Déclarations de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à Tours et Joué-Les-Tours le 18 décembre 1997 et éditorial dans "La Nouvelle République du Centre-Ouest" le 19, sur l'avenir des services publics et des grandes entreprises publiques dans le marché communautaire.

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Circonstance : Débat sur "Les grandes entreprises du service public et l'Europe" organisé au siège d'EDF à Tours suivi d'un déjeuner-débat à la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Indre-et-Loire à Joué-Les-Tours le 18 décembre 1997

Média : La Nouvelle République du Centre Ouest

Texte intégral

Débat sur « les grandes entreprises du service public et l’Europe » propos du ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Pierre Moscovici (Tour, 18 décembre 1997)

Je tiens à vous dire tout d'abord combien je suis heureux d'être aujourd'hui présent à EDF, pour parler du service public et de l'Europe. Cela me paraissait naturel de le faire dans cette grande entreprise de service public, qui est justement confrontée à ces évolutions européennes que vous évoquiez.

L'Europe et les services publics : si l'on voulait résumer les choses de façon un peu caricaturale, on pourrait dire que depuis les élections de 1997, il y a maintenant six mois, ces deux sujets ont occupé si ce n'est l'essentiel –parce que j'occulterais alors en disant cela l'action déterminée menée en faveur de l'emploi au plan national à travers notamment les emplois jeunes et la réduction du temps de travail – mais du moins une partie très importante du temps et de l'action du gouvernement que dirige Lionel Jospin, et pas seulement de mon temps, mais du temps de tout le gouvernement.

Pourquoi ?

Parce que l'Europe, tout d'abord, est à un moment crucial de son Histoire. Nous allons dans les années qui viennent faire face à plusieurs mutations. En 1998, nous allons faire l'euro. Cela suppose toute une série d'adaptations des comportements des entreprises, des ménages et des administrations. Nous allons ensuite prendre des décisions très importantes sur l'avenir des politiques européennes, parce que, d'ici au début du siècle, nous allons décider un élargissement de l'Union européenne. C'est une première raison.

La deuxième raison, c'est parce que nos services publics – je veux bien entendu parler des services publics industriels et commerciaux, les services publics « à la française » – constituent un élément central du lien social grâce auquel un pays se construit, s'organise et prospère. Cela veut dire que pour le gouvernement, il y a un impératif non seulement de sauvegarder ces services publics, mais de les développer. Ce doit être un objectif pour la France.
Nous devons faire en sorte que ces deux évolutions, l'évolution européenne et l'évolution des services publics, n'entrent pas en contradiction, mais soient au contraire en constante synergie.

Je voudrais parler de cette relation entre l'Europe et ces services publics. Et d'abord dire quelques mots de la liaison que vous connaissez, qui peut parfois vous préoccuper, entre le marché unique et les services publics.

Il faut, pour le faire correctement, replacer ce thème dans un cadre plus général. ce n'est pas par hasard que la question est apparue il y a quelques années, alors même que l'article 90 du Traité de Rome qui traite de ce sujet était déjà ancien. C'est parce que nous étions arrivés justement à un moment particulier de l'intégration économique entre nos pays, qui tient à ce qu'on appelle la réalisation du « marché unique ».

De quoi s'agit-il ? C'est une démarche qui a pu faire débat. C'était une conception française à son origine, et dont l'inspirateur est Jacques Delors ; elle est claire, et elle n’a d'ailleurs jamais été remise en question. Le marché unique, c'est de réaliser un marché domestique de 370 millions d'habitants, permettre à nos entreprises européennes de s'implanter, d'investir et de vendre leurs produits partout en Europe, de disposer d'un espace où elles peuvent rentabiliser au mieux leurs investissements, en bénéficiant de fortes économies d'échelles.

L’idée n'était pas de libéraliser l'économie mais bel et bien de permettre à l'économie de se déployer sur un espace beaucoup plus vaste.

L'idée aussi, c’est que confrontées, confortées aussi, sur cette base européenne, nos entreprises sont alors à même d'affronter dans les meilleures conditions, en Europe et partout dans le monde, la concurrence américaine, japonaise..., au fur et à mesure que la mondialisation de l'économie gagne du terrain.

La réalisation du marché unique est donc une nécessité pour nos emplois, ceux d'aujourd'hui et plus encore ceux de demain, dans un monde qui évolue vite. Pour résumer cela en une phrase, l'Europe, à travers un marché unique efficace, peut être sinon un rempart, en tout cas une réponse, à la mondialisation.

La mondialisation, ce n'est pas seulement subir une déferlante économique, c'est aussi s'organiser face à ces mouvements. Pour le montrer, je citerai dans un autre domaine que le vôtre, les récentes décisions qui viennent d'être prises pour constituer une véritable société Airbus, capable de peser face à l'industrie aérospatiale américaine.

J'ajoute, bien entendu, que nous voulons aussi – c'est toujours la conception française – que dans le cadre du marché unique, s'inscrivent des politiques de cohésion, à travers les fonds communautaires pour les régions qui sont économiquement en retard, des politiques de soutien la recherche, à l'innovation, au profit des industries, des politiques d'aménagement, de structuration de l'espace européen. Je pense là tout particulièrement aux grands réseaux transeuropéens, dans le domaine des transports et de l'énergie. Et je sais, de ce dernier point de vue, combien EDF est attentive à ce qui peut être fait en matière d'interconnexion avec nos voisins.

Pour nous, il n'y a pas d'ambiguïté. Le marché unique n'a pas vocation à recouvrir autre chose que ce que je viens de dire. Le marché unique, ce n'est pas, ce ne peut pas être, ce ne doit pas être le démantèlement de systèmes qui ont un lien fort avec la sphère économique, et ne se résument à cela, et qui ferait de l'homme finalement une simple marchandise, et de l'espace un simple lieu où on peut circuler.

Là, on arrive aux contradictions. C'est que cette conception, qui est la conception française, qui est assise sur une réalité que vous vivez, celle du service public, est une conception qui n'est pas partagée par d'autres pays au sein de l'Union européenne, qui ont une vision plus radicale de ce que doit être un marché unique. Pour eux, ce marché unique doit être une sorte de rouleau compresseur qui doit passer partout où il y a un lien avec la sphère économique, fut-il accessoire. Ils assimilent ainsi la réalisation de ce marché à un vaste mouvement de déréglementation, voire de privatisation, comme s'il y avait une automaticité entre le fait d'être une entreprise et son caractère privatif.

Or ces Etats ont été – ils ne le sont plus forcément aujourd'hui – assez nettement majoritaires en Europe au cours de ces dix ou quinze dernières années. Ils ont pu compter également pour cela sur nombre de membres de la Commission de Bruxelles, acquis à cette idée dominante, et cherchant chacun à l'appliquer dans son domaine de compétence.

C'est ainsi, j'y reviendrai, que plusieurs textes ont été présentés par la Commission, puis discutés, à la majorité qualifiée – j'insiste sur ce point – au conseil des ministres à Bruxelles, qui pouvaient affecter nos services publics et la vision que nous en avons.

Alors, que faisons-nous, qu'avons-nous fait depuis six mois, pour essayer de réorienter les choses ?

Pour l'essentiel, trois séries d'actions.

Première action, c'est une action pour réorienter l'Europe. Nous avons voulu dire à nos partenaires, que l'Europe ne pouvait avancer correctement que si elle marchait sur deux pieds : économique d'un côté, avec ses appendices monétaire et financier, et de l'autre le social et l'emploi.

L'Europe ne peut pas être seulement un grand marché, une zone de libre-échange. Elle doit être, d'abord, un espace où l'on se préoccupe de lutter contre le chômage, où l'on songe que les habitants ne sont pas seulement des consommateurs, mais aussi des usagers, mais aussi des citoyens qui vivent en Europe. Et nous avons voulu essayer de pousser l'Europe à se rendre plus populaire, c'est-à-dire à être plus proche des peuples.

C'est pour cela que nous avons demandé et obtenu la réunion d'un Conseil européen extraordinaire, entièrement consacré à l'emploi, qui a fixé des objectifs quantifiés en la matière, objectifs quantifiés contre le chômage des jeunes, contre le chômage de longue durée, pour l'accroissement de l'effort de formation des chômeurs, pour la création d'emplois, notamment pour la création d'emplois de services dans une série de secteurs où les besoins ne sont pas satisfaits.

Nous avons voulu aussi faire en sorte que l'euro, qui existera demain, soit une construction maîtrisée, c'est-à-dire pas entièrement laissée à la disposition des banquiers centraux européens, mais bel et bien maîtrisée par les politiques, et le Conseil européen de la semaine dernière a décidé la mise en place d'un Conseil de l'euro qui devra intervenir sur la politique budgétaire, sur la politique fiscale, sur la politique de change.

Voilà pour la première action.

La deuxième action : nous avons voulu expliquer, ou réexpliquer, à nos partenaires que certains domaines ne relèvent pas – en tout cas pas uniquement, et sûrement pas prioritairement – d'une approche marchande. Il s'agit tout particulièrement des domaines de la culture, de la santé, ou encore de l'éducation, que certains voudraient voir libéralisés.

Nous avons voulu affirmer la nécessité de préserver les spécificités culturelles de l'Europe, la nécessité de faire en sorte que l'éducation soit soustraite au système du marché.

Sur tous ces domaines, nous nous battons, mesure par mesure, pour inverser le cours de choses, comme j'ai récemment eu l'occasion de le faire en matière de santé publique où, avec mon collègue Bernard Kouchner, nous sommes parvenus à convaincre nos partenaires, d'abord réticents, de faire passer, pour des produits donnés, les enjeux de santé publique avant les enjeux marchands. C'est une question de société très importante pour l'avenir.

C'est une question qui peut vous paraître éloignée de la défense stricto sensu des services publics industriels et commerciaux. Tel n'est pas le cas, car, en réalité, c'est bien une logique d'ensemble qu'il faut inverser. Et c'est bien en inversant cette logique d’ensemble de la construction européenne que l'on peut défendre efficacement les services publics.

Et j'en viens à la troisième action, qui vous concerne le plus aujourd'hui, qui est directement tournée vers les services publics. Comment défendre les services publics ?

Nous nous sommes efforcés de traduire concrètement, dans des textes, les idées pour lesquelles nous nous battons.

Nous l'avons fait là aussi, dès notre arrivée, en achevant la négociation sur l'inclusion d'un nouvel article sur ce thème dans le Traité d'Amsterdam, l'article 7 D. J'ai été parlementaire européen pendant trois ans, à Strasbourg et à Bruxelles. Pendant trois ans, il y avait une sorte de majorité écrasante qui expliquait que le service public, ça n'existait pas, que c'était un terme non traduisible en anglais, qu'il y avait un service public à la française, et qu'il était hors de question qu'il y ait une quelconque conception du service public européen. Eh bien, dans ce Traité d'Amsterdam, on parle, non pas en réalité des « services publics » mais des « services d'intérêt économique général ». Je crois que c'est très important que le Traité d'Amsterdam mentionne cette réalité, parce que cela constitue en quelque sorte l'aboutissement d'un début de prise de conscience de l'importance de ce sujet au plan européen, dont on avait déjà trouvé trace dans les semestres précédents dans plusieurs arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes. La Commission elle-même avait bien dû finir par en tirer les conclusions dans une communication de 1996 sur les services d'intérêts général.

L'article 7 D est – je dois le dire – un peu à l'image de l'ensemble du Traité : il constitue une avancée – en ce qu'il place ces services parmi les valeurs communes de l'Union, et à travers le rôle qu'il leur reconnaît dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de celle-ci – mais une avancée imparfaite, insuffisante, qui traduit certaines divergences qui subsistent entre les États membres et la difficulté à formuler une conception commune du service public.

Cela m'amène à dire qu'au-delà des débats ou des formules juridiques, au-delà même des discussions sur la définition et le contenu des « services publics », des « services d'intérêts général », des « services d'intérêt économique général », ou encore du « service universel », notions dont on constate d'ailleurs qu'elles sont plus ou moins interchangeables, la défense des services publics est fondamentalement politique, et accessoirement juridique.

Nous n'avons d'autres choix que de nous battre, politiquement, sujet par sujet, pour préserver nos positions. Il serait trop dangereux de s'en remettre à des recours devant la Cour de justice car celle-ci n'a pas une logique univoque. Alors, nous nous battons texte par texte.

C'est ce que nous avons fait ces derniers mois, et jusqu'à ces derniers jours, lors du Conseil télécommunications du 1er décembre dernier au sujet de la directive sur la Poste, puis au Conseil énergie du 8 décembre, pour le projet de directive sur le marché intérieur du gaz, dont nombre des dispositions initiales nous posaient problème.

Pour ce qui concerne la Poste, face aux projets très libéraux de la Commission, nous sommes parvenus à mobiliser une majorité d'États membres, et le Parlement européen qui joue plutôt un rôle positif en la matière, pour imposer le maintien exclusif dans le giron de la Poste de ce qui est au cœur du service public : le courrier courant, les colis de moins de 350 grammes et le courrier transfrontalier. Ce qui fait qu'au total, s'agissant de la poste, ce qui a été ouvert à la concurrence européenne ne représente que 2 % du volume total.

Pour le gaz, la situation que nous avons trouvée en juin était délicate : nous étions presque isolés, absolument pas certains de pouvoir réunir autour de nous une minorité de blocage et empêcher l'adoption de ce texte sévère pour nos intérêts nationaux. Celui-ci, dans sa rédaction de l'époque, revenait à passer par-dessus bord la sécurité d'approvisionnement du pays et le maintien de l'organisation actuelle de la distribution en France.

Nous aurions pu – certains nous le conseillaient – choisir de cultiver cet isolement politique. Nous avons cherché au contraire à faire en sorte de convaincre nos partenaires et même la Commission qu'on pouvait faire autrement.

Je crois pouvoir dire que cela a réussi. Nous avons eu raison de suivre cette voie. Nos partenaires ont compris les messages très fermes qu'ils ont reçus de notre part. Nous avons eu satisfaction sur les points essentiels : les contrats existant d'approvisionnement à long terme, dit contrats « Take or pay », restent de la compétence des États. Le taux initial d'ouverture du marché a été limité à 20 %, soit un taux assez sensiblement inférieur à ce que demandait la Commission, en fait deux fois moins. Enfin, l'article 3.3 de ce texte permet d'exclure, pour raison de service public, et c'est mentionné, la distribution de l'ouverture à la concurrence.

Je tire deux conclusions de ces deux textes, « Postes » et « gaz ». La première est qu'il ne faut jamais renoncer à être volontariste et offensif sur ses idées en Europe. On gagne quand on est à l'offensive, pas quand on se replie sur soi-même. Aucune tentation d'isolement en matière de services publics ne peut fonctionner dans l'Europe telle qu'elle est. En revanche, l'affirmation de sa propre identité dans l'Europe, être offensif sur son identité, voilà la solution qui fonctionne. La seconde, c'est que la France reste un pays majeur dans le processus de construction européenne, mais seulement lorsqu'elle en indique clairement une voie, une ambition. Elle est alors entendue.

Quel est l'avenir des services publics en Europe ?

Avec ces directives « gaz » et « Postes » s'achève en fait un cycle de négociations communautaires sur tous les grands services publics. La période qui s'ouvre, où le cadre réglementaire applicable est connu, est propice à la fois pour tirer un bilan et tracer des perspectives.

Le bilan, je le crois, est clair. L'essentiel est préservé, rien n'est compromis, mais rien n'est définitivement assuré non plus.

Tant dans le domaine des télécommunications – qui entreront dans quelques jours, au 1er janvier 1998, dans une nouvelle ère, plus concurrentielle mais où s'est imposée la notion de service universel – que dans celui de la Poste, de l'électricité, du gaz, ou des transports ferroviaires, nous avons conservé ce qui est au cœur du service public, particulièrement en ce qui concerne à la fois la gestion des investissements qui doivent être réalisés pour prévoir l'avenir, et le service rendu en bout de chaîne aux usagers.

Nous avons pu maintenir des entreprises de service public qui font la force de ce pays, dont EDF, comme entreprises intégrées, continuant à intervenir dans tous leurs domaines de compétence. Nous avons, tout simplement, maintenu des entreprises publiques, là où certains pensaient que les directives en discussion aboutiraient à un vaste mouvement de privatisation. Il n'est pas question de privatisation des grands services publics.

Nous allons ainsi pouvoir, dans les mois qui viennent, transposer la directive « électricité », conclue par le précédent gouvernement, que nous prenons donc telle que nous la trouvons, puis la directive « gaz » quand elle sera définitivement adoptée, sans que cela n'entraîne de bouleversements majeurs, ni pour les entreprises concernées, ni pour leurs personnels. Bien entendu, il y aura des adaptations clans la vie de ces entreprises sur tel ou tel point. En ce qui concerne plus spécifiquement l'électricité, nous avons encore un peu de temps devant nous, puisque la date butoir est fixée au tout début de 1999. Pour respecter ce calendrier, il faudra que des discussions se déroulent, dans les prochains temps, pour préciser comment il faudra techniquement traduire le droit communautaire dans la loi de 1946.

Cette directive respecte un certain nombre de principes essentiels, comme celui de l'acheteur unique, de la capacité de programmation à long terme des États, au titre des missions de service public, la non-éligibilité des distributeurs et plus globalement l'exclusion de la distribution du champ de la concurrence.

Vous comprendrez que je ne puisse aujourd'hui répondre à toutes les interrogations sur ses modalités de transposition, d'abord parce que c'est de la responsabilité de mon collègue Christian Pierret, ensuite parce que c'est trop tôt, et qu'il ne faut pas anticiper sur les débats qui doivent avoir lieu. Toutefois, comme je connais les légitimes interrogations ou impatiences sur cette question, j'ai tenu à ce que des membres de mon cabinet puissent écouter, aujourd'hui, les représentants syndicaux des personnels d'EDF de la région, et mener un échange avec eux.

Il est évident que nous devrons évoquer dans ce cadre l'architecture du système électrique et le rôle du gestionnaire du réseau, en l'occurrence EDF, la régulation des prix notamment sur la partie du marché ouvert à la concurrence, la rémunération du transport, la rémunération de la fonction de distribution, la séparation comptable entre les différentes activités et d'autres sujets encore. Mais il me semble qu'il s'agira là essentiellement d'ajustements techniques, ne remettant pas en cause la situation des personnels ni globalement celle de l'entreprise.

Pour autant, je le disais, rien n'est acquis. Les directives sur l'électricité et le gaz comportent des « clauses de rendez-vous ». Ce qui veut dire que nous devrons, dans quelques années, mener une nouvelle fois les combats que nous venons de remporter et défendre à nouveau les positions que nous venons de conforter. Des possibilités d'évolution sont prévues pour la Poste à partir de 2003.

Parce que rien n'est acquis, il est indispensable, pour conforter l'avenir de nos services publics en Europe, de poursuivre la réflexion, de tracer des perspectives.

Je suggérerai trois pistes

La première, c'est de faire vivre la notion de service public, de lui permettre de s'adapter, en permanence, à l'évolution du monde qui nous entoure, notamment à celle des nouvelles technologies. C'est fondamental.

Comment faire vivre la notion de service public à EDF, ou, plus globalement, dans les secteurs de l'électricité et de l'énergie ? À vous de me faire part de vos suggestions.

La deuxième piste, c'est bien évidemment d'être, en France, les meilleurs, c'est à dire, pour vous, de continuer à être les meilleurs, pour d'autres de devenir ou de redevenir les meilleurs, et de démontrer ainsi par l'exemple le bien-fondé de notre défense des services publics.

Alors, là aussi, à vous de me dire ce qu'EDF peut faire de plus, de mieux, dans cette voie. Etre le meilleur c'est bien sûr difficile ; c'est un combat permanent, une remise en question à chaque instant.

Je suis persuadé d'une chose : EDF est sans doute aujourd'hui la mieux placée des entreprises françaises de service public pour faire face à ces évolutions. Vous l'êtes en particulier par la qualité et la maîtrise de votre parc de production, notamment nucléaire. C'est quelque chose qu'il faudra défendre.

J'indiquerai, enfin, une troisième piste : que les grandes entreprises publiques de service public deviennent chaque jour d'avantage des entreprises citoyennes, et qu'elles s'ancrent ainsi encore plus solidement dans notre société.

Là aussi, je crois que vous avez montré la voie, à travers notamment l'accord qui a été signé en janvier dernier au sujet du temps de travail et de l'emploi des jeunes. Je sais que cet accord, qui doit permettre à terme l'embauche de 11 000 à 15 000 jeunes, a d'ores et déjà donné lieu à la signature de 113 accords locaux, permettant déjà plus de 3 000 embauches, dont un nombre non négligeable dans cette région.

Que toutes les grandes entreprises de service public affichent de tels objectifs et de tels résultats, et le dossier de la défense des services publics aura considérablement avancé à Bruxelles.

J'ai cité trois pistes, il y en a certainement d'autres que vous n'allez pas manquer de m'indiquer ; je suis en tout cas désireux maintenant de vous écouter, de dialoguer avec vous et, si je le peux, de répondre à vos questions, afin que nous progressions ensemble pour la promotion des services publics en Europe.

Je voudrais redire en conclusion que cette question du lien entre les services publics et l'Europe est une grande affaire, une affaire à laquelle le gouvernement tout entier tient beaucoup, et à laquelle il s'attache là aussi.


Q. (Questions sur la transposition de la directive électricité ? Sur l'accord social ? Quelle politique énergétique pour l'avenir en France ? Ouverture d'un débat public national sur l'énergie en France ? Sur le rapport Mandil ? Arrêt de la CJCE du 23 octobre qui légalise de fait les monopoles d'exportation et importation de gaz et électricité ? Définition des missions de service public ?)

R. Je n'ai pas de scoop à vous donner sur les transpositions. Je vais simplement insister sur les points suivants. Il y a dans ce que vous dites une part d'inquiétude que je comprends, qu'il faut entendre, qu'il faut écouter, mais aussi peut-être, sinon un procès d'intention, mais une remise en cause anticipée de ce que peut être la politique énergétique du gouvernement.

Sur ce point, je voudrais vous rappeler que ce gouvernement est arrivé dans une situation donnée, à un moment donné. Ce n'est pas nous qui avons négocié la directive « électricité ». Nous sommes responsables de la façon dont ont été conclues les négociations sur les directives « poste » et « gaz ». À mon sens, ces textes sont de bons textes, car ils protègent très largement, et les services publics, et les entreprises en question. Nos positions ont été comprises par tout le monde, par nos partenaires étrangers, croyez-moi avec des différences d'approche très vives avec nous, par les directions des entreprises et aussi par les personnels. Nous nous sommes, pendant ces premiers mois de gestion, attachés à cela : c'est-à-dire, dans un contexte européen qui demeure un contexte de libéralisation, affirmer l'existence de services publics à la française et préserver l'existence, la capacité d'action de ces entreprises.

Pour la transposition de ces directives, nous sommes en train d'y travailler. Je rappelais que pour la directive « électricité », nous avons encore l'année 1998. Avec Christian Pierret, nous allons, au début de l'année, envisager ensemble la façon dont nous allons faire cela.

Il reviendra au ministre compétent de faire les annonces qui lui reviennent, en matière de politique énergétique. Mais je ne veux pas les évacuer complètement.

La première orientation, c'est le maintien des grandes entreprises de service public et c'est la défense de la filière nucléaire. Sur Superphénix, c'est bien sûr un sujet très complexe, où se mêlent des éléments techniques, des éléments qui tiennent aux interrogations que vous pouvez avoir sur la place centrale dans la filière nucléaire, des interrogations plus générales notamment d'ordre environnemental. C'est un sujet qui a une dimension particulière, qui a une dimension presque émotionnelle et évidemment l'émotivité n'est pas la même pour les uns et pour les autres, n'est pas la même pour les personnels d'EDF, pour certains syndicats qui sont particulièrement mobilisés là-dessus, que pour toute une série d'autres types d'acteurs sociaux, notamment attachés à la défense de l'environnement, voire pour une partie de la population. J'ajoute que, comme vous le savez, l'arrêt de Superphénix était, sinon une priorité pour le gouvernement, du moins une demande extrêmement forte de l'une des formations qui se sont réunis lors de la campagne électorale du printemps 1997, et qui ont ensemble remporté les élections. Et l'arrêt de Superphénix figurait dans les propositions que nous avons présentées aux Français.

Vous ne pouvez pas dire ici que vous avez été pris par surprise. C'était dans la plateforme du parti socialiste, c'était dans une déclaration conjointe avec les Verts. Et l'on savait qu'en portant ce gouvernement aux responsabilités, cette mesure serait prise. Deux étaient indiquées : l'arrêt du grand canal Rhin-Rhône et la fermeture de Superphénix.

Le gouvernement a une politique, une seule, qu'elle plaise ou pas : il s'efforce de tenir les engagements qui ont été pris devant les Français. Il a donc décidé l'arrêt de Superphénix. Mais en même temps, puisqu'apparemment certains d'entre vous sont très attentifs aux questions qu'on pose à l'Assemblée nationale, vous avez été sensibles au débat qui a pu se dérouler au sein du gouvernement. Nous avons un ministre qui est celui de l'environnement, qui représente aussi une formation politique, qui souhaitait aller beaucoup plus loin par rapport à la filière nucléaire. Vous avez un ministre, celui de l'industrie, qui représente également un autre parti politique, qui a déclaré très clairement que la fermeture de Superphénix ne devait pas entraîner de conséquences par rapport à la filière nucléaire. Il s'agit d'un cas bien localisé et d’unique. Le gouvernement est attaché à la politique nucléaire. Il pense que l'existence d'une puissance nucléaire puissante est à la fois quelque chose qui n'est pas un élément qui menace globalement l'environnement mais c'est une condition de compétitivité de l'énergie française. C'est un élément vital pour l'entreprise, la grande entreprise qui est la vôtre.

Pour autant, je dirai encore un mot sur Superphénix : toutes les modalités concrètes d'arrêt n'ont pas été définies. Et dans ce cadre, je pense qu'il est encore possible de formuler des propositions pour l'utilisation de Superphénix, notamment comme laboratoire. Le gouvernement est prêt à les examiner. Pour tout dire, il le fait. Mais ne croyons pas qu'il puisse y avoir des retours en arrière. Des engagements ont été pris devant les Français, ils sont tenus. Pour nous, cet engagement est double et équilibré : c'est d'arrêter Superphénix, c'est aussi de défendre la filière nucléaire. C'est ce que nous ferons.

Au travers d'autres questions que vous posez, il y a deux conceptions de l'Europe, non pas qui s'opposent, mais qui diffèrent assez fortement.

Selon la première, parce que nous avons de grandes entreprises de service public qui sont des monopoles, qui sont, en plus, des entreprises extraordinairement compétitives, riches, vivantes, nous pourrions nous affranchir de toute conversion à l'Europe, voire de toute évolution, et nous pourrions tous seuls, être capables de nous réfugier dans une forteresse et dire aux autres, non. Ce n'est pas comme cela que ça marche. Je pense que cette voie est une fausse voie. C'est une voie qui conduirait l'entreprise à ne pas évoluer, qui ne nous rendrait pas capable de valoriser nos atouts et les atouts d'EDF sont aussi des atouts considérables vis-à-vis de l'extérieur, des atouts d'exportation. Nous avons une filière nucléaire forte. Son premier produit est, certes, pour nous. Mais il est aussi par rapport à l'étranger. Vous savez qu'en Italie, le nucléaire est interdit, c'est bien sûr de chez nous qu'ils importent leur énergie. L'attitude de forteresse repliée serait une attitude qui conduirait l'entreprise à des difficultés et qui en plus, n'est pas tenable dans le cadre de ce qu'est l'Europe aujourd'hui.

Une autre attitude, c'est effectivement d'essayer – c'est celle que j'ai essayé de défendre – de peser dans l'Europe, d'avoir une ambition politique, et je pense que la directive « gaz » a été plutôt un peu mieux négociée que la directive « électricité ». Je peux le dire. Ce n'est pas seulement une question de changement de gouvernement, c'est une question d'objectif politique affiché, et à partir de là, de faire bouger les autres et de jouer – je suis assez favorable à cela – sur la subsidiarité, parce que ne faisons pas comme si ces directives européennes étaient des textes monstrueusement contraignants. À l'intérieur de ces textes, demeurent de très grandes marges de manœuvre. Si certains partis politiques interpellent le gouvernement à l'Assemblée sur sa politique énergétique, c'est qu'ils pensent bien que le gouvernement a plusieurs types d'attitude par rapport à la transposition. Soyez sûrs qu'il aura effectivement à cœur de préserver ce qui fait la spécificité de l'entreprise, un certain modèle français de service public.

Pour ce qui concerne le rapport Mandil, je ne vois pas ce qui dans mes propos, que nous reprenions, ou même que nous aggravions telle ou telle propositions faites par ce rapport. Je n'en ai rien dit. Je n'en dirai rien. Il me semble que ce que vous dites est une démarche commerciale de l'entreprise pour mettre éventuellement le gaz et l'électricité en concurrence. À ma connaissance, nous ne nous sommes pas prononcé là-dessus. Et je ne le ferai pas ici.

Je résume tout cela pour dire qu'il ne faut pas que nous ayons entre nous des procès d'intention qui seraient mal venus. Le gouvernement a une politique par rapport aux services publics, c'est une politique de défense des services publics. Il a une politique européenne. Une politique qui vise à défendre les intérêts nationaux dans le cadre européen, et ensuite à permettre la meilleure adaptation possible des directives à ces intérêts nationaux. Il a une politique énergétique, il la présentera de façon globale l'année prochaine. Nous y travaillons. Elle doit être articulée avec la politique européenne. Ne nous prêtez pas des intentions que nous n'avons pas.

Q. Questions sur conséquences de la monnaie unique pour EDF ? (Plusieurs questions inaudibles).

R. Les conséquences de la monnaie unique : l'avantage pour EDF sera le même que pour toutes les grandes entreprises qui interviennent en dehors de nos frontières, et qui de ce fait, doivent aujourd'hui subir un risque de change, qui peut leur coûter très cher et qui, à l'occasion, leur coûte très cher. Je n'ai pas besoin de rappeler d'ailleurs le précédent de l'investissement du nucléaire dans les années 1970 avec les fluctuations monétaires - à l'époque, c'était le dollar - elles ont été absolument considérables.

Pour EDF qui aujourd'hui exporte de l'électricité vers ses voisins, dont les devises ont énormément fluctué entre 1992 et 1995, – je pense en particulier à la lire, à la peseta ou à la livre – le passage à l'euro dès 1999, ou un peu plus tard pour d'autres pays comme le Royaume-Uni, représentera donc une économie très importante, qu'on peut chiffrer à des centaines de millions, voire des milliards de francs. Et très vite, parce que l'euro s'imposera comme une grande devise internationale, c'est aussi en euro et non plus seulement en dollar qu'EDF sera payée quand, par exemple, elle intervient en Chine. Là encore, on aura une disparition du risque de change.

Je crois qu'il faut prendre conscience qu'avant tout, c'est cela l'euro. C'est l'effacement des possibilités de spéculer entre les monnaies. Et à partir de ce moment-là, il y a un gain tout à fait considérable en terme de change. Ces moindres pertes sont autant d'argent – ça, c'est la responsabilité de l'entreprise – pour investir, pour les salaires et pour l'emploi.

(…)

Le service public ne doit pas être conçu comme une réalité morte, dont la finalité, dont les missions seraient inscrites une fois pour toute dans le marbre. C'est une entreprise qui doit évoluer, et notamment, une entreprise qui doit se diversifier. Je ne suis pas capable de tracer les perspectives à cinq ans du marché de l'énergie, mais je pense qu'EDF doit préserver des parts de marché, doit poursuivre son essor, notamment à l'exportation et aussi poursuivre sa diversification déjà entamée, et qui demeure une possibilité. Et cela suppose aussi qu'elle soit capable de préserver ses capacités de production.

(...)

Les Français ont choisi pour certaines raisons. Il y a des raisons qui tiennent à l'Europe. Je crois que les Français ont bien compris qu'il y avait quand même une certaine différence dans la conception européenne. Nous voulons faire l'Europe, nous sommes Européens, mais nous voulons faire l'Europe sans défaire la France. Chaque fois qu'un dossier est posé, nous ne sommes pas sur l'attitude libérale ou ultralibérale. Nous sommes systématiquement opposés à certains gouvernements – je pense en particulier à des gouvernements anglo-saxons ou à des gouvernements nordiques. Nous sommes presque toujours confrontés, nous prenons nos responsabilités, à la Commission européenne, qui défend souvent des dogmes libéraux. Nous voulons à la fois avancer dans l'Europe mais en même temps, défendre nos intérêts nationaux, et particulièrement lorsqu'il s'agit de problèmes de service public.


Propos du ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, lors du déjeuner-débat organisé par la chambre de commerce et d’industrie d’Indre-et-Loire (Joué-lès-Tours, 18 décembre 1997)

Je crois qu'il est important que ce type de dialogue ait lieu, car la fonction d'un ministre des affaires européennes est triple : c'est un ministre qui, au sein du gouvernement, traite toute une série d'affaires interministérielles qui concerne l'Europe ; c'est un ministre qui porte des dossiers propres, je pense par exemple à l'élargissement, aux institutions européennes, aux relations avec les pays de l'Union européenne; c'est aussi un ministre qui se trouve à l'interface de la politique intérieure et de la politique extérieure. L'Europe n'est plus de la politique extérieure. C'est une réalité qui pénètre le plus profondément la vie de tout un chacun et qui anime la vie économique. C'est pourquoi, j'ai souhaité prendre l'initiative de visites en province, sur le terrain, ce qui permet de dialoguer avec les différents acteurs économiques que vous êtes, des chefs d'entreprises, qui créent la richesse, avec tout à l'heure des agents du service public, car il y a des problèmes entre le service public et l'Europe, puis avec des étudiants car ce sont les jeunes qui font l'Europe de demain. À tous ceux-là, je porterai le même message, qui est un peu le même que le vôtre sur l'euro. L'Europe que nous souhaitons sera une Europe de la puissance et une Europe des hommes.

L'Europe de la puissance d'abord. Regardons les choses. Nous sommes dominés par une seule superpuissance. Il y a des puissances, la France en est. Il y a des puissances régionales. Il n'y a qu'une superpuissance : les États-Unis, une superpuissance économique, politique, et monétaire. Face à cette puissance, il est nécessaire que l'Europe affirme une unité, une capacité à résister, voire à passer à l'offensive, car nous n'avons pas à rougir de notre population, de notre savoir-faire, ni du dynamisme de nos chefs d'entreprise. Tout cela passe effectivement par la monnaie unique européenne. Si l'on devait chercher parmi tant d'autres arguments des raisons pour la faire, on trouverait la capacité qui permettra demain aux monnaies européennes de ne plus connaître des spéculations entre elles. Par définition, il n'y aura plus qu'une monnaie, ce qui permettra de faire baisser les taux d'intérêts, de rendre plus facile les conditions d'investissement et d'emploi, d'avoir une monnaie de réserve capable de rivaliser avec le dollar et de rééquilibrer les relations monétaires internationales afin de favoriser dans l'avenir les échanges sur une base plus équilibrée.

Nous l'avons compris, nous voulons créer les meilleures conditions pour que l'euro se fasse. Je pourrais dire que cette puissance doit s'affirmer dans d'autres domaines. Je pense également au domaine industriel, au domaine de l'industrie aéronautique et spatiale et de défense. Le choix pour les Européens est simple, c'est de se regrouper et de vivre ensemble ou bien de mourir, face à cette hégémonie américaine.

Une Europe de la puissance, chacun en conscient et vous qui êtes des employeurs, des acteurs économiques, vous le savez mieux que quiconque, cela doit être une Europe des hommes. C'est ce que nous nous efforçons de faire au sein du gouvernement : rééquilibrer la construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. Nous l'avons fait en demandant et en obtenant que se tienne, à Luxembourg, un premier sommet extraordinaire consacré à l’emploi. C'était le premier du genre, depuis qu'en 1974 les chefs d'État et de gouvernement se réunissent pour ce que l'on appelle le Conseil européen. Jamais une de leurs réunions n'avait été consacrée exclusivement à cette question centrale qui est celle de l'emploi. Ils l'ont fait et ils ont débouché sur des conclusions incitatives et des orientations fortes. Ils ont mis l'emploi au cœur de leurs priorités, ils ont décidé qu'il y aurait des programmes pour réduire le chômage der, jeunes, le chômage de longue durée, pour accroître la formation des chômeurs, pour améliorer les conditions de la création d'emplois.

Chacun faisant dans son pays comme il l’entend car l'Europe ne peut pas être un moule uniformisant. Il y a une mobilisation européenne pour l'emploi qui s'est décrétée à cette occasion. Il faut que chacun la relaie. Il y aura des rendez-vous annuels, qui vont mesurer où l'on en est. J'espère que la France comme tous les autres, aura à cœur de ne pas être le mauvais élève de la classe européenne et au contraire de montrer qu'elle est capable de réussir dans la lutte contre le chômage. La condition nationale de celle-ci fera l'objet de quelques questions qui alimenteront notre débat, et que je ne veux pas anticiper. Nous voulons aussi que la politique économique européenne tende davantage à la croissance. C'est pour cela que nous avons une meilleure coordination de la politique économique, c'est pour cela que nous avons souhaité qu'à côté de la Banque centrale européenne se mette en place une autorité politique qui soit capable de dialoguer avec elle. Il existe d'autres pays où il y a des banques centrales indépendantes. C'est le cas des États-Unis, c'est le cas de l'Allemagne. J'observe d'ailleurs que ce sont des États fédéraux. Mais il y a aussi un pouvoir fédérateur au sein des autorités politiques. C'est ce que nous avons voulu faire avec ce Conseil de l'euro qui a été créé au terme de Luxembourg. Je crois que c'est tout à fait déterminant. Les « Monsieur Euro », qui seront dix au moins, sûrement onze, doivent être capables de parler entre eux des questions spécifiques qui se posent, qu'il s'agisse des taux d'intérêt, des politiques de revenus, ou bien encore des taux de change. Ce sont des questions fondamentales. Nous avons eu des discussions, pas toujours faciles, avec nos amis anglais qui voulaient à la fois retarder leur entrée dans l'euro, ce qui est bien compréhensible, mais qui veulent être dans le club qui gère l'euro, ce qui est un peu plus compliqué. Je leur ai fait comprendre qu'il y avait une petite contradiction mais tout cela s'articulera de façon positive, comme le souhaitait la France. Je crois que c'est important. Tout cela va dans le même sens. Il s'agit de rééquilibrer la construction européenne, qu'elle soit une construction monétaire, mais pas seulement monétaire, financière, mais pas seulement financière, qu'il y ait des critères financiers de stabilité, bien sûr, mais qu'il y ait aussi des objectifs pour l'emploi : ce sont les objectifs de Luxembourg.

C'est la politique qu'entend suivre le gouvernement. C'est une politique qui s'efforce de rendre à la France ses chances de compétitivité internationale. Je ne veux pas être plus long, mais simplement indiquer qu'il y a des chantiers passionnants, fondamentaux et qu'il faut pour cela qu'il y ait une communauté qui se batte et se mobilise.

Q. (Sur l'Europe sociale : les comparaisons des charges sociales en France et en Angleterre. - Le management et les 35 heures. - La valeur de l'euro. - Les conséquences de la mise en place de l'euro en une nuit dans la distribution).

R. Je comprends votre sensibilité sur les 35 heures. Je crois que, comme je le disais tout à l'heure, à La Nouvelle République du Centre, qu'il y a une incompréhension sur ce thème de nature à freiner l'expansion de l'économie française. Je crois qu'il faut que je vous explique quelle est la démarche du gouvernement dans cette affaire. Je voudrais dégonfler un certain nombre de baudruches ou de mythes car il ne faut pas avoir d'approche idéologique sur un problème précis, je le dis aussi bien pour nous que pour d'autres. Je reviendrai par exemple sur les chiffres que l'on donne aux collectivités car vous conviendrez que 11,5 et 2,5, ce n'est pas la même chose pour une entreprise. Vous conviendrez que c'est substantiellement différent. Ce que je pense, c'est que le gouvernement n'entend pas imposer une démarche de couperet, une démarche obligatoire. Le projet de loi qui sera déposé au Parlement au début de l'année prochaine, ce n'est pas 35 heures obligatoires tout de suite et pour tout le monde. Nous voulons réduire le temps de travail dans ce pays et nous souhaitons le faire depuis longtemps. C'est d'ailleurs un mouvement qui est engagé depuis plus d'un siècle. On travaillait plus de 60 heures par semaine il y a un siècle. On travaille aujourd'hui un peu moins de 40 heures. En parallèle, il y a eu une réduction sur la durée légale du travail. Nous sommes passés aux 40 heures en 1936. Entre parenthèses, nous sommes passés aux 40 heures effectives – il y a une différence majeure – au début des années 80. On a mis plus de 45 ans. Cela n'incite pas à ce que l'on imite cet exemple qui n'est pas bon, pour que la durée effective rejoigne la durée légale. Nous sommes passés aux 39 heures en 1982. Nous pensons que dès lors qu'il y a des orientations, des incitations financières – c'est un peu ce que prévoyait la loi de Robien – il faut poursuivre le mouvement de réduction du temps de travail. Mais encore une fois, c'est la réduction légale du temps de travail que nous voulons voir se poursuivre. Cette loi dira que pendant deux années peuvent s'ouvrir des négociations.

Des incitations financières positives seront mises en place pour les entreprises réduisant significativement la durée de travail de l'ordre de 10 %, pour passer de 39 heures à 35 heures. En contrepartie, des incitations financières croissantes seront instaurées au fur et à mesure que l'on créera des emplois C'est bien là l'objectif : alléger le travail pour l'entreprise tout en révisant le temps de travail. J'ajoute que l'idée est bien de pérenniser ces aides.

Que se passera-t-il après l'an 2000 ? Pour les entreprises de plus de 20 salariés, les 35 heures deviennent la durée légale du travail. Cela ne signifie pas que du jour au lendemain toutes les entreprises françaises, quelle que soit leur situation, seront obligées de passer aux 35 heures. En pratique, ce qui est entre 35 et 39 heures devient des heures supplémentaires. La question est de savoir comment traiter ces heures supplémentaires. Doit-on les totaliser, les transformer, les taxer, les taxer davantage ? Lorsque Martine Aubry parle de 2,5 et non de 11,5 elle parle de ce calcul-là, elle dit : imaginons que l'on taxe les heures supplémentaires à 25 %, ce qui n'est déjà pas mal, 4 heures au-dessus de 35 heures, c'est-à-dire 10 % de ce qui se passe. Cela fait bien 2,5 % et non 11,5 %. Je le dis avec une très grande clarté. Ce calcul sur 11,5 serait basé sur l'idée qu'il y aurait une taxation absolue des heures supplémentaires à 30 %. Ce n'est absolument pas ce que le gouvernement envisage. En aucun cas. Nous sommes dans une démarche de réduction de la durée légale du temps de travail, qui est une démarche d'orientation, avec c'est vrai, une pénalisation des heures supplémentaires après l'an 2000. (...)

Vous avez fait la comparaison avec la Grande-Bretagne : je voudrais quand même faire quelques observations, qui ne tiennent pas d'ailleurs au modèle anglais, avec plus de flexibilité salariale, et une plus grande précarité d'emplois. C'est vrai qu'il y a un problème avec le travail. Où se situe-t-il ? Nous avons une différence, une sorte de paradis pour certains entrepreneurs, et une sorte de cauchemar pour les sociétés. C'est une contradiction que nous devons lever. Nous avons une structure du coût du travail qui est différente des autres pays. Nous avons un coût du travail qui est globalement compétitif.

Prenons le cas de la comparaison avec l'Allemagne, qui est notre principal partenaire. Vous avez montré qu'avec les entreprises tourangelles, c'était le cas. Nous avons un coût du travail comparable à celui de l'Allemagne, avec une différence fondamentale : dans les autres pays, les salaires sont plus élevés. Encore une fois ce n'est pas le cas de l'Angleterre, mais cela ne peut pas être un modèle social. Nous avons des salaires plus élevés, et nous avons chez nous des charges sociales beaucoup plus fortes. Pourquoi ? C'est un héritage que nous avons à gérer collectivement C'est parce que nous avons choisi, après la guerre, de mettre en place un système de protection sociale. Les charges sont la contrepartie de cette protection sociale. Les Anglais, de ce point de vue-là, ne sont pas dans la même situation que nous. Ce que j'observe malgré tout, c'est que la France reste une terre propice aux investissements.

Les investissements étrangers viennent chez nous. Les entreprises exportent. On peut vivre avec ce coût du travail ; les entreprises françaises ne vivent pas dans un univers où la délocalisation est le cas général. Si cela était le cas, les principaux pays économiques du monde seraient la Pologne, la Hongrie, où le coût du travail est extrêmement bas.

Pour ce qui est de la valeur de la monnaie européenne, c'est d'abord le marché qui va la fixer. Il serait logique que le 1er mai, le 2 ou le 3, les chefs d'État et du gouvernement réunis avec le conseil des ministres de l'économie et des finances examinent ce qu'est le panier, car l'euro est une valeur pondérée des valeurs de marché des différentes monnaies. Il y aura des éléments de marché importants. Il y aura également un autre élément, c'est la détermination politique. Voulons-nous, oui ou non, un euro fort plutôt surévalué par rapport au dollar ou bien un euro un peu plus compétitif, de nature à préserver une capacité d'exportation ? Il y aura un débat politique. En toute hypothèse, je dirai que c'est la combinaison entre le marché et les politiques qui décidera de cela ; et la Banque centrale européenne n'a pas grand-chose à voir dans cette affaire-là. La politique de change est une affaire politique, c'est une des raisons pour laquelle nous avons créé un Conseil de l'euro, parce que c'est une affaire peut-être trop sensible que de la laisser aux seuls banquiers centraux qui auraient tendance à pratiquer des politiques un peu univoques.

Pour ce qui est du basculement de l'euro en une nuit, l'idée est séduisante : on sait quand même de quoi il s'agit. Nous allons, vous allez, les administrations, les entreprises, les ménages, nous allons nous préparer pendant trois ans à ce basculement dans l'euro, à partir du 1er janvier 2002. Jusque-là, c'est le principe du « ni-ni », ni obligation, ni interdiction, qui doit prévaloir, mais en une nuit cela pose toute une série de problèmes. Cela veut dire que l'on serait capable de changer en une nuit toutes les pièces, du franc en euro. Je crois que cela prendra un tout petit peu plus de temps que cela, honnêtement, mais il faut que cela aille vite. Six mois, ce n'est pas une durée excessive par rapport à d'autre durée de changement de billets. En plus, par rapport à un mark-ouest contre un mark-est, il y a comme une petite différence : c'est que nous ne sommes pas en train de faire le change entre deux monnaies mais entre onze, douze, treize, quatorze monnaies, ce qui voudrait dire que tout le monde décidera de le faire à l'échelle de l'Europe le même jour. Progressivement, on verra se développer le double étiquetage. Les Français seront familiarisés avant 2002, avec tous les mécanismes de transfert. Je pense donc que le jour venu, les choses se passeront de façon plus simple et plus souple, plus fonctionnelle que si cela était aujourd'hui.

Votre question prouve bien que, sur la monnaie unique, l'on passe des questions politiques, les 3 %, le déficit public, aux questions pratiques : elles ne sont pas moins angoissantes, elles sont sûrement plus délicates, mais elles sont plus rassurantes au niveau politique. Je n'ai plus de doute, l'euro se fera. Le travail du gouvernement change, il faut toujours avoir des finances publiques qui marchent et il faudrait les réformer, mais il faudrait aussi faire en sorte que les acteurs se sentent impliqués dans cette aventure de l'euro, c'est pourquoi dans l'année qui vient, comme vous le savez, se poursuivra une grande campagne populaire à laquelle s'associeront les administrations, les collectivités locales, qui auront beaucoup de travail à faire dans cette opération, et tous les acteurs des chambres de commerce. J'ai reçu récemment le président de l'Association des chambres de commerce. Vous avez un rôle à jouer sur des opérations en euro et le gouvernement est tout prêt à travailler là-dessus.

Q. (Sur l'expérience néerlandaise et les 35 heures. – La date de la mise en valeur de l'euro et le commerce indépendant. – La formation. - Les prix fixés en euros et leurs conséquences pour les laboratoires pharmaceutiques. – Les conséquences de la durée de l'harmonisation de la législation sociale).

R. Sur l'expérience néerlandaise, je voudrais dire qu'il faut présenter la situation pénible dans laquelle nous sommes aujourd'hui : on a l'impression d'une confrontation un peu artificielle entre un monde politique et celui du salariat, ce qui est une situation extrêmement fâcheuse. Mais je voudrais vous dire qu'à mon sens les choses auraient pu, peut-être, se passer différemment. Vous savez comment cela a eu lieu ; le gouvernement a annoncé son intention de réduire le temps de travail, il a ouvert une conférence salariale. Je peux vous dire que l'intention du Premier ministre, en tous cas, n'était pas nécessairement d'avoir cette loi. Vous avez vu que le ministre de l'économie et des finances s'était prononcé pour une loi-balai pour attendre la négociation. Pour négocier, il faut être deux. Le gouvernement a pris ses responsabilités. À un moment donné, nous aurons les 35 heures. Il reste deux ans pour en discuter. Dans la loi, rien n'interdira de parler de l'annualisation du temps de travail ou du temps partiel. Ce qui est la politique néerlandaise (...).

Quant au modèle néerlandais, c'est une société qui est très différente de la nôtre, qui a une cohésion plus grande que la nôtre, une taille beaucoup plus réduite, des syndicats plus développés, un patronat plus familiarisé, dans ses instances supérieures nationales, avec ce dialogue. Ils ont mis l'accent sur le temps partiel, cela a un avantage en terme de chômage mais pas en termes sociaux (...).

En ce qui concerne la date du 1er janvier 1999, elle est fixée par le Traité ; ce sera le 1er janvier 1999 que l'euro se fera. Rassurez-vous, pendant une certaine période, les deux coexisteront, il y aura un temps d'adaptation pour la comptabilité, mais je le répète, le principe est bien : ni obligation, ni interdiction. On pourra faire des choses en euros, on ne sera pas obligé de le faire. Il y aura un temps d'adaptation pour la distribution, comme pour les autres commerces. Quant aux écoles consulaires, c'est un domaine dont je ne me suis pas tellement occupé. Je crois qu'il est extrêmement important que les échanges de jeunes se développent, ce que vous avez dit sur le suivi des stages ou pour les échanges de bon niveau, pour être à un niveau international fort, est important. C'est un sujet sur lequel je suis tout à fait ouvert et nous pourrons en reparler.

Sur les deux dernières questions concernant les conséquences sociales sur l'emploi du passage à l'euro, (...) on voit bien quel serait le risque de l'échec de l'euro si l'on était pas parvenu à maîtriser les dépenses publiques. Ce risque est conjuré. Maintenant, il y a un autre risque, c'est que celui-ci crée des dégâts. Par exemple, il ne faut pas sous-estimer un échec ultérieur. Il y a des cas où cela concerne des problèmes de compétitivité, dans certains secteurs. Cela peut aussi concerner des problèmes sociaux. C'est pourquoi, ceux-ci devront être traités. Le ministère des Finances, de la Santé et mon ministère ont travaillé ensemble sur ce type de question. Quant à l'harmonisation fiscale et sociale, c'est vrai qu'elles prendront du temps, pour toute une série de raisons (...).

Q. (Sur les transports).

R. (...) Nous sommes tout à fait conscients du problème et nous sommes en train travailler avec le ministre du transport à un Livre blanc à transmettre à nos partenaires européens. La question s'est déjà posée deux fois au cours de ces deux dernières années. Il faudra que l'Europe en tienne compte (...).


Date : vendredi 19 décembre 1997
Source : La Nouvelle République du Centre-Ouest

Depuis sa prise de fonctions, dès la conseil européen d'Amsterdam, le gouvernement de Lionel Jospin n'a pas ménagé sa peine pour rééquilibrer la construction européenne. C'était notre engagement pris devant les Français : « Faire l'Europe, sans défaire la France. »

Premier défi : réussir l’euro. Pendant des années, les Français n'auront connu de l'euro que les disciplines austères, au point que le projet finissait par avoir un goût amer. On avait, en effet, oublié que l'Union monétaire était aussi, et d'abord, une union économique qui devait être tournés vers la croissance et l'emploi. À Amsterdam, nous avons fait adopter une résolution sur la croissance et l'emploi, qui contrebalançait le « pacte de stabilité », trop strictement financier. Nous avions alors demandé de renforcer la coordination des politiques économiques, parce que partager une monnaie unique c'est aussi partager des responsabilités nouvelles. C'est chose faite depuis le conseil européen de Luxembourg de samedi dernier. Un conseil de l'euro a été créé pour permettre une étroite concertation entre les pays de la future zone monétaire. C'est un succès pour l'Europe et pour Ia France.

Dans l'intervalle, il y a eu, à l'initiative de la Franco, le conseil européen extraordinaire sur l'emploi. Véritablement extraordinaire, parce que c'était la première fois depuis que les chefs d'État et de gouvernement se réunissent, c'est-à-dire depuis 1974, qu'ils discutaient vraiment de l'emploi et de la lutte contre le chômage au niveau européen. Des objectifs ont été fixés contre le chômage des jeunes, contre le chômage de longue durée, pour le développement de la formation. Des engagements seront pris par chacun des États membres pour remplir ces objectifs. Des rendez-vous ont été décidés ; chaque année, le Conseil européen fera le point. Et je gage que personne ne voudra passer pour le mauvais élève de la classe européenne. Il y a désormais les objectifs de Luxembourg pour l'emploi, comme Il y a eu, hier, les critères financiers de Maastricht. Désormais, l'emploi est au cœur des préoccupations européennes. Avec ce Conseil, avec l'intégration dans le traité du protocole social, avec le nouveau chapitre emploi du traité d'Amsterdam, c'est l'Europe sociale qui prend forme.

Il n'y a pas de coup de baguette magique. Nous devrons poursuivre l'effort. Mais je suis convaincu que nous avons, en quelques mois, remis l'Europe sur ses deux pieds : celui de la stabilité monétaire et de la maîtrise des dépenses publiques, celui de la croissance et de l'emploi.

Un nouveau défi nous attend. En s'élargissant aux pays d'Europe centrale et orientale, hier séparés de nous par la guerre froide, l'Europe accueille de nouveaux peuples. Pour ceux-ci, à qui nous souhaitons la bienvenue, comme pour ceux qui sont déjà dans le club, il faut que l'Europe à venir soit capable d'affirmer son identité, de renforcer ses institutions, de défendre ses politiques (je pense à l'agriculture et aux fonds structurels). Bref, je milite pour une Europe qui marche. C'est la condition pour que l’Europe soit populaire, qu'elle réponde aux aspirations de ses citoyens et de ses peuples.