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La Tribune : La décision d’arrêter Superphénix n’a pas été prise ni pour des raisons de coût ni pour des raisons de sûreté. N’avez-vous pas l’impression qu’il y a là un énorme gâchis ?
Christian Pierret : L’arrêt a été décidé parce que Superphénix produit de l’électricité dans des conditions économiques qui n’ont pas été jugées satisfaisantes. Le Premier ministre avait indiqué en juin 1997 qu’on abandonnerait Superphénix. Ce n’est pas pour des raisons de sûreté qu’il a réaffirmé lundi l’arrêt de Superphénix. Dans le même temps, nous avons maintenu l’idée que la filière de surgénération, si elle n’a pas de perspective à court terme, peut en retrouver dans trente ou quarante ans. On ne sait pas ce que sera le marché mondial de l’énergie à cette époque-là ; il est donc nécessaire de préserver nos acquis technologiques et nos savoir-faire scientifiques. Dès 1998, nous allons continuer l’exploitation de Phénix, à la fois pour reprendre les travaux scientifiques et techniques et pour satisfaire la voie fixée par la loi de 1991, dite loi Bataille, sur le traitement de l’aval du cycle nucléaire. J’ai toute raison d’être satisfait par les décisions prises. Nous avons préservé le leadership mondial français en matière d’électronucléaire. Le Premier ministre a réaffirmé la permanence des grands choix français, parmi lesquels l’énergie électronucléaire comme pôle essentiel de fourniture d’électricité en France. Au-delà de la filière nucléaire, des pas importants ont été faits en direction des énergies nouvelles, d’une utilisation plus maîtrisée de l’énergie et d’une véritable politique de diversification. En tant que ministre en charge de l’énergie, je suis aussi comptable que ma collègue de l’Environnement de ce qui se passe sur les énergies nouvelles. Je me prononce de manière aussi favorable que d’autres parce que cela représente des débouchés pour les industries françaises.
La Tribune : Quel est aujourd’hui l’avenir de la filière nucléaire en France ?
Christian Pierret : La filière nucléaire a tout l’avenir devant elle. Nous aurons probablement en 2010-2015 à répondre à la question d’une nouvelle génération de réacteurs encore plus sûrs si nécessaire et dont les rendements seront meilleurs. Nous aurons à bénéficier de tous les progrès techniques qui seront faits. J’ai visité la centrale de Chooz, dans les Ardennes ; elle est déjà très différente des premières installées il y a une vingtaine d’années. Nous avons devant nous une perspective très positive pour le leadership français dans le monde, que les industriels ne peuvent pas abandonner.
La Tribune : Le réacteur du futur est construit par Framatome en collaboration avec Siemens. N’êtes-vous pas inquiet des orientations prises par ce dernier qui va fusionner ses activités nucléaires avec le britannique BNFL ?
Christian Pierret : J’aurai l’occasion de m’en expliquer avec Framatome, EDF et Siemens. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter ; Siemens nous a plusieurs fois confirmé que les travaux qu’il mène avec Framatome sur le réacteur à eau pressurisé seront poursuivis. Nous en sommes aujourd’hui à l’avant-projet détaillé doit progresser en 1998-1999. Il n’y a aucune raison de mettre en cause l’excellence de la coopération existant entre Framatome et Siemens.
La Tribune : Espérez-vous convaincre Dominique Voynet que le nucléaire est une énergie propre ?
Christian Pierret : Les résultats, comme on a pu le voir à Kyoto, sont éclatants de vérité. La France émet 1,7 tonne de carbone par habitant et par an grâce à l’énergie électronucléaire ; les États-Unis en émettent trois fois plus et nos amis européens en moyenne autour de 2,5 tonnes. Il est tout à fait patent qu’un pays comme la France dont 75 % de l’énergie électrique est produite par le nucléaire, est le pays au monde le moins polluant. Les décisions prises lundi vont tout à fait dans le sens de la reconnaissance de la préoccupation environnementale au sein du gouvernement français. Dominique Voynet, je n’en doute pas, femme consciente des réalités scientifiques et techniques, doit le reconnaître. La France est le pays qui menace le moins la planète au plan de l’effet de serre.