Débat avec MM. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, Franck Borotra, ministre de l'industrie, Alain Olive, secrétaire général de l'UNSA, Jean-Paul Roux, secrétaire général de la FEN, à Paris le 20 novembre 1996, et article de M. Michel Barnier, ministre des affaires européennes, publiés dans "Les Cahiers de l'UNSA" de septembre 1996, sur les services publics et l'Europe.

Prononcé le 1er septembre 1996

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque organisé par l'UNSA, à la Maison de la Mutualité, sur le thème "Les services publics : une chance pour l'Europe", à Paris le 20 novembre 1996

Média : Les Cahiers de l'UNSA

Texte intégral

Date : 20 novembre 1996
Source : Les cahiers de l’UNSA

Les services publics, une chance pour l’Europe

Un grand débat sur les services publics est ouvert en Europe comme en France.

En France, ce débat a trouvé son point d’orgue lors des mouvements de grève de novembre-décembre 1995 qui ont montré l’attachement de nos concitoyens à leurs services publics. Il n’en continue pas moins d’occuper le devant de la scène avec la réforme de l’État présentée comme l’un des grands travaux du septennat présidentiel, mais aussi avec les réformes profondes qui affectent nos services publics en réseaux. Après France Télécom, Air France, Air Inter Europe, c’est de nouveau le tour de la SNCF et c’est aussi celui d’EDF, de Gaz de France et de La Poste.

Au cœur du débat franco-français, la dimension européenne est omniprésente. Les « critères de Maastricht » et l’obligation de faire l’Euro sont systématiquement mis en avant par le Gouvernement pour justifier des choix budgétaires drastiques qui atteignent les administrations dans leur politique sociale mais aussi dans leur capacité d’intervention. Le grand marché européen est devenu synonyme d’ouverture à la concurrence voire de privatisation de nos grandes entreprises publiques.

À travers ce débat, c’est bien le choix de la société de demain et l’élaboration d’un nouveau concept de citoyenneté qui sont en jeu. C’est aussi la réalité de ce que sera l’Union européenne et la capacité qu’auront les dirigeants français à faire adhérer nos concitoyens à la construction de cette Europe qui porte l’avenir de nos enfants.

Aussi la conférence intergouvernementale des États membres de l’Union européenne (CIG) qui a débuté à Turin le 29 mars 1996 et doit s’achever aux Pays-Bas à la fin du premier semestre 1997, apparaît-elle comme un enjeu fondamental dans la mesure où elle doit déboucher sur une révision des traités européens.

L’Europe doit être citoyenne, solidaire, sociale ; sinon, elle ne sera pas. Telle est notre conviction ! L’UNSA s’inscrit naturellement dans ce débat. Elle a décidé, par une campagne nationale de dialogue, de communication et d’actions débutée en octobre 1995 et dont l’intitulé est devenu son slogan – « Les services publics, ne chance pour l’Europe » – d’en être l’un des acteurs de premier plan. Les associations « Promouvoir les services publics », « Réseaux services publics » et l’Adéic-FEN ont choisi d’en être les partenaires.

Après sept rencontres interrégionales (Toulouse, La Rochelle, Rennes, Calais, Strasbourg, Montpellier, Chambéry), à l’occasion desquelles l’UNSA et ses partenaires ont pu débattre avec des décideurs politiques des différents pays européens, des responsables des institutions européennes, des syndicalistes, des dirigeants d’entreprises publiques, des représentants des consommateurs… et aussi à Chambéry, avec M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes et représentant de la France à la CIG, il était logique de faire le point avec les deux membres du Gouvernement en charge des deux volets du service public dans notre pays : M. Dominique Perben pour la fonction publique et la réforme de l’État et M. Franck Borotra, pour les services publics en réseaux.

Le 20 novembre 1996, à la Maison de la mutualité, ces deux ministres ont accepté d’être confrontés à deux éminentes personnalités de l’opposition : M. Jean-Louis Bianco, ancien ministre, inventeur de l’idée d’une charte européenne des services publics, et Mme Pervenche Berès, député européen, présidente de la gauche socialiste.

Le débat ne pouvait qu’être passionnant ; il le fut ; les pages qui suivent en attestent.

Jean-Pierre Gualezzi, secrétaire national de l’UNSA


L’Europe n’est plus hostile aux services publics

Trop souvent, l’Union européenne a donné aux citoyens l’impression d’un désintérêt, voire d’une hostilité à l’égard des services publics. Or, pour nous, les missions de services publics constituent un élément déterminant du modèle européen de société.

Égalité de traitement et accès de tous les citoyens aux services essentiels, qualité et continuité du service rendu, aménagement harmonieux du pays sans laisser à l’écart de territoires, préservation des intérêts à long terme : toutes ces dimensions doivent être prises en compte dans des domaines aussi divers que les transports, l’énergie, l’eau, les télécommunications ou La Poste, afin que soit renforcée la garantie donnée aux citoyens de toujours disposer de services de base indispensables, même lorsqu’ils sont éloignés, isolés ou faibles.

Le jeudi 13 mars 1997, la commission a présenté à la demande de la France en conseil « marché intérieur » sa communication sur les services d’intérêt général en Europe, et j’ai pu souligner combien cette contribution constituait une réelle avancée du point de vue français. Les jurisprudences récentes de la cour de justice des Communautés européennes, les impulsions des Conseils européens de Cannes et de Madrid montrent elles-aussi que les esprits évoluent vers une meilleure prise en compte des missions de service public.

Au travers des fonds structurels et des réseaux transeuropéens sur un autre plan, l’Union européenne consacre des sommes très importantes aux actions d’aménagement du territoire et à la cohésion sociale et territoriale.

Directive par directive, les exemples les plus récents (télécommunications en 1995 et 1996, électricité en juin 1996, poste en novembre 1996, premières négociations en cours sur le gaz) montrent que les positions françaises sont mieux prises en compte. Nous savons aussi qu’il est préférable dans la plupart des cas d’avoir une directive fixant les règles du jeu d’une ouverture progressive et maîtrisée à la concurrence, plutôt qu’une libéralisation de fait sans règle du jeu et au gré d’arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes.

Pour la France, il s’agit désormais et à la fois de poursuivre les efforts engagés pour promouvoir la pleine intégration des missions de service public dans la conception et la mise en œuvre des politiques communautaires sectorielle, mais aussi de préserver la faculté pour les État membres d’organiser sur leur territoire les activités d’intérêt économique général en fonction d’objectifs de service public qu’ils déterminent eux-mêmes.

L’Europe n’est plus hostile aux services publics. Elle doit encore faire la preuve qu’elle constitue un bon instrument pour la croissance et pour l’emploi, mais aussi pour un nouveau dialogue social.

Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes.


Les actes du débat

Les intervenants :
    Pervenche Berès qui est député européen du groupe socialiste
    Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l’État et de la décentralisation
    Franck Borotra, ministre de l’industrie, de La Poste et des Télécommunications
    Jean-Louis Bianco, ancien ministre et maire de la ville de Digne-les-Bains
    Alain Olive, secrétaire général de l’UNSA.

Bienvenue à cette réunion débat dont le thème, affiché derrière nous : « Les services publics, une chance pour l’Europe » est, à l’évidence, d’actualité ; je prends deux exemples :

Hier, il y avait une manifestation des cheminots de toute l’Europe à Bruxelles et notamment des cheminots français contre le risque de démantèlement de ce secteur public ; au même moment, à l’autre bout de la planète, Jacques Chirac au Japon parlait de la situation française, de l’économie, en soulignant qu’il ne fallait pas remettre en cause les services publics mais qu’il fallait les adapter aux normes européennes.

Vous savez que le contexte est celui d’une certain nombre d’inquiétudes sur les services publics ; l’Europe n’a pas résisté au grand vent du libéralisme qui souffle sur les nations occidentales depuis les années 80 : il se trouve, de plus, qu’au niveau des traités européens, il y a un vide juridique : la notion de service public n’est pas totalement absente, elle est assez floue et elle apparaît souvent comme une exception dans la loi du marché. Le contexte, c’est encore plus spécifiquement la libéralisation, la déréglementation qui est en marche un peu partout : en Angleterre, qui a montré l’exemple avec l’électricité ; les chemins de fer, etc. ; en Allemagne qui procède à la privatisation de Deutsch-Telekom ; en Espagne aussi, avec la libéralisation de l’électricité en janvier prochain, et en France, avec France Télécom, Air-France, etc. Il y a eu, face à ce mouvement de libéralisation, un début de réaction, il y a un an. C’était le grand mouvement social en France de novembre-décembre. Le Premier ministre avait parlé d’intégrer l’idée, la notion de service public dans la Constitution, pour l’instant il n’y a pas eu de suite mais l’idée est avancée. La France s’est dite favorable à une Charte européenne des services publics et à l’idée de saisir l’opportunité de la CIG, qui doit régler les problèmes institutionnels de l’Europe avant son élargissement aux Pays d’Europe Central et Orientale, pour modifier les traités de l’Union européenne et y intégrer davantage cette idée de services publics. En septembre dernier, la Commission européenne a adopté une communication sur les services d’intérêt général avec l’idée de les inscrire dans les traités.

Michel Barnier répète régulièrement que les Français doivent se rencontrer, discuter de l’Europe et en particulier de cette idée du service public dans l’Europe. C’est dans ce contexte général que l’UNSA a pris cette initiative d’un grand débat sur « Les services publics, une chance pour l’Europe ».

Il y a eu 7 débats en France depuis octobre dernier, des débats qui ont été intéressant et ont permis de réunir en particulier à Strasbourg, un conservateur anglais, un représentant des Verts allemand, un socialiste belge et aujourd’hui, cette réunion vient couronner l’ensemble de cette initiative.


Introduction : Jean-Paul Roux

Messieurs le ministre, Madame la député européenne, Mesdames, Messieurs, chers amis, permettez-moi, en préalable, de vous remercier de votre présence à ce colloque organisé par l’UNSA.

La matière en est noble et éminente : nous allons parler Europe, nous allons parler services publics, nous allons donc parler de la République ! Notre ambition est immense et en même temps notre démarche porte la modestie de ce que nous sommes. Organisation syndicale humaniste et réformiste, nous voulons à notre place, avec nos moyens, apporter notre pierre à la construction de l’Europe et à la promotion du service public.

Car, nous sommes européens de conviction, par humanisme et par réalisme.

Car, nous sommes républicains, attachés donc au service public, ce lien essentiel de la cohésion de notre Nation.

Notre campagne – sept colloques interrégionaux au travers du pays et, aujourd’hui, ce colloque national qui en est le point d’orgue – porte la marque de notre double engagement :

« Les services publics, une chance pour l’Europe ».

Un constat, une ambition et la recherche obstinée des voies et moyens de la réaliser.

Nous apprécions, Messieurs les ministres, que vous ayez accepté de participer à ce débat. Vous avez été ou vous êtes aujourd’hui en charge d’un département ministériel. Vous n’êtes pas, comme l’on dit, du même bord politique mais l’importance que vous accordez au débat démocratique – votre présence l’atteste – vous place dans le même camp républicain. Car le débat – récurent – qui traverse notre pays sur la question des services publics n’est pas un débat droite-gauche même si le service public a toujours été une valeur identitaire de la gauche.

L’affrontement qui traverse nos sociétés est simple, limpide. Il oppose ceux – ultralibéraux – pour qui, a priori, toute activité humaine est source de profit, et ceux – républicains – considèrent qu’il est des activités humaines qui, par nature, doivent échapper à la dictature du profit parce qu’elles garantissent l’exercice des grands droits, des grandes libertés, des grandes solidarités qui sont le patrimoine commun des pays de l’Union européenne.

Or ces références – ces valeurs – issues d’une histoire remontant au colbertisme, qui se sont développées, enracinées dans la tradition républicaine, sur lesquelles le Conseil d’État, année après année, avec certes des hésitations, des variations, des aller-retours, a néanmoins bâti un corps de doctrine original en Europe, ces valeurs donc font l’objet d’un consensus large dans le pays.

Mais la conception française constitue un îlot qui rend malaisée la constitution des références communes à l’Europe où domine assez largement la pensée anglo-saxonne. Certes, les services publics, en tant que tels, relèvent de la compétence des États nationaux, mais la déréglementation, la suppression des monopoles – notions qui dépassent les seuls services publics – les percutent de plein fouet. La concurrence, si elle devenait la référence unique, placerait les services publics dans une alternative redoutable : entrer dans la logique marchande et abandonner certaines obligations du service public ou subir une concurrence déloyale sur les terrains les plus porteurs en termes marchand et se replier sur les activités « non rentables » ! À moins que cette concurrence ne s’ouvre, a priori, à égalité de contraintes et d’obligations…

Cela ne semble pas le cas pour l’instant lorsque l’actualité nous donne le triste exemple du transport aérien dans notre pays et illustre la politique d’abandon menée par le président d’Air Inter Europe.

Sur la question des services publics, dans ses textes fondateurs, l’Europe serait plutôt la grande muette si l’on en croit le rapport public du Conseil d’État pour 1994. Son rapporteur, Jean-Michel Belorgey, le dit crûment. L’Europe « n’instruit pas le procès du service public, elle fait pire, elle l’ignore ».

Quelle que soit la sévérité du rapport Belorgey, néanmoins le service public n’est pas totalement ignoré par les traités : la notion est en effet inscrite tant dans le traité de Rome que dans le traité de Maastricht, mais ses implications ont sans doute été insuffisamment définies. L’article 90-2 du traité de Rome, maintenu en l’état par l’Acte unique comme par le traité de Maastricht, dispose notamment : « les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de la concurrence, dans la limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Mais ces dispositions ne considèrent les services publics qu’en terme de dérogations ou d’exceptions au principe suprême de concurrence.

Il faut donc rééquilibrer les traités et, pour cela, la conférence intergouvernementale sur la révision des traités qui s’est ouverte le 29 mars 1996 à Turin doit être saisie par le Gouvernement français.

Cette exigence est au cœur de la campagne d’opinion que nous avons engagée en octobre 1995. Le thème de cette campagne fait converger dans une démarche commune, nos convictions européennes et notre attachement aux services publics.

Nous rejetons la logique de ceux qui voudraient utiliser la construction européenne contre les services publics mais nous n’acceptons pas la démarche de ceux qui prennent le prétexte des services publics pour s’opposer à l’Europe.

Nous pensons au contraire que la logique des services publics, la mise en œuvre de l’intérêt général sont des conditions essentielles de la construction de l’Europe. Car l’Europe aujourd’hui est unijambiste, elle claudique sur la seule jambe du libre-échange ! Nous voulons, au contraire qu’elle avance franchement campée sur ses deux pieds, le libre-échange certes mais aussi l’intérêt général.

Notre exigence européenne est forte. Elle ne se limite pas à l’Europe économique, elle s’enracine dans notre volonté de développer l’Europe de la culture, l’Europe sociale, l’Europe des services publics, l’Europe de la citoyenneté et de la solidarité.

C’est la raison pour laquelle nous proposons simultanément :
    - l’élaboration d’une charte européenne des services publics ;
    - la création d’une instance d’évaluation des politiques publiques placée auprès du Parlement européen ;
    - la mise à profit de la conférence intergouvernementale qui s’est ouverte à Turin le 29 mars 1996 pour déboucher sur une modification conséquente du traité de l’Union européenne.

Sur ce dernier point, notre demande porte sur les parties suivantes que nous souhaitons voir amender :
    - le préambule, qui assigne ses objectifs à la construction européenne en s’appuyant, en particulier, sur les conclusions du « sommet de Cannes » de 1995 ;
    - les articles 2 et 3 qui fixent les missions, les modalités d’action et les règles de fonctionnement de l’UE ;
    - l’article 77 qui autorise les aides publiques en compensation des servitudes inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports et dont le principe pourrait être étendu à l’ensemble des activités d’intérêt général ;
    - l’article 90 en son alinéa 2 qui fait des « services d’intérêt économique général » une simple exception à la règle de libre concurrence et doit donc être rééquilibré de même qu’en son alinéa 3 qui confie la responsabilité de l’application de ces principes à la seule commission. Il nous semble que cette responsabilité devrait plutôt incomber au Parlement européen qui doit être habilité à exercer ce contrôle démocratique.
    - l’article 92 alinéa 2 fixant les exceptions à l’incompatibilité des aides d’État avec la libre concurrence, qu’il faudrait mettre expressément en conformité avec l’article 77 en faisant figurer dans la liste de ces exceptions les « servitudes inhérentes à la notion de service public ».

Ces propositions sont désormais connues en France comme au niveau européen. D’autres partagent d’ailleurs ces choix et font des propositions allant dans le même sens. Le mémorandum présenté par le président de la République n’avançait-il pas avec prudence certes – sur ce terrain ? La commission de Bruxelles, elle-même, vient d’adopter une déclaration par laquelle elle confirme sa demande de modification du traité de l’Union européenne afin d’y faire figurer en parallèle avec l’idée de concurrence, la notion d’intérêt général et donc l’affirmation du besoin de service public.

Les oppositions traditionnelles à la défense des services publics dans le cadre européen paraissent ainsi s’estomper. Dans ces conditions, qui aurait pu comprendre que le chef de l’État et le Gouvernement français ne demandent toujours pas avec la détermination et la pugnacité requises, la révision du traité dans ce sens ?

Il était plus que temps pour eux de passer sur ce sujet à une position offensive afin que les négociateurs disposent du mandat clair dont ils ont besoin pour pouvoir présenter au conseil européen de Dublin en décembre prochain un projet concret de modification du traité allant dans le sens souhaité et concrétisant l’engagement du Premier ministre lors du mouvement social de la fin 1995.

C’est chose faite depuis le 17 septembre dernier.

Le ministre des affaires européennes a présenté, dans le cadre du groupe des représentant des ministres des affaires étrangères qui négocient la CIG, la proposition de texte sur les services publics que la France souhaite voir inscrit dans le traité de l’Union européenne.

Michel Barnier a déclaré à cette occasion que : « Ce texte devant à la fois préciser le contenu de l’actuel article 90, et marquer l’attachement de la communauté et des États membres à défendre et à promouvoir le service public, viendrait utilement compléter cet article. »

Le texte proposé par la France affirme que : « La communauté et les États membres, dans le cadre de leurs compétences respectives, reconnaissent et garantissent le droit de chacun à disposer de services d’intérêt économique général en Europe. Ces services visent à assurer, notamment, l’égalité de traitement des citoyens, un aménagement équilibré du territoire, la cohésion sociale, la qualité, la continuité et l’adaptabilité du service rendu ainsi que la préservation d’intérêts stratégiques à long terme ».

À cet effet, la communauté tient compte, à l’égard des organismes ou entreprises chargés d’assurer des missions d’intérêt économique général, des conditions dans lesquelles ils interviennent et des contraintes auxquelles ils sont soumis.

Cette proposition n’est certes pas tout à fait à la hauteur de nos ambitions ; nous avons néanmoins salué le jour-même ce pas important.

Mais, depuis cette date le silence est retombé. Le sommet extraordinaire de Dublin, le 7 octobre dernier, a été muet sur ce sujet et le doute s’installe à nouveau. Il s’attise du silence du ministre des affaires étrangères sur cette question qu’il semble ignorer, lui qui fit pourtant ministre de la fonction publique.

Le Gouvernement français parle-t-il d’une seule voix sur ce sujet ?

Les services publics ne feront-ils pas les frais d’un vaste marchandage à l’échelle européenne portant sur d’autres enjeux ?

La France mettra-t-elle tout son poids dans la balance en faisant de cette question un impératif catégorique ?

Où en sommes-nous, et que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Gérard Leclerc

En fonction de ce qui vient d’être dit, je vous propose d’ordonner notre table ronde autour de 4 ou 5 grands thèmes :
Le premier pourrait être la conception même des services publics à la française. Est-ce qu’il y a un consensus sur cette idée ? Autour de quels grands principes, quels grands avantages ?

Quelles sont les vraies menaces de la concurrence pesant dans les différents secteurs, Télécom, EDF, etc., sur les services publics à la française ?

Troisième grand thème : face à ces menaces, faut-il compléter les traités existants ? Faut-il une charte ? Faut-il les amender ? Dans cette optique, est-ce que le Gouvernement français a une position claire et unique ?

Et pour conclure d’une façon plus générale, est-ce que le service public est une condition de l’Europe ou une contradiction à la construction européenne ?


1er Partie : L’idée de « service public à la française

Franck Borotra

Il y a deux manières d’aborder le problème des services publics : la manière dogmatique, idéologique en termes de modèle et il y a une manière plus pragmatique, plus adaptée à l’évolution naturelle des choses. Personnellement, je suis attaché aux services publics. Dans les dossiers qui sont les miens, j’ai eu l’occasion, sur l’électricité, le gaz, La Poste, les Télécom, d’être confronté à la position des autres pays, des autres Gouvernements sur l’organisation des marchés correspondant à ces services publics. Je n’ai jamais parlé et je ne parlerai jamais de modèle français des services publics. Je ne crois pas à l’idée du « service public à la française ». C’est un premier point. Car parler en termes de services publics à la française ; c’est parler en termes de modèle, c’est donc essayer d’imposer notre propre modèle aux autres et les autres n’en veulent pas. Je ne me trouve pas confronté toutes les semaines, mais tous les mois avec les autres pays ; ils ont une extrême difficulté à comprendre la conception du service public telle qu’elle est organisée en France et ils sont pour leur grande majorité fondamentalement décidés à ne pas aller dans ce sens. C’est une première remarque le modèle français du service public – je ne connais pas le « service public à la française » – n’est pas une idée que j’ai au fond de moi. Je reste convaincu que ce qui fonde le service public, ce sont les missions de service public. Les missions de service public ne peuvent relever que de l’État. C’est l’État seul qui peut décider, en fonction des circonstances, de la période – les missions peuvent évoluer – quels sont les engagements que l’État prend vis-à-vis de tous les citoyens, les services de nature quotidienne qui sont rendus à tous les citoyens où qu’ils habitent sur l’ensemble du territoire. Ça, c’est un engagement de l’État. Ces missions de services publics peuvent évoluer. Elles ne sont plus en l’an 2000 les mêmes qu’en 1940. Je pourrais prendre des exemples pour montrer qu’il y a dans ce domaine évolution des missions de service public ; le service public lui-même doit s’organiser autour des missions, qu’il appartient à l’État et au Parlement de définir, et sur lesquelles il lui appartient de s’engager. Le premier aspect, c’est l’engagement de l’Europe de respecter la subsidiarité, sur le droit des États de choisir les missions de service public. La deuxième remarque est que, à partir du moment où je ne cherche pas à imposer un modèle, je demande qu’en échange on n’impose pas aux pays des modèles dont ils ne veulent pas. À propos de ce que vous disiez tout à l’heure, j’ai moi un point de vue. Vous disiez : « Je ne conteste pas la tendance libérale de l’Europe. Ce que je conteste c’est l’ultralibéralisme qui s’empare d’un certain nombre de nos partenaires et qui cherche de fait à imposer des solutions ultralibérales y compris dans le domaine des services publics à la française ». Ma réponse est de dire mon modèle, je ne cherche pas à vous l’imposer mais en échange, je n’accepte pas que votre ultralibéralisme devienne la loi pour tout le monde. Deuxième principe, montrons-nous pragmatiques. Là où ça marche, je voudrais qu’on m’explique pourquoi il faut changer les choses. Dans le domaine de l’électricité, je voudrais qu’on m’explique ce que le libéralisme à la britannique peut apporter de plus au système que depuis 25 ans, de manière continue, on a construit en France et qui fait qu’aujourd’hui on produit l’électricité la moins chère du monde, mis à part les pays qui ont beaucoup d’électricité d’origine hydroélectrique. Pragmatisme et subsidiarité dans le choix des missions de service public. Troisième chose que je voudrais dire : il ne faut pas confondre le service public et l’organisation du service public, le statut du personnel, le régime de retraite ou le statut juridique de l’entreprise l’État a pour mission de définir clairement les missions de service public et il doit choisir et faire évoluer si cela est nécessaire l’organisation touchant à la satisfaction des besoins sur laquelle il s’est engagé. Mais par contre, le statut du personnel, les régimes de retraite sont des problèmes essentiels, mais ce sont des problèmes sur lesquels l’État doit prendre des engagements et il doit les tenir. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans le domaine des Télécom. L’État a été amené à prendre, en même temps qu’on a engagé la loi de libéralisation des Télécom – qui avait été engagée avant nous, Jean-Louis Bianco le sait – des engagements vis-à-vis du personnel et en particulier vis-à-vis des fonctionnaires qui appartiennent à France Télécom – tout le personnel de France Télécom n’est pas fonctionnaire - Ces engagements ont été pris et ils seront assumés par l’État. Missions de service public, responsabilité de l’État. Pragmatisme vis-à-vis des modèles et de l’adaptation aux conditions du service rendu à tous les concitoyens dans les mêmes conditions ; et du côté de l’Europe, acceptation de la subsidiarité et acceptation du pragmatisme. Je ne vois pas pourquoi on imposerait à la France des modèles dont nous ne voulons pas et dont beaucoup n’ont pas fait les preuves qu’ils fonctionnaient bien, là où ils ont été mis en place.

Gérard Leclerc – Des idées précises, pas de modèle mais des missions. La subsidiarité, le pragmatisme et le maintien des statuts, ce que tout le monde souhaite.

Jean-Louis Bianco

Je vais essayer ; pour la clarté du débat, de marquer les points d’accord et de désaccord avec ce que M. Borotra vient de dire. Pragmatisme : oui et non.
Oui – il l’a dit, il a raison - nos partenaires européens sont ce qu’ils sont. Nous n’allons pas faire l’Europe tous seuls, ni les services publics tous seuls ; d’où l’importance des questions de vocabulaire. Vous avez vu qu’on parlait de services économiques ou d’intérêt économique général car c’est déjà dans le traité de Rome. Je crois que l’intérêt général est une notion dans laquelle nous pouvons nous retrouver. Si le mot service public offense certains, moi je ne renonce pas au mot service public. Pragmatisme au moins dans la tactique pour faire comprendre ce que l’on veut à nos partenaires. Mais pas pragmatisme au point de renoncer à certains principes, j’y reviendrai dans un instant. Pragmatisme, comme vous l’avez très bien dit, ne pas bouleverser ce qui marche. Or, on est en train en ce moment, avec l’Europe telle qu’elle se construit, de bouleverser ce qui marche. EDF marche extraordinairement bien. Ce n’est pas parfait, il y a un manque de transparence, un manque de démocratie dans certains choix. Mais quant au service rendu aux usagers, 80 à 85 % sont contents. Les coûts sont tout à fait compétitifs, les ratios de productivité sont excellents et on pourrait dire la même chose du Chemin de fer. Nous sommes dans beaucoup de services publics, France Télécom, EDF, SNCF plutôt meilleurs que les autres. Alors si on est : pragmatiques, pourquoi y toucher ? pourquoi y touche-t-on ? Parce que dans le rapport de force européen – et je ne le méconnais pas, j’y suis confronté comme vous – on est obligés de négocier, de trouver des compromis. Je sais bien que vous vous êtes battus, mais sur l’électricité, je prends un seul exemple, que va-t-il se passer ? On ouvre à la concurrence, un peu, on ouvre sur les gros clients. Cela veut dire qu’EDF va être soumis demain à la concurrence, donc à d’autres fournisseurs d’électricité pour les gros clients. Où EDF va-t-il se rattraper ? Évidemment sur les petits. Comment voulez-vous qu’il fasse autrement dans un système de concurrence. Les petits, c’est qui ? C’est vous, c’est moi, ce sont les usagers et ce sont les petites et moyennes entreprises. Historiquement, il faut se rappeler qu’EDF a mené des batailles difficiles avec ta grande industrie pour défendre l’égalité des usagers avant même que l’on aille vers la mise en concurrence, c’est-à-dire vers une sorte de privatisation rampante. Être pragmatique, pour moi, cela veut dire : ne touchons pas à ce qui marche, ne remettons pas en cause fondamentalement, EPF par exemple ou même France Télécom ou la SNCF, nous n’avons pas besoin de changer de régime et de statut à ce degré-là. « Service public à la française », expression que vous récusez parce qu’elle donne l’impression de vouloir imposer un modèle, il me semble – sans vouloir polémiquer – que c’est votre Gouvernement surtout qui l’a employé ! Je ne crois pas l’avoir employé quand j’étais ministre. Mais vous avez raison, il ne faut pas donner de leçons aux autres. Pour autant, il ne faut pas baisser pavillon. D’accord pour ne pas prendre le mot « service public à la française », mais ne renonçons pas à un certain nombre de choses qui marchent et à un effort de conviction et de discussions qui se fait en Europe depuis trois ou quatre ans. J’ai présenté pour la première fois une charte européenne des services publics en 1992. Les choses ont bougé depuis cette initiative initiale et elles continuent à avancer grâce à des contributions comme celles de l’UNSA. Pragmatisme, d’accord, compromis inévitable, ne pas imposer un modèle, toujours d’accord. Mais quand même, nous savons bien qu’aujourd’hui il y a un seul système dans le monde pour produire des richesses : c’est le marché, que cela nous plaise ou non ! Nous sommes entrés dans une phase où la dictature du profit a pris la place de la dictature du prolétariat, où même Saros explique que le danger principal, – le spéculateur Saros qui maintenant donne des leçons de bonne gestion à tout le monde – c’est l’expansion contrôlée des mécanismes de marchés. Il dit d’ailleurs la même chose que Marx ! Ce n’est plus à la mode de citer Marx, mais il disait dans le Manifeste de 48 « nous sommes dans un capitalisme débridé ».

C’est bien ce qui se passe aujourd’hui nous sommes dans un capitalisme de plus en plus débridé, dominé par l’argent et par la finance. Par rapport à cette situation, le service public constitue un moyen décisif de lutter contre cette perte d’identité, cette perte d’égalité, cette perte pour le long terme, cette perte d’aménagement du territoire que représenterait une mise en concurrence excessive.

Pervenche Berès

Je voudrais compléter ce bilan par quelques points d’accord ou de désaccord. Je ne sais pas d’où il faut partir sur l’origine de l’expression « services publics à la française ». Dans les précédentes réunions auxquelles j’ai participé, j’avais coutume de dire que M. Barnier n’utilisait pas cette expression-là alors que M. Borotra l’avait utilisée. Qu’y a-t-il derrière cette expression ? Comment devons-nous l’utiliser et éventuellement la récuser ?

Il y a simplement l’idée que dans notre mode d’organisation, à la fois économique et social existent des éléments tellement positifs que nous voudrions l’imposer à d’autres. C’est la raison pour laquelle nous devons nous méfier de cette idée de « services publics à la française » avec, comme vous M. Borotra, la préoccupation de négocier avec nos partenaires et de rendre acceptable, une notion qui nous est propre. Sous cette réserve-là, on peut utiliser l’expression « services publics à la française », mais elle est effectivement mauvaise parce qu’en terme d’affichage, elle donne l’impression d’une exception française. Or, et c’est là que nos chemins divergeront, notre objectif doit être une exception européenne. Notre ambition est bien de faire des services publics, qu’on les appelle services publics ou services d’intérêt général, une exception européenne. C’est l’idée que dans l’équilibre du traité tel qu’il s’est mis en dynamique depuis 58, il y a des choses à corriger et que pour ce rééquilibrage, il y a peut-être des éléments à prendre dans ce qui constitue à la fois, notre corps de doctrine et notre expérience en matière de service public. « Services publics à la française », « Services publics, une chance pour l’Europe », nous voilà au cœur du sujet. Dans cette approche, que faire de la question de la subsidiarité ? Lors d’un récent entretien, Philippe Seguin et Klaus Hanch, président du Parlement européen, socialiste allemand, sont convenus que derrière la subsidiarité, il y avait le pire et le meilleur, que l’on pouvait en donner vingt définitions pour que chacun y retrouve ce qu’il souhaite y mettre. Je crains que sur ce point, nous n’ayons un léger désaccord. Derrière la subsidiarité, que faut-il mettre ?

Chacun agit à son niveau, là où il est le mieux en situation pour le faire. Au plan européen, je suis convaincu qu’aujourd’hui, en matière de services publics, nous devons et nous pouvons faire beaucoup de choses. Je ne vous en donne qu’un exemple, M. le ministre. S’agissant des Télécommunications, nous venons de voter au Parlement européen, un texte dont je suis rapporteur et dans lequel nous plaidons pour une définition du service universel des Télécommunications extrêmement large au plan communautaire. C’est à ce prix que la mise en place de la société de l’information pourra se faire au bénéfice d’une société plus égale dans une logique de cohésion sociale et d’égal accès pour tous.

Il y a des domaines où, au niveau européen, je pense que nous avons la possibilité d’avoir une conception plus large du service public et je m’en réjouis.

D’une certaine manière, c’est le moyen de renforcer nos batailles nationales sur le service public. Je me méfie de la subsidiarité lorsqu’elle peut être utilisée pour garder à l’intérieur de notre territoire des secteurs qu’il faut moderniser et qu’on cherche à moderniser en-dehors d’une dynamique communautaire parce qu’elle irait en contradiction avec certains intérêts conçus au plan national.

Il y a beaucoup d’autres choses dans l’intervention de M. Borotra qui mériteraient discussion, notamment en ce qui concerne le rôle de l’État par rapport à l’accomplissement des missions de services publics.

Il faudra que l’on m’explique comment on veut que l’État ait un rôle fort dans l’accomplissement des missions de services publics alors qu’en même temps on privatise à tout-va. Je crois que c’est une question ouverte mais le débat apportera, je l’espère, des éléments de réponse.

Alain Olive

Le rapport Borotra, je vous le recommande. On ne peut pas vous soupçonner, quand on lit votre rapport, d’être un adversaire du service public. Votre introduction le prouve.

Sur le fait de distinguer les missions de l’organisation des services publics, nous sommes d’accord, le problème que je vois à l’heure actuelle, est qu’ériger une mission de services publics, c’est un acte éminemment politique.

La question que je pose est celle-ci cet acte politique, on pouvait le faire dans le cadre de l’État-nation, aujourd’hui, au niveau européen, on est interpellé, en France, d’ériger une mission en services publics ; c’est là toute la problématique. Le problème n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre le service public.

Les gens ici sont de bonne foi, ils sont pour le service public, le problème est de savoir si l’on peut aujourd’hui défendre le service public dans un cadre réglementaire français et européen tel qu’il est.

Voilà comment je pose la question. Deuxième chose : en ce qui concerne le problème de la concurrence – j’ai entendu ce qu’a dit M. Bianco – je vais prendre deux exemples : l’aérien et La Poste. Déréglementation aux États-Unis en 1987, déréglementation totale au niveau européen en 1997, Air France est toujours une entreprise de service public. Mais affrontée à la concurrence, que veut dire être une entreprise publique ? Sur le marché aérien en Europe, on a supprimé 40 000 emplois, vont se mettre en place deux catégories de salariés ceux qui ont été embauchés et ceux qui vont l’être avec un statut différent.

Quand on voit que l’on risque de faire rentrer dans le personnel des salariés qui viennent de pays asiatiques qui vont être sous-payés, comment reprocher aux présidents des entreprises publiques en situation de concurrence de ne pas s’aligner sur les gens qui les entourent ?

Comment dans une situation où une entreprise publique est en situation de concurrence peut-elle faire émerger les missions de services publics ?

C’est là toute la problématique. Et pour l’instant, après les débats que nous avons eus dans l’UNSA, nous cherchons une réponse à cette question. Vous allez peut-être nous l’apporter ce soir.


2e Partie

La concurrence européenne, est-elle vraiment une menace pour les services publics à la française ?

Dominique Perben

Je voudrais intervenir pour élargir un peu l’éventail de nos préoccupations.

On ne peut pas avoir un débat sur le service public et l’Europe si, en contre-point, on ne rappelle pas où on en est en matière de conception du rôle de l’État dans la société.

D’une manière plus générale, je voudrais vous dire quel est l’esprit dans lequel je suis aujourd’hui pour accomplir la tâche qui m’a été confiée en matière de réforme de l’État et cela en termes généraux. Sur la réforme de l’État, quel est le choix que nous avons fait ?

J’ai fait le maximum depuis un an pour rester dans une approche peut-être un peu technique, en tout cas pragmatique. Mais il est évident que ma démarche est guidée par une pensée, par une orientation, par des convictions.

Je voudrais le rappeler. Le choix qui est fait à travers la réforme de l’État commence à se construire à travers un certain nombre de mesures pour rapprocher administrations et administrés, pour réformer les administrations centrales, pour réaliser une déconcentration plus forte et pour réorganiser les services de l’État sur le terrain. C’est une conception qui a résolument choisi le maintien de l’État sur le territoire national ; ce choix n’était pas une évidence. Ce choix est d’ailleurs contesté par un certain nombre d’hommes politiques, de gens qui réfléchissent sur la chose publique. Il y a d’autres choix y compris en Europe dans certains pays, les collectivités territoriales décentralisées gèrent l’ensemble des problèmes sociaux, culturels, etc. ; l’État garde les missions de souveraineté et fait faire la mise en œuvre de ces politiques par des partenaires et non pas par des salariés de l’État.

Nous avons fait l’autre choix qui a une forte signification : il s’inscrit dans une tradition républicaine ; je dirai même qu’elle remonte au-delà de cela car nous considérons que notre société s’est construite dans un partenariat original : chaque Nation est ainsi originale dans son rapport entre l’État et la société et que cela nous paraît être un élément de garantie en termes de cohésion de la société française. Je crois que ce n’était pas inutile de rappeler cela, car c’est une manière d’éclairer aussi le débat sur le service public au sens traditionnel, c’est à dire celui que vous avez évoqué à l’instant.

Franck Borotra

Sans aucune polémique parce que j’ai beaucoup d’estime pour M. Perben et Mme Berès, il y a un débat au travers de ce qui a été dit. Je voudrais apporter quelques éléments de réponse.

Premièrement, je ne suis pas contre ce mot de « services publics à la française ». Je ne le récuse pas en tant que tel. Ce que je récuse c’est que derrière ce mot se cache une forme de concept qui tend à geler l’organisation des services publics dans des situations qui deviennent impossibles à faire évoluer… C’est extraordinaire, les Anglais vous disent « il faut mettre en l’air toutes vos entreprises de services publics, c’est le seul moyen de les transformer ». Ma réponse est non.

Premier point.

Je pense que l’on peut les transformer de l’intérieur ; parfois, l’ouverture à un minimum de concurrence peut être un élément, une aiguillon pour transformer et faire évoluer ces entreprises et faire en sorte qu’on produise le maximum de services au moindre coût parce que c’est la réalité.

Le deuxième aspect : qu’on s’explique sur un exemple précis sur l’affaire de la subsidiarité. Je ne veux pas entrer dans le fait de savoir comment on définit la subsidiarité, je ne suis pas un spécialiste de la sémantique. J’ai une définition simple – tout ce qui est mieux réglé au niveau de l’État, même jusqu’au niveau de la commune, l’Europe ne doit pas s’en occuper. Il faut bien comprendre que chaque fois que l’on érige le problème au niveau de l’Europe ; ça devient un problème de nature conceptuelle.

Ce qui m’étonne, c’est que l’Europe devienne plus idéologique que les États auxquels elle s’adresse. Et dans le domaine des services publics pour y avoir été confronté, je peux apporter ce témoignage. Donc, la subsidiarité s’applique à quelque chose de simple : la définition des missions de services publics. Il n’y a que l’État qui peut déterminer quel est le service qu’il va rendre aux concitoyens, à quel niveau et à quel prix. Ce n’est pas l’Europe qui va le faire, c’est l’État et l’État seul. Si on veut aller plus loin que les autres, au nom de quoi nous n’irions pas ? Je vais prendre un exemple : je défends les services financiers de La Poste et quand je me heurte au système bancaire français, à l’intérieur et à l’extérieur, tout le monde me dit : « au nom de quoi La Poste fait-elle des services financiers ? ». La réponse est très simple, elle remplit une mission de service public. Il y a un million de Rmistes en France, l’intermédiaire financier pour ce million de Rmistes pour toucher soit le RMI, soit les allocations familiales, soit les autres formes d’aides de l’État, le seul intermédiaire, c’est La Poste. Ce ne sont pas les banques qui assurent cette mission d’intermédiation. C’est l’État qui a le droit de dire « La Poste remplit cette mission » ; et tant qu’il existe un million de Rmistes en France, il faudra que cette mission soit remplie, c’est une mission de service public et puisque personne ne la remplit, c’est La Poste qui la remplit. Et du même coup, il faut donner les moyens financiers à La Poste de remplir cette mission. Si on écoute ce que l’Europe dit « si elle dit non, vous n’avez pas le droit de le faire ». Je ne suis pas d’accord, parce que le choix de cette mission de service public, c’est l’État qui le fait Et à partir du moment où il le fait, il en choisit l’organisation et les moyens pour permettre de la remplir. Voilà, pour moi, ce qu’est la subsidiarité sur un exemple.

Troisième point, sur EDF. La position de la France a été une position extrêmement restrictive dans le domaine de la directive de l’ouverture du marché de l’électricité. Nous avions, en face de nous, une majorité de pays qui voulaient la libéralisation mécanique et continue jusqu’à la libéralisation totale. La France a pratiquement imposé la possibilité de deux attitudes sur le marché électrique ; d’un côté l’accès des tiers au réseau qui est la libéralisation généralisée des marchés, choisie en particulier par les Anglais et les Allemands, et de l’autre côté ce que nous appelons l’acheteur unique c’est-à-dire la reconnaissance à un opérateur des missions de service public et de la régulation électrique sur le marché français.

C’est vrai que celle-ci ferme la porte à la libéralisation du marché de l’électricité. Pourquoi a-t-on fait une concession dans ce domaine et s’agit-il d’une concession ? Ce que je peux vous dire c’est que les discours idéologiques sur le fait de savoir s’il est naturel ou normal que la concurrence soit ce qu’elle est, sont dépassés ; aujourd’hui c’est un fait. Vous avez un grand nombre d’entreprises pour lesquelles le coût de l’énergie est un élément déterminant de leur prix de revient, qui sont soumises à la concurrence, dans d’autres pays. Pour que ces entreprises puissent profiter de l’évolution des coûts énergétiques et n’aient pas un inconvénient en terme de coûts par rapport à leurs concurrents – c’est une exigence dans le domaine de l’organisation économique – on a ouvert à un nombre limité de clients, ils sont 3 000 par rapport aux 29 millions de clients d’EDF qui constituent le cœur du service public ; c’est une potentialité de concurrence mais encore faut-il remplir les conditions de cette potentialité. Il se trouve que l’outil électrique qui a été construit dans le 25 ans qui viennent de s’écouler en fait, 23 ans, puisque l'affaire nucléaire a été lancée en 1973, a représenté un effort considérable de l’ensemble de l’État : mille milliards d’investissements sur ces 23 ans. Cela conduit aujourd’hui EDF à être celui qui produit, grâce à cette rente, payée par l’ensemble de la Nation française, au coût le plus bas. Je dis à ceux qui viennent en concurrence, qu’ils montrent qu’ils sont capables dans les règles de l’acheteur unique, d’être concurrents avec EDF, et on verra dans quel sens la concurrence va jouer.

C’est tellement vrai, qu’à la demande des ultra-libéraux et en particulier de l’Allemagne, il a fallu insérer dans la directive, une règle de réciprocité : la France ne pourra pas être plus présente sur le pays extérieur que le pays extérieur ne pourra être présent sur nous. J’ai reçu cela comme l’hommage de la vertu au vice : ce sont finalement les ultralibéraux qui ont demandé à être protégés contre le développement sur leur propre terrain !

Pervenche Berès

Nous voilà dans le vif du sujet puisque l’on rentre dans le sectoriel. Levons une ambiguïté. Personne ici ne revendique l’expression « services publics à la française » ; nous sommes tous d’accord pour dire « les services publics tels qu’ils ont existé en France sont bien », mais je crois que nous sommes majoritaires pour penser que la meilleure façon de faire vivre ces services publics c’est de leur donner une dimension européenne et une chance européenne.

Et là M. le ministre, je dois dire que j’ai un léger désaccord avec votre interprétation. Lorsque vous dites « il appartient à l’État membre, État-nation, de définir les missions de service public qu’il entend imposer à ses opérateurs », il me semble que dans un environnement concurrentiel ouvert, tels que le sont les services publics de réseau depuis l’achèvement ou le quasi achèvement du marché unique, le meilleur moyen d’assurer les missions de service public c’est de les définir au niveau communautaire. Et c’est en ce sens-là que nous nous battons.

Franck Borotra

En engageant le débat dans cette direction, au bout du compte, vous ouvrirez l’ensemble des services publics à la généralisation de la libéralisation. Ce n’est pas l’objectif que je poursuis et vous non plus, je vous mets en garde sur cette approche.

Pervenche Berès

M. le ministre, un exemple qui a le mérite d’être très parlant : le secteur des télécommunications. Vous avez fait adopter une loi en France qui anticipait sur la législation communautaire en cours d’élaboration. La proposition de la commission est aujourd’hui de dire : « il y a un service universel minimum défini au plan communautaire ». Pour ces missions de service universel minimum, dans chaque État membre, les opérateurs alimentent un fonds de service universel grâce auquel sont financées les opérations liées au service minimum. Les États membres peuvent, par ailleurs, dans le cadre de la subsidiarité, que vous revendiquez avec tant d’ardeur, définir des missions, supplémentaires. Mais dans ce cas-là, ces missions supplémentaires doivent être financées par d’autres moyens. Quand on connaît l’état de nos budgets et nos objectifs en matière de réduction des déficits, je n’imagine pas que l’on dégage de grandes masses financières pour accomplir ces missions de service universel. Il faudra donc trouver d’autres moyens financiers. Est-ce que l’on demandera aux opérateurs chargés de la mission de service universel de le faire ? Nous sommes au cœur de la contradiction. Dans un environnement concurrentiel ouvert, l’opérateur chargé de la mission traditionnelle de service universel devra adapter ses prix, sinon il disparaîtra de la scène.

En conséquence, il ne pourra pas non plus répercuter sur ses clients le coût de la mission de service universel supplémentaire dont il est le responsable. Mes conversations avec les opérateurs de ce secteur m’ont convaincue que les opérateurs, au fond, sont prêts à accepter certaines contraintes. Le coût du service universel des opérateurs de télécommunications, compte tenu des marges de profit qu’ils vont dégager avec la libéralisation du secteur, est faible. C’est au maximum avec une définition du service universel très large, 8 à 10 % de leur chiffre d’affaire. Les opérateurs craignent d’avoir à satisfaire des obligations de service public différentes d’un État membre à un autre. Mais s’il y a une mission de service universel, public ou d’intérêt général – appelez-la comme vous voulez – l’essentiel ici, c’est le contenu défini au plan communautaire et qui s’applique dans les 15 États membres, ils s’y adapteront. C’est ma conviction. Autre exemple à propos de l’électricité dont vous avez parlé, M. le ministre. Vous vous êtes battu, je me suis battue, je vous ai contredit, vous m’avez démentie, j’avais raison : vous aviez passé un accord franco-allemand détestable sur un certain nombre de points qu’on a retrouvés tels quels dans la directive, c’est votre responsabilité ; mais aujourd’hui je me suis battue à vos côtés au Parlement européen pour combattre l’éligibilité des petits distributeurs et nous l’avons, pour l’instant, emporté. Je ne peux pas vous laisser dire que « l’éligibilité ne concerne que 3 000 clients sur 29 millions ». C’est 25 % du marché. De ce point de vue, il y a quand même un déséquilibre de la géographie, de l’économie de tout un secteur. On ne peut pas faire comme si c’était 3 000 petits consommateurs qui se « baladaient » sur le paysage de la clientèle d’EDF. Deuxième aspect qui me paraît extrêmement délicat : celui des seuils. Vous êtes allé sur ce point, dans l’accord franco-allemand, au-delà de ce que proposait la présidence italienne : nous ne pouvons que le regretter. Ce qui est extrêmement critiquable, c’est le caractère automatique du franchissement des seuils. On dispose aujourd’hui d’un bilan suffisant de la libéralisation pour savoir que quand on ouvre un secteur, il y a des rythmes et des vérifications à faire en cours de route. Ce n’est pas la peine de fixer un rendez-vous si par ailleurs, on dit « au bout d’un nombre fixé d’années, on passera à l’étape supérieure ». Mon sentiment est qu’il aurait mieux valu avoir des rendez-vous avec évaluation, bilan, compte rendu de situation, puis franchissement de l’étape supérieure ou suivante.

Dernier aspect qui est extrêmement sensible sur cette question de l’électricité : l’équilibre de notre indépendance énergétique. Après le « tout pétrole » contre lequel nous nous sommes battus, ne risquons-nous pas derrière la libéralisation du secteur électrique tel qu’il se dessine, de nous retrouver dans une situation « tout gaz ». Je pose la question, elle est devant nous et d’une grande importance.

La France, est de ce point de vue, dans une situation très particulière comparable à ses concurrents. En Europe, elle n’est pas productrice de gaz et dépend pour ses approvisionnements en gaz de trois zones : la Russie, le Maghreb et le Moyen-Orient. Aucune de ces sources d’approvisionnement n’est une source sûre.

Cependant, compte tenu de notre approvisionnement en énergie nucléaire, nous bénéficions d’une certaine autonomie et d’une certaine indépendance : il y a un risque de déséquilibre dans cette indépendance énergétique. Nous avons mis le pied dans l’engrenage avec cette directive « électricité ».

Gérard Leclerc – M. Bianco recentrons un peu les risques face à la concurrence.

Jean-Louis Bianco

Je vais embrayer sur ce que vient de dire Pervenche Berès. La meilleure illustration, c’est ce qui s’est passé avec la privatisation de British Gas. Que fait British Gas ?

Il s’alimente au meilleur marché au moindre coût, donc il sacrifie la sécurité d’approvisionnement à long terme, c’est évident. Deuxième exemple : British Telecom. Brillante réussite financière, aucun doute là-dessus. On peut beaucoup plus discuter sur le plan social et sur l’emploi ; les dépenses de recherches de British Telecom, depuis plusieurs années, chutent, car on sacrifie le long terme. Il y a toujours ce risque quand on est dans une mécanique de marché excessif. Un mot encore sur l’électricité. Nous avons en France l’électricité la moins chère d’Europe, donc je ne vois pas très bien pourquoi ouvrir la concurrence, on l’ouvre sur le quart du marché et c’est beaucoup. Le transport aérien est déréglementé aux États-Unis : avec du recul, qu’est-ce qu’a donné la dérégulation, la mise en concurrence ? Dans un premier temps, une baisse de prix importante est intervenue en France ces derniers mois, entraînant une grande joie chez le consommateur. Dans un deuxième temps, phénomène formidable de concentration, guerre mortelle ; de très grands noms ont disparu de l’espace aérien, et puis, bien sûr, remontée des tarifs. Une fois que l’on a une position de monopole reconstituée ou un partage du marché, il y a remontée des tarifs et baisse de la sécurité. Aux États-Unis, y compris parce que le contrôle aérien est moins bien assuré, la sécurité a baissé. Moins de compagnies, augmentation des fréquences, c’est vrai mais c’est aussi un encombrement du ciel, des prix qui ont remonté et moins de sécurité, bilan qui ne m’enthousiasme pas. En France, on a bien dû y passer et je le sais d’autant mieux que c’est moi qui ai négocié l’accord sur l’ouverture à la concurrence des transports aériens. C’est pour cela que je ne vous jetais pas la pierre. Dans un rapport de force, que peut-on faire ? Que voulaient mes collègues, à peu près unanimes ? Qu’on ouvre à la concurrence tout, tout de suite. Qu’est-ce que j’ai obtenu ? 4 ans pour s’y préparer. Qu’est-ce que l’on a fait pendant ces quatre ans ? Je n’ai pas vraiment l’impression que l’on s’y soit préparé. Deuxièmement : une disposition qui a été extrêmement difficile à arracher, qui existe dans le texte, et qui est précisément liée à la notion de service public. Bien sûr qu’il faut de la concurrence, bien sûr qu’il y a de la concurrence entre l’aérien et le train. On le voit bien, sur des trajets comme Paris-Lyon. Mais à partir du moment où Air-Inter est mis en concurrence de manière qui peut être mortelle – on l’a vu avec la vitesse à laquelle cela se fait – Paris-Marseille, Paris-Toulouse – ils ont perdu entre 30 et 40 % de parts de marché en quelques mois – comment sent continuer à assurer les liaisons d’aménagement du territoire qui ne sont pas rentables ? J’avais obtenu et je ne comprends pas pourquoi on ne s’en est pas servi, que l’on puisse utiliser une clause de service public à imposer à British Airways. S’ils veulent (et ils veulent), de Paris-Marseille, de Paris-Toulouse, qu’ils assurent eux aussi, les lignes non rentables ! Il y a donc des mécanismes de sauvegarde – et je suis d’accord avec Pervenche Berès – qui peuvent être mis en place au niveau européen, même dans un régime de concurrence.

Alain Olive

Deux remarques : sur les conséquences de la libéralisation, il y en a une que vous n’avez pas citée, mais qui est importante : c’est la mise par-dessus tête du statut du personnel : c’est-à-dire que le statut du personnel est cassé avec toutes les conséquences que cela entraîne sur l’affaiblissement du modèle de référence. C’est tout le service public, tous les agents publics qui en pâtiront.

Deuxième remarque : j’ai entendu ces problèmes de libéralisation. La morale de l’histoire est que quand on commence on ne s’arrête plus. La libéralisation, oui, elle ne vient jamais tout d’un bloc, mais dès que l’on commence à libéraliser un secteur, à court, à moyen terme, c’est tout le secteur qui est libéralisé.

Franck Borotra

Sur le fond, on n’est pas si éloignés. Il y a quelque chose que l’on ne peut pas me reprocher : c’est de ne pas être attaché au service public et d’être un ultralibéral. Dans les deux cas c’est quelque chose que l’on partage.

Intervenant dans la salle

Êtes-vous européen ?

Franck Borotra

Oui je suis européen. Je suis tellement européen que j’essaie de me battre pour que l’Europe essaie d’épouser une stratégie industrielle, en particulier en face de la menace que représentent les grands partenaires et notamment le partenaire américain. Je suis en face de gens qui me disent : « Laissez la concurrence faire, laissez les frontières s’ouvrir ; plus il y aura de produits qui viendront de l’extérieur et mieux ce sera pour l’emploi sur l’espace européen en France ». Je n’ai pas été convaincu.

Oui, je suis européen ! Je suis pour une conception de l’Europe qui respecte les nations et qui respecte les choix que les nations peuvent être amenées à faire en particulier dans le domaine des missions de service public. Quand je vois que petit à petit on est en train de transformer l’espace européen en un espace de consommateurs et en un espace de services, je dis tranquillement que l’on tourne le dos à la construction d’une Europe économiquement capable de créer les emplois dont on a besoin et capable demain d’assumer la responsabilité politique qui doit être la sienne.

Je reviens sur les problèmes qui ont été évoqués. Je reviens sur quelque chose que vous avez dit tout à l’heure : il ne faut pas confondre les entreprises publiques et les services publics. Je suis de ceux qui pensent que toutes les entreprises publiques qui sont totalement dans le secteur concurrentiel sont, d’une manière ou d’une autre, destinées à revenir au secteur privé. Chaque fois que l’on prend du retard dans ce domaine, les conditions du passage de l’entreprise publique au secteur privé sont de plus en plus difficiles.

Dans le domaine aérien, ce n’est pas moi qui l’ai fait – Jean-Louis Bianco a eu l’honnêteté de le dire – c’est une opération qui a été engagée bien avant nous et sous la pression de partenaires, pour lesquels, il est incompréhensible qu’il y ait des entreprises de service public dans le domaine du transport aérien.

Je voudrais m’expliquer sur ce point. Il n’y a pas de service public de transport aérien. Il y a des missions de service public et en particulier les missions de service public – Jean-Louis Bianco vient de le dire – c’est la desserte d’un certain nombre de points qui sont naturellement déficitaires. Une solution a été apportée à cela.

C’est la loi d’aménagement du territoire qui a été votée lors du ministère de Charles Pasqua et à l’intérieur de laquelle un fonds est prévu pour indemniser les entreprises qui assurent cette desserte.

Donc, la réponse en termes de missions de service public a été apportée par la loi.

Gérard Leclerc

Sauf qu’Air Inter vient d’annuler toute une série de lignes qui n’étaient plus rentables.

Franck Borotra

Ils sont engagés dans un processus de libéralisation de l’air qui est consécutif à la politique menée au cours des huit ans qui viennent de s’écouler et qui débouche naturellement sur l’ouverture à la fois des aéroports et de l’air français. C’est un premier point. Deuxième point : sur les Télécom, je ne veux pas y revenir c’est un dossier technique. Je maintiens que l’État n’a pas anticipé une réglementation au niveau européen. Il a voté dans le cadre de la directive, une loi de réglementation, de libéralisation des Télécom ; il a prévu et défini lui-même dans la loi ce qu’étaient les missions de service public, les conditions du financement, les coûts d’interconnexion. Je suis obligé de vous dire que je ne suis pas là pour défendre les opérateurs qui vont venir sur le marché. Si les opérateurs ont intérêt à venir, qu’ils y viennent et s’ils n’ont pas intérêt à y venir, ils n’y viendront pas. Mais en tout état de cause, l’État a rempli sa mission en définissant quelles étaient les missions de service public ; en particulier la recherche et la formation ; et en voyant les conditions dans lesquelles, au-travers de la taxe d’interconnexion, on assurerait le financement de ce service public.

Troisième point : sur le troisième domaine qui est celui de l’électricité. 3 000 d’un côté, 29 millions de l’autre. Le cœur du service public, c’est la satisfaction de nos concitoyens.

Pervenche Berès

Une fois de plus, je ne peux pas vous laisser dire qu’il ne s’agirait « que » de 3 000 clients sur 29 millions. Il s’agit tout de même – je vous le rappelle – de 25 % du marché. Cela aura des répercussions importantes sur les conditions tarifaires faites aux petits consommateurs. Les consommateurs industriels importants bénéficieront de réductions de prix significatives. La possibilité qui leur sera reconnue de s’approvisionner auprès du producteur de leur choix les mettra en position de négociations et ils s’approprient ainsi les avantages compétitifs résultant des choix énergétiques et technologiques financés par l’ensemble des consommateurs. Cela se traduira par l’augmentation de la facture des petits consommateurs. Ils devront subventionner les gros clients industriels ainsi que les nouveaux entrants dans la production de l’électricité.

De plus, cette atteinte au principe d’égalité de traitement pourrait se traduire par une atteinte à la solidarité entre consommateurs urbains et consommateurs ruraux. La péréquation géographique nationale risque d’être limitée à un nombre de plus en plus restreint de clients.

Enfin, pourquoi déstabiliser une entreprise qui marche bien et dont tout le monde loue les résultats, que cela soit en termes de qualité des services rendus, comme en capacité à investir à moyen et long terme ?

Franck Borotra

Pas du tout, puisque dans le contrat de plan que nous sommes en train de négocier entre EDF et l’État, il devra y avoir répercussion dans les baisses de tarifs de la même manière pour les clients industriels que pour les ménages. Vous avez dû le voir dans les débats qu’il y a eu à l’Assemblée nationale.

Vous dites « cela marche bien » et c’est vrai que l’électricité marche bien. Quand on compare l’organisation de ce qui se passe dans le domaine du gaz en Grande-Bretagne, je suis obligé de vous dire que demain va se poser le problème pour l’organisation du marché du gaz. Tous les réseaux sont interconnectés depuis la Sibérie sur toute la Méditerranée et jusqu’aux pays du Maghreb. Demain va apparaître la bulle gazière qui est le trop-plein de la production, en particulier anglaise et qui va se traduire par l’ouverture d’lnterconnector.
La France serait le pays qui serait à l’abri de la possibilité d’accès à ces ressources nouvelles ? Gaz de France a des missions de service public, c’est une entreprise qui est et qui restera publique, mais il faudra bien qu’au travers de la réglementation qui va être mise en place, on puisse à la fois respecter les missions de service public, respecter les statuts, les engagements, respecter l’organisation de la distribution qui est un élément essentiel puisqu’elle est commune à l’EDF et GDF, et en même temps faire en sorte que tous ceux qui sont engagés dans une bataille concurrentielle disposent des mêmes armes et des mêmes atouts au plan économique que leurs concurrents.


3e Partie

Face aux menaces qui pèsent sur les services publics, faut-il compléter les traités existants ?


Gérard Leclerc

Faut-il une charte des services publics ? Faut-il inscrire, d’une façon ou d’une autre dans les textes européens, les services d’intérêt général, faut-il profiter de la CIG pour cela ?

Jean-Louis Bianco

Tout le débat que nous avons eu montre bien à mes yeux, à quel point il est vital d’obtenir une modification du Traité pour encadrer cette déréglementation, cette libéralisation qui est en marche et qui continuera. Plus on commence, plus il y aura une pression pour avancer quel que soit le gouvernement, quels que soient les efforts louables qu’il peut faire. On a besoin d’encadrer la concurrence quel que soit le nom que l’on donne – service d’intérêt économique général ou autre – et l’encadrer fortement au niveau européen pour que l’Europe marche enfin sur deux pieds.

Franck Borotra

Il est nécessaire d’introduire la notion de service public de manière plus forte à l’intérieur du Traité. Personnellement, j’étais favorable à la modification du 90-2 et 90-3, c’est-à-dire la limitation de l’utilisation du 90-3 au nom des conditions de la concurrence et la limitation de l’intervention de la Commission ; comme cela s’est fait aux Télécom : toutes les décisions ont été prises dans le dos des conseils des Ministres au titre du 90-3 par la Commission ; je suis en désaccord avec ce type de pratiques. Je suis en désaccord avec l’utilisation du 90-3 comme élément de législation dans le dos du Parlement ou dans le dos du conseil des ministres. C’est à eux de prendre les décisions. J’ai été pour le renforcement du 90-2 qui prévoit la notion de service public. Il faut être réaliste, il ne peut y avoir modification de la règle qu’à l’unanimité. Je peux vous dire que, concernant une approche sur les 90-2 et 90-3, c’est absolument impossible. Le Gouvernement a décidé de présenter une modification au titre de l’article 90 pour préciser plus clairement les obligations de service public et j’ajoute, pour faire en sorte que ces obligations de service public puissent être examinées dans un certain nombre de cas de la concurrence. On en est là et, à mon avis, c’est quelque chose qui est essentiel. Deuxième problème qui se pose, c’est qu’il faut convaincre. C’est une négociation difficile en face de partenaires qui sont prêts à faire des concessions. Il y a eu des progrès très importants, on le voit au travers de l’expression de la commission. J’ai pu le voir au travers du conseil des ministres où petit à petit l’idée est en train de prendre moi, car je vais encore m’opposer à vous, c’est le problème du service universel. Il y a une différence entre le service public et le service universel. Le service universel c’est un mal nécessaire pour tous les ultralibéraux qui veulent le mettre en place avec l’idée que cela disparaisse le plus vite possible, alors que pour moi la notion de service public, ce n’est pas du tout ça. Je n’accepte pas un service universel à la petite semaine.

Je n’accepte pas un service universel négocié qui soit un compromis qu’on abandonne à ceux qui défendent le service public avec l’idée au fur et à mesure qu’on avance, de le faire disparaître.

On l’a vu dans les coûts de taxation qui devaient être les plus bas possibles pour créer les conditions d’accès des opérateurs, du plus grand nombre et en particulier des petits ; ils organisent la concurrence. Je suis pour une notion claire du service public. Je ne suis pas pour une notion à géométrie variable d’un service universel consenti et reconnu comme quelque chose qui est un mal nécessaire destiné à disparaître. Et je vous mets en garde, ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, ceux qui y resteront ou ceux qui y viendront, parce que c’est bien comme cela que cela risque d’évoluer si on ne se montre pas suffisamment fermes dans la défense d’une notion forte du service public.

Pervenche Berès

Sur le service universel : je n’ai jamais été partisane de la notion de service universel. Je suis contre. La commission, dans sa proposition de modification du Traité, ne parle pas de service universel. La commission parle du service universel épisodiquement lorsqu’elle copie abusivement la législation américaine comme elle l’a fait dans le secteur des télécommunications. Ce n’est pas moi, qu’en France, ai introduit le loup dans la bergerie en mettant, sur le texte télécommunications, une subtile distinction entre trois niveaux de services publics avec, in fine, la notion de service universel. C’est vous M. le ministre. Au nom de la solidarité gouvernementale, je veux aussi vous interpeller sur la proposition qu’a déposée M. Barnier à la CIG. Il ne parle pas de services publics, il parle de ce dont on peut parler au plan européen si on veut faire avancer le débat : service d’intérêt général. Là-dessus, nous n’avons pas de désaccord. Nous sommes contre la notion de service universel qui est une notion héritée du libéralisme américain ; nous sommes pour la notion de service public ou une notion de service d’intérêt général.

Mais sur le problème de l’article 90, nous sommes partisans d’une modification de cet article, pas d’un simple ajout. Je comprends les difficultés du Gouvernement français de mettre sur la table de la CIG, une proposition de modification du Traité sur ce point, puisqu’on donne l’impression de vouloir défendre une conception qui est plus héritière de nos traditions que d’une tradition finlandaise par exemple. Pourtant ma conviction est que lorsque le Gouvernement français veut obtenir des choses dans le tour de table communautaire, la meilleure façon d’obtenir des résultats, c’est de négocier au préalable avec quelques partenaires. Et il me semble que sur ce point, si dans le cadre d’une initiative forte franco-allemande, on avait obtenu des éléments d’avancée, on serait en meilleure situation qu’avec une intervention ex-cathedra du président de la République deux jours avant l’ouverture de la ÇIG. Sur le fond, vous parlez de préciser l’article 90. Notre débat l’a bien montré, il ne s’agit pas seulement de le préciser, il s’agit de le modifier et de rééquilibrer les traités tels qui sont écrits.

Gérard Leclerc

Comment le modifier et dans quel sens ?

Pervenche Berès

À l’article 90-2, il ne doit plus s’agir d’exceptions pour les services publics mais d’équilibre entre concurrence et mission de service public. Sur l’article 90-3, l’une des difficultés vient de ce qu’il y a une confusion entre un problème de fond, celui du rééquilibrage du Traité, et un problème de pouvoir. Nous ne sommes pas partisans d’une diminution des pouvoirs de la commission. L’article 90-3 est le seul domaine où la commission ait un pouvoir politique aussi fort et sans contrôle. Nous considérons que la commission ne peut intervenir dans ce domaine sans contrôle, ni du Conseil, ni du Parlement européen.

Jean-Louis Bianco

J’espère que ce n’est pas trop technique nos histoires de 90-2 et 90-3. Il faut modifier le Traité et comme vous l’avez vu ce n’est pas facile. Que dit l’article 90-2, le Traité de Rome ? « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent Traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Autrement dit, vous avez d’abord la concurrence, vous devez l’avoir même pour les entreprises chargées d’une mission d’intérêt général, sauf si vous arrivez à démontrer que cela rend la mission de service public, comme nous dirions en France, impossible. C’est cet article-là qu’il faut rééquilibrer complétement, le 90-3, celui qui suit, c’est celui qui donne des pouvoirs à la Commission dont on parlait tout à l’heure. Il dit : « la Commission veille à l’application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres ». C’est là où se glisse la Commission, dans certains cas, en exerçant une influence plus forte que le conseil des ministres ou le Parlement. En Europe, où nous sommes dans l’idéologie, pas l’idéologie du service public, mais l’idéologie libérale. Dans l’idéologie libérale, la concurrence c’est bien, et le public c’est mal. J’ai été frappé, dans tous les débats européens auxquels j’ai participé, qu’il s’agisse de services publics, d’entreprises publiques, de statuts publics, chaque fois qu’il y avait le mot public, c’était le diable ! Nous devions toujours nous défendre car nous étions toujours accusés de fausser les Sacro-saintes règles de la concurrence. C’est cela qu’il faut rééquilibrer. Il y a des missions d’in sont, au moins à niveau égal avec la concurrence. Je préférerai que l’on dise au-dessus, mais soyons réalistes. Disons que l’on marche sur deux pieds, le service public et la concurrence, je répète ce que disait tout à l’heure Jean-Paul Roux.

Pierre Bauby (Animateur de l’association « Réseaux Services Publics ».

M. Borotra, je crois que l’on ne peut pas dire tout et son contraire en quelques minutes ou quelques mois. Je prendrai rapidement quatre exemples :

Le premier sur les services financiers de La Poste. Vous nous avez dit que c’est une mission de service public. Au moment où a été fait le contrat de plan de La Poste, le Gouvernement, même si vous n’y apparteniez pas encore – votre Gouvernement a refusé que les services financiers fassent partie des missions de service public de La Poste.

Deuxième exemple : au printemps dernier, vous avez dit que Gaz de France a vocation à voir ouvrir son capital, voire, à être privatisé. Vous nous avez dit ce soir que « Gaz de France restera public ». J’en prends acte. C’est une déclaration qui ne passera pas inaperçue.

Troisième exemple, sur l’électricité. Vous nous dites, « qu’il faut que les prix de l’électricité soient les plus bas possible pour les industriels, afin de leur permettre d’être compétitifs. Vous oubliez une chose : aujourd’hui, EDF est en capacité de baisser ses tarifs de 10 %. Qui refuse ? M. Arthuis ; pour récupérer le maximum d’argent possible sur EDF afin de boucher les trous du déficit du budget de l’État ». C’est cela la réalité et ce n’est pas la concurrence qui par miracle va faire baisser les prix.

Le quatrième exemple concerne les Télécommunications. La loi que vous avez fait voter au mois de juin donne une définition du service universel et l’introduit pour la première fois en France dans notre droit. C’est extrêmement grave. C’est une responsabilité que vous avez prise. Vous avez anticipé sur l’application et la transposition des directives européennes ; la proposition de directive du 11 septembre de la commission sur les Télécommunications, donne une définition plus extensive que celle que vous ayez figée aujourd’hui dans la loi française. En fait, je vais aborder la vraie raison de ces écarts entre vos déclarations « on défend le service public » et puis ce que vous faites· : il y a un point commun à tous les secteurs, les Télécom, l’EDF… c’est que vous voulez favoriser l’entrée dans ces secteurs, au nom de la concurrence et au nom de l’Europe, de nouveaux opérateurs qui sont toujours les mêmes. C’est la Générale des Eaux, la Lyonnaise des Eaux et Bouygues. C’est une recomposition du capitalisme français à laquelle vous voulez procéder sans le dire. Dans chacun de ces secteurs, vous avez favorisé leurs intérêts au détriment des anciennes entreprises publiques et finalement des consommateurs, des personnels et des citoyens.

Franck Borotra

Sur le côté polémique, je ne participerai pas à ce type de débat. Je vais répondre aux quatre questions que vous avez posées. Je crois quand même, en toute honnêteté, pour qu’il y ait débat, qu’il faut que l’on s’écoute. Il faut essayer de comprendre ce que l’autre dit. Si on finit par croire ce qu’on croit que l’autre a dit, il n’y a plus de dialogue possible. Donc, je souhaite que l’on entende bien. Concernant le problème de l’activité financière de la Poste : ce que j’ai dit, est clair : la mission de service public, c’est le rôle d’intermédiation que la Poste joue vis-à-vis de ce million de Rmistes et d’un certain nombre de personnes qui sont en situation de fragilité sociale et du même coup font courir un risque financier au secteur bancaire. Cette mission, quelqu’un doit l’assumer et on doit d’une manière ou d’une autre, pas nécessairement par toute l’activité bancaire – c’est là que se trouve la nuance – on doit donner à La Poste les moyens d’assumer cette responsabilité. De la même manière, on doit lui donner les moyens d’être présente dans les 17 000 sites (c’est-à-dire 14 000 postes + 3 000 agences commerciales) qui constituent dans un grand nombre de villages, probablement le seul endroit où nos concitoyens et habitants peuvent se rencontrer.

Donc, les missions d’aménagement du territoire et les missions d’intermédiation financière ont besoin d’être financées. Est-ce que tout cela doit être financé par l’impôt ou par des activités financières et quelles activités financières ? Ce débat est ouvert et à l’évidence La Poste n’est pas une banque comme les autres.

Sur Gaz de France, il n’y a pas vraiment de surprise. J’ai toujours dit que Gaz de France resterait une entreprise publique, mais cette entreprise publique doit être contrôlée par la puissante publique. Elle a besoin de s’adapter aux conditions d’un marché. Dans le domaine du Gaz, la France est dépendante de l’extérieur. On importe 90 % du gaz. Nôtre situation n’est pas la même que celle de la Grande-Bretagne qui est excédentaire nette ou celle de l’Espagne qui est un pays en voie d’émergence dans le domaine de l’utilisation du gaz. Gaz de France est un opérateur de dimension internationale qui a besoin d’avoir une structure et des moyens propres à lui permettre de remplir sa mission de service public. Ce n’est pas une mission présente sur tout le territoire comme EDF, et elle n’assure pas même la totalité de la péréquation tarifaire là où elle est présente. Ce qui montre bien qu’il y a des missions de service public de nature différente mais c’est en même temps un opérateur international. Il est engagé dans l’obligation de contrat à long terme et engagé aussi dans la nécessité de pouvoir à céder chaque fois que c’est possible aux disponibilités gazières au moindre coût.

Cela l’oblige à s’organiser comme un opérateur tel qu’ils existent sur le marché ; sans quoi, il n’est pas, dans ses règles et dans sa manière, compétitif.

Sur EDF, c’est la discussion sur la baisse des prix. On a avancé 10 %, mais le ministère n’a pas confirmé la capacité disponible de baisse des prix. Cela fera partie du contrat de Plan qui est négocié entre EDF et l’État. Il faut vérifier tout cela car EDF a des engagements, des investissements à faire, il a un endettement qu’il doit continuer à réduire, – il a un engagement vis-à-vis de son actionnaire qui est l’État et qui doit être bien cadré pour que cette charge ne devienne pas une charge insupportable pour l’entreprise. C’est un opérateur international et le problème de la baisse des prix qui va intervenir à partir de 1997 sur un plan négocié entre EDF et le ministère devra en contrepartie prendre en compte la répercussion en direction de tous les clients dans les mêmes conditions. Alors, essayer d’expliquer que Jean Arthuis l’a refusé, je suis obligé de vous dire que ce n’est pas vrai. C’est une affaire qui est en négociation, en particulier entre le Président d’EDF et le ministre.

Sur le service universel, ne discutons pas trop sur les mots mais prenons en compte ce que j’ai dit tout à l’heure, c’est-à-dire la tentation qu’il y a de la part des ultralibéraux européens à nous traîner de plus en plus vers des services qui seront de moins en moins publics.

Sur le dernier point, les Télécom. Il n’y a plus personne qui peut croire que la France peut être à l’abri d’un monopole à l’intérieur du territoire sur les Télécom. Il suffit de se promener dans la rue pour voir des gens qui ont des mobiles et aujourd’hui tout le monde sait comment on utilise le call-back pour appeler New-York au non-respect du monopole, à partir de Paris en direction de Londres. On voit bien aujourd’hui que la concurrence liée aux raisons technologiques est devenue une des réalités qui est incontournable pour quiconque. La réponse est claire : le Gouvernement français a regardé quel était l’esprit de la directive et il a pris sa propre décision pour réglementer la libéralisation. Nous l’avons fait les yeux ouverts, en nous engageant dans la définition de ce que nous voulons pour le service public, du rôle de la régulation ; du rôle de l’opérateur public mais en préparant en même temps l’ouverture à une concurrence qui est devenue tout à fait indispensable.

C’est la loi, elle a été votée par l’Assemblée, par le Sénat, c’est la loi de la République.

Gérard Leclerc

On vient de parler d’EDF, un document de travail d’EDF semble indiquer que l’entreprise envisage un certain nombre de suppressions d’emplois d’ici à 2001 et on parle d’une marge assez grande, entre 1 500 et 2 000. À chaque fois qu’il y a concurrence, une des conséquences de cette concurrence, c’est la réduction des coûts donc des suppressions d’emplois. Or, on voit dans le même moment que l’État aussi, et on le verra dans le prochain budget, envisage et programme une certaine réduction du nombre des fonctionnaires. Est-ce que quelque part il n’y a pas un lien ? Est-ce que ce n’est pas le même état d’esprit qui joue sur les entreprises publiques et sur le budget de l’État ?

Dominique Perben

Si vous appelez cet esprit commun, le souci d’économie, la réponse est évidente. Ce que j’ai essayé de faire, un certain nombre de personnes qui sont ici le savent bien puisque nous en avons parlé à plusieurs reprises, c’est qu’après le débat d’orientation budgétaire qui était une nouveauté et qui était là pour dire à travers le Parlement ce que la majorité souhaitait, j’ai entendu beaucoup de choses en matière de réduction des effectifs de l’État. J’ai même lu dans la presse beaucoup de choses qui m’ont étonné. J’ai pensé que mon rôle était de tenir compte de cet environnement et de cette volonté politique qui s’exprimait de façon échevelée, et de ramener tout cela à une démarche un peu construite. C’est la raison pour laquelle j’ai obtenu du Premier ministre qu’avec le ministre du budget nous fassions un travail sérieux sur des évaluations sérieuses. C’est ce travail qui a abouti aux 5 600 non renouvellements de départ en retraite en 1997 qui est d’ailleurs un solde ; cela veut dire que dans certaines parties de l'administration, nous allons créer des emplois l’année prochaine et dans d’autres on va réduire. Cela veut dire que nous refusons l’a priori : il n’y a pas d’un côté la création d’emplois bien en soi ou la réduction qui serait quelque chose de bien en soi. Ce qu’il faut faire, c’est une adéquation permanente entre les besoins et la réponse en terme de structures administratives, en tenant compte bien entendu aussi, des capacités financières.

Voilà quelle est la démarche du gouvernement. Par ailleurs, nous le savons ici, puisque nous sommes un certain nombre de négociateurs, j’ai souhaité que dans le même temps, nous prenions quelques mesures, sachant qu’il y aurait réduction de postes, pour permettre l’entrée des jeunes dans l’administration grâce notamment aux départs en retraite anticipée qui permettront à l’administration de faire un appel sur le marché du travail et donc de maintenir un appel de jeunes suffisant au cours de l’année 1997.

Thierry Pontillon (UNSA Île-de-France)

Vous avez eu raison M. Leclerc de rappeler que la conception monétariste de résorption des déficits frappe aussi la fonction publique, ce noyau dur du secteur public et pas seulement le secteur public directement ouvert sur le secteur concurrentiel. De ce point de vue, j’ai entendu M. Borotra réclamer le droit à la subsidiarité pour la définition nationale des missions de service public. Mais je me demande comment il va concilier cette demande avec la jurisprudence à l’échelle européenne, notamment celle de la cour de justice des Communautés européennes du Luxembourg qui, à chaque fois qu’elle a eu à définir la notion même d’agent public, s’est limitée de façon extrêmement étroite à une définition directement liée à la sauvegarde des intérêts généraux de l’État de la puissance publique, mais certainement pas des citoyens ! Et de ce point de vue, on peut traduire vulgairement en disant que par exemple dans cette jurisprudence, est considéré comme agent public un directeur de la police nationale, même s’il est désavoué par un tribunal, mais que par contre un inspecteur de police de quartier, lui, ne l’est pas et que sa mission peut être dévolue à une police privée. C’est-à-dire que la déréglementation et l’ouverture sur le concurrentiel ne concernent pas seulement les services, au sens propre du terme, mais également les fonctions publiques.

Lorsque j’entends M. Borotra dire « discutons des missions, oui mais pas des statuts » cela m’inquiète, car ça me rappelle les orientations du rapport que M. Balladur avait demandé à M. Picq – orientations qui préconisaient que l’intervention de la puissance publique s’en tiennent uniquement aux missions dites de conception et que les missions dites de simple exécution soient confiées à des agences largement ouvertes sur le secteur concurrentiel. En tant qu’enseignant, cela m’inquiète beaucoup parce que j’exerce une simple mission d’exécution même en tant que directeur d’école. Deuxièmement je ne suis pas d’accord avec cette conception parce que les statuts ce n’est pas qu’une simple protection corporatiste des agents publics. C’est un gage de citoyenneté, c’est un gage de moralisation et, dans les temps actuels où la vie publique française souffre beaucoup d’un déficit de moralisation, c’est je crois un rempart important contre tous les extrémismes. Et de ce point de vue, quitte à en choquer quelques-uns ici, je voudrais dire que ce n’est pas seulement aux conceptions européennes que nous nous heurtons dans ce cadre-là, mais également à certaines conséquences peut être imprévues des lois de décentralisation. Lorsque l’on a confié des élus locaux des pouvoirs de contrôle qui étaient auparavant dévolus aux administrations, certes anonymes, mais désintéressées, tant sur le plan financier que sur le plan électoraliste, on a eu un certain nombre de problèmes. Je me demande combien de temps et d’énergie, il faudra pour que l’on arrive à faire le chemin que les citoyens grenoblois ont récemment refait pour arriver à la conclusion qu’une régie municipale des eaux c’est peut-être mieux qu’une compagnie privée. Je me combien de scandales écologiques pour que l’État et la puissance publique reprennent leurs responsabilités en matière de destruction des ordures ménagères ou d’équarrissage des bêtes malades et combien de morts il faudra pour que ce qui devrait être un simple fait sportif ne se transforme pas en drame de Furiani, c’est-à-dire pour que les avis autorisés, professionnels d’un capitaine des pompiers ou d’un fonctionnaire de l’équipement prévalent sur les intérêts autres d’un quelconque maire de Furiani. C’est ce que je veux dire. Je ne préconise pas pour autant les administrations type Premier Empire ; je ne suis pas opposé à une déconcentration intelligente des services publics ou des fonctions publiques ni même au dégraissage de quelques fonctions ministérielles. J’affirme que le pays ne retrouvera confiance dans ses administrations et que les agents publics ne retrouveront foi en leur mission que si on restaure leur indépendance vis-à-vis du politicien et de l’économiste. Seuls les statuts peuvent garantir cela et peuvent permettre que les fonctionnaires jouent un rôle dans la nécessaire moralisation de la vie publique et qu’ainsi l’Europe ne soit plus tentée de contourner les règles administratives françaises. Il faut s’en inspirer, non pas comme d’un modèle abstrait, mais comme de quelque chose de concret qui pourrait fonder un contrat social à l’échelle européenne ce qui est, à mon avis, le principal déficit à l’heure actuelle.

Franck Borotra

Déficit de fonctionnement : l’État dépense plus qu’il ne lui rentre d’impôts ; c’est-à-dire qu’on lui emprunte 110 milliards de déficits de fonctionnement et que l’on fait payer à nos enfants pendant 25 ans, le prix des déficits que l’on a consommés et qu’on a pas été capables de payer. C’est une conception que je ne partage pas de ma responsabilité. Pour la première fois en 1996, le Gouvernement a séparé, comme pour une collectivité territoriale ou locale, les dépenses de fonctionnement, les comptes de fonctionnement et les comptes d’investissement. Chacun a le droit d’avoir la conception qu’il veut de ses engagements vis-à-vis de l’avenir, pour moi c’est quelque chose d’inacceptable. Je ne laisserai pas à mes enfants une situation d’insécurité dans le domaine de l’emploi qui est due, en particulier, à l’évolution des conditions de la concurrence et à la mondialisation et je ne viendrai pas y ajouter le prix de ce que j’ai consommé et que je n’ai pas été capable de payer.

Deuxièmement, savoir comment on peut se défendre vis-à-vis de l’Europe, en particulier vis-à-vis des jurisprudences, la réponse est simple : il faut aller dans le sens des directives. C’est la raison pour laquelle il faut regarder cas par cas, sectoriellement, quels sont les intérêts qui sont à défendre et les faire inscrire dans les directives. Sans quoi, quand il n’y a pas de directives, on est sur le coup effectif d’une plainte et d’une éventuelle condamnation devant la cour de justice et du même coup on se trouve amené à faire plus qu’il ne faut. C’est pour cela qu’on est obligés de négocier et que ce n’est pas facile, mais c’est pour cela que la directive est en général meilleure que rien mais qu’il faut dans la négociation de la directive trouver le point d’équilibre, la position du curseur qui soit acceptable pour nous.

Troisième point, sur le problème des statuts, il ne faut pas me faire dire autre chose que ce que j’ai dit. Ce que j’ai dit : c’est à l’État à garantir les statuts, je suis attaché aux statuts. Je suis attaché à ce que l’État, qu’il a pris des engagements, s’y tienne ; les statuts du personnel comme du régime des retraites font partie des engagements intangibles de l’État et c’est cela la réponse.

Alain Olive

Je vous sens blessé chaque fois que l’on met en cause des résultats que vous n’avez pas voulus. En ce qui concerne les déficits, on peut avoir un grand débat sur les déficits. Les déficits permettraient peut-être de relancer la croissance – on ne va pas rentrer dans un autre débat – là-aussi le pragmatisme doit jouer.

En ce qui concerne les statuts, on a un exemple précis : le cas de La Poste. Il y a un accord de directive ; je crois que les Allemands et les Français se sont mis d’accord, le 5 novembre, sur accord de directive sur La Poste. La Poste restera sous monopole jusqu’en l’an 2000. En même temps, La Poste met en place des centres de tri avec du personnel sous statut privé. C’est-à-dire que La Poste se prépare déjà alors qu’elle est une entreprise publique sous monopole, à affronter la concurrence et embauche des personnes sous statuts privés sur des contrats à durée déterminée : là est le problème ; on affirme un principe – je suis d’accord avec vous M. le ministre, vous affirmez des principes – qui sont démentis par les faits ! Dès que la concurrence et ce sont toujours les personnels qui font les frais de cette mise en situation et ça, c’est un vrai problème.

Jean-Claude Boual (animateur de l’association « Réseaux services publics »)

Ma question va être courte mais elle porte sur le problème tout à fait essentiel de stratégie et ce n’est pas un problème idéologique, c’est un problème pratique et pragmatique. Le titre de la campagne de l’UNSA et de ses partenaires associatifs c’est « Les services publics, une chance pour l’Europe ». On pourrait aussi renverser la formule et dire : « l’Europe une chance pour les services publics » ; je crois que c’est cela la question fondamentale qui nous est posée, surtout quand on écoute le débat, car on pourrait dire beaucoup de choses sur les problèmes techniques pour chacun des secteurs.

Je suis d’accord pour qu’on fasse jouer la subsidiarité à tous les niveaux territoriaux, au niveau local, régional, national dans certains cas mais aussi au niveau européen dans d’autres cas. Pour que l’on puisse faire jouer la subsidiarité, il faut bien qu’au niveau européen, y compris sur les services publics, nous ayons des règles communes, sinon il ne peut pas y avoir de subsidiarité. On ne peut pas renvoyer la définition des services publics au seul niveau des États sinon on va se faire grignoter petit à petit par la concurrence. Il y a là, à mon avis, un problème de stratégie que l’on a vu dans les hésitations du Gouvernement français pour savoir s’il allait déposer ou non une proposition de modification du Traité dans ce sens-là. C’est vrai, il faut pour ces raisons-là modifier le Traité, sans doute l’article 90, mais je n’y reviens pas, et introduire dans les traités la notion de droits fondamentaux de la personne en les définissant plus précisément – la santé, le droit aux soins, à l’éducation… Or, quand la proposition a été faite, notamment par les forces sociales au niveau européen, aucun État membre y compris l’État membre français, n’a retenu cette proposition-là parce que cela pose un certain nombre de problèmes, notamment par rapport à leur souveraineté, à leurs prérogatives d’État et aussi parce que cela pose des problèmes de finances publiques.

À partir du moment où l’on parle de garanties de droit, il faut effectivement dégager les moyens :

Je crois que là on a une vraie question de stratégie, une question concrète et qui situe le débat autrement que dans des chamailleries.

Jean-Louis Bianco

Vous avez tout à fait raison, c’est une question de stratégie qui n’est pas facile, on le voit bien. Idéalement, il faudrait définir des droits fondamentaux et les garanties pour les appliquer. Pervenche Berès l’avait très bien dit, vous l’avez dit à votre tour, il faut que l’on ait un encadrement au niveau de l’Europe si on veut pouvoir faire jouer le principe de subsidiarité en France, mais la bataille va être difficile la question centrale qui appartient au Gouvernement, aux Parlements français et européen, c’est quel est le noyau dur de notre bataille ? Avec qui la mène-t-on ? Je n’ai pas de réponse. Cela dépend de l’état des forces dans la négociation, tel qu’il est aujourd’hui. Je crois que ce qui est le plus déterminant au stade actuel de la bataille, c’est quand même la modification de l’article 90. On a aussi parlé de service universel. Qu’est-ce que le service universel ? C’est une conception d’orientation très libérale. Au lieu de dire service universel, il faudrait dire service minimum et vous avez tout compris.

Franck Borotra

C’est vrai que c’est un problème de fond, je suis d’accord avec Jean-Louis Bianco. Regardez ce qui s’est passé quand on essayait de faire respecter des minima sociaux à la Grande-Bretagne, quelle est la réponse ? Vous le voyez dans les journaux, la réponse est non. Aujourd’hui, petit à petit, ils sont en train de s’installer sur l’espace européen. Des conditions de concurrence à partir de couvertures ou à partir de charges sociales complétement différentes qui finissent par créer des perturbations dans les échanges ; les Anglais vous répondent non. Quand on est en face d’une telle situation, je crois que l’attitude de tout le monde est intéressante. Il y a ceux qui sont des penseurs, qui essaient de trouver des solutions globales qu’ils modélisent. Je crois que c’est utile, utile pour les politiques, pour tout le monde.

Il y a ceux qui sont un peu en avant de ce qui est possible au niveau de la négociation. C’est vrai que la charte des droits, la reconnaissance des droits des personnes et droits sociaux, c’est quelque chose qui devrait être indispensable au niveau du concept et de la charte européenne – le président de la République appelle cela « la défense du modèle social européen », mais il y a un grand nombre de partenaires qui sont complétement fermés à cette approche. Il faut, en même temps, essayer de progresser dans ce domaine par la voie politique et de l’autre côté, trouver des voies qui permettent peu à peu d’essayer de convaincre le plus grand nombre de partenaires européens pour, le moment venu, déboucher sur des solutions qui soient acceptables. C’est la différence qu’il y a entre la négociation à mener et la perception que l’on peut avoir de la situation quand on est en-dehors, et négocier, n’est pas facile.

Intervenant de la salle

Il y a aujourd’hui une proposition du Gouvernement suédois pour que le problème de l’emploi soit une des priorités au niveau européen.

Or, il y a trois grands Gouvernements de grands pays européens, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne qui s’y opposent. Donc, il y a des problèmes de cohérence par rapport à la mise en œuvre y compris dans la négociation.

Jean-Claude Montagne (UR-UNSA Auvergne)

Je poserais une question à Madame Berès. On parle beaucoup de la Commission européenne, vous êtes parlementaire comment envisagez-vous de faire en sorte que le Parlement européen puisse jouer un rôle important pour rééquilibrer en matière de démocratie, l’Europe, dans la politique et en matière de services publics ?

Pervenche Berès

Sur cet aspect services publics, je l’ai dit tout à l’heure, tout se noue autour de l’article 90 qui permet à la Commission de prendre des options qui sont politiquement lourdes sans avoir, à en référer ni au Conseil ni au Parlement européen. Dans la proposition que nous soutenons de modification du Traité de Rome, nous progressons. Le Parlement européen, depuis que Jean-Louis Bianco a déposé son mémorandum « Pour une charte sur les services publics », a fait des progrès immenses. Aujourd’hui, faire passer au Parlement européen un texte demandant la modification de l’article 90 n’est plus une bataille impossible. Notamment sur ces options lourdes, il nous semble que le Parlement européen doit jouer un rôle et c’est en ce sens que nous avons demandé une modification du Traité.

Luc Bentz (Syndicat des Enseignants)

Dans la belle ville de Digne, il y a un centre de documentation pédagogique qui a modernisé l’idée de bibliobus, en y intégrant, des micro-ordinateurs avec modem pour connecter les écoles perdues en zone de montagne, sur Internet. On sait que c’est un moyen de désenclaver l’école rural, de maintenir les élèves dans les écoles rurales et par conséquent d’éviter une désertification en terme d’aménagement du territoire. On sait par ailleurs qu’au Mans, il y a une expérience qui permet de connecter directement sur le câble à des vitesses qui vont de 20 jusqu’à 100 fois les capacités des modems actuels, des ordinateurs sur Internet, avec cette différence que l’on a un passage d’écran immédiat et qu’on n’est pas obligé d’attendre 10 secondes pour voir 3 lignes de caractères s’afficher. Dans ces conditions, comment va-t-on faire ? Parfois, il y a des missions de services publics.

Ce qu’il faut voire c’est ce qui ressort de la discussion – que faut-il dégager pour le confier à la concurrence ? Je vais poser la question inverse. Ne faut-il pas renforcer un certain nombre d’obligations ? Sinon comment permettre de garantir, que ce soit au Mans ou dans un village perdu de zone de montagne, que les élèves pourront accéder dans les mêmes conditions de confort à cet outil, en particulier aux données qui figurent dans l’excellent réseau Adminet. Et comment les collectivités locales, notamment celles des communes rurales les plus petites donc avec de faibles moyens, auront-elles des capacités d’accès en terme de coûts à des vitesses hyper rapides. Parce qu’autrement on va renforcer les inégalités ; cela fait partie de problèmes qui sont liés aux évolutions techniques modernes et qui se posent très concrètement aujourd’hui.

Jean-Louis Bianco

Voici une idée que je vous soumets : il serait extraordinairement intéressant, je vois très bien de quelle façon cela pourrait se faire dans mon département les Alpes-de-Haute-Provence, qu’il existe une enveloppe de solidarité nationale, pour les zones les plus défavorisées, une enveloppe de service public, et que sur le terrain, nous discutions tous ensemble de la meilleure utilisation possible en fonction des besoins. Ce que je veux dire, c’est qu’au lieu d’avoir des approches sectorielles, (malgré ce qu’apporte le budget d’aménagement du territoire qui est d’ailleurs en régression), nous avons besoin d’avoir une approche globale y compris des moyens financiers, de la définition du service public et des services publics au niveau local. À Digne, là aussi c’est intéressant par rapport à l’initiative privée, nous avons voulu ouvrir ; un Cybercafé ; nous n’avons pas trouvé de gens qui aient pris le risque, ce n’est pourtant pas un très gros risque. Nous allons donc devoir ouvrir un cybercafé associatif, soutenu par la municipalité.

Dominique Perben

Je voudrais ajouter un mot pour rebondir sur ce que vient de dire Jean-Louis Bianco. Je pousse de manière très forte pour que nous arrivions à une vraie déconcentration et c’est rigoureusement ce qui permettra de mettre en œuvre ce que suggère M. Bianco. Si nous voulons avoir un vrai partenariat entre l’État et les collectivités territoriales, nous sommes absolument obligés de sortir de l’hyper sectoriel de l’État. Pour faire ce que vous suggérez qui me paraît intéressant, il faut que le responsable État, en face de vous, ait une capacité de synthèse des crédits mis à sa disposition Aujourd’hui, un Préfet, c’est un personnage qui a une centaine de micro tuyaux qui arrivent sur son bureau et qui ne peut pas, quand une enveloppe est vide, « piocher » dans celle d’à côté. C’est absurde. Le résultat ? Que ce soit en discussion avec le maire de Nîmes ou celui de Chalon-sur-Saône, il est en général dans l’incapacité d’avoir un vrai partenariat actif pour l’innovation. Souvent, l’innovation vient de la base : c’est soit un enseignant passionné comme vous semblez l’être par un nouveau sujet, soit un élu. Ensuite, on se tourne vers l’État et le partenariat est impossible parce que nous avons un système sectorisé sur le plan vertical. Il faut déconcentrer et globaliser les crédits, faire en sorte qu’il y ait une capacité de mobilisation sur le terrain pour répondre à ce type d’innovations qui effectivement, iront dans le bon sens.

Jean-Luc Tuffier (CFE-CGC)

L’emploi est un problème essentiel de notre société et les entreprises de services publics doivent permettre de développer l’emploi. Pour cela, il y a deux solutions qui est possibles : la première est de leur permettre d’avoir du développement. Comme elles sont confrontées à un système concurrentiel, qu’en est-il de la diversification dans les entreprises de services publics ? La deuxième solution, c’est de permettre la réduction du temps de travail dans les entreprises de services publics. Pourquoi sont-elles exclues de la loi Robin qui permet aux entreprises de pouvoir le faire ?

Franck Borotra

Sur la première question, je suis pour l’extension des activités des entreprises de services publics, en particulier à l’international. C’est ce qui se passe de manière forte pour EDF. Sur la diversification, il faut y regarder de près.

Il faut faire fort attention que les entreprises publiques n’utilisent pas la situation qui est celle d’entreprise publique, pour venir détruire toute une série d’autres entreprises – tissu industriel ou tissu de service – qui se sont développées et qui ont l’extrême difficulté à assurer les conditions de la concurrence des services ou des interventions ·qui sont les leurs, avec de très grandes entreprises qui disposent de moyens sans commune mesure. C’est la raison pour laquelle la diversification est encadrée, en particulier par des observatoires. Je participe, pour ma part, aux observatoires de chacune des entreprises publiques pour que le véritable équilibre soit trouvé entre les interventions justifiées du service public, d’un côté, et de l’autre les autres entreprises, en particulier petites et moyennes, qui ont le droit d’exister et de vivre.

Dominique Perben

Un mot sur la loi Robien. En quoi cela consiste-t-il ? Elle consiste, à condition de prendre un certain nombre d’engagements, à ce que l’État apporte un concours financier à des mesures à caractère social. L’État peut le faire pour lui-même, c’est la même caisse. C’est une question de présentation à ce moment-là.

Gérard Leclerc

Nos contraintes de temps nous obligent à conclure.

Alain Olive

Le débat de ce soir, comme ceux qui l’ont précédé dans sept métropoles régionales, nous a permis de mieux comprendre les enjeux que pose la notion de services publics dans la perspective de la construction européenne.

Au-delà des batailles techniques et parfois arides pour les néophytes, au-delà des clivages politiques, la nécessité de prendre en compte les services publics au niveau européen a fait l’objet d’un large consensus même si les opinions divergent quelque peu sur les moyens pour atteindre cet objectif. Nous comprenons tous mieux maintenant l’importance que revêt, pour nous, citoyens français, la Conférence intergouvernementale qui s’est ouverte à Turin en mars 1996. Elle s’achèvera à Amsterdam en juin 1997. Ses conclusions seront déterminantes pour l’avenir de nos services publics, l’avenir de la citoyenneté européenne.

Dans quelle Europe vivrons-nous demain ?

Une Europe de l’argent-loi où la concurrence triomphera aveuglément sur les ruines du champ social ou bien une Europe de justice sociale et de solidarité où les services publics auront encore toute leur place pour renforcer la cohésion sociale ?

Voilà la vraie question, au cœur de toutes les interrogations que nous nous posons après le débat de ce soir. Merci à tous pour vote participation et votre attention, merci aux intervenants qui ont assuré la qualité et la richesse de ce débat en acceptant de répondre à l’appel de l’UNSA dans le cadre de la campagne d’information « Les services publics, une chance pour l’Europe ».


Appel aux responsables européen Europe : péril en la demeure

Les 13 et 14 décembre dernier, le Conseil européen, composé des chefs de gouvernement des différents pays membres et, pour la France, du président de la République, a fait le point des travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG) chargée de négocier entre les quinze pays membres de l’Union européenne des modifications des traités. La présidence irlandaise a remis à ses partenaires un document de 150 pages avec une première approche de proposition.

Peu de ces propositions ont fait l’objet d’information aux citoyens qui, pourtant, sont dans certains pays appelés à se prononcer sur le résultat final de ces négociations. Trop technique et touffu, faisant état de positions divergentes entre États membres, le texte de la présidence est si loin des préoccupations des populations que le ministre des affaires étrangères français a dénoncé les blocages que rencontrent les travaux de la CIG.

Afin de relancer les débats, le président Chirac et le chancelier Kohl ont envoyé au président en exercice de l’Union et à leurs collègues chefs de Gouvernement une lettre proposant de concentrer les délibérations de la CIG sur les trois objectifs de la sécurité intérieure, de la sécurité extérieure et des réformes institutionnelles.

Certes, ces sujets sont fondamentaux pour l’avenir de la construction européenne Mais peut-on penser que les opinions publiques, souvent de plus en plus sceptiques, se mobiliseront pour l’Europe uniquement à partir des problèmes de police ou des rapports de pouvoir entre institutions européennes (Parlement, Conseil, Commission…) ?

Il y a là comme une forme d’inconscience de la part des dirigeants politiques.

La question de l’emploi, pourtant première préoccupation des gens dans beaucoup de pays, fait certes, l’objet d’un chapitre spécifique, mais son contenu demande à être amélioré et doit encore rencontrer l’adhésion de plusieurs pays ; la question des droits fondamentaux des personnes (des citoyens) est écartée ; les questions sociales occupent une page seulement sur cent cinquante avec comme seule réelle proposition l’introduction dans le traité du protocole social qui figure pour l’instant en annexe de celui-ci. Les services publics, objet pourtant de préoccupations sociales dans tous les pays se traduisant souvent par des grèves, ne font l’objet que de trois lignes avec une proposition de les rajouter comme objectif de l’Union mais sans effet juridique et pratique et sans remettre en cause la prééminence de la concurrence comme facteur essentiel d’intégration.

En fait, le sommet a été consacré essentiellement à l’Euro et au « pacte de stabilité » afin de s’assurer que les pays respectent dans le futur les disciplines et l’orthodoxie budgétaires. Pour cela, des systèmes d’alerte et de sanctions en cas de dérapage ont été mis en place. Comment les peuples n’y verraient-ils pas de nouvelles clauses restrictives à l’évolution de leur situation alors que les budgets d’austérité se multiplient dans tous les pays et qu’en Italie un impôt spécifique est levé pour faire entrer le pays dans le peloton des États éligibles à l’Euro.

Nous sommes convaincus que la monnaie unique est une bonne chose pour les peuples et les économies de l’Union, mais elle ne peut se construire sur des sacrifices permanents imposés aux populations.

La seule marche en avant sur des bases monétaires risque de conduire à l’échec et à des difficulté sociales majeures. Pour que les peuples adhèrent à la construction européenne, ils doivent y retrouver ce à quoi ils aspirent : l’élargissement des droits sociaux et civiques, comme le propose le rapport du « Comité des Sages » présidé par Mme Pintasilgo, ancien Premier ministre portugais, la reconnaissance des services d’intérêt général (ou services publics) dans les traités et l’élaboration d’une notion de service d’intérêt général au plan européen ; enfin, une meilleure prise en compte de l’emploi comme objectif prioritaire de l’Union, et de l’Union économique et monétaire en particulier.

Cela requiert la participation des citoyens aux institutions, des pouvoirs nouveaux de consultation, d’information, d’évaluation sur les politiques mises en œuvre tels que le demande le rapport adopté en décembre dernier par le Parlement européen. De même, un pouvoir économique commun capable d’impulser une politique de développement est un impératif pour l’emploi comme pour la réussite même de l’Euro.

Parce que nous sommes européens, nous ne voulons pas l’échec de l’Union européenne.

C’est pour cela que nous en appelons à la fois aux Gouvernements des quinze pays membres, aux instances européennes, mais d’abord aux peuples pour que les travaux de la CIG débouchent sur autre chose que des décisions technocratiques et qu’ainsi la démocratie, la Citoyenneté européenne, l’Europe sociale puissent prendre toute leur place dans la construction d’une Europe ouverte, élargie et solidaire. Car ni l’Euro, ni la réforme institutionnelle ne peuvent se concevoir comme une fin en soi, mais doivent être mis au service d’objectifs fondamentaux, en premier lieu la croissance et l’emploi et plus généralement le renforcement du modèle européen de développement.

 

Alain Olive, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA).
Philippe Herzog, président de confrontations.
François Paour, président de la Fédération nationale des maires ruraux.
Christian Huard, secrétaire général de l’Adéic-FEN.
Pierre Bauby, animateur de réseaux services publics, secrétaire du comité européen de liaison sur les services d’intérêt général.
Élisabeth Guigou, présidente d’Euro partenaires.
Gérard Delfau, président de promouvoir les services publics.
Paul Emaer, secrétaire général adjoint de la Confédération syndicale des familles.
Jean-Claude Boual, animateur de réseaux services publics, secrétaire du comité européen de liaison sur les services d’intérêt général.