Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, sur la desserte de la Corse par la SNCM, Ajaccio le 15 janvier 1998.

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Circonstance : Déplacement de M. Gayssot en Corse le 15 janvier 1998

Texte intégral

Corse, Assemblée territoriale,

Je suis particulièrement heureux de pouvoir m’exprimer devant l’Assemblée corse et d’écouter les points de vue des différents groupes qui la composent – ainsi que la position du conseil exécutif – à propos d’une question de première importance pour la Corse et ses habitants – je veux parler de la continuité territoriale et de sa mise en œuvre –.

Il s’agit donc pour moi d’une réunion de travail où j’ai voulu privilégier la rencontre avec tous les acteurs concernés. Il y a eu des réflexions, des propositions, un rapport, le rapport Pages sur ce sujet.

J’ai fait part, il y a quelques temps, de mes préoccupations.

Le moment est donc venu d’avancer non pas avec des idées préconçues du genre « il faut en finir avec le service public, l’entreprise publique », ou à l’inverse « on ne change rien, on ne bouge rien et, la concurrence menace de nous mettre en difficultés ». Nous choisirions le statu quo ? Impossible.

Non, je crois à notre capacité commune de responsables, de citoyens, d’élus, de salariés à inventer les solutions nouvelles pour relever le défi du développement de l’entreprise dans l’intérêt des populations insulaires, dans l’intérêt de la Corse et de la Nation française.

Les liaisons entre le continent et l’île s’effectuent aujourd’hui par un ensemble de liaisons maritimes et aériennes.

Pour ce qui concerne les transports aériens qu’utiliseront deux millions de passagers par an, vous avez récemment adopté le cahier des charges et le dossier d’appels d’offres – conformément aux textes législatifs qui en donnent la compétence à votre Assemblée –. Après les procédures prévues notamment au niveau communautaire, votre Assemblée choisira le concessionnaire.

Pour ce type de liaison, il ne semble pas y avoir de difficultés particulières. Naturellement, il est nécessaire que ceux qui décident aient une juste appréciation du poids financier de l’aérien au regard de l’ensemble des dessertes dans le cadre de la dotation et du type de liaisons qui entrent dans la notion de continuité territoriale déléguée par l’État.

Mais ces questions sont de votre entière responsabilité.

En même temps, chacun s’accorde à considérer que l’application de la continuité territoriale dans le domaine maritime constitue un ensemble de problèmes sur lesquels je voudrais que nous réfléchissions ensemble. Et pour tout vous dire, c’est la motivation majeure de ma venue devant vous aujourd’hui.

J’ai entendu – ou plutôt lu – des propos naturellement vifs traduisant des opinions souvent tranchées et des critiques parfois unilatérales. J’ai mesuré le poids des insatisfactions, très particulièrement ici en Corse. Et je sais aussi les problèmes que rencontre la Société nationale Corse Méditerranée, la SNCM.

Il me semble donc indispensable de partir du fond de la question posée. Je veux dire, qu’à mes yeux, la continuité territoriale représente un élément de base.

Quand on examine la nature des relations entre la métropole et la Corse dans le cadre de la Nation française, on mesure combien la continuité territoriale est un élément de solidarité particulièrement réel et efficace et qu’elle traduit un comportement positif de l’État pour soutenir le développement de l’île dans le cadre de l’unité républicaine.

Vingt-deux ans après la mise en place de la continuité territoriale, qui est le fruit de nombreux combats menés ici en Corse, est-il utile de confirmer que ses principes et en particulier son inscription dans le cadre du service public sont ceux qui animent le Gouvernement.

De même, faut-il redire que c’est dans le cadre de la loi du 13 mai 1991 (dite loi Joxe) que nous entendons développer notre action.

La définition des conditions de la mise en œuvre de la continuité territoriale est une compétence que l’État a transféré à la collectivité territoriale corse. Cette disposition de décentralisation qui confère à votre collectivité la responsabilité du service public du transport s’accompagne du versement par l’État d’une dotation qui s’est élevée en 1997 à 960 millions de francs.

L’importance de ce montant est à la mesure des enjeux, pour la population corse et aussi continentale, d’une bonne mise en œuvre de la desserte et permet de souligner le niveau de vos responsabilités. Avec cette somme, l’office des transports de Corse décide précisément, en matière de passagers et de fret, des ports qui doivent être desservis, et de la fréquence sur les lignes continent-Corse, et cet office fixe ligne par ligne les tarifs.

C’est dans le cadre juridique de la concession que la loi organise les conditions dans lesquelles votre collectivité confère à des compagnies la mise en œuvre concrète des liaisons maritimes.

Les échéances de fin des conventions actuelles sont proches puisqu’elles viennent à expiration le 31 décembre 2001 et certains prédisent, tant sont fortes les critiques portées à l’encontre de la SNCM, le grand chambardement, pensant peut-être ainsi régler les problèmes.

Pour ma part, je n’ai pas l’intention de me substituer aux autorités responsables de la collectivité corse dont je viens d’indiquer qu’elles ont la légitimité pour décider.

Mais ministre des transports, je me dois, au nom du Gouvernement, d’attirer votre attention sur un certain nombre de réalités.

La Corse est aujourd’hui desservie par six ports : Ajaccio, Bastia, Porto Vecchio, Calvi, l’Île-Rousse et Propriano.

Je pense que chacun est à même de mesurer que cette situation – au-delà des difficultés réelles – sur lesquelles je vais revenir, que cette situation est un atout pour la Corse, ses habitants dans leur vie quotidienne, une chance pour la vie économique de l’île, une garantie du maintien de liaisons diversifiées tout au long de l’année.

Je suis sûr que personne ne sous-estime cet acquis.

Prenons garde, en tout cas, de ne pas le considérer comme quantité négligeable dans le débat qui s’ouvre. Qui sait par quoi tout cela serait remplacé !

Deux critiques sont parfois formulées à l’encontre de la SNCM :
- d’une part, les répercussions sur la population insulaire des conflits internes à cette société ;
- d’autre part, des retombées insuffisantes sur les activités économiques de l’île.

J’entends ces critiques.

Les tensions internes conduisant à des mouvements ont marqué la vie de l’entreprise. Cela a pu provoquer des incompréhensions, de la méfiance, des exaspérations et, finalement les liens entre nombre d’habitants insulaires et la société nationale se sont distendu.

Je souhaite que chacun, à la place où il se trouve, prenne conscience de cet état de fait et contribue à retisser les liens réciproques de confiance sans lesquels la société nationale ne retrouvera pas le dynamisme dont elle a besoin.

Et je crois que c’est possible si se développe le dialogue social à l’intérieur de l’entreprise. Il faut bien dire que de ce point de vue, il y a une large marge de progression. C’est un des points de la mission qui a été confiée au nouveau président de la SNCM.

L’autre point qui cristallise de nombreuses critiques à l’égard de la SNCM concerne les retombées économiques pour la Corse, considérées comme très insuffisantes.

Je crois que nous ne devons pas sous-estimer la situation actuelle puisque des centaines de marins de la compagnie vivent en Corse avec tout ce que cela veut dire pour l’activité insulaire. Tout compris, on estime à quelques 400 millions de francs les dépenses locales engendrées par la SNCM.

Mais il est clair qu’il faut aller plus loin, à la fois pour l’approvisionnement des navires, mais aussi du point de vue de l’implantation d’activités de la société.

Naturellement, ceci doit se faire sur la base d’une concertation interne réelle et avec les mesures d’accompagnement dont tout transfert d’activité doit bénéficier s’il veut réussir.

Je sais que cela ne sera pas facile à mettre en œuvre, mais je suis déterminé à aider et à contribuer à la réussite de cet objectif que je relie au développement autocentré de l’île comme disent les économistes.

De tout cela, j’ai parlé avec les organisations les plus représentatives des salariés hier soir lors de plusieurs réunions de travail que j’ai tenues sur le Napoléon-Bonaparte, lors de la traversée Marseille-Ajaccio et je continuerai cet après-midi lors d’autres rencontres.

Le langage de vérité, je le tiens de la même façon, quel que soit mon interlocuteur. Aujourd’hui, je crois que l’esprit de responsabilité doit l’emporter.

Ce qui signifie, selon moi, qu’il conviendrait de se fixer deux objectifs : une fiabilité plus grande et une contribution plus nette au développement de l’économie corse.

Ceci me conduit aussi à confirmer ce que le Gouvernement attend de la SNCM et qui a été exposé lors du dernier conseil d’administration qui a vu le changement de président, en particulier : maintien du service public et mise en position de compétitivité face à la concurrence, sécurité dont je veux rappeler que sa prise en compte permanente doit constituer notre fil rouge.

J’indique que, si les trois quarts de l’activité de la société concernent directement la Corse, ce qui traduit la place décisive de la concession de continuité territoriale pour elle.

Je n’oublie évidemment pas le reste de ses lignes – le réseau international – et notamment tout ce qui concerne le Maghreb qui, indirectement, n’est pas sans effet sur la Corse.

On voit que ce programme est ambitieux. Et certains peuvent se demander ce qui sera réellement réalisé.

J’ai souligné l’importance de la mobilisation interne à la SNCM autour d’un plan d’entreprise que doivent préparer et mettre en œuvre les salariés et la direction.

Mais ces efforts que la société elle-même doit déployer, pour qu’ils conduisent au redressement, doivent être accompagnés et soutenus. L’État ne se dérobera pas.

Il jouera son rôle d’actionnaire et son rôle de garant du respect des règles légales de fonctionnement des transports, notamment ceux qui se déroulent dans le cadre du service public.

Mais l’État ne peut tout faire seul.

C’est pourquoi j’ai soumis au débat l’idée d’un partenariat entre l’État d’une part, les grandes collectivités territoriales concernées d’autre part.

Et à mes yeux, elles se situent des deux côtés des rivages de la Méditerranée.

Quelles sont donc les collectivités publiques que nous pensons devoir être partie prenante des dispositifs qui seront mis en place ?

Il y a bien sûr la collectivité territoriale corse qui joue un rôle éminent, que j’ai rappelé, dans la définition des modalités de mise en œuvre de la continuité territoriale.

Mais cette question concerne aussi la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’agglomération marseillaise. Les raisons en sont nombreuses : le poids économique de la SNCM, le nombre d’emplois, la place du groupe (SNCM et les sociétés auxquelles elle participe) dans la vie du port de Marseille et aussi le nombre d’habitants de cette région qui, à des titres divers, sont liés à la Corse et ont vocation à s’y rendre régulièrement.

Il y a donc un ensemble de motifs qui assoient cette proposition d’un partenariat nouveau entre collectivités publiques nationales et territoriales.

Les formes précises (société, groupement d’intérêt) sont naturellement à discuter ensemble, une fois qu’une orientation politique commune aura réuni les différents partenaires.

Je sais que cette idée suscite débat et interrogation.

Mais je pose clairement la question :
- peut-on vouloir la fin de la SNCM ? Vous comprendrez que je ne me situe pas dans cette perspective et, je crois que la population qui bénéficie aujourd’hui de ses services, même lorsqu’elle exprime des critiques, ne supporterait pas la disparition du service public ;
- a-t-on une meilleure solution que le schéma que je viens d’évoquer – et je suis preneur – je veux dire une solution viable, acceptable pour les différents acteurs de ce dossier ?

Meilleure solution qui intègre bien sûr les échéances liées d’une part à l’ouverture européenne du cabotage, d’autre part les règles de l’appel d’offres.

En fait, je propose de tirer les leçons de notre expérience commune, de nous préparer pendant qu’il en est encore temps à l’ensemble des contraintes nouvelles, notamment européennes qui nous attendent, pour relever le défi d’un nouveau développement de l’entreprise nationale. J’ai la conviction que c’est l’intérêt de l’emploi qui est notre souci majeur à tous et la priorité du Gouvernement, que c’est l’intérêt de la Corse et de la Nation toute entière.