Interview de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, à Europe 1 le 8 octobre 1999, sur le maintien de l'embargo sur le boeuf britannique justifié par l'avis négatif rendu par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Alexandre Dumas : Ce que vous défendez, c’est l’avis négatif des experts de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. C’est bien cela ?

Marylise Lebranchu : Voilà. Il ne s’agit pas d’un protectionnisme, comme l’indiquent certains médias britanniques. Il s’agit de respecter la décision que le Premier ministre avait annoncé en juin 1997 : « tout dossier qui met en question la santé des consommateurs français sera soumis à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. » Cela a été le cas avec un comité d’experts présidé par M. Dormont, que tout le monde connaît, et ce comité d’experts estime que nous n’avons pas assez de garanties et exprime quelques faits nouveaux, en particulier sur le nombre de cas de « vaches folles » en Grande-Bretagne qui diminue moins vite que prévu. Donc, il y a un certain nombre d’interrogations et, de ce fait, le comité estime que nous devons être prudents et attendre.

Alexandre Dumas : Mais comment justifier le non-retour du bœuf britannique dans nos assiettes contre l’avis des experts de l’autre côté de la Manche, parce qu’ils disent pratiquement le contraire que les nôtres.

Marylise Lebranchu : Il y avait deux types d’expertise. Lorsque Jean Glavany avait défendu la position de la France en fin 1998, il avait exprimé un certain nombre de demandes concernant justement l’expertise des systèmes, l’observation pendant plusieurs mois du nombre de cas… Comme il avait eu un certain nombre d’assurances, il s’était abstenu ; il n’avait pas voté contre, il s’était abstenu, sous réserve d’inventaire, pour parler court. Et, c’est vrai que nos experts, eux, estiment qu’on n’a pas les résultats annoncés par la commission, lors de cette décision, que ce que nous pouvons constater ne correspond pas à ce qui a été dit et qu’il vaut mieux être prudent. Et, j’ajouterai en plus, moi qui suis chargée de la consommation en France…

Alexandre Dumas : L’essentiel, pour vous, c’est de défendre la santé des consommateurs.

Marylise Lebranchu : C’est défendre la santé et d’ajouter même que, par rapport à la viande britannique, imaginons que nous ne soyons pas tout à fait prudents, je pense qu’à long terme, à ce moment-là, les consommateurs n’achèteront pas de viande britannique et je pense y compris dans l’intérêt des producteurs britanniques, il faut qu’on regarde bien cette question, il faut que les experts se parlent – les Français, les Anglais et les experts européens. La France et l’Allemagne…

Alexandre Dumas : Parce que la France est quand même un peu isolée par rapport à ses partenaires européens ?

Marylise Lebranchu : L’Allemagne a la même position. Donc il faut que les experts se parlent pour qu’on puisse voir si oui ou non il y a des éléments nouveaux. Moi, je rencontre le commissaire Burn mardi pour expliquer ce souci que nous avons du risque. Et puis, moi j’espère qu’on trouvera une solution acceptable pour tout le monde. Peut-être qu’on pourra revoir nos procédures éventuellement.

Alexandre Dumas : On dit qu’à Bruxelles, la France va quand même lâcher un peu du lest et assurer le transport sur son territoire du bœuf britannique ?

Marylise Lebranchu : Là, il ne s’agit pas de lâcher du lest. Il s’agit d’adapter l’arrêté d’octobre 1998 qui est accompagné d’un arrêté de circulation de la viande. Si les pays d’Europe du sud, comme c’est le cas aujourd’hui, semble-t-il, veulent acheter de la viande britannique et qu’elle arrive par ferry, et donc par camions sur notre territoire, nous acceptons que, sous des conditions qui seront déterminées par l’arrêté, que nous avons soumis également à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, ces viandes puissent transiter. Il n’y a aucune raison, si un pays du sud veut importer de la viande britannique, que nous l’empêchions de la faire sous prétexte que les camions traversent notre territoire. Je crois qu’il faut faire les choses bien.

Alexandre Dumas : Mais sous scellé ?

Marylise Lebranchu : Sous scellé, et non pas que nous n’ayons pas confiance dans les importateurs et les exportateurs, mais nous ne voulons pas laisser passer d’erreurs.

Alexandre Dumas : Vous savez que les Britanniques sont furieux.

Marylise Lebranchu : Oui, bien sûr. Tony Blair s’en est entretenu avec Lionel Jospin.

Alexandre Dumas : Le ministre anglais, M. Brown, affirme qu’il ne boira plus de Bordeaux ?

Marylise Lebranchu : J’espère pour lui qu’il reviendra assez vite sur sa décision. Moi, je comprends sa colère, même si Lionel Jospin avait tenu à prévenir lui-même, avant l’annonce de cette décision, Tony Blair, que le ministre de l’agriculture avait appelé le ministre de l’agriculture britannique. Moi, je reste persuadée qu’il y a un autre message à faire passer chez nos amis d’outre-Manche : c’est que les consommateurs risquent de se braquer contre leurs produits d’origine bovine, si justement toutes les garanties ne sont pas explicitement prouvées.

Alexandre Dumas : Est-ce que les autres associations de consommateurs en Europe vous soutiennent ?

Marylise Lebranchu : Les associations de consommateurs en Europe nous soutiennent dans leur très grande majorité. Depuis longtemps, elles ont fait observer qu’entre ce qu’on s’était engagé à obtenir comme résultats et les résultats sur l’épidémie, on n’est pas tout à fait dans les clous. Je crois que cela vaut le coup quand même de regarder, cela vaut le coup d’obtenir toutes les précisions, et vous savez qu’en plus nous avons devant nous un grand espoir : c’est qu’il y a un test de contamination au nom des bêtes qui va devenir extrêmement fiable et qui va permettre de tester les animaux qui sont ce que j’appellerais des porteurs sains, pour parler comme d’habitude ; et, si ce test peut exister rapidement – et nous on dit quelques mois seulement – cela vaut le coup quand même qu’on l’utilise avant de lâcher complètement les exportations et les importations de viande. Le problème de la « vache folle » est un problème qui est à peu près maintenant maîtrisé. En revanche, il faut être extrêmement sérieux. Il ne faut pas laisser l’épidémie reprendre. Et je pense que tout ce qu’on pourra faire pour éviter cela sera bon pour nous, pour nos consommateurs, mais également pour les Britanniques.