Interviews de M. Jack Lang, député européen maire de Blois et membre du bureau national du PS, à TF1 le 21 avril 1997, et France 2 le 27, sur la dissolution de l'Assemblée nationale, les thèmes de campagne du PS et ses accords électoraux, notamment avec le PCF.

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Circonstance : Annonce par le Président Chirac le 21 avril 1997 de la dissolution de l'Assemblée nationale

Média : France 2 - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Date : 21 avril 1997
Source : TF1

Patrick Poivre d’Arvor : Que pensez-vous de cette dissolution très annoncée bien que vous n’y croyiez pas ces jours derniers, mais enfin c’était peut-être tactique, j’imagine ?

Jack Lang : Non, c’était personnel. Il s’agit d’avoir une réaction collective. Personnellement et collectivement, je crois que l’on ne peut que se réjouir que la parole soit donnée au peuple. Et vous le voyez dans mon département, le Loir-et-Cher et à Blois, ce week-end, l’idée d’aller aux urnes ne déplaît pas aux Français. Soit pour exprimer leur rejet de l’actuel Gouvernement et marquer une volonté de changement, soit éventuellement pour ratifier le bilan plus ou moins heureux de la majorité sortante.

Patrick Poivre d’Arvor : Vous partez d’assez bas, vous, députés socialistes, êtes soixante. Est-ce que vous pouvez multiplier par quatre ce chiffre pour arriver à la majorité absolue ?

Jack Lang : On ne peut que croître, c’est évident. Mais mon sentiment est que les chances de la gauche ne sont pas minimes. Personnellement, je pense que nous pouvons l’emporter, et quand je regarde de près ce que l’on donne comme indications, le pôle du progrès constitué par les différents mouvements et partis – pas seulement le PS – qui veulent un vrai changement, dépasse au premier tour, et de loin, le pôle conservateur qui plafonne à 39 ou 40 %. Mais, je crois surtout que les Français ont beaucoup de bon sens. La question qui est posée à travers cette élection est simple : oui ou non souhaitent-ils faire à nouveau confiance aux mêmes idées, aux mêmes équipes qui gouvernent le pays depuis quatre ans et qui, aujourd’hui, ont plongé notre nation dans l’enlisement ? Chacun sent très bien que cela ne peut plus durer, que le pays est embourbé, tétanisé, en raison de déficits qui ont été multipliés au fil des années, depuis quatre ans. Le pays est plaqué au sol, et je crois que Jacques Chirac lui-même le sent bien et sait bien qu’avec la poursuite de l’actuelle politique, demain sera pire qu’aujourd’hui. Et c’est pourquoi l’on souhaite, par cette dissolution, que carte blanche soit donnée à l’actuelle majorité pour pouvoir, les mains libres, donner un ou deux tours de vis supplémentaires. Et disons que par rapport au débat d’il y a deux ans, je dirais : adieu les grand rêves, veaux, vaches, cochons, couvées, le pot au lait s’est cassé. Cette pauvre loi sur la cohésion sociale est aujourd’hui en loques et l’arrière-pensée, je crois, est cela d’une politique dure, favorable à un certain capitalisme brutal.

Patrick Poivre d’Arvor : Votre ligne, votre thème de campagne, ce sera essentiellement anti-Juppé, anti-Chirac ?

Jack Lang : C’est un aspect. L’autre aspect…

Patrick Poivre d’Arvor : Avec quand même vos propositions, au passage. Vous êtes prêts, vous n’avez pas été pris de cours par cette annonce ?

Jack Lang : Est-on jamais prêts ? La pensée doit toujours se transformer sans cesse. Simplement comme vous le savez, depuis un an, sur la démocratie, il y a les 150 propositions que nous avons faites pour rénover la vie publique. Et sur l’Europe, hier soir, le premier secrétaire du PS rappelait quelles étaient les conditions que nous posions pour l’entrée dans l’euro. Et sur l’économie et la politique sociale, nous sommes en effet prêts. Et dans les prochaines heures, nous élaborerons notre plate-forme et je crois que nous devons être en mesure de proposer à notre pays un projet exaltant pour que, face à un gouvernement, je dirais, d’immobilisme et d’injustice sociale, nous soyons capables de proposer au pays un gouvernement d’innovation et de progrès social.


Date : dimanche 27 avril 1997
Source : France 2

Daniel Bilalian : Monsieur Juppé résume le programme des socialistes en disant : plus de dépenses publiques – notamment avec l’engagement par l’État de 350 000 fonctionnaires – donc plus de chômage à terme.

Jack Lang : Ce sont des contrevérités. Je déplore toujours que, sous prétexte de campagne, on puisse défigurer la thèse du concurrent. Il n’a jamais été question de créer 350 000 emplois publics, et tout au contraire, notre volonté est de remettre le pays en mouvement, de remettre la France sur les rails de la croissance. Aujourd’hui, la France est enlisée, bloqué, tétanisée, elle va droit dans le mur. Et notre volonté c’est de remettre du tigre dans le moteur, d’apporter de l’oxygène à l’économie française pour récréer des emplois. Ce qui réclame de la part des dirigeants, énergie et enthousiasme. C’est la ligne générale de notre action. Nous voulons redonner à notre pays qui doute, qui a peur de l’avenir, la pêche ! la volonté de se battre, comme aller de l’avant. Et cela n’a rien à voir avec cette caricature qui a été présentée par Monsieur Juppé.

J.-M. Carpentier : Vous dites qu’il n’a jamais été question de créer 350 000 emplois publics. Si ! il en a été question, sur deux ans. Ça a fait l’objet d’une conférence de presse très importante de Lionel Jospin. Alors, vous revenez sur cet engagement.

Jack Lang : C’est une caricature ! Ce que nous souhaitons faire, c’est, par une série de mesures immédiates qui auront un effet de choc et qui se traduiront sur le terrain par des changements… imaginez un système de contrats entre l’État, les collectivités locales et les associations pour encourager la création de 300 000 emplois de qualité de vie. Et je puis vous dire, en tant que maire de Blois et dans mon département du Loir-et-Cher, que j’ai pu voir à quel point certains besoins de base – la sécurité, la protection de la santé, la protection de l’environnement – ne sont pas satisfaits par la puissance publique. Mais ces 300 000 emplois ne sont pas des emplois de fonctionnaires.

J.-M. Carpentier : Sondage Sofres-Le Figaro : 63 % des Français estiment que le PS n’est pas prêt à gouverner le pays contre 31 %. Est-ce que cela signifie que nous n’êtes pas entendus, que vos mesures ne sont pas jugées crédibles par les Français ?

Jack Lang : On ne fabrique un programme selon les sondages. Il faut affirmer ses convictions, aller de l’avant et s’expliquer. Et cette semaine, dans les jours, dans les heures qui viennent, nous adopterons une plate-forme autour de quelques grands axes simples, une place-forme qui s’efforcera d’expliquer ce que nous voulons faire. Deux exemples parmi les dix grands axes qui structureront l’architecture de notre plate-forme : par exemple, rénover la vie publique. Cela veut dire que le système, dans lequel nous vivons aujourd’hui, est un système où une caste accapare le pouvoir à la tête de l’État ou de certains groupes financiers. Nous voulons redonner la parole aux travailleurs et aux citoyens, et faire que la personne humaine soit à sa vraie place, c’est-à-dire la première. Ce qui se traduira par toute une série de réformes que nous réaliserons dès les premiers mois : suppression du cumul des mandats. J’observe que Monsieur Juppé s’est inspiré de notre travail. Mais nos idées progressent et tant mieux ! Parité hommes-femmes : enfin un vrai Parlement qui contrôle l’administration et l’exécutif ! La protection des droits individuels. Mais je dirais qu’au-delà de tout cela c’est l’esprit qui changera. Pour nous, le maître-mot dans la vie sociale, dans la vie publique c’est le mot de « respect » : respect de la personne humaine, respect de la parole donnée – le Français en ont ras-le-bol des promesses non-tenues, des programmes déchirés – et respect de l’argent public. Ils en ont aussi ras-le-bol des gaspillages incroyables qui se commentent, ici ou là, en France.

Daniel Bilalian : Jack Lang, je voudrais vous ramener à des problèmes plus terre à terre…

Jack Lang : C’est terre à terre ! parce que cela concerne l’état d’esprit de notre…

Daniel Bilalian : Les alliances : Le PC, c’est un allié parfois un peu encombrant.

Jack Lang : Certains voudraient nous encombrer. Mais les choses sont simples. Aujourd’hui un pôle du progrès s’est constitué qui réunira, si les accords sont conclus, les Verts – c’est déjà fait –, le Parti socialiste, le Parti communiste et le Parti radical – on l’oublie aussi – et quelques autres mouvements. Dans ce pôle du progrès – qui aujourd’hui, je le rappelle à, dans les sondages, une majorité relative très élevée – le Parti socialiste est l’axe même de la future majorité. Il en est l’ossature ou la colonne vertébrale.

J.-M. Carpentier : Est-ce que cela veut dire pour le PC : au fond, le programme du PS est à prendre ou à laisser, c’est-à-dire que si les communistes sont contre l’euro et si le PS est pour, cela sera comme ça ?

Jack Lang : Nous avons formulé, en particulier sur l’Europe, nos propositions. Nous sommes un parti européen. Nous souhaitons l’euro à la date prévue. Simplement, nous avons indiqué ce passage à l’euro réclame que les conditions soient respectées et ces conditions, en réalité, elles signifient que nous voulons une Europe plus volontaire, une Europe plus économique.

J.-M. Carpentier : Les communistes ne veulent pas de cela, ils ne veulent pas de cet euro. Comment allez-vous faire pour gouverner ensemble ?

Jack Lang : Nous allons en parler mardi ou mercredi, je crois.

J.-M. Carpentier : Comment ferez-vous pour gouverner ensemble ? Vous souhaitez la présence de ministres communistes au Gouvernement ?

Jack Lang : C’est une question qui serait la conséquence d’un consentement mutuel. Je le répète, cette semaine c’est une semaine importante pour nous, puisque c’est notre plate-forme et c’est cette rencontre avec les communistes. Mais sur les questions-clés et fondamentales, nous avons fixé le cap. C’est le nôtre, et je pense que nous réussirons à trouver avec les communistes un accord qui respecte ces perspectives socialistes.

Daniel Bilalian : Qu’est-ce qui va faire la différence dans les trois semaines qui viennent ?

Jack Lang : La différence : je crois qu’il faut éclairer les gens sur la réalité des programmes. Je crois qu’il y a un vrai choix en effet – tout le monde est d’accord – entre deux systèmes, entre deux types de société. Tout à l’heure Monsieur Juppé exprimait une certaine sympathie pour l’œuvre accomplie par Madame Thatcher en Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, comme vous avez pu le voir à travers un certain nombre d’enquêtes, Madame Thatcher et ses amis laissent un pays dans un état pitoyable : des transports publics à l’abandon en raison du retrait de l’État, un système scolaire qui est très dégradé, des cantines qui ne sont même plus ouvertes aux enfants…

Daniel Bilalian : C’est donc plus d’État que vous voulez ?

Jack Lang : Non, nous voulons mieux d’État. J’imagine que lorsque l’on évoque ce thème – je l’ai évoqué pour ma part à Blois –, les Français ne souhaitent pas, croyez-moi, moins de policiers pour la sécurité, les Français ne souhaitent pas moins d’infirmières pour la santé et ne souhaitent pas moins d’instituteurs et de professeurs pour l’éducation de leurs enfants. Et donc en effet sur ce plan là encore, il y aurait un changement de cap si nous revenions au Gouvernement. Au Gouvernement, nous souhaiterons mobiliser les énergies, les talents et proposer au pays une nouvelle aventure collective. Personnellement j’y crois.