mariage d’une pensée libérale avec le gaullisme. Je me réjouis de voir qu’au sein de l’opposition, en particulier au parti gaulliste, de plus en plus nombreux sont ceux qui rejoignent et défendent les idées libérales. Cela facilitera les regroupements demain et l’émergence nécessaire d’une majorité libérale qui seule permettra une véritable alternance pour assurer un meilleur avenir à la France.
La Voix du Nord : Vous lancez aujourd’hui une campagne nationale sur « l’erreur économique des 35 heures ». Apparemment, cela n’a pas effrayé Toyota…
Alain Madelin : À l’inverse, je ne pense pas que ce soit la perspective des 35 heures obligatoires qui ait attiré Toyota. La France, depuis des années, est une ligne de résistance à l’importation des voitures japonaises. Et l’implantation ici plutôt qu’ailleurs de Toyota représente un objectif stratégique important.
À propos des 35 heures, ce que nous combattons, c’est la vision rigide et autoritaire de la durée légale du travail pour toutes les entreprises à l’horizon 2002. C’est un mauvais coup porté à l’entreprise. C’est encore un mauvais coup porté à l’emploi, et vous avez vu la réaction des cristalleries d’Arques qui mieux qu’un long discours montre que la baisse du temps de travail non seulement ne crée pas d’emplois mais risque de nous en faire perdre. C’est enfin un mauvais coup pour les salariés dans la mesure où cela signifie la disparition des heures supplémentaires et ouvre une perspective dangereuse de gel autoritaire des salaires.
Date : jeudi 4 décembre 1997
Source : Les Dernières nouvelles d’Alsace
Les Dernières nouvelles d’Alsace : François Bayrou demande un référendum sur le code de la nationalité, François Léotard est contre, et vous ?
Alain Madelin : C’est une question essentielle et je trouve normal qu’on demande leur avis aux Français, non seulement sur le texte concernant l’acquisition de la nationalité, qui posera peut-être quelques problèmes constitutionnels, mais aussi sur le texte concernant l’entrée et le séjour des étrangers. Le projet abaisse nos barrières de protection face à l’immigration clandestine. L’aide apportée par un étranger en France à l’entrée irrégulière de membres de sa famille sur le territoire national ne sera plus considérée comme un délit. Par ailleurs, ce projet favorise fortement le regroupement familial en assouplissant dangereusement les conditions financières et en matière de logement qui étaient exigées pour permettre un regroupement dans des conditions décentes. Ce sont là des modifications très profondes de notre droit de l’immigration, avec des conséquences redoutables pour l’avenir. Ceci regarde les Français et je trouverais normal qu’une bonne fois pour toute on les consulte pour leur demander leur avis sur la façon dont ils voient l’accès à la nationalité et l’arrivée sur le territoire national des étrangers.
Les Dernières nouvelles d’Alsace : Édouard Balladur ne sera pas candidat à la présidence de la Région Ile-de-France si l’UDF et le RPR n’obtiennent pas au moins la majorité relative aux élections régionales. Partagez-vous sa façon de voir ?
Alain Madelin : À Démocratie libérale les choses sont claires. Je souhaite que l’on affirme des postions fermes et sans complaisance vis-à-vis du Front national. Il n’est pas question d’alliance. Cela étant, je n’imagine pas comment nous pourrions ne pas être présents aux différents tours de scrutin de l’élection des présidents de conseils régionaux. Moi je lutte pour que nous soyons en tête partout, alors ne me demandez pas ce que je ferais si les socialistes étaient devant nous.
Les Dernières nouvelles d’Alsace : Quelle analyse faites-vous de l’état de l’opposition actuellement, et notamment de l’UDF ?
Alain Madelin : Je travaille à la reconstruction de l’opposition, c’est une tâche de longue haleine. J’espère que cette opposition va prendre franchement le tournant libéral que je souhaite depuis longtemps. Dans d’autres formations que la nôtre, les idées libérales progressent et je m’en réjouis. Par ailleurs, le renouvellement est une des conditions essentielles de la réussite. Je souhaite une relève des générations au sein de l’opposition : davantage de gens venus de la société civile, un peu moins d’énarques, un peu plus de personnes qui ont une expérience professionnelle, plus de jeunes, plus de femmes.
C’est d’ailleurs pour cela que je viens en Alsace. Le travail sera lent, difficile. L’opposition ne résoudra pas ses problèmes en quelques semaines ou quelques mois. Mais je suis confiant car j’ai la conviction que la prochaine alternance se fera autour des idées de liberté et de responsabilité.
Les Dernières nouvelles d’Alsace : Quelle direction prendrait votre tournant libéral si vous reveniez au pouvoir.
Alain Madelin : Il ne faut pas réduire la pensée libérale à quelques recettes économiques. C’est une pensée philosophique, juridique, de confiance dans la personne, dans sa liberté et dans sa responsabilité.
C’est aussi une certaine idée de l’organisation de la démocratie, à partir de la base et d’une autonomie des collectivités locales. Il existe une révolte profonde, justifiée d’ailleurs, de la province contre Paris. Trop de décisions se prennent dans les bureaux parisiens. Parfois un dossier, pour faire vingt kilomètres en Alsace, doit passer par Paris. Une gestion de proximité peut être plus responsable, plus attentive et plus économe. Aussi proposons-nous de repenser complètement les structures de la démocratie française.
Les Dernières nouvelles d’Alsace : Que répondez-vous à ceux qui accusent la droite de porosité aux idées du FN ?
Alain Madelin : Je trouve que M. Jospin a un certain toupet, dans la mesure où, s’il est aujourd’hui chef de gouvernement, c’est parce que le Front national avait dit qu’il préférait M. Jospin à M. Chirac. Et M. Jospin comme ses candidats ont parfaitement accepté les situations électorales qui ont permis leur élection. M. Jospin ne me paraît pas bien qualifié pour nous donner des leçons sur cette question. D’autant qu’il affirme sa fierté d’être allié au Parti communiste français au moment même où l’on découvre toute l’ampleur des crimes du communisme.