Discours de M. André GIRAUD, ministre de l'industrie, sur la situation de la France et la politique gouvernementale en matière de minerais et de métaux non ferreux, Paris, le 26 juin 1979

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Circonstance : DEJEUNER OFFERT PAR LA FEDERATION DES CHAMBRES SYNDICALES DES MINERAIS ET METAUX NON FERREUX LE 26 JUIN 1979

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,


Permettez-moi, en tout premier lieu, de vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous.

L'an dernier à la même époque, accompagnant le président de la République en Espagne, je n'avais pas pu, hélas, participer à votre réunion. Je vous sais gré d'avoir bien voulu adapter, cette année, votre date, en dépit des difficultés pratiques que cela vous a certainement créées, aux exigences d'un calendrier de ministre toujours chargé et souvent difficile à prévoir à l'avance.

Vous savez combien j'ai été amené, au cours de ma vie professionnelle, à m'intéresser aux problèmes des matières premières et de l'énergie. De ce fait, j'ai la chance de connaître personnellement beaucoup d'entre vous. Je me sens donc autorisé à vous infliger quelques propos sur la situation de la France dans le domaine des minerais et métaux non ferreux et je le ferais, si vous le voulez bien, en évoquant successivement les données des problèmes qui se  posent dans ce domaine, les objectifs puis les moyens de la politique française.

Préalablement, laissez-moi m'associer à l'hommage qui vient d'être rendu au président Louis Lacoste et au président Georges Perrineau. Tous deux ont oeuvré avec compétence et dévouement pendant de très nombreuses années au service de l'industrie des minerais et métaux non ferreux, et ont été, pendant toute cette période, des interlocuteurs respectés, appréciés et écoutés du ministère de l'Industrie. Grâce aux structures simplifiées, dont vous vous êtes dotés, et à la création de la nouvelle Fédération, je ne doute pas que leur oeuvre bénéfique soit poursuivie avec efficacité.


I. - Les données du problème

La politique d'approvisionnement en matières premières minérales non énergétiques a pour objectif d'assurer l'approvisionnement de ces matières premières en quantités suffisantes (et dans les qualités requises), dans des conditions de coût raisonnable (notamment de coût en devises) et sans être placé vis-à-vis des quelques pays que ce soit en situation de dépendance insupportable.

A) La situation française

Il est à peine besoin de rappeler le problème considérable de coût et de balance des paiements posé par notre approvisionnement en matières premières, très analogue, à une échelle plus réduite, à celui de nos approvisionnements pétroliers.

Quelques chiffres méritent d'être cités : pour les minerais et métaux non ferreux, la production française couvre 15 % de nos besoins, et le pourcentage est porté à 45 % si on tient compte des recyclages et de la récupération. Notre taux de dépendance global pour ces substances est de 55 %.

Les risques de cette dépendance peuvent prendre trois formes :

- les risques de pénurie physique : une diversification des sources, un renforcement des opérateurs, et surtout des stocks de précaution sont de nature à faire face à des situations exceptionnelles de ce type ;
- les risques de hausse de prix brutale, conséquence de la formation éventuelle d'un cartel de producteurs tenant bien en main le marché ou profitant abusivement d'une conjoncture exceptionnelle ;
- les risques de voir l'industrie de transformation placés en situation de « squeeze », lorsque les exportateurs de matières premières, pour accroître leur valeur ajoutée, vendent les produits intermédiaires ou les produits finis à un prix global intégrant les matières premières contenues pour une valeur très inférieure au prix auquel il les facture par ailleurs à l'exportation.

B) La situation mondiale

Au niveau mondial, face aux grandes puissances comme l'URSS et les États-Unis, dont les territoires immenses permettent une production minière importante, l'Europe tout entière et le Japon se trouvent dans une situation de dépendance analogue à celle de la France.

L'approvisionnement de l'Europe continuera à provenir pour une part essentielle de pays en voie de développement, riches de ressources minières, mais souvent politiquement instables, économiquement désorganisés, quelquefois financièrement très fragiles.

L'Europe est ainsi naturellement portée à attacher une importance particulière aux rapports Nord-Sud, aux relations avec les pays en voie de développement. Il convient de remarquer à ce sujet que l'Afrique, du fait des situations géographiques, joue vis-à-vis de l'Europe un rôle déterminant et que la France pourra occuper à cet égard une place de choix, que ses liens historiques avec de nombreux pays africains justifient.

La crise économique mondiale, ???????? l'envolée des cours de 1974, a ramené les cours de presque toutes les substances minérales à des niveaux très bas, quelquefois à un minimum historique. Cet état de fait, joint aux incertitudes et aux difficultés politiques de nombreux pays, a freiné considérablement les investissements.

Tout concourt donc à engendrer un déséquilibre dès que la demande mondiale reprendra un peu de vigueur : en raison de l'inertie inhérente au lancement de nouveaux projets miniers et métallurgiques, on risque d'assister de nouveau à une brutale flambée des cours.


II. - Les objectifs de notre politique

Des analyses ainsi faites découlent les quatre objectifs que nous devons fixer à notre politique d'approvisionnements :

A) La mise en valeur optimale des ressources nationales, qui passe par des actions directes des pouvoirs publics grâce aux établissements publics comme le BRGM ou par des actions indirectes relevant notamment de la législation minière ou fiscale.

B) Les économies de matières premières, qui impliquent tout à la fois des actions de sensibilisation en vue de modifier les comportements, des actions réglementaires et la mise en oeuvre de crédits d'incitation financière aux investissements permettant des économies de matières premières. C'est une action très importante qui relève d'une approche similaire et parallèle de celle menée en matière d'économie d'énergie.

C) L'élaboration d'un nouveau type de relations internationales entre pays producteurs et pays consommateurs : ceci implique à la fois un effort au niveau bilatéral pour entretenir des relations commerciales et politiques étroites avec les pays producteurs de matières premières fournisseurs de la France, mais également que la France contribue de manière très constructive aux débats de caractère multilatéral portant sur les matières premières et ayant pour objectif la mise en place d'« accords de produits ».

D) Le renforcement des opérateurs miniers français dont il est indispensable de faire à terme des opérateurs plus puissants : la France n'a pas dans le domaine minier des opérateurs placés au même rang mondial que ceux dont elle dispose maintenant dans le domaine pétrolier. En particulier, une plus forte intégration doit être recherchée pour être mieux armé contre les risques de « squeeze » déjà évoqués et une diversification plus poussée tant géographique que sectorielle est nécessaire.


III. - Les moyens mis en oeuvre

Pour atteindre ces objectifs que je viens de citer, plusieurs moyens sont mis en oeuvre, que je regrouperai en six thèmes concrets principaux.

1. Inventaire et mise en valeur de nos ressources minières nationales

L'inventaire minier mené par le BRGM a donné jusqu'à présent des résultats particulièrement encourageants en France, et notamment en Bretagne : la découverte de plusieurs centaines d'anomalies ou d'indices nouveaux permettent d'envisager la mise en évidence de quelques gisements dans les cinq ou dix prochaines années.

L'inventaire de la France métropolitaine et de la Guyane sera donc poursuivi pendant une nouvelle période de cinq ans (1980-1984) et sera étendue à la Nouvelle-Calédonie.

2. Les incitations financières à la prospection minière sont un deuxième moyen puissant de l'action des pouvoirs publics.

Le plan cuivre, créé en 1972, a maintenant près de six ans de fonctionnement effectif et plus de 100 MF ont été engagés à ce titre sur plus de cent cinquante opérations situées dans de nombreux pays. Les résultats sont particulièrement intéressants et on peut citer à l'actif du plan cuivre notamment, la découverte d'un gisement très prometteur et de taille européenne au Portugal par un syndicat de recherches franco-portugais à majorité française, des espoirs très sérieux en Australie, l'implantation en France par une filiale commune d'un producteur de cuivre étranger et d'une société française consommatrice de cuivre, d'une unité de coulée continue de fil machine d'une capacité de 130 000 tonnes par an.

Le plan uranium, dont la mise en place est beaucoup plus récente, a permis pour sa part depuis 1976 un développement des opérations de prospection pour uranium à l'étranger, une diversification des pays où ont lieu ces opérations et des opérateurs qui les mènent. Le plan uranium s'exécute dans de bonnes conditions, mais il est encore trop tôt pour faire un bilan significatif.

3. Stocks de sécurité

La France dispose d'un stock national de sécurité constitué des matières premières minérales essentielles au fonctionnement de l'économie et de certains secteurs stratégiques. Le gouvernement a réaffirmé au début de cette année l'objectif fixé dans ce domaine, à savoir de disposer d'ici 1985, de deux mois d'approvisionnement. Des achats complémentaires seront donc effectués progressivement à partir d'un mécanisme de financement approprié en cours d'élaboration.

4. Négociations multilatérales et coopération bilatérale

Notre politique d'approvisionnement en matières premières n'a de sens que placée dans un contexte international où notre pays joue un rôle actif.

Au plan multilatéral, la France a poursuivi depuis 1975 son action en faveur de la stabilisation des marchés des matières premières. Chacun connaît la position française en faveur d'une meilleure concertation producteurs-consommateurs orientés vers les négociations d'accords de produit. Cette action s'est surtout développée autour de 4 sujets : étain (au sein du Conseil national de l'étain), cuivre (au sein des nombreuses réunions organisées par la CNUCED), tungstène (comité du tungstène de la CNUCED) et plomb-zinc (Groupement d'étude international du plomb et du zinc).

Dans ces diverses enceintes, les positions françaises reçoivent en général un écho très favorable de la part des pays exportateurs en développement. Notre pays se trouve ainsi souvent en mesure de jouer un rôle important dans la recherche d'un compromis entre les positions extrêmes.

Au plan bilatéral, une attention constante a été apportée au développement de liens politiques et commerciaux privilégiés avec les pays producteurs en développement.

Par ailleurs, et de façon complémentaire, les actions de formation, spécifiques aux activités minières organisées en France à l'intention de ressortissants étrangers dans le cadre du Centre d'étude supérieur des matières premières se développent de façon très satisfaisante, tout particulièrement en ce qui concerne les pays d'Amérique latine et du Maghreb.

Ce type de programme de coopération, mené sur une période suffisamment longue, est de nature à modifier profondément, au bénéfice de la France, le comportement de nos interlocuteurs dans les PVD en ce qui concerne nos relations mutuelles dans le domaine des matières premières.

5. Les économies de matières premières

Plusieurs principes sous-entendent les actions dans le domaine des économies de matières premières menées depuis cinq ans :

- volonté d'agir à la fois sur le long terme (car il s'agit d'infléchir des habitudes de production et de consommation et cette stratégie ne peut s'établir que dans une vision à long terme) et sur le plus court terme (en lançant une série d'opérations provoquant rapidement des résultats concrets) ;

- volonté d'économiser à tous les stades de la production et de la consommation, et notamment au stade de la conception des produits où se tiennent les actions les plus fructueuses ;

- volonté d'agir par incitation plus que par contrainte, c'est-à-dire sans recours exclusif à la voie réglementaire.

Il faut souligner que le développement d'une politique d'économies de matières premières s'accompagne de retombées importantes en terme de vitalité industrielle. L'action développée en effet réside principalement dans l'incitation du tissu industriel à adopter de nouvelles méthodes. Elle suppose la promotion des innovations. Dans tous les changements de méthodes et de technologies, l'adoption d'une attitude d'économies est bénéfique à la compétitivité des entreprises.

Le gouvernement souhaite donc développer très vigoureusement le soutien des entreprises innovatrices dans le domaine des économies de matières premières. Des outils existent d'ores et déjà, notamment sous forme d'aides aux investissements : avantages fiscaux, accès à des prêts bonifiés et désencadrés, budget d'intervention.

6. Le contexte juridique et réglementaire

Enfin, le contexte juridique et réglementaire de la recherche et de l'exploitation des mines et des carrières en France a été modifié de manière sensible en 1977 du fait de l'adoption par le Parlement de la loi du 16 juin 1977 complétant et modifiant le code minier et des lois relatives aux installations classées et à la protection de la nature.

Un travail considérable de refonte des décrets d'application du code minier est donc en cours pour que des modifications législatives soient mises en application.

Les nouveaux décrets contribueront d'ailleurs par la voie réglementaire à permettre une meilleure prise en compte des problèmes d'insertion des exploitations actuelles dans l'environnement.

Je sais qu'il s'agit là d'un problème majeur qui tient à coeur toute la profession minière aujourd'hui. Mon département s'efforce de l'aborder en liaison avec le ministère de l'Environnement et du Cadre de vie, d'une façon pragmatique et réaliste. L'adaptation du code minier aux grands soucis actuels de protection de la nature et de l'environnement est certes une voie à explorer, ce n'est sans doute pas la seule et je crois que la modernisation du régime de fiscalité minière locale - dont les débats en cours au Parlement ont montré l'actualité - est un autre moyen indispensable de favoriser l'insertion des prospections et exploitations minières dans le terroir français.

Tels sont, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, les grands axes de notre politique d'approvisionnement en matières premières.

Vous le voyez, le gouvernement - attentif à la situation de nos approvisionnements - mène, sans équivoque, une politique ferme dans le domaine des matières premières minérales. Seuls des efforts coordonnés et une coopération active des pouvoirs publics et des entreprises, dont les dirigeants sont aujourd'hui réunis ici, peuvent permettre de lui donner sa pleine efficacité. Je souhaite pour le bien du pays et je suis sûr, Monsieur le Président, que votre Fédération contribuera, par son action au service de l'industrie des minerais et métaux non ferreux, à faire en sorte qu'il en soit ainsi.