Texte intégral
Date : 4 décembre 1997
Source : Le Parisien
Le Parisien : Jean-Pierre Chevènement juge son projet équilibré…
Alain Madelin : Dès la lecture du rapport de l’universitaire Patrick Weil, qui a servi de base au projet de loi Chevènement, je n’ai pas eu la moindre hésitation. Si les Français avaient pu lire l’intégralité de ce document, ils auraient rejeté 80 à 90 % des propositions qu’il contient. Si le projet du gouvernement est réellement équilibré, il existe un moyen simple de le vérifier : qu’on le soumette à référendum !
Le Parisien : Les lois Pasqua et Debré ne sont pas remises en cause…
Alain Madelin : Ce qui compte, ce n’est pas l’étiquette, c’est le contenu du flacon !
Le Parisien : Vous rejetez tout ?
Alain Madelin : Non. Mais il faut aller à l’essentiel : les loi « lois Jospin » (celle que vient de défendre Élisabeth Guigou, celle que va défendre Jean-Pierre Chevènement) auront pour résultat de faciliter l’entrée supplémentaire d’immigrés réguliers comme d’immigrés irréguliers.
Le Parisien : Le gouvernement veut combattre l’immigration clandestine…
Alain Madelin : L’aide à l’entrée et au séjour irréguliers étaient jusqu’à présent un délit pénal. Or, avec la loi Jospin, faire entrer clandestinement son beau-fils, sa belle-fille, son beau-père, sa belle-mère ne sera plus un délit. On encourage donc ce qui constitue l’une des principales sources d’immigration irrégulière dans notre pays.
Le Parisien : Que proposez-vous en matière de regroupement familial ?
Alain Madelin : Pour un étranger travaillant en France, il est normal, au bout d’un certain temps, de favoriser le regroupement familial. Mais, jusqu’ici, il fallait pour cela attester d’un vrai travail et d’un vrai logement. Or, avec la loi Jospin, il suffira d’avoir fait ne demande de logement social. Et un revenu équivalent au seul Smic (certaines allocations sociales incluses) sera désormais considéré comme suffisant pour faire vivre une famille de dix enfants.
Le Parisien : Jean-Pierre Chevènement procède à des régularisations…
Alain Madelin : Nous étions arrivés à des situations absurdes : certains n’étaient ni régularisables ni expulsables. Cela étant, dans un Etat de droit, un immigré en situation irrégulière doit être soit régularisé, soit expulsé, soit condamné et emprisonné. Or, aujourd’hui, le plus souvent, un clandestin arrêté est purement et simplement relâché. Sur les 140 000 demandes de régularisation déposées, que deviendront les déboutés ? La question à poser à M. Jospin est donc claire : « Combien ? Quand ? Comment ? »
Le Parisien : Approuvez-vous l’extension du droit d’asile ?
Alain Madelin : L’asile politique est accordé à ceux qui combattent pour la liberté, c’est-à-dire à ceux qui défendent nos valeurs dans le monde. Mais le loi Jospin élargit ce droit aux victimes des persécutions en général. Tout le monde comprend que la France, comme tout autre pays, ne peut accueillir tous les peuples sur son territoire. Cette mesure est inapplicable.
Le Parisien : Les sans-papiers réclament des papiers…
Alain Madelin : Il faut appeler un immigré clandestin un « immigré clandestin », et non un « sans-papiers », c’est-à-dire quelqu’un qui aurait perdu ses papiers. Il est normal de prendre en compte des situations familiales dramatiques. Mais la France ne peut envoyer au monde le message suivant : « Venez en France. Soyez immigré en situation irrégulière. Vous bénéficierez d’un certain nombre de droits, et puis vous serez sans-papiers qui, tôt ou tard, auront vocation à être régularisés ! »
Date : 11 décembre 1997
Source : Paris-Match
Paris-Match : La « jospinomania » a envahi la France. Les Français seraient-ils donc redevenus socialistes à peine deux ans après la disparition de Mitterrand ?
Alain Madelin : Les Français ne sont pas redevenus socialistes, même si les bonnes paroles de M. Jospin aujourd’hui reçoivent un accueil plutôt favorable de l’opinion sur un fond de scepticisme résigné. Mais on ne juge pas durablement un gouvernement sur ses paroles et sur s son style, on le juge sur ses actes et se résultats. Exemple : sur la question de l’immigration, on constate un immense décalage entre ce que souhaitent les Français et ce que fait le gouvernement.
Paris-Match : Justement, avec les nouvelles lois sur la nationalité et l’immigration, le gouvernement ne cherche-t-il pas pour les régionales et les cantonales à déstabiliser la droite en faisant monter l’électorat du Front national ?
Alain Madelin : Je ne vais pas juger le gouvernement sur ses arrière-pensées, même s’il est clair que le renforcement du F.N. constitue aujourd’hui l’assurance-vie du socialisme. Il y a beaucoup à dire sur le contenu même des lois Jospin sur l’immigration. Ces lois sont de nature à faciliter l’entrée d’’immigrés supplémentaires, tant en situations régulière qu’en situation irrégulière q, alors que nous avons encore du mal, aujourd’hui, à intégrer l’immigration régulière de ces dernières années. Un exemple : un étranger en France qui aidait un membre de sa famille – un cousin ou un neveu – à rentrer de façon irrégulière sur le territoire national risquait, jusqu’à présent, d’être condamné par les tribunaux à une peine de prison et de perdre son titre de séjour. Et ce regroupement familial clandestin constitue actuellement une source importante de l’immigration irrégulière. En supprimant la sanction comme vient de le faire M. Jospin, on ne fait qu’encourager cette immigration irrégulière.
Paris-Match : Six mois après, le chômage reste élevé avec 3 123 000 demandeurs d’emploi, dont 1 152 800 le sont depuis plus d’un an. Les 35 heures et les emplois-jeunes vont-ils, selon-vous, réellement combattre le fléau du chômage ?
Alain Madelin : Le gouvernement a engagé une politique économique de facilité et de renoncement. La facilité, c’est, par exemple, de créer des emplois pour les jeunes avec l’argent des contribuables. Tout le monde comprend qu’il ne s’agit pas d’emplois durables et qu’il est, de surcroît, irresponsable de grossir davantage les rangs de la fonction publique, fut-ce au moyen d’emplois de fonctionnaires au rabais. Quant à l’idée des 35 heures hebdomadaires, obligatoires pour toutes les entreprises, il s’agit d’une erreur économique grave que nous paierons par un chômage aggravé. C’est une politique de renoncement qui préfère partager les emplois plutôt que d’en créer de nouveaux. Imaginez que les 5 ou 6 millions de Français les plus actifs de pays, ceux qui travaillent dur dans les entreprises, les cadres dirigeants, les entrepreneurs, les commerçants, les artisans, les professions indépendantes, décident de prendre Jospin au mot, et de ne travailler réellement que 35 heures par semaine. Tout le monde imagine la formidable perte de dynamisme et d’emplois que cela représenterait pour notre pays !
Paris-Match : En somme, pour vous, les 35 heures vont « plomber » l’économie…
Alain Madelin : Les 35 heures représentent non seulement une lourde facture pour l’économie, les entreprises et le chômage, mais aussi pour les salariés, par le blocage des salaires, la remise ne cause des heures supplémentaires, et même, comme le dit Martine Aubry, « la remise en cause de différents avantages acquis comme divers intéressements ». Jospin c’est un peu le Père Noël dans cette période de fêtes : il distribue des cadeaux. Les Français n’y croient guère et savent bien que cela ne va pas apporter des emplois, mais, à tout hasard, ils mettent leurs chaussures devant leur cheminée…
Paris-Match : Revenons au chômage. Quand le voyez-vous baisser, compte tenu de toutes ces mesures ? Fin 1998, comme le laisse entendre Jospin ?
Alain Madelin : En matière de chômage, la politique de Jospin est une politique sans chance. On ne construit pas une politique de croissance et d’emplois avec des solutions à contre-courant du monde et à contre-courant du bon sens. On ne peut pas retrouver le chemin de la prospérité quand, d’un côté, on ouvre nos portes à une nouvelle immigration d’ayants droit sociaux et, de l’autre, on favorise l’émigration de talents, de notre épargne et des créateurs de richesses. Pourtant, une nouvelle croissance se développe dans le monde, et, pour découvrir ces nouveaux emplois il faut regarder l’emploi d’un œil neuf, introduire toujours davantage de souplesse et de liberté dans l’économie. Enfermer, par exemple, le travail dans une durée hebdomadaire légale est, par nature, une approche rétro au moment où le travail se transforme.
Paris-Match : Parlons de la droite. Elle n’a pas de programme, elle n’est d’accord sur rien, elle a trop de leaders. Comment, dans ces conditions, peut-elle espérer revenir au pouvoir ?
Alain Madelin : La défaite des dernières législatives, qui aurait pu fort bien être évitée, constitue un formidable tremblement de terre pour l’opposition. Cette défaite marque pour elle la fin d’une époque. Depuis des années, j’essaie de faire prendre un vrai tournant libéral à l’ensemble de mes amis politiques de l’opposition et de travailler au renouveau et à l’ouverture de la vie politique française. C’était, à mes yeux, une nécessité, hier quand nous étions la majorité. Aujourd’hui, c’est plus qu’une exigence pour mériter à nouveau la confiance des Français, il ne suffira pas d’attendre les erreurs des socialistes. Il nous faut, nous aussi, savoir tourner la page, savoir se remettre en cause, rompre avec le technocratiquement et le politiquement correct qui ont trop souvent inspiré notre discours et nos actes. Il faut entreprendre, dès aujourd’hui, un patient travail de reconstruction. C’est ce à quoi je m’emploie avec Démocratie libérale.
Paris-Match : Comment réussirez-vous, alors que l’opposition est éclatée avec d’un côté Séguin, de l’autre Léotard et Bayrou, et, enfin, à l’Élysée, un président qui est loin d’être inerte ?
Alain Madelin : Cette reconstruction commence. Et je voudrais que l’on cesse de poser les problèmes de l’opposition en termes de personnes ou de structures partisanes. Mais plus en termes d’idées et de convictions. On ne construit pas une société forte sur les choix mous. Les victoires de demain ne sortiront pas des marasmes de la confusion. Cette reconstruction sera solide si les débats d’aujourd’hui permette de préparer les choix forts de demain. Je pense à cette phrase de Foch dans la bataille de la Marne : « Mon centre cède, ma droite recule, situation excellente, j’attaque. »
Paris-Match : Est-ce à la tête d’un Parti républicain rebaptisé Démocratie libérale que vous allez réussir à « attaquer » ?
Alain Madelin : J’ai la conviction que Démocratie libérale constitue aujourd’hui une force d’entraînement au cœur de la vie politique française, si j’en juge par les bonnes volontés, les concours de tous horizons. Cela fait longtemps que beaucoup de gens attendaient l’expression d’une force réellement, authentiquement, sincèrement libérale.
Paris-Match : Selon vous, les Français sont mûrs pour vivre une expérience libérale ?
Alain Madelin : Tout le monde observe le décalage entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouverné. Ce qui fait obstacle à ces idées libérales, ce sont tous les conservatismes des situations et les conservatismes des idées. Nous avons tout un personnel politique, économique et social qui a grandi dans une période dirigisme, qui est donc formé aux autres dirigistes, et qui en est toujours imprégné. On a construit la politique à partir de l’État, pour l’État, et autour de l’État. Or la nouvelle politique, celle qui vient, est une politique pour l’homme, à partir de l’homme, et autour de l’homme. Il ne suffira pas de changer d’idée, il faudra aussi une relève de génération.
Paris-Match : C’est d’’elle que viendra le changement ?
Alain Madelin : Il n’y aura pas de changement crédible sans un véritable renouvellement. Nous devons assurer la promotion d’une nouvelle génération de jeunes, mais aussi d’hommes et de femmes exerçant les responsabilités au sein de la société civile. J’ai entrepris un travail a fourmi, département après département, en organisant des forums de Démocratie libérale largement ouverts sur l’extérieur. Et je suis surpris par le succès d’affluence et par le nombre des gens nouveaux qui veulent s’engager à nos côtés. Nous devons trouver les moyens d’une démocratie vivante et participative, afin de réconcilier les Français avec la politique. C’est un travail patient et difficile.
Paris-Match : A la veille des régionales et des cantonales, que faire du Front national ?
Alain Madelin : Il faut cesser à la fois d’avoir peur du Front national et d’essayer de faire peur avec le Front national. Sur le fond, les choses sont nettes : le F. N. combat les libéraux et explique pourquoi à longueur de colonnes dans sa presse. Il est évident que les valeurs des libéraux ne sont pas celles du Front national. Mon objectif est clair : nous devons retrouver les électeurs qui nous ont quittés pour le front national et, à plus forte raison, empêche d’autres électeurs de le rejoindre. Car, au fond, ces électeurs ne considèrent pas pour autant que le F. N. détient les solutions de l’avenir de notre pays et de nos enfants. Ils ont davantage voulu exprimer un rejet de l’ex-majorité, quand ce n’est pas un rejet de la politique elle-même. J’entends à la fois combattre le simplisme des solutions de facilité du F. N. et apporter sans tabous ni langue de bois des réponses claires à un certain nombre de problèmes réels qui préoccupent les Français, comme l’immigration ou la sécurité. Ce sont des problèmes que la majorité d’hier a trop souvent esquivés et auxquels le gouvernement apporte de mauvaises réponses.
Paris-Match : Si demain Le Pen demandait à vous rencontrer, accepteriez-vous de débattre avec lui ?
Alain Madelin : Je pense qu’il faut accepter le débat avec le Front national. Je l’ai d’ailleurs fait récemment à la télévision, sur le thème de l’immigration, avec l’un de ses dirigeants. Les électeurs du F. N. ne comprennent pas la stratégie de l’esquive ou de l’anathème. J’entends, pour ma part, donner à ces électeurs des raisons de croire en nous, de rejoindre un vrai projet pour l’avenir de la France.
Paris-Match : La cohabitation est difficile. Le fait de voir le président marginalisé vous préoccupe-t–il ?
Alain Madelin : Cette cohabitation pose plus que les autres, de par sa durée, un problème constitutionnel. Les échéances de 2002, présidentielle et législatives, devront s’accompagner d’un véritable projet de réforme de l’État et de nos institutions, pour moderniser la France.
Paris-Match : Vous dites que cela peut attendre 2002. Ne serait-ce pas trop tard ?
Alain Madelin : Vous avez raison. Mais je n’ai pas le pouvoir d’accélérer les échéances. Celles-ci peuvent l’être par les faits ou de la volonté du président de la République. J’appliquerai, en attendant, la devise des scouts : « Toujours prêts. » J’ai le devoir, en tout cas, de tout faire, dans la mesure de mes moyens, de tout mettre en œuvre pour que nous réussissions ces échéances, celles de 2002. A défaut, cela signifierait que Jospin sera président jusqu’en 2009, soit douze ans de politique socialiste. C’est un risque que je ne veux pas faire courir à mon pays. Ce serait vraiment rater les chances de modernisation de la France !
Paris-Match : Cette cohabitation dure pourra-t-elle tenir longtemps, ou sera-t-elle abrégée ?
Alain Madelin : Si certains au P.S. souffrent de cette cohabitation et souhaitent la raccourcir, je rappelle que c’est le président et lui seul qui peut décider du moment d’abréger leurs souffrances.
Date : Vendredi 12 décembre 1997
Source : Europe 1
J.-P. Elkabbach : Le Conseil des Quinze va se réunir à Luxembourg aujourd’hui et demain. Les Français vont s’efforcer de convaincre qu’il faut un Conseil de l’euro. Apparemment, ça peut démarcher puisque les Anglais veulent y être. D’après vous, faut-il, pour l’Europe, un gouvernement économique à terme ?
A. Madelin : Non, l’Europe n’a pas besoin de gouvernement économique mais elle a besoin de politiques économiques convergentes.
J.-P. Elkabbach : On y va.
A. Madelin : Non, on n’y va pas puisque, par exemple, faire les 35 heures en France quand les autres travaillent 39 heures ou 40 heures, ou prennent leur retraite beaucoup plus tard qu’en France, c’est une divergence. Et quand vous faites de telles divergences dans un même espace économique, que doit-il se passer ? Un pays s’affaiblit et les autres se renforcent. Normalement, ça signifie que votre monnaie s’affaiblit quand d’autres monnaies se renforcent. Si vous faites une même monnaie sur la même zone, eh bien cela signifie que vous avez perdu de la souplesse et que la seule souplesse qui reste pour permettre l’ajustement entre ces divergences économiques, cela s’’appelle un chômage aggravé. Voilà pourquoi les 35 heures sont euro-incompatibles.
J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que vous êtes lancé dans la campagne d’explication de plusieurs mois que vous avez engagée contre la loi Aubry. Quels sont les trois chiffres qui vous paraissent les pires ou les plus dangereux ?
A. Madelin : Première idée : c’est que les 35 heures sont l’équivalent de cinq semaines de congés payés en plus. Est-ce que les entreprises françaises peuvent se payer un tel surcoût sans être obligées, pour certaines, de fermer leurs portes ou de délocaliser ? Un second chiffre que je crois important, c’est celui des Français qui, dans leur immense majorité, si on leur donnait vraiment le choix entre une augmentation de salaire et une baisse du temps de travail, préfèreraient, pour leur famille, pour eux-mêmes, une augmentation de salaire. Je vous donne un troisième chiffre : je trouve par exemple absurde de faire les 35 heures ou 350 000 emplois Aubry de sous-fonctionnaires sous-payés ; je préférerais qu’on mette le paquet pour créer 350 000 entreprises nouvelles chaque année.
J.-P. Elkabbach : Vous parlez avec beaucoup d’assurance. Le chômage n’est pas une invention de la gauche toute seule. Après les critiques, y a-t-il des solutions ?
A. Madelin : Il y a deux façons d’aborder la question de l’emploi. Une façon un peu peureuse, qui consiste à dire : il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde, alors on va partager les emplois. C’est ce que font les socialistes ou même d’ailleurs le Front national qui dit : on va partager les emplois, d’accord, mais entre Français. Et puis vous avez une solution – j’allais dire libérale – qu’on applique partout dans le monde, ce sont les gens qui disent : il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde ? Eh bien, on va en créer ! Libérer la création d’emplois, je ne connais pas d’autre remède contre le chômage. Le partage ne créera pas d’emplois en France. Souvenez-vous de Monsieur G. Schroeder qui est la leader socialiste allemand, le Jospin allemand.
J.-P. Elkabbach : On a cité sa phrase.
A. Madelin : Eh bien, je la récite à nouveau, peut-être que tous les auditeurs ne la connaissent pas : « Si les socialistes français, disait-il, appliquent les 35 heures en France, ce sera une bonne chose pour l’emploi en Allemagne ».
J.-P. Elkabbach : Dans votre campagne, vous avez sans doute croisé le patronat de M. Seillière. Pourriez-vos manifester ensemble ?
A. Madelin : À chacun son rôle. Il défend les entreprises qui sont en état, je crois, de légitime défense. Moi, je défends les entreprises et plus généralement l’économie française parce que je crois que c’est une mesure destinée à affaiblir nos entreprises. Je pense que c’est une mesure qui va couper la France en deux, entre celles et ceux qui pourront ainsi bénéficier d’une réduction du temps de travail subventionnée par les contribuables, et la masse de ces Français qui travaillent dur et pour lesquels 35 heures, c’est parfois un mi-temps – commerçants, artisans, entrepreneurs individuels, professions libérales. Je crois que c’est une coupure supplémentaire, et puis surtout, moi, je défends les salariés dans cette affaire. Parce que, ce qu’on n’a pas encore réalisé, c’est que si, par hasard, une entreprise peut appliquer les 35 heures, ce sera au prix d’un blocage des moyens. Moi, je n’accepte pas l’intimidation qui consisterait à m’obliger à participer à des croisades médiatiques, souvent cousues de fil rose, contre le Front national.
J.-P. Elkabbach : Cela, ça évite de répondre à la question !
A. Madelin : Je vais y venir. Le maniement de l’anathème systématique… Nous sommes dans une démocratie ; pour combattre il faut débattre et c’est le refus du débat qui, à mes yeux, nourrit le Front national.
J.-P. Elkabbach : Mais le débat peut-il aller jusqu’au compromis ?
A. Madelin : J’ai dit : « je veux débattre des thèses du Front national, je veux débattre avec le Front national » et, immédiatement, le même petit orchestre a susurré : ah, il a dit débat, donc dialogue égale compromis. Non ! je n’accepte pas non plus cette intimidation. Il n’y a pas, il n’y aura pas d’alliance avec le Front national, ni sur la table ni sous la table. Je l’ai dit, je l’ai répété mais je ne céderai pas. Ma façon avec Démocratie libérale, de combattre le Front national, de combattre le Front national, ce sera de façon démocratique, par le débat.
J.-P. Elkabbach : Et si certains s’entendent ou parlent avec le Front national, que faites-vous ? Vous désavouez ?
A. Madelin : Je vous assure que le candidat à la présidence d’une région qui, par hasard, voudrait faire une sorte d’accord sous la table avec le Front national – à supposer que le Front national se prête à une telle manœuvre, ce que je ne crois pas – ferait un mauvais calcul parce qu’il perdrait sûrement d’un côté ce qu’il pourrait espérer gagner de l’autre.
J.-P. Elkabbach : Ça veut dire que celui-là, s’il avait besoin des voix de Le Pen pour garder ou gagner une présidence de région, vous ne l’acceptez pas ?
A. Madelin : Mais oui, bien sûr. Et Le Pen ne donnera pas ses voix pour permettre à quelqu’un de notre position de garder ou de prendre une région. Encore une fois, je veux situer le débat ailleurs. Il y a besoin de débattre, aujourd’hui, des thèses du Front national et je trouve que trop souvent dans le passé, en refusant le débat, on a donné le sentiment de se taire sur un certain nombre de sujets qui étaient importants pour la vie des Français. On a pratiqué la stratégie des trois petits singes : je ne veux pas entendre, je ne veux pas voir, je ne veux pas parler. Moi, j’écoute, je vois et je parle.
J.-P. Elkabbach : Le risque n’est-il pas de prendre sinon le ton, du moins les idées du Front national, que ça déteigne sur l’UDF, ou sur vous ou sur Vasseur ?
A. Madelin : En ce qui me concerne, je pense être particulièrement vacciné et il me semble que personne ne pense que je puisse avoir de la flexibilité dans mes convictions.
J.-P. Elkabbach : Dans le travail oui, mais pas dans les convictions. Pensez-vous imaginer pouvoir faire perdre des points d’influence au Front national ?
A. Madelin : Je pense que oui et je pense me démontrer soir après soir, parce que je rencontre beaucoup d’électeurs et l’électrices qui avaient voté pour le Front national et qui se demandent parfois même s’ils ne vont pas voter la prochaine fois pour le Front national.
J.-P. Elkabbach : Combien pouvez-vous lui enlever ?
A. Madelin : Je pense que ceux-là ne croient pas que le Front national détient les clefs de l'avenir de la France et de l'avenir de leurs enfants.
J.-P. Elkabbach : On lui enlève combien ?
A. Madelin : Je pense qu’il y a plusieurs pourcent d’électeurs qui sont susceptibles de venir avec nous pour préparer un meilleur avenir pour la France et pour leurs enfants. Je veux leur donner envie de ce meilleur avenir.
J.-P. Elkabbach : Une équation : c’est A. Madelin moins quelque chose à Le Pen ? Deux à trois point, c’est ça ?
A. Madelin : Je souhaite faire maigrir le Front national, que les choses soient claires, et surtout faire grossir mes idées et mon projet pour la France.
Date : 16 décembre 1997
Source : Le Figaro
Le Figaro : La nationalité, c’est donc à vos yeux un sujet de référendum ?
Alain Madelin : La nationalité française est le bien précieux de tous les Français. La patrie, disait Jaurès, c’est la « propriété de ceux qui n’ont rien ». C’était dire l’attachement des Français à ce bien commun que représente la nationalité. On ne peut y toucher qu’avec des mains tremblantes. C’est pourquoi Jacques Chirac avait engagé une réforme du Code de la nationalité en confiant à Marceau Long la présidence d’une commission indépendante sur cette question. De là est né un large consensus qui a conduit à la loi Méhaignerie de 1993.
On peut, bien sûr, imaginer de réformer cette loi. Mais on ne peut le faire qu’en dégageant un autre consensus, ou par le biais d’un référendum, mais non pas en passant en force. Une grande majorité de Français – les sondages en font foi – souhaitent conserver une manifestation de la volonté pour acquérir la nationalité française.
Le Figaro : La possibilité d’un référendum sur ce point a été contestée par certains pour des raisons constitutionnelles.
Alain Madelin : Je ne partage pas ce point de vue. Sur le premier texte de loi – relatif à la nationalité –, je pense que c’est possible.
Le Figaro : Que répondez-vous à ceux qui jugent discriminante la manifestation de volonté pour l’accession à la nationalité française ?
Alain Madelin : Il est normal qu’un enfant qui a été scolarisé et éduqué en France devienne français par ce fait même. Et l’idée d’une manifestation de la volonté, même si elle devait se faire plus tôt, est en soi une bonne chose. Ce qui est vrai c’est qu’il y a un travail de communication et d’éducation à faire, pour que les intéressés prennent leur décision en toute connaissance de cause.
Le Figaro : Les conditions d’entrée et de séjour des étrangers sont, elles aussi, remises en question actuellement à l’Assemblée…
Alain Madelin : Les deux projets de loi sont liés. Si, d’un côté, on renforce l’automaticité du droit du sol dans la législation française, il est évident que, de l’autre, nous devons considérer l’accès au territoire français. Or la deuxième loi Jospin sur l’immigration encourage de nouveaux flux d’immigrés réguliers et irréguliers. Cumuler cela avec un assouplissement des conditions d’accès à la nationalité française ne peut qu’aggraver les problèmes d’immigration que nous avons déjà tant de mal à résoudre.
Le Figaro : Votre position semble avoir évolué sur ce sujet. Vous étiez, naguère, nettement plus « libéral » en matière d’immigration que la plupart de vos partenaires de l’ancienne majorité…
Alain Madelin : Je me refuse, il est vrai, à voir dans l’immigration une catastrophe pour la France. Et je ne pense pas, comme le disent certains, que l’immigration soit responsable de notre chômage, ni qu’il faille avoir peur de l’immigration. Mais il y a immigration et immigration. Il y a l’immigration du travail, comme nous l’avons connu autrefois, et qui, sous réserve d’un certain nombre de précautions pour assurer la qualité de l’accueil et éviter les tensions sociales constitue globalement une source d’enrichissement pour notre pays. Mais, malheureusement, depuis plusieurs années, il s’agit principalement d’autre chose : une immigration d’ayants droit sociaux, par le fait notamment du regroupement familial. Et comme les droits sociaux ne sont pas extensibles à l’infini, il est nécessaire de limiter cette immigration. Le rapport Weil effectué à la demande du premier ministre ne disait pas autre chose. On peut-être plus libéral en matière d’immigration à condition d’avoir une société plus libérale et plus créatrice d’emplois.
Le Figaro : Il n’y a pas seulement le regroupement familial, il y a aussi les clandestins…
Alain Madelin : Je ne suis pas hostile, sur le principe, à ce qui l’on parvienne à un certain nombre de régularisations. Cela concerner les personnes qui se trouvent aujourd’hui suffisamment intégrées dans a société française ou qui connaissent des situations juridiques aberrantes et ne sont au regard de la loi « ni expulsables ni régularisables ».
Cela étant, ma position est claire : dans un état de droit, un immigré en situation irrégulière doit être régularisé, soit expulsé, soit condamné et emprisonné. Et je n’accepte pas, ce qui arrive hélas aujourd’hui trop souvent, qu’après avoir arrêté un immigré clandestin – quand on ne le reçoit pas à Matignon – on le relâche aussitôt dans la nature, faute de pouvoir l’expulser. Cela est tout à fait inconvenable dans un état de droit. Or le projet Jospin-Chevènement supprime les sanctions pénales pour un immigré qui ferait venir en France clandestinement un membre, même lointain, de sa famille. De telles dispositions constituent un formidable appel à l’immigration appel à l’immigration irrégulière.
Le Figaro : La capacité d’assimilation – ou d’intégration – de la France est-elle toujours vivace ?
Alain Madelin : Je crois à la capacité d’intégration de la France. Mais, pour que la machine à intégrer continue à fonctionner, il est d’une part nécessaire de maîtriser les flux d’immigration, et d’autre part indispensable de retrouver le chemin de la création d’emplois. Car, si l’immigration ne crée pas le chômage, le chômage aggrave le problème de l’immigration et est source de tensions sociales. Il est donc plus que jamais nécessaire de renforcer notre législation, pour éviter qu’un nouveau flux d’immigration mal maîtrisé ne conduise à aggraver la situation et à empêcher l’intégration. Lionel Jospin fait tout le contraire. C’est pourquoi notre responsabilité vis-à-vis de la communauté nationale est de combattre ces lois.