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Le Parisien : Boycott du foie gras français outre-Atlantique, mise en garde personnelle de Bill Clinton sur le dossier des subventions agricoles européennes… Les Américains font monter la pression avant les négociations, fin novembre, à l'Organisation mondiale du commerce. Que leur répondent l'Europe et la France ?
Jean Glavany : Pour toutes ces raisons, j'ai décidé de me rendre aux États-Unis, début novembre. Je veux dire aux responsables américains, notamment à mon homologue de l'agriculture, des choses simples. La première, c'est qu'à Seattle, on pourra mettre sur la table toutes les discussions sur les subventions que l'on veut à condition que l'on ne regarde pas que du côté de l'Europe. Il y a une formidable hypocrisie à parler de l'Europe en oubliant les milliards de dollars déversés chaque année sur l'agriculture américaine. Ces aides pèsent souvent infiniment plus sur les cours internationaux que les subventions européennes.
Le Parisien : Et sur le boeuf aux hormones ?
Jean Glavany : Je leur dirai qu'en Europe nous n'avons rien contre le boeuf américain, mais nous avons une terrible prévention à l'égard des hormones de croissance. C'est pour cette raison sanitaire – et seulement celle-là – que nous maintenons l'embargo sur le boeuf américain aux hormones. Il faudra bien que les négociations de Seattle, destinées à marquer de nouveaux progrès dans le libre-échangisme, prennent en compte des normes et des règles concernant la santé des consommateurs.
Le Parisien : Avez-vous réellement les moyens d'imposer ce type de normes aux Américains ?
Jean Glavany : Il faut que nous nous mettions d'accord sur des procédures d'arbitrage et, en particulier, sur la nécessité d'en référer à des expertises indépendantes. C'est pour nous une règle de base : ce n'est pas aux chefs d'État et de gouvernement ou à Bill Clinton ou à Tony Blair de décréter politiquement si une nourriture est saine, c'est à des experts indépendants de le dire.
Le Parisien : À quel organisme pourraient-ils appartenir ?
Jean Glavany : La France a créé l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. Nous avons proposé à la Commission de Bruxelles de faire la même chose au niveau européen – une idée qui semble vouloir être reprise aujourd'hui par Romano Prodi. Et le président de la République, Jacques Chirac, a proposé au G8 le principe d'une agence mondiale.
Le Parisien : Une proposition non concrétisée à ce jour !
Jean Glavany : Non, mais c'est la voie de la raison, et la raison finit toujours par se faire entendre.
Le Parisien : En attendant votre voyage s'annonce difficile, non ?
Jean Glavany : Je sais que cela sera difficile compte tenu des positions officielles américaines, mais je suis sûr que notre langage est mieux compris par l'opinion mondiale, et notamment américaine via les associations de consommateurs que je rencontrerai là-bas.
Le Parisien : José Bové fait la une de la presse américaine. Qu'en pensez-vous ?
Jean Glavany : Je constate que les Français ont une forte capacité d'influence et d’entraînement (rires). Il y a un mois, il faisait la une chez nous.
Le Parisien : En Europe, la France a marqué plusieurs points sur le dossier de l'embargo du boeuf britannique. Elle semble moins isolée qu'au début…
Jean Glavany : On vous avait donné un premier ultimatum, il y a quinze jours, pour lever l'embargo jusqu'au 7 octobre. Puis, jusqu'au 16, et, désormais jusqu'au 25 octobre au plus tôt. On a compris que les scientifiques devaient se parler. Les Français ont été entendus et le seul fait qu'on demande des données épidémiologiques supplémentaires aux Anglais et qu'on ait convoqué un comité scientifique directeur montre que la thèse des scientifiques français a été prise au sérieux. Plus aucun scientifique, semble-t-il, ne peut se risquer à dire qu'il n'y a aucun danger avec la viande britannique.