Interviews de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Sud Ouest" du 2 décembre 1997, dans "Le Dauphiné libéré" du 10, et dans "Jeunes agriculteurs" hors série de 1997, sur la réforme de la PAC, notamment les propositions du "Paquet Santer" et le danger d'aligner les prix agricoles français et européens sur les prix mondiaux.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Journées d'action contre le "Paquet Santer" organisées par le CNJA et la FNSEA du 2 au 6 décembre 1997

Média : Jeunes Agriculteurs - Le Dauphiné libéré - Sud Ouest

Texte intégral

Sud-Ouest : mardi 2 décembre 1997

Sud-Ouest : Quel sera le message essentiel des agriculteurs du Sud-Ouest, à Montauban ?

Luc Guyau : Nous allons manifester pour informer et sensibiliser nos concitoyens. Pour dire aux Français : attention ! La Commission européenne nous prépare un modèle d’agriculture inspiré de recettes américaines, dont nous ne voulons pas, dont « vous » ne voulez pas ! Je m’explique. Si le libéralisme pur et dur est la seule voie qui prime dans notre secteur, l’agriculture européenne n’y résistera pas. En dépit de l’importance des aides directes dont bénéficient les producteurs, les phénomènes de concentration se poursuivront.

C’est-à-dire, agrandissements, concentration sur les terroirs les plus riches, nouvelle diminution du nombre des agriculteurs.

Certes, il faut tenir compte du marché, mais pas au détriment des autres fonctions de l’agriculture : emploi, occupation de l’espace, environnement, qualité. Depuis trente ans, l’Europe s’est forgé une identité agricole. Nous voulons la défendre. En soutenant notre action, nos concitoyens font un choix de société pour eux-mêmes et leurs enfants.

Sud-Ouest : Le paquet Santer (1) est-il particulièrement inquiétant pour le Sud-Ouest ?

Luc Guyau : Ce projet est inacceptable en l’état. Il est inquiétant pour le type d’agriculture à taille humaine, multifonctionnelle, que nous voulons en France et en Europe. Les agriculteurs du Sud-Ouest- sont particulièrement concernés. Ainsi, en proposant une prime unique pour les grandes cultures, la Commission européenne ne reconnaît plus la spécificité des productions. Ce faisant, ce sont les oléagineux, les protéagineux, cultures essentielles dans le Sud-Ouest, qui sont menacés. Nous demandons un soutien complémentaire aux produits, en plus de la prime de base, pour continuer à orienter les cultures. De plus, la Commission ne dit rien sur ces productions importantes dans votre région, telles que les fruits et légumes et la viticulture.

Sud-Ouest : Croyez-vous que le Sud-Ouest, terre de produits de qualité, doive cultiver, les yeux fermés, le maïs transgénique ?

Luc Guyau : Les yeux fermés, sûrement pas ! Mais en connaissance de cause, dans le respect des principes de précaution et d’information. Les pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités, et leur décision met fin à une incohérence. Nous verrons au cas par cas pour les autres OGM, la betterave et le colza par exemple. Il reste beaucoup de chemin à faire pour éclairer les choix des utilisateurs et des consommateurs. À tous les stades de la chaîne alimentaire, grâce à un étiquetage simple, précis, clair et vérifiable, ils doivent savoir si un produit contient ou non un OGM. Bruxelles doit adopter rapidement la réglementation nécessaire.


(1) Le « paquet Santer », c’est ainsi que les agriculteurs ont appelé le volet agricole des réformes proposées par Jacques Santer, président de la Commission européenne. L’ensemble des propositions de Jacques Santer sera discuté par les chefs d’État de l’Union européenne les 12 et 13 décembre à Luxembourg.


Le Dauphiné libéré : 10 décembre 1997

Le Dauphiné libéré : Les responsables syndicaux drômois estiment que le projet de réforme de la politique agricole commune va conduire, s’il est appliqué en l’état, à une « américanisation de l’agriculture européenne ». Christiane Lambert, présidente du CNJA, parle de « cocacolonisation » de l’Europe et vous, vous accusez les Américains de vouloir faire de l’Europe « le far-west agricole ». Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

Luc Guyau : On veut, sans tenir compte des spécificités des différents secteurs de production et régions agricoles, aligner l’agriculture française et européenne sur les prix mondiaux qui ont pour référence les États-Unis. Conséquence pour nos agriculteurs : une baisse des prix – donc des revenus –, la disparition de certaines exploitations et l’accélération de l’agrandissement de celles qui resteront… On veut nous imposer un modèle qui ne répond pas aux attentes sociales des Européens. Les Américains se satisfont de poulet aux hormones trempé dans l’eau de javel. Nous, non. Ce que nous souhaitons, c’est une politique de produits de qualité, générant des emplois, occupant le territoire et contribuant à son aménagement… Comment inciter un jeune à s’installer, en lui disant que les aides qu’il recevra seront deux fois supérieures au revenu tiré de son exploitation ? Par ailleurs, le modèle américain va conduire à la désorganisation des marchés. Nous, Européens, affirmons notre attachement aux organisations communes des marchés (OMC) qui limitent les baisses et les hausses de prix.

Le Dauphiné libéré : Les cinq manifestations interrégionales ont pour objectif de mobiliser l’ensemble de la profession agricole. Plus globalement, la FNSEA et le CNJA affirment que l’ensemble de la société est concerné par les orientations agricoles contenues dans le « paquet Santer ». Dans quelle mesure ?

Luc Guyau : Nous souhaitons que les agriculteurs connaissent tous les enjeux de cette réforme. Il ne s’agit pas seulement de baisse des prix et de déréglementation mais de la destruction progressive de l’esprit dans lequel nous exerçons notre profession. Nous nous considérons comme des chefs d’entreprise. Nous voulons d’abord vivre de notre métier, et nous préoccuper ensuite des régulations. En nous refusant des prix rémunérateurs, on fait de nous des assistés et on nous place sur le banc des accusés en laissant entendre à nos concitoyens qu’ils vont payer nos produits deux fois : en tant que consommateurs et en tant que contribuables. Le combat que nous menons n’est pas corporatiste. C’est un combat de société. Si l’Europe n’affirme pas son identité propre, dans tous les domaines, et notamment dans celui de l’agriculture, comment pourra-t-elle répondre aux demandes de ses habitants ? L’agrandissement des exploitations et la baisse du nombre d’agriculteurs se feront au détriment de l’aménagement du territoire et du dynamisme de nos campagnes. En banalisant, en standardisant les produits, on va à l’encontre des exigences de sécurisation et d’identification exprimées par les consommateurs.

Le Dauphiné libéré : Qu’attendez-vous des cinq journées de mobilisation ? Quels sont, selon la FNSEA, les principes sur lesquels doit reposer la réforme de la politique agricole commune ?

Luc Guyau : Nous voulons sensibiliser l’opinion publique et les hommes politiques. Nous sommes intervenus auprès du chef de l’État et du Premier ministre qui vont participer, les 12 et 13 décembre, au sommet européen de Luxembourg. Nous leur avons demandé de s’assurer qu’un budget agricole conséquent a bien été prévu. Nous souhaitons une reconnaissance de la très grande diversité de l’agriculture et de son rôle en matière d’environnement et d’aménagement du territoire. Nous estimons que la valorisation de nos produits doit être notre première source de revenu. Nous voulons que notre agriculture contribue à l’équilibre alimentaire mondial. Nous attendons de ce sommet des réponses fortes, bases sur lesquelles pourront être trouvées de futures négociations.


Jeunes agriculteurs : Hors-série 1997

Le Comité des organisations professionnelles agricoles (Copa) regroupe 30 syndicats professionnels agricoles des quinze États de l’Union européenne. Il représente les intérêts de 9 millions d’agriculteurs européens.


Jeunes agriculteurs : Quelle est votre priorité à la présidence du Copa ?

Luc Guyau : Notre dossier majeur est la prochaine réforme de la Pac. Je l’avais dit lors de mon élection à la présidence : je veux que le Copa soit un interlocuteur incontournable des autorités européennes pour cette réforme. Il s’agit avant tout de promouvoir l’identité agricole européenne. Je crois que le message a été reçu, si j’en juge par les conclusions du Conseil « Agriculture » des 17 et 18 novembre, qui mentionne la nécessité pour l’Europe d’affirmer une identité, agricole qui lui soit propre.

Jeunes agriculteurs : Les adhérents du Copa ont-ils tous la même approche du syndicalisme à l’échelon européen ?

Luc Guyau : Formulée comme cela, la réponse est oui : nous sommes tous convaincus que le but du syndicalisme européen est de permettre à l’agriculture de prospérer à travers toute l’Europe et aux agriculteurs de réussir. En revanche, si vous me demandez si tous les membres du Copa ont la même vision des moyens pour atteindre ces objectifs, la réponse est non. Les pays d’inspiration libérale, comme le Royaume-Uni ou le Danemark, sont favorables au projet de la Commission. D’autres, comme la Suède ou les Pays-Bas, ont des positions mitigées. Enfin, l’Allemagne, les pays du sud de l’Europe et la France sont contre ce projet, dans sa forme actuelle, sur des aspects et pour des motifs différents. Mais nous sommes tous d’accord sur la nécessité de promouvoir ce qui nous rapproche, par rapport au modèle agricole ultralibéral américain à prétention hégémonique.

Tout l’objet du Copa est de confronter les points de vue, de rechercher des compromis européens, pour pouvoir les opposer à la vision monolithique que la Commission a de l’avenir de l’agriculture et de la Pac. Ce travail de dialogue et de compromis, c’est l’essence même de la construction européenne. C’est grâce à ce travail que nous avons déjà pu influencer la position des ministres de l’Agriculture.

Jeunes agriculteurs : Quelle est la position du Copa sur le paquet Santer ? N’avez-vous pas du mal à parler d’une voix commune sur ce sujet ?

Luc Guyau : J’ai été le premier à prendre position sur le paquet Santer dès le 17 juillet dernier. J’étais aux États-Unis avec les vice-présidents du Copa pour rencontrer les dirigeants agricoles et politiques américains. J’ai adressé un télégramme de protestation, le jour même, à l’ensemble des membres de la Commission européenne et à d’autres responsables européens. A rapidement suivi un communiqué de presse du Copa « rejetant en l’état » le projet de la Commission. Il a été adopté à l’unanimité.

Mais, il ne suffit pas de critiquer, il faut proposer. C’est ce que nous avons fait dès la fin juillet avec un document d’analyse détaillée du paquet Santer. Et puis, en octobre, nous avons arrêté notre position politique en adoptant une « plateforme commune » décrivant le modèle européen d’agriculture. Alors, je ne pense pas que l’on puisse dire que le Copa a du mal à faire entendre une voix commune. Ce n’est pas simple avec 25 syndicats membres, j’en conviens. Mais, l’enjeu est tel que les organisations se dépassent et recherchent les solutions optimales pour le plus grand nombre. C’est cela le syndicalisme !

Jeunes agriculteurs : En tant que voix européenne des agriculteurs, quelles propositions ou quelles actions allez-vous faire pour le « paquet Santer » ?

Luc Guyau : À partir de la plateforme adoptée en octobre, le Copa fait un lobbying intensif auprès de Bruxelles. Nous demandons à chaque organisation membre de relayer le message auprès de ses pouvoirs publics. Nous réfléchissons en interne aux solutions techniques qui permettraient de concrétiser les orientations politiques retenues. Et nous entendons bien participer concrètement à l’élaboration des textes qui seront adoptés. Après le dernier Conseil européen de Luxembourg, la Commission devra faire des propositions formelles. Elle devra amender ses idées en fonction des conclusions politiques adoptées à Luxembourg.

Lorsque les textes seront officiels, nous les travaillerons avec la Commission dans les « comités consultatifs ». Nous attachons d’ailleurs la plus grande importance à notre présence dans ces comités. C’est le lieu où les professionnels peuvent agir concrètement sur la rédaction des textes qui les concernent. Ces comités sont bloqués depuis quatre ans, tous les pays n’étant pas représentés. Dans une période aussi cruciale, c’est inadmissible. Ils doivent être réformés. Tous les agriculteurs, tous les pays doivent y être représentés. Réflexion interne, recherche d’une position commune, lobbying politique, travail technique avec la Commission et les autres autorités européennes : voilà pour l’instant le programme de travail du Copa.

Si les choses ne vont pas dans le sens voulu, le Copa a prouvé par le passé qu’il était capable d’agir sur un autre terrain. Souvenez-vous de la manifestation européenne que nous avions organisée à Strasbourg en 1992 contre Blair House. L’Europe trouvera toujours dans le Copa un interlocuteur de poids.